En marge de la nouvelle saison qui arrive à grand pas, nous avons pu échanger longuement avec la coach de l'Olympique Lyonnais, Sonia Bompastor. Dans cet entretien long format, nous sommes revenus sur le mondial et l'équipe de France dans notre première partie, et nous terminerons dans cette seconde partie par la suite des questions autour des Bleues, avant d'évoquer la D1 Arkema, bousculée cette saison par les premiers playoffs du championnat élite.

 

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[Deuxième partie]

Equipe de France

Coeurs de Foot - Pour évoquer le parcours des Bleues au mondial, peut-on dire que c’était insuffisant, mais instructif tout de même d'un côté ? L’équipe de France était sans conteste l’équipe la plus affaiblie par les absences et les méformes de Kadidiatou Diani ou encore Selma Bacha par exemple, qui revenaient de blessure. 

Sonia Bompastor - Oui en tout cas, elles vont en quart de finale [malgré les absences]. Quand on regarde ce quart de finale face à l'Australie, elles le perdent aux penaltys, donc pour moi on ne peut pas dire que ce n'était pas suffisant. Il y a énormément de nations majeures, qui ont été éliminées, donc ça a pu à un moment donné nous donner le sentiment, qu'il y avait de la place, mais on a vu aussi qu'il y avait des nations, comme le Maroc, Panama, Colombie etc qui travaillaient très très bien et on se rend compte que c'est de plus en plus difficile...

Une Coupe du Monde, vous savez - en plus on a ouvert à plus de pays cette année - ce n'est jamais simple, il y a eu peu de temps de préparation, donc pour moi qui le vit en club et qui ait des joueuses on va dire un maximum de temps pour mettre en place un maximum de choses, c'est difficile. Il faut du temps, il faut de la patience, même si ça c'est contradictoire avec le haut niveau, car le haut niveau ne vous laisse pas de temps, et il faut être efficace tout de suite. Mais je pense peut-être qu'il nous a manqué certains éléments, certaines joueuses, un peu de temps pour le staff de Hervé Renard. Il faut juste se dire que cette compétition, ce qu'ils ont vécu à la Coupe du Monde, sera constructif pour l'avenir et les JO.

 

CDF - Dans ce mondial on a le sentiment que ce qui a fait le plus la différence c’est avant tout le milieu de terrain, qui a couronné l’Espagne, emmenée par Bonmati et Caldentey ! Est-ce aujourd’hui le plus gros chantier de Hervé Renard selon vous ? Doit-il s’entourer d’anciennes joueuses comme Louisa Necib ou Camille Abily pour renforcer ce secteur par exemple, dans son staff ? 

S. B. - (légers rires) Oui, alors (sourire)... Je sais que dans son staff il y a des personnes compétentes, il y a aussi d'ancienne joueuse comme Sabrina Viguier, même si elle n'a pas évolué au milieu de terrain, mais je pense que sa présence dans le staff est importante.

Après vous savez le milieu de terrain est un secteur de jeu, effectivement qui peut prendre à un moment donné dans le match le contrôle, mais pas que [le milieu]. Moi en tant que coach l'ensemble de mon équipe est importante, car à un moment donné, si pour les milieux de terrain vous n'avez pas une ligne, qui est capable de leur apporter des bons ballons, c'est plus compliqué pour les milieux de terrain d'exister. Donc c'est difficile de ressortir un seul secteur de jeu, même si effectivement, c'est un secteur de jeu aussi en équipe de France, qui a été impacté, notamment par les blessures d'une joueuse comme Amandine Henry, qui a énormément d'expérience et qui aurait pu certainement aussi apporter des choses en plus.

Ce sont des choses qui ont forcément impacté de manière négative la performance de l'équipe dans son ensemble. Mais résumer un groupe ou une équipe à un secteur de jeu, ou à un milieu de terrain, je pense que c'est réducteur.

 

CDF - Quelles joueuses devraient être appelées pour la prochaine liste ou même ont été oubliées selon vous ? On peut citer Maelle Garbino, Faustine Robert ou encore Gaetane Thiney, qui aurait fait du bien au milieu. L'équipe de France U19 a disputé également l'Euro cet été, défaite en demi-finale face à l'Allemagne, mais quelques joueuses ont su tirer leur épingle du jeu, comme Marion Haelewyn, est-ce qu'il faudrait appeler de jeunes joueuses selon vous ?

S. B. - Par rapport à cela, être coach de l'équipe de France c'est un job à temps plein, même si je suis énormément le championnat de France, l'équipe de France m'intéresse énormément, mais je n'ai pas la même vision que Hervé Renard, c'est son job, à lui de sélectionner [les bonnes joueuses selon lui], de faire des choix.

Forcément quand on fait des choix, et ça en tant qu'entraineur je peux le dire, c'est compliqué et du coup il y a des joueuses que vous ne prenez pas. Dans ses choix il a eu les arguments pour pouvoir construire cette liste-là, il y a forcément beaucoup de joueuses qui ont du talent et qui auraient pu peut-être mérité d'être à la Coupe du Monde, mais quand on fait une liste de 23 joueuses, il y a des choix à faire et tout le monde ne peut pas y figurer.

Mais comme à mon niveau, à un moment donné, j'ai 31 joueuses dans mon effectif au départ de la saison, dès dimanche pour le Trophée des Championnes, il faut que j'en mette 18 sur le groupe et 11 sur le terrain, forcément certaines ne vont pas être sélectionnées et ça ne veut pas dire que ces joueuses-là n'ont pas de talent ou de potentiel, c'est juste qu'il y a des complémentarités, il y a des associations à trouver aussi sur le terrain, et ça ce sont des éléments, quand on est à l'extérieur [qu'on ne voit pas forcément] et aujourd'hui je suis l'équipe de France, je ne peux pas me permettre de parler sur les choix de Hervé Renard, je n'ai pas tous les éléments, je ne fais pas partie de la réflexion. Mais j'imagine avec son expérience et sa compétence, qu'il a su former un groupe, qui lui permet d'être le plus performant pour cette Coupe du Monde.

 

D1

CDF - On a le sentiment que plus les années passent et plus le mercato devient difficile pour les clubs français, notamment cette saison. Avez-vous également ce ressenti ?

S. B. - Moi personnellement, en ayant attiré Melchie Dumornay et Kadidiatou Diani, franchement je pense que - alors ça a mis du temps et forcément quand on veut avoir des bonnes joueuses - il faut savoir qu'elles sont sollicitées par plusieurs pays, plusieurs clubs et du coup il faut accepter que ça prenne du temps dans les négociations, mais le club a su faire ce qu'il faut. Je suis très satisfaite du mercato lyonnais forcément et comme je vous disais en ayant fait, Kadi et Melchie, car ce sont des tops joueuses. Je pense qu'aujourd'hui au niveau du club et moi en tant que coach, je suis ravie qu'elles soient restées en France, et je pense que tout le monde doit se réjouir de cela. On a su aussi attirer Laura Benkarth, qui est passée par le Bayern, ça prouve qu'on su faire des choses.

Maintenant je ne vais pas vous le cacher, bien évidemment c'est de plus en plus dur, parce que cette concurrence elle existe, elle est là, et qu'à un moment donné l'attractivité de la compétitivité du championnat anglais elle est réelle, ça on ne peut pas le nier (légers rires). Barcelone qui est champion d'Europe et qui attire 90.000 personnes dans son stade, c'est réelle, et en terme de concurrence ça fait que les joueuses se posent des questions. Aujourd'hui autant un club comme l'OL a su faire ce qu'il fallait pour continuer à attirer les joueuses comme Melchie, autant l'attractivité du championnat [de D1], on a encore beaucoup de travail à faire, et ça c'est une réalité aussi, donc il faut en avoir conscience et il faut travailler pour que cette concurrence on arrive à la diminuer et qu'on arrive à avoir une attractivité très forte par rapport à la concurrence anglaise et espagnole.

 

CDF - On sait que c’est compliqué et complexe de gérer un groupe de filles. Comment vous y parvenez avec Camille [Abily] ? On ne peut pas dire les mêmes mots aux filles qu’aux garçons, qui je pense savent mieux mettre leur égo de côté, avec les sommes en jeu par exemple. Aimé Jacquet avait l'air très paternaliste en équipe de France masculine, mais quelle est la limite ?

S. B. - Oui, alors par rapport à ça c'est sur que aujourd'hui quand on a 31 joueuses avec un fort potentiel. Une grosse partie de mon travail - c'est dur de donner un pourcentage - c'est du management dans la relation avec mes joueuses, et effectivement j'ai aussi la chance d'avoir un staff étoffé, avec quatre adjoints, des préparateurs athlétiques, un staff médical avec une cellule mentale, des préparateurs mentaux.

Ce que je dis à mes joueuses, c'est qu'il faut qu'il existe cette relation de confiance, et la confiance elle est importante au niveau des joueuses, au niveau du staff et dans le relationnel entre staff et joueuses, entre mes joueuses et moi aussi. Il faut qu'elles comprennent le plus clairement possible le contexte dans lequel elles évoluent, en étant à l'OL, c'est forcément un club qui a des ambitions, un club où y'a de la concurrence et par rapport à ça il va y avoir des choix de fait de ma part. Ça va générer pour elles en tout cas sur l'aspect mental, de la frustration et de la déception et donc au final c'est comment on prend en charge cette déception et cette frustration. Est-ce que c'est toujours moi le coach principal qui doit la prendre en charge ? Non. Est-ce que ce sont mes adjoints ? Oui. Comment ? Par rapport à des affinités qui peuvent exister entre certains membres de mon staff, et mes joueuses. Est-ce que la cellule mentale et notamment un coach mental doit prendre en charge ces questions-là ? Oui complètement.

Il faut se dire que ce sont des choses qui existent dans notre contexte [la concurrence entre autres] et par rapport à cela il faut mettre des outils à la disposition des joueuses pour qu'elles puissent évacuer ces émotions et ces frustrations, c'est le plus important. Mais effectivement aujourd'hui le rôle d'un coach dans le management ça prend de plus en plus de place. Il faut aussi se dire que dans ma manière de fonctionner au quotidien, il faut aussi que les joueuses soient épanouies et se sentent bien, pour que sur le terrain, quand je fais appel à elles, qu'elles donnent le meilleur d'elles-mêmes et qu'elles soient performantes.

 

CDF - Les matches de préparation sont-ils vraiment efficaces et concrets sans tout le groupe, sans vos internationales pour aborder la saison ?

S. B. - Si si c'est important, parce que du coup nous on avait quand même sur le début de notre préparation - on a démarré le 17 juillet - 13 joueuses à notre disposition et par rapport à ça forcément, ces joueuses-là il faut aussi qu'on les prépare et qu'on les amène à être prêtes pour la reprise de la compétition. Ça nous permet de travailler différemment, ça c'est sur, c'était notamment pour nous à l'OL en tout cas, un contexte où on avait certaines joueuses d'expériences, qui ne sont plus internationales, mais qui l'ont été ou certaines joueuses internationales, qui n'ont pas été qualifiées pour la Coupe du Monde.

C'était aussi le moment de voir nos jeunes, et de les évaluer, donc ces matches de préparation et la préparation ça sert aussi à ça, à évaluer nos jeunes joueuses et à faire en sorte dans cette période où on reprend avec 13 joueuses - tout à l'heure on parlait du management, de la relation avec les joueuses, d'avoir plus de proximité avec elles - d'ancrer des messages, notamment sur le modèle de jeu aussi, ce qu'on veut voir sur le terrain. La spécificité de cette année, c'est qu'effectivement avec la Coupe du monde, et le retour tardif de nos internationales, il a fallut les intégrer, les intégrer du mieux possible et faire en sorte que dès dimanche soir avec la reprise de la compétition officielle, et le trophée des championnes, on soit opérationnel, même si effectivement il nous manque un petit peu de temps dans l'idéal on va dire.

 

CDF - Cette saison il y a notamment l'arrivée des playsoffs, des matches qui sont censés rendre plus attractif la D1, on dit que ça peut avoir été demandé par le diffuseur dans ce sens, mais Lyon peut aussi perdre son titre en fait au final, même si vous terminez premier du classement ?

S. B. - (léger blanc et sourire) Oui, on a gros à perdre, je suis d'accord avec vous. Après par rapport à ça c'est sur que... Dans tous les scénarios, ou dans toutes les prises de décisions, il y a des points positifs, des points négatifs, donc sur une saison régulière il y a des avantages et des inconvénients. Les playsoffs ça modifient des choses, ça a des avantages et des inconvénients, un des inconvénients c'est que effectivement vous pouvez tout perdre sur le money time, ça il faut en avoir conscience.

Et en même temps le haut niveau demande à ce que comme l'année dernière, quand on a été capable d'aller gagner 1-0 à Paris [contre le PSG] sur la finale du championnat, d'être décisif dans les moments cruciaux de la saison, et on sait que la particularité de cette année c'est que en ayant les playoffs, il faudra être décisif à ce moment-là de la saison.

 

CDF - Est-ce qu’il aurait fallu deux titres, l’un pour la saison régulière et l’autre pour les playsoffs comme on peut le voir aux États-Unis ? En Suisse le Servette à perdu son titre lors des playoffs par exemple deux années consécutives, alors qu'elles avaient terminé premières face à Zurich. Ça peut paraître injuste d'un certain côté ?

S. B. - Oui ça existe aux États-Unis, je l'ai moi-même vécu car j'ai fait deux saisons là-bas [avec Washington Freedom]. Par rapport à cela, c'est quelle importance on accorde aux deux ? Aux États-Unis, on accordait plus d'importance au champion des playoffs, plutôt que de la saison régulière. Encore une fois, nous l'idée en étant l'Olympique Lyonnais, c'est de se dire on démarre la saison en ayant la volonté d'être premier, et on veut terminer la saison en étant premier. Donc si on arrive à faire ça, le mieux effectivement c'est d'être champion sur la saison régulière et sur les playoffs (elle s'exclame et sourit légèrement). C'est dans cet état d'esprit qu'on abordera le début du championnat.

 

CDF - Nous l'avons évoqué, il y a quelques internationales étrangères à Lyon (11) et 21 françaises, dont quelques unes formées à Lyon. Peut-on dire qu’il y ait un vrai vivier à Lyon ? Les U19 de Lyon sont championnes en titre de leur catégorie, avec notamment Liana Joseph. Aujourd'hui il y a le centre de formation qui commence petit à petit à se démocratiser en D1. Comment gérez-vous l'homogénéité de votre groupe en prenant en compte tous ces aspects ? Et est-ce qu'il faudrait former plus de joueuses du centre de formation de Lyon ?

S. B. - En ayant été directrice du centre de formation de Lyon, c'est un aspect que je connais très bien. Le centre de formation et le groupe professionnel, c'est le haut niveau, en tout cas chez les garçons c'est ce qui existe. Nous à Lyon ça fait maintenant longtemps qu'on a un projet, et au sein du projet, le centre formation en fait partie.

Pour moi en tant que coach du groupe professionnel forcément je sais que j'ai un vivier de jeunes joueuses très intéressant avec beaucoup de qualités et de potentiel. La preuve on a aujourd'hui dans notre effectif, dans les 31 joueuses, six jeunes joueuses qui sont sous contrat fédéral, parmi elles, Liana Joseph que vous avez cité. On sait aussi qu'avec nos équipes de jeunes depuis plusieurs saisons maintenant, on est champion du championnat U19, donc ça prouve la qualité aussi du centre de formation.

Après pour répondre à la question, c'est sur qu'en tant que coach du groupe pro, dans le management il faut réussir dans l'intégration à intégrer des joueuses étrangères internationales, des joueuses françaises internationales et les jeunes joueuses, mais encore une fois au niveau de mon staff, j'ai la chance d'avoir un staff étoffé. Que vous le sachiez on était 18 l'année dernière, cette saison - pas encore maintenant, au cours de mi-octobre - on sera 26 personnes. Ça prouve qu'on a en tout cas dans tous les pôles, des personnes compétentes pour prendre en charge et j'ai notamment une personne qui est en charge de la dynamique et de la cohésion du groupe, Manon Eluere, et c'est elle qui va gérer tous ces aspects, en faisant des choses, des activités entre joueuses et staff, et ça ce sont des choses qu'on prend en charge pour faire en sorte que ça se passe du mieux possible, mais surtout avec toujours un maitre mot, c'est la performance.

 

Photo : L. Domozetski / OL

Dounia MESLI