Le débat avait été lancé par Sara Björk Gunnarsdottir en avril dernier. La capitaine de l’Islande s’était dite « déçue » par le choix des stades retenus pour l’Euro cet été en Angleterre. La charge est plus forte encore : « C’est choquant. Nous jouons un tournoi en Angleterre [qui abrite] de nombreux grands stades et nous devons jouer sur un terrain d’entraînement qui peut accueillir autour de 5000 spectateurs ».

 

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Un pas en arrière ?

Dans cette même interview, donnée pour le podcast Their Pitch, Sara Björk Gunnarsdottir avait évoqué un « football féminin » qui « fait deux pas dans la bonne direction » avant de « faire un pas en arrière » en choisissant des stades trop petits pour un Euro.

L’Islande peut légitimement se sentir lésée, alors que la sélection nordique jouera ses trois matches de poule à l’Academy Stadium de Manchester. Dans sa configuration pour l’Euro, le stade ne peut accueillir que 4700 spectateurs, l’UEFA ne prévoyant pas de spectateurs debout (ce qui aurait porté la contenance à 7000 spectateurs).

Lors de l’Euro 2017, les trois matches disputés par l’Islande avaient réuni plus de 4700 spectateurs, avec notamment plus de 5600 personnes lors du match face à la Suisse. Un engouement qui s’est confirmé cette année, les trois matches de l’Islande à l’Academy Stadium étant déjà annoncés à guichets fermés.

L’Islande a hérité du plus petit stade sur les dix retenus pour l’Euro, dont la majorité (8) compte plus de 10 000 places, alors qu’un peu plus de la moitié des matches (16) se joueront dans un stade d’au moins 30 000 places.

 

L’effet Camp Nou

Au moment où Sara Björk Gunnarsdottir exprime sa déception, le football féminin européen connaît par ailleurs un coup de projecteur exceptionnel, avec la phase de finale de la Ligue des Championnes.

Fin mars, le Camp Nou vient de battre le record d’affluence pour un match féminin lors du quart de finale retour de Champions League entre le FC Barcelone et le Real Madrid. Record qui sera battu quelques jours plus tard dans ce même Camp Nou, à l'occasion de la demi-finale aller entre le Barça et Wolfsburg. En moyenne, plus de 22 000 spectateurs ont assisté aux huit matches (aller/retour) des quarts de finale de la Ligue des Championnes et plus 44 000 spectateurs pour les quatre matches (aller/retour) des demi-finales.

Cette nouvelle donne incite à l’ambition, d’autant plus après la période de huis-clos subie en raison de la pandémie de COVID-19. L’enthousiasme et l’engouement désormais palpables constituent autant d’éléments qui légitiment la prise de position de la capitaine islandaise. Le débat avait d’ailleurs débuté dès 2018 en Angleterre, au moment de l’attribution de l’Euro.

 

Angles morts

Dans la liste initiale des stades retenus, l’emblématique Old Trafford de Manchester n’était par exemple pas inclus pour accueillir le match d’ouverture. En 2018, l’une des principales critiques portait aussi sur l’absence de stades dans la région du Nord-Est de l’Angleterre, qui inclut des villes comme Newcastle, Sunderland ou Middlesbrough, connues pour leur ferveur footballistique. C’est une région d’où sont également originaires les internationales anglaises Lucy Bronze, Jill Scott ou Beth Mead.

Autre absence, celle de la région de Birmingham, alors que le football féminin y est particulièrement implanté, avec les clubs d’Aston Villa, l’historique Birmingham City (qui descend en Championship pour la saison prochaine), sans oublier le club voisin de Coventry United qui évolue aussi en Championship.

Hasard du calendrier, Birmingham accueillera les Jeux du Commonwealth cet été à partir du 28 juillet. La proximité des deux évènements est liée au décalage d’un an de l’Euro de 2021 à 2022, mais il semble bien que Birmingham et sa région ait choisi dès le départ de se concentrer sur l’organisation de cet évènement majeur pour le sport britannique.

 

Manque d’enthousiasme

Interrogés sur le sujet, les responsables de la fédération anglaise (FA) indiquent notamment que les acteurs locaux (villes, clubs) étaient peu nombreux à exprimer un intérêt pour accueillir le tournoi. Le directeur général de la FA, Mark Bullingham explique notamment que la fédération a dû « convaincre quelques villes et clubs de se porter candidates. […] Si vous pensez que les gens se précipitaient pour accueillir des matches [de l’Euro], ce n’était pas le cas. »

De son côté, la responsable du football féminin au sein de la fédération anglaise, Sue Campbell, a reconnu que les choix auraient pu être différents, avec des stades plus grands, mais avec le calcul que les matches n’impliquant pas l’équipe d’Angleterre risquaient de ne pas se jouer devant « un stade plein ».

Lors de l’Euro 2017 aux Pays-Bas, la majorité des matches avaient réuni moins de 6000 spectateurs (669 pour le match Italie-Russie), alors que les affiches incluant les Pays-Bas attiraient au moins 10 000 spectateurs. C’est d’ailleurs l’un des enjeux pour l’UEFA, qui espère que cet Euro en Angleterre va attirer un plus grand nombre de spectateurs venus de l’étranger, à l’inverse des Euros féminins précédents.

L’UEFA veut d’ailleurs voir le verre à moitié plein. Ancienne championne d’Europe avec l’Allemagne et aujourd’hui responsable du football féminin pour l’UEFA, Nadine Kessler considère qu’il faut « viser l’objectif le plus élevé possible sans perdre de vue la réalité », ce qui explique notamment le fait d’inclure deux stades de moins de 10000 places parmi les enceintes retenues pour le tournoi.

 

Manchester dans l'oeil du cyclone

Ces deux « petits » stades sont tous deux situés dans la région de Manchester, haut lieu du football mondial. L’Academy Stadium (4700 places) est le terrain habituel des féminines de Manchester City, alors que Leigh Sports Village (8100 places pour l’Euro) est le stade sur lequel évolue les filles de Manchester United. Ces deux stades accueilleront sept matches au total (dont un quart de finale pour le Leigh Sports Village), contre un seul pour Old Trafford (74 000 places), et aucun pour l’Etihad Stadium (53 000 places), qui accueille les matches de l’équipe masculine de Manchester City.

Une grande compétition dans des petits stades, autrement dit l’inverse d’une célèbre expression, pourtant de circonstance. Le choix de l’Academy Stadium et du Leigh Sports Village est aussi cohérent avec la réalité du football féminin pour les deux grands clubs de Manchester.

Cette saison, les féminines de Manchester City ont joué tous leurs matches à l’Academy Stadium (et donc aucun à l’Etihad), tandis que Manchester United n’a foulé qu’une seule fois la pelouse d’Old Trafford en FA WSL, le 27 mars dernier face à Everton. Cela n’empêche pas le public de répondre présent avec près de 2000 spectateurs en moyenne pour les matches à domicile des clubs mancuniens, lorsqu’ils jouent à l’Academy Stadium ou au Leigh Sports Village. Et l’Euro pourrait même participer à doper les affluences des deux clubs de Manchester.

 

Record(s) en vue

Ces critiques, concernant l’organisation de l’évènement, révèlent aussi la pente ascendante sur laquelle est engagée le football féminin en Europe, et donc l’élévation logique du niveau d’exigence. La focalisation des critiques sur les petits stades choisis pour le tournoi côtoie le fait que plus de 500 000 billets auraient déjà été vendus pour des rencontres de l’Euro (sur plus de 700 000 billets avaient été mis en vente) et le record d’affluence pour un Euro pourrait être pulvérisé.

En effet, sans préjuger de l’affluence réelle dans les stades anglais cet été, ce chiffre est à comparer aux 247 011 spectateurs qui avaient assisté à l’Euro 2017 aux Pays-Bas. Ce total, d’au moins 500 000 billets vendus, est notamment dopé par le match d’ouverture à Old Trafford et la finale à Wembley (90 000 places), deux rencontres qui ont rapidement affiché complet.

 

Photo : Barrington Coombs / Manchester City FC

 

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Hichem Djemai