2022 a confirmé son statut « d’année record » pour le football féminin, notamment du côté des tribunes. Certaines affluences se sont révélées spectaculaires, en particulier celles enregistrées au printemps en Ligue des Championnes ou à Wembley cet été pour la finale de l’Euro en Angleterre.

Cette montée en puissance reste évidemment inégale, et elle est, en partie, amplifiée par les périodes d’arrêt des championnats puis de huis clos, observées face à la pandémie de COVID-19 en 2020 et 2021. On peut le voir de l’autre côté de l’Atlantique, dans le cas de la Liga mexicaine, qui a retrouvé ses niveaux d’avant la pandémie, à l’occasion du tournoi d’ouverture (Apertura) de la saison 2022/2023.

Les deux manches de la finale ont réuni 52 654 personnes à Mexico, et 41 615 à Monterrey, tandis que l’affluence moyenne a atteint la barre des 2000 spectateurs (2005 en moyenne), retrouvant des niveaux élevés, observés lors de la saison 2019/2020 (2224 en moyenne pour le tournoi d’ouverture).

 

California dreaming

Constat similaire aux États-Unis, où la saison 2022 en NWSL (disputée d’avril à octobre) a franchi pour la première fois la barre du million de spectateurs cumulés lors de la saison régulière, avec une moyenne qui avoisine les 7 900 spectateurs par rencontre. Lors des play-offs, la finale entre Kansas City et Portland s’est jouée devant 17 624 fans à Washington, tandis que les quatre matches du premier tour et des demi-finales avaient, à chaque fois, réuni plus de 20 000 spectateurs.

Des chiffres qui maintiennent les États-Unis et son championnat en position de locomotive, une NWSL dopée par l’installation de deux nouvelles franchises dans le sud de la Californie (Angel City à Los Angeles, et le San Diego Wave). Les matches à domicile des deux équipes californiennes ont généré près d’un tiers de l’affluence enregistrée cette année en saison régulière.

L’affluence moyenne a également crû. Elle était de 7 389 spectateurs en 2019, avant le COVID-19, et progresse malgré l’augmentation du nombre de matches, passés de 120 à 132 en saison régulière, sans oublier deux rencontres supplémentaires en play-offs.

 

Un effet Euro ?

Sur le continent européen, ce sont l’Allemagne et l’Angleterre qui semblent enregistrer des progressions significatives ces dernières semaines en matière d’affluence dans les stades. Un constat qui constitue une demi-surprise puisque les équipes nationales des deux pays étaient réunies en finale de l’Euro 2022, le 31 juillet dernier à Wembley, remportée par les Lionesses anglaises devant 87 192 spectateurs.

L’élan observé en Allemagne pendant et après le tournoi ne semble pas se démentir. Depuis le début de saison, plus de 183 500 spectateurs cumulés ont assisté aux matches de Frauen-Bundesliga, ce qui dépasse d’ores et déjà le record établi en 2013/2014 (156 465 spectateurs cumulés).

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Un record battu alors que seulement 60 des 132 rencontres de championnat ont pour le moment été disputées en Allemagne ! Parmi ces 60 matches, 47 rencontres de Bundesliga ont réuni au moins 1000 spectateurs, alors que Francfort, Brême ou Wolfsburg ont connu des affluences supérieures à 20 000 spectateurs.

Le championnat féminin allemand connaît une popularité renaissante, après plus de dix ans de stagnation, voire de baisse relative du nombre de spectateurs dans les stades depuis 2016. Une situation qui explique, en partie, la volonté de la fédération, poussée par de nombreuses actrices de la discipline, à relancer ces derniers mois une politique en faveur du football féminin. Elle inclut notamment une meilleure représentation des femmes dans les instances fédérales, une candidature (commune avec la Belgique et les Pays-Bas) pour l’organisation de la Coupe du monde 2027 ou une professionnalisation annoncée de la Frauen-Bundesliga.

 

La FA WSL anglaise veut changer de dimension

En FA WSL anglaise, cette barre symbolique des 1000 spectateurs a été franchie quasi-systématiquement depuis le début de saison, puisque seuls deux matches (sur 56) ont été joués devant moins de 1000 spectateurs ! La fédération anglaise ne cache pas ses ambitions, avec la volonté d’atteindre une moyenne supérieure à 6 000 spectateurs par match d’ici 2024.

L’objectif semble à portée de main, puisque 364 876 spectateurs cumulés ont été enregistrés depuis le début de saison, soit, en moyenne, plus de 6 600 par match ! Il se combine également avec une plus grande visibilité de la première division anglaise, diffusée sur Sky Sports et en clair sur la BBC.

Derrière ces chiffres impressionnants, la FA WSL est en réalité plus proche d’une affluence moyenne qui avoisine les 3 000 spectateurs (2899 sur la première partie de saison). Ce chiffre s’établit en retranchant les affluences des rencontres ponctuellement jouées dans les grands stades, et qui peuvent « fausser » ces moyennes.

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Trois matches ont notamment réuni plus de 40 000 spectateurs à l’Emirates Stadium d’Arsenal (face à Tottenham et Manchester United), et à l’Etihad Stadium lors du derby de Manchester, entre City et United. Les stades d’Anfield (Liverpool), d’Old Trafford (Manchester United) ou de Stamford Bridge (Chelsea) ont également accueilli des rencontres qui ont permis d’établir des affluences à cinq chiffres.

De quoi marquer les esprits, même si ces chiffres semblent en partie « gonflés ». Les nombres de spectateurs annoncés sont basés sur ceux des billets vendus, souvent supérieurs aux nombres de personnes visiblement présentes dans les tribunes au moment du match.

 

La magie du derby

D’autres clubs font le choix de faire jouer plus régulièrement leurs équipes féminines dans le même stade que les garçons. C’est le cas par exemple d’Aston Villa, et surtout de Leicester City qui joue ses rencontres au King Power Stadium, où évolue également son équipe masculine. Lanterne rouge de FA WSL, Leicester affiche aussi une moyenne à domicile qui dépasse les 3000 spectateurs depuis le début de saison.

En Angleterre, les plus fortes affluences sont principalement le fait des grands clubs, disposant de moyens plus important en matière de communication, et avec une capacité à créer l’évènement autour d’affiches prestigieuses (Arsenal – Manchester United) mais aussi des derbies. Les rivalités locales à Londres, Manchester ou Liverpool contribuent ainsi à attirer ponctuellement le public.

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Parmi les cinq plus fortes affluences en FA WSL sur ce début de saison, trois ont été enregistrés à l’occasion d’un derby. On retrouve d’ailleurs cet attrait du derby chez le voisin écossais, avec des affluences historiques enregistrées cet automne en SWPL lors des derbies de Glasgow et d’Édimbourg.

 

Tout le monde en parle

Cette nécessité de créer l’évènement autour d’un match se retrouve également en coupe d’Europe. Lors de la phase de groupes, disputée ces dernières semaines, les deux plus fortes affluences ont été enregistrées lors des rencontres entre le FC Barcelone et le Bayern Munich, dans le groupe C. Deux poids lourds du football européen masculin, avec des équipes féminines candidates au titre européen.

La rencontre disputée au Camp Nou à Barcelone a réuni 46 967 spectateurs, et ils étaient 24 000 à l’Allianz Arena de Munich. On retrouve une recette similaire pour le match entre le Paris Saint-Germain et le Real Madrid, joué le 16 décembre devant 16 319 spectateurs au Parc des Princes, dans le groupe A.

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Par d’autres moyens, certaines équipes parviennent aussi à susciter l'engouement du public local, comme Newcastle, dont l’équipe féminine évolue en quatrième division anglaise, et qui a réuni plus de 28 500 spectateurs à St James’ Park le 27 novembre pour un match de coupe d’Angleterre. En Allemagne, le FC Nuremberg (deuxième division) a accueilli 17 302 spectateurs le 20 novembre pour son huitième de finale de coupe d’Allemagne face à Wolfsburg.

En France, on peut également citer l’initiative du Mans, avec 6421 spectateurs présents au stade Marie-Marvingt le 27 novembre dernier pour assister au match de D2 dans le groupe A face au RC Lens. Un nouveau record pour la deuxième division française.

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Parmi les ingrédients réunis par le club manceau, une communication plus importante autour de ce « duel sang et or », mais aussi un évènement organisé en coordination avec les clubs de la région, qui ont participé à « mobiliser » pour ce match et les activités organisées en amont de la rencontre. Le club du Mans a aussi associé des sportives d’autres disciplines, et proposé un accès gratuit aux jeunes et à ses abonnés.

 

À l’ombre du Mondial

Il semble aussi important de souligner qu’une partie des fortes affluences enregistrées ces dernières semaines sont intervenues dans un contexte particulier, celui de la Coupe du monde masculine au Qatar. Avec le tournoi organisé du 20 novembre au 18 décembre, les grands stades européens, occupés principalement par les équipes masculines, étaient laissés vacants pendant plusieurs semaines. Cela offrait la possibilité de programmer des matches dans de plus grandes enceintes, mais aussi de tester la disponibilité du public et des supporters.

Parmi les meilleures affluences enregistrées cet automne, plusieurs l’ont été pendant cette période de la Coupe du monde. En Allemagne, des banderoles d’appel au boycott du Mondial étaient aussi présentes dans les tribunes, et certains supporters ont peut-être fait le choix d’aller soutenir les féminines de leur club favori, plutôt que de se plonger dans l’actualité du Mondial.

En Espagne, plusieurs clubs (Valence, Betis Séville, Real Sociedad...) ont programmé des matches dans leurs grands stades en cette période de Mondial, avec des résultats variables. Les plus fortes affluences ont été enregistrés en novembre au Metropolitano de Madrid lors du match Atlético – FC Barcelone (24 107), et au stade San Mamés de Bilbao pour le derby basque entre l’Athletic et la Real Sociedad (22 412).

 

La D1 restée à quai ?

À l’inverse de l’Allemagne et de l’Angleterre, l’Espagne ne connaît pas de bond en termes d’affluence moyenne, qui reste extrêmement variable d’une équipe à l’autre. En France, la situation n’est pas plus enthousiasmante, avec seulement 12 matches (sur 66) qui ont dépassé le millier de spectateurs depuis le début de saison.

Des rencontres qui impliquent le plus souvent Lyon ou le PSG, avec 13 400 spectateurs lors du duel entre les deux équipes au Groupama Stadium le 11 décembre ou 3 300 personnes, une semaine plus tôt à Charlety, pour le derby Paris FC – Paris Saint-Germain. Le match entre Le Havre et Rodez a aussi réuni 1246 spectateurs au stade Océane fin octobre, dans un duel entre les deux promus. Sur ce début de saison, la moyenne avoisine les 840 spectateurs en D1, un chiffre qui se rapproche de ceux observés avant le COVID (904 pour la saison 2018/19), mais aussi avant la Coupe du monde 2019 en France…

 

Photo : FIFA (L'Emirates Stadium de Londres, le 24 septembre 2022 à l'occasion du North London Derby entre Arsenal et Tottenham (4-0). Une rencontre qui avait été suivie par 47 367 spectateurs, soit le record d'affluence pour la FA WSL anglaise)

Hichem Djemai