Lundi 24 septembre a eu lieu en grande pompe la présentation par Canal+ de son dispositif pour diffuser la D1 féminine. Cette saison pour la première fois, la chaîne cryptée va en effet diffuser 100% du championnat français et aussi assurer une couverture éditoriale de premier choix.

 

Environ 160 personnes, avec parmi elles les représentants des 12 clubs de D1 française et de la FFF, étaient présentes au siège de Canal+. Pour expliquer ce qui va être sans conteste un tournant historique pour ce championnat et pour le football féminin en France, la rédaction sport de Canal a convié tout ce monde. Ainsi, tous les week-end, 100% des matches sont diffusés et cela pour les cinq saisons à venir. Mais pas seulement. On parlera également de foot féminin pendant la fameuse émission du Canal Football Club, lors d'une rubrique d'1min30. Plusieurs personnalités de Canal+ ou de la Fédération Française de Football ont réagi à ce sujet.

 

«​ La diffusion par Canal est un tournant

dans l'histoire de la D1 »

 

Noël Le Graët, le président de la FFF, n'a pas pu être présent à la présentation. Mais il a laissé un message vidéo pour évoquer cette avancée considérable pour le football en France : « La diffusion par Canal est un tournant dans l'histoire de la D1. Cela démontre de l'intérêt de la part de la chaîne. Ce qui est mis en place par Canal+ va justement aider les clubs. Sans cette visibilité, il est difficile pour eux de trouver des partenariats économiques. » Selon le président de la FFF, la D1 a une grande marge de progression et doit continuer à s'améliorer. Et l'étage de la diffusion est indispensable pour cela. « Nous avons besoin d'améliorer notre championnat. Il y a encore trop d'écart entre les deux ou trois premiers et les autres. Nous sommes au début d'une belle aventure. Même si notre équipe de France A est une des meilleures du monde, notre championnat doit être aussi un des meilleurs d'Europe. »

 

«​ On change de dimension en passant avec Canal. »

 

En aval de cette présentation, nous avons échangé avec deux capitaines de deux clubs de la D1, Manon Guitard du Rodez AF, et Télénie Sissoko du FC Fleury. « C'était une bonne chose de rencontrer les personnes qui nous mettent en avant les week-end." nous a confié Manon Guitard. Et d'être suivie sur cela par Télénie Sissoko : "On a pu interagir aussi avec les présentateurs de Canal + à la fin, comme Hervé Matoux, donc c'était sympa."

La capitaine du RAF, nous a également confié que l'arrivée de Canal "ne change pas grand chose en soi, car c'est toujours la performance qui compte avant tout. On rentre sur le terrain pour jouer et gagner, et on fait abstraction des caméras. Mais on la ressent [cette médiatisation] autour, quand on sort du foot, et quand on nous parle de Canal, sur le fait qu'on passe à la TV et au sein de mon entourage j'en entends parler." a expliqué Manon Guitard.

Alors que Télénie Sissoko s'est voulue plus exhaustive : "On sent qu'on change de dimension en passant avec Canal." [...] "Nous Françaises, on évolue et les apports des étrangères est enrichissant, puisqu'elles apportent une autre culture footballistique. Tout ça fait que le niveau augmente. La D1 est un championnat assez attractif." a conclu la Floriacumoise.

 

«​ C'était le moment de passer un cap »

 

Présent à l'événement également, Thierry Cheleman (directeur des sports du groupe Canal+) a tenu à rappeler que "C'est un pari sur la durée, on se donne 5 ans pour y arriver. Et je suis convaincu qu'on va y arriver. » Cheleman a bien constaté l'évolution que le foot féminin a connu ces dernières années. Il y a sept ans, lors de la Coupe du monde 2011 en Allemagne, la chaîne D8 avait explosé les records d'audience de la TNT en diffusant ce qui allait constituer la première grande épopée de l'équipe de France. 

"Il y a environ 10 ans on a commencé avec l'équipe de France de football, dans des stades où il y avait quelques centaines de spectateurs, quelques centaines de milliers de téléspectateurs," se rappelle t-il. "Aujourd'hui l'équipe de France joue dans des stades de 20.000 places, devant 3,4 millions de téléspectateurs. On s'est donc dit que c'était le moment de passer un cap et ce cap c'est celui de la D1 (...)."

Mais pour y arriver, pas question de se contenter de la simple diffusion des matches. Il faut une couverture éditoriale digne de ce nom. "Ca veut dire qu'on parlera de D1 dans le Late Football Club, dans le Canal Football Club. Chaque dimanche on montre déjà les plus beaux buts de la D1 dans le CFC. Ce sont 1,5 millions de personnes qui sont visées et qui vont voir ces matches. C'est ce qui va entraîner ce cercle vertueux, qui va faire que les gens vont venir dans les stades, qu'il y aura une meilleure visibilité pour attirer des sponsors, plus de spectateurs et de téléspectateurs." a-t-il conclu.

 

«​ C'est un temps d'adaptation

[de jouer le samedi] »

 

Mais lorsqu'on évoque l'arrivée de Canal en soi avec Manon Guitard et Télénie Sissoko, les deux joueuses se veulent pragmatiques sur cette nouvelle organisation du championnat élite en France. "Ca dépend je pense, quand on a un double projet, quand on travaille c'est plus compliqué de jouer le samedi, parce qu'on est encore la veille en train de travailler...c'est plus fatiguant quelque part de jouer le samedi, alors que d'habitude quand on joue le dimanche, on avait le samedi de repos... Mais quand on ne fait que du football, ça ne change pas la donne. [...] c'est un temps d'adaptation mais sinon c'est bien aussi." a expliqué Manon Guitard.

Au-delà du travail ou des études pour certaines joueuses, il y a aussi la question des supporters et des bénévoles que nous avons évoquée plus longuement avec Télénie Sissoko: "La semaine est décalée d'un jour avec cette organisation, donc on adapte différemment notre quotidien. Pour nous les joueuses c'est peut-être mieux de jouer le samedi, mais c'est vrai que pour les bénévoles et les supporters c'est un inconvénient, parce qu'en région parisienne, il y a tous les plateaux des petites, il y a le match de la B, qui est quasiment en même temps. C'est vrai qu'en terme d'organisation le dimanche c'était mieux, car le samedi il y a des gens qui travaillent, les bénévoles, les supporters aussi...".

 

«​ La D1 est un droit comme les autres à Canal »

 

Pour développer la partie éditoriale, Laurent Jaoui (directeur adjoint de la rédaction de Canal+) était de la partie, tout comme les commentateurs Xavier Giraudon et Paul Tchoukriel. Dans une longue diatribe, Laurent Jaoui a notamment défendu l'idée que la D1 avait une place toute légitime dans le paysage médiatique français. "La D1 est un droit comme les autres à Canal. Il y a la Ligue 1, la Ligue 2, la Coupe de la Ligue, et maintenant la D1 féminine. Il ne s'agit surtout pas de l'enfermer, de la ghettoïser. On veut à tout prix faire en sorte de la mettre partout."

 

Pour aborder le sujet des retombées de l'arrivée de Canal, les deux capitaines de Rodez et Fleury se sont voulues très positives à ce sujet. "Ce qui est bien c'est qu'on peut revoir nos matches, plus facilement, plus rapidement donc ça c'est bien." a soulevé Manon Guitard. Avant d'ajouter que "ça met le football féminin plus en avant, ça donne certainement une plus forte crédibilité aux yeux des gens et c'est important à la veille de la Coupe du Monde". "L'arrivée de la TV ça donne encore plus d'engouement, donc les gens se déplacent pour venir nous voir, il y a plus de visibilité, a stipulé quant-a-elle Télénie Sissoko. "Ça permet même à nos proches qui sont loin, qui ne peuvent pas venir, de nous regarder à la TV." 

 

« Le foot à Canal, quand ça a commencé

chez les mecs en 1984, personne n'y croyait ! »

 

Paul Tchoukriel se souvient des interrogations et des doutes que Canal+ a ressenti avant de faire ce pari de la diffusion du foot féminin. Mais pour le journaliste, pas de doute, ce sera un succès. « Le foot à Canal, quand ça a commencé chez les mecs en 1984, personne n'y croyait ! Alors qu'aujourd'hui le fameux but de Vahid Halilhodzic lors du Nantes – Monaco de 1984 on le revoit en boucle à chaque fois qu'on parle du foot sur Canal (…) C'est ce qui m'a donné envie de commencer cette aventure de la D1 féminine. »

Laure Boulleau (consultante au CFC) a répondu à l'une des questions de Ludovic Deroin sur le fait d'imposer le foot féminin au CFC : « Pas difficile mais comme c'est un changement, ça ne plaît forcément pas à tout le monde. Il faut l'imposer, se faire respecter, jouer un peu des coudes. Mais ça a été une immense fierté d'intégrer cette émission. »

Jessica Houara-d'Hommeaux a également réagi sur la diffusion de Canal vécu par les joueuses : « C'est une reconnaissance pour elles, une grande fierté de se dire que leur travail au quotidien est enfin mis en valeur tous les week-ends (…) Y en a qui travaillent à côté du football, d'autres non mais elles mettent tout en œuvre pour être prêtes le dimanche. Et c'est une très grande fierté pour elles. »

 

« Il y a une reconnaissance de notre pratique en France »

 

"Concrètement ça ne change pas grand chose en terme de jeu, mais ça montre juste qu'il y a une reconnaissance de notre pratique en France et c'est une fierté pour nous." a réagi Télénie Sissoko. "Il faut laisser le temps que le foot féminin prenne ses marques, comme c'est nouveau pour tout le monde et je pense qu'au fil de la saison, les audiences vont monter parce qu'on fait de bonnes prestations, c'est beau à regarder, les gens aiment ça, donc je pense que ça va décoller." a-t-elle ajouté.

 

« Sacraliser 1min30 de D1 dans le Canal Football Club »

 

Présentateur vedette du Canal Football Club, Hervé Mathoux a également réagi sur la médiatisation du football féminin en France par la chaîne cryptée, et le fait d'intégrer la D1 dans le CFC : « C'est une question de volonté ! C'est comme la parité hommes – femmes en politique, il faut se dire qu'on veut le faire quoi qu'il arrive. On a décidé de « sacraliser 1min30 de D1 dans le CFC. »

Certes, vous pensez sans doute qu'une rubrique d'1min30 peut paraître peu par rapport à tout le temps qui sera consacré au foot masculin. "Ca peut paraître peu, mais c'est 1min30 à forte exposition, avec 1,7 million de personnes qui vont regarder (...) Ce serait presque contre-productif d'infuser comme ça 10 min de foot féminin au public. Les gens ne seraient pas prêts pour ça et le temps est extrêmement précieux sur le CFC (…) Il faut se dire que c'est 1 minute 30 qui légitime la place de la D1 non seulement sur les antennes de Canal, mais aussi dans le paysage footballistique français. C'est 1 minute 30 qui compte ! »

 

Si la présence de Canal peut paraître importante pour la médiatisation de la pratique, elle a également un effet de popularisation du football féminin "[...] On n'a pas l'habitude d'être filmées tous les jours, on n'est pas des stars, on ne le réclame pas non plus mais c'est bien aussi de vouloir mettre les joueuses en avant de cette façon quand même. Ça permet de mettre en avant des filles qui ont un double projet, même si c'est un championnat qui se professionnalise et c'est pour montrer que c'est quand même possible de faire du foot et de travailler à côté. C'est peut-être pour mettre en avant le côté différent du foot masculin, du monde des pros, par rapport à nous, même si la D1 commence à se professionnaliser, ça reste amateur dans certains clubs." nous a affirmé Manon Guitard​.

"Je trouve que c'est une belle initiative de montrer notre quotidien de joueuse, parce qu'on n'est pas toutes pros, on ne vit pas toutes du foot, confie Télénie Sissoko. Donc montrer qu'on est aussi capables de faire autre chose à côté, c'est important. Ils font de la promotion à chaque fois sur leur antenne, par les Mag, même nos passages sur le Canal Football Club, c'est quand même visible. Donc je pense qu'on est entrain de prendre une autre dimension et les gens nous en font la remarque, ils nous disent "Ah je t'ai vu à la TV"." 

 

« La force du foot féminin, c'est sa fraîcheur »

 

Eric Carrière, commentateur au CFC a aussi réagi sur la diffusion de la D1 par Canal + : « On a une énorme chance d'avoir le meilleur championnat au monde chez les femmes ! Le fait d'avoir de grandes joueuses étrangères qui viennent en D1 va forcément tirer les joueuses françaises vers le haut." Eric Carrière a également tenu à rappeler qu'il faudra "éviter certains pièges du football masculin" comme la problématique de l'argent et de la médiatisation, qui conduirait à donner "plus de travail aux coaches dans la gestion des egos".

 

« Le championnat de France va évoluer par rapport

à cela et va continuer de s'améliorer »

 

Si les problèmes d'égos sont encore loin du football féminin (la différence à ce sujet entre le foot masculin et féminin n'est plus à démontrer), qu'en est-il du niveau du championnat de France par rapport aux championnats étrangers ? Manon Guitard et Télénie Sissoko ont répondu avec beaucoup de franchise : "La D1 est quand même attractive selon moi, par rapport aux autres championnats, car elle attire beaucoup de joueuses étrangères. Les clubs comme Lyon, Montpellier ou Paris ça attirent forcément. Comparé à d'autres championnats je ne pourrais pas le dire, parce que je ne sais pas comment ça se passe ailleurs. Après je pense que le championnat espagnol se développe de plus en plus, comme le championnat de France, et ça se voit aussi au niveau de leurs résultats au niveau international, car les jeunes sont pas mal en Espagne, l'équipe senior également commence à progresser. A rappelé Manon Guitard. Après c'est sûr que la façon dont ça se passe, ça n'incite pas à ce que des clubs comme Rodez reste indéfiniment au plus haut niveau. Maintenant ça fait quand même 9 ans qu'on y est, on a encore envie d'y être, on travaille pour y perdurer et on fera tout pour y rester." a conclu Manon Guitard.

La capitaine du FC Fleury le pense également : "Oui ça fait partie de l'évolution du football et ça va commencer par là [avec la professionnalisation]. A un certain niveau je pense qu'on est un peu en retard. Mais je suppose que le championnat de France va évoluer par rapport à cela et va continuer de s'améliorer. Au vu des retombées médiatiques avec la présence de Canal, je pense que le niveau va s'élever et on va être obligés comme la Ligue Anglaise, de se professionnaliser complètement." "On a de la chance d'avoir des clubs professionnels et structurés comme Paris, Lyon et Montpellier et d'autres qui commencent vraiment à tendre vers ce professionnalisme, donc c'est bon signe, mais c'est vrai qu'il va falloir palier ce manque là, parce que c'est sûr que dans 2/3 ans si on arrive pas à faire ça, ils auront toujours un temps d'avance sur nous." a-t-elle expliqué pour conclure.

 

Photo : Fred Jossinet

Dounia MESLI & Arnaud Le Quéré