En marge de la nouvelle saison qui arrive à grand pas, nous avons pu échanger longuement avec la coach de l'Olympique Lyonnais, Sonia Bompastor. Dans cet entretien long format, nous revenons sur le mondial, l'équipe de France, et nous terminerons dans une seconde partie par échanger encore des Bleues, ainsi que de la D1 Arkema, bousculée cette saison par les premiers playoffs du championnat élite.

 

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[Première partie]

Mondial

Coeurs de Foot - J’aimerai rentrer dans le vif du sujet coach. Il y’a une affaire qui a secoué malheureusement le monde du football tout juste après le couronnement de la Roja, le baiser forcé du Président de la Fédération espagnole, Luis Rubiales. Quelle a été votre première réaction lorsque vous avez vu ce geste, et cette polémique qui n’a cessé de s’enflammer avec de nombreux rebondissements, dont le licenciement cette semaine du coach Jorge Vilda, qui avait été un de ses soutiens de prime abord ?

Sonia Bompastor - Oui j'ai suivi la finale en direct, et sur le moment je pense comme énormément de personnes, beaucoup de surprise. Il m'a fallu un temps pour revoir les images et être certaine que j'avais bien vu les choses. On se pose énormément de questions, mais on n'a pas tous les éléments. Ce qui est sur c'est que ça n'a pas lieu d'être, d'exister à ce moment-là et ma réflexion première c'est de me dire qu'en tant que maman, en tant que femme ce sont des choses qui ne doivent pas exister.

Après ce qui me peine énormément, c'est en tant que coach, me dire que aujourd'hui l'aspect sportif et le fait que l'équipe espagnole est championne du monde pour la première fois de son histoire, ne soit pas mise en avant à sa juste valeur et que l'aspect hors sportif, cette histoire avec le Président de la Fédération prenne toute la place. Que l'aspect sportif soit occulté, ça c'est vraiment dommage, car je peux vous dire que en tant que coach, être champion du monde ça ne peut arriver qu'une fois dans sa vie et je pense qu'il faut savourer [ce moment] à sa juste valeur. Aujourd'hui le scandale prend toute la place et c'est vraiment dommage.

 

CDF - Avez-vous déjà vécu cela personnellement ou assisté à ce genre de situations ? On a l'impression que c'est un sujet vraiment tabou à dénoncer, surtout en France, alors que la honte doit être sur l'agresseur ?

S. B. - A titre personnel pas forcément. Il y a des choses que j'ai peut-être déjà entendu, mais jamais de manière très concrète. On sait que ce sont des sujets, comme vous venez de le dire, qui sont tabous. Moi ce que je continue de penser, c'est que ça ne doit pas exister.

Aujourd'hui en tant que coach, même s'il y a une hiérarchie, par rapport à mes joueuses, tout le monde doit savoir rester à sa place. Vous êtes là pour entrainer des joueuses, pour les mettre dans les meilleures dispositions, pour les amener à performer sur le terrain et votre rôle doit s'arrêter à ça, jamais on ne doit pouvoir ouvrir la porte à autre chose que cela. Si en tout cas c'est amené à exister, il faut être capable à un moment donné de dire : "Je dépasse les limites, les frontières, et il faut que je parte, avant même que ça puisse exister ou arriver." Vraiment là-dessus j'ai du mal à concevoir que ça puisse exister à titre personnel.

 

CDF - On a le sentiment qu’en France, la mentalité française n’induit pas forcément de prise de position, à l’inverse des anglophones à l’image de Sarina Wiegman, qui a tenu des propos forts à la remise des trophées UEFA. Est-ce que c’est quelque chose qui doit changer, évoluer selon vous en France ?

S. B. - De ce que peux dire c'est que j'ai vu beaucoup de joueuses françaises soutenir Jennifer Hermoso sur les réseaux sociaux, donc ça je trouve que c'est une forme de soutien à la joueuse et une prise de position. Peut-être qu'on ne donne pas la parole aux bonnes personnes... En tout cas vous m'avez posé la question, et je vous ai répondu tout à l'heure. Cela ne doit pas exister, ma position elle est claire, et effectivement il faut être très à l'aise avec ça [et dénoncer ces actes]. Pour moi ce sont des choses qui ne doivent pas arriver !

 

Equipe de France

CDF - Vos années avec les Bleues, les nouvelles générations qui sont arrivées, la montée en puissance du championnat anglais et espagnol, à l’inverse de la France. Comment voyez-vous toute cette évolution du football féminin ? 

S. B. - Ce qui est clair c'est qu'on avait un temps d'avance quelques années en arrière, et aujourd'hui on ne l'a plus. Il y a la concurrence de la compétitivité du championnat anglais [qui est arrivée], ça c'est clair. On a la concurrence aussi d'un club comme Barcelone, notamment pour ses performances, mais aussi par rapport au fait qu'ils attirent beaucoup de monde dans le stade et par rapport à cela, c'est une réalité [il y a eu une montée en puissance en Espagne].

On n'a pas su nous en France, clubs et Fédération surfer sur la Coupe du Monde 2019, surfer sur cet héritage et aujourd'hui clairement on a un temps de retard. Ce qui est bien maintenant - il n'est jamais trop tard - c'est qu'il y a eu une prise de conscience, des instances, des clubs, même s'il y a encore beaucoup de travail à fournir. Mais cette prise de conscience a le mérite d'exister et on va dans la bonne direction. 

Maintenant c'est toujours une question de temps et on n'a plus de temps à perdre, il faut aller très vite. Mais comme vous le savez parfois dans les instances, notamment à la Fédération, il y a des choses qui prennent du temps. Nous acteurs en tout cas on a envie que ça aille le plus vite possible. Mais clairement aujourd'hui on est menacé, par l'Angleterre, par l'Espagne, mais surtout par Barcelone et c'est dommage, parce qu'en France il y a beaucoup de qualités, et il y a beaucoup de choses qu'on peut mieux faire. Personnellement je n'ai pas envie de voir ni l'Angleterre, ni l'Espagne, nous passer devant et rester là, les bras croisés à ne rien faire.

 

CDF - Quel est votre regard sur le chemin parcouru par l’équipe de France, sans podium, alors qu’il y a toujours eu énormément de talents pourtant ? 

S. B. - Oui effectivement [aucun podium], je partage ce constat pour l'avoir vécu en interne [en tant qu'ancienne Bleue] c'est très difficile. Franchement c'est difficile sur les compétitions internationales d'aller au bout, de se qualifier dans le dernier carré, parce que comme on l'a vu cet été à la Coupe du Monde, il y a énormément de pays qui travaillent, qui travaillent très bien, donc ça devient de plus en plus difficile.

Même si c'est vrai qu'on a une équipe avec des joueuses qui ont du talent, beaucoup de potentiel, cette année si on regarde le contexte dans sa globalité, on a aussi malheureusement des joueuses majeures, qui ont été blessées, donc pour Hervé Renard un effectif pas complet à sa disposition. Il a eu très peu de temps aussi pour travailler, donc par rapport à cela, c'est un élément qui peut expliquer que encore une fois malheureusement on n'a pas réussi à franchir ce cap des quarts de finale.

Il faut maintenant - en tout cas c'est comme ça que je fonctionne à titre personnel et en tant que coach - se projeter vers l'avenir, se dire qu'il y a des JO, qui arrivent très rapidement. On a une saison pour les préparer et par rapport à ça, on va récupérer aussi des joueuses blessées, qui vont faire du bien. En plus on a la chance de les accueillir en France, ça va être un évènement exceptionnel. Soyons optimistes pour l'avenir et travaillons ensemble aussi, clubs et Fédération pour tous atteindre des objectifs qu'on souhaite.

 

CDF - Pensez-vous que les Jeux Olympiques seront enfin le moment de gloire pour la France ?

S. B. - Ah je l'espère ! A la fois nous les coachs en club, même si on a des enjeux et des objectifs avec nos joueuses, on va faire en sorte aussi de les mettre dans les meilleures dispositions pour que avec leurs équipes nationales respectives, elles puissent atteindre des objectifs. 

Cet été j'ai été quelque part triste, parce que parmi toutes les joueuses qui ont participé à la Coupe du Monde, comme vous le savez j'ai une majorité de Françaises, mais aussi des joueuses dans d'autres sélections nationales et par rapport à cela, j'ai été triste qu'il n'y en ai pas au moins une d'entre elles, qui n'ait pu ramener ce titre de championne du monde. En tout cas on travaille aussi pour ça et on aurait été très très fière.

Donc vous imaginez que si en France, en accueillant les Jeux Olympiques, on arrive à avoir une France qui remporte le titre, c'est OUAW, OUAW (elle s'exclame et répète deux fois) !

 

Photo : L. Domozetski / OL

Dounia MESLI