L'équipe de France en a désormais terminé avec cette phase de qualifications de l'Euro 2022. Une formation tricolore qui fait partie des 9 sélections désormais qualifiées pour le tournoi final en Angleterre. Une perspective lointaine, puisque le tournoi se jouera dans 20 mois, en juillet 2022. Du temps pour travailler donc, mais aussi pour rebattre les cartes, voire régler des comptes...

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C'est d'ailleurs un étrange spectacle de voir les conflits s'afficher ouvertement au moment où l'équipe de France valide définitivement son billet pour le prochain Euro. Comment analyser le parcours post-Mondial des Bleues et notamment dans cette phase de qualifications ? Voici quelques éléments pour alimenter le débat.

 

Une 7e présence consécutive dans une phase finale d'Euro

La qualification de l'équipe de France est à la fois remarquable et devenue une habitude. Remarquable, parce que les Bleues terminent cette phase de qualifications invaincues et sans avoir encaissé le moindre but, y compris face à l'Autriche, qui jusque là, était toujours parvenue à trouver le chemin des filets face aux Bleues. Malgré le match nul (0-0) en Autriche, l'équipe de France a donc tenu son rang dans ce groupe G.

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Banale parce que cela fait longtemps que l'équipe de France ne perd plus en phase de qualifications, que ce soit pour l'Euro ou la Coupe du Monde. C'est la 7e qualification consécutive de l'équipe de France pour un championnat d'Europe, et la dernière défaite des Bleues en phase éliminatoire remonte au 16 juin 2007 en Islande (1-0). Un revers qui n'avait d'ailleurs pas empêché l'équipe de Bruno Bini de se qualifier pour l'Euro 2009.

13 ans et 49 matches sans défaite, le prochain revers des Bleues en qualification devrait faire l'effet d'un tremblement de terre. C'est notamment ce qui était arrivée à l'équipe d'Allemagne à l'automne 2017 après une Euro décevant. Cette défaite à domicile face à l'Islande avait été suivie quelques mois plus tard par le départ de Steffi Jones, remerciée au printemps 2018 après une ultime déconvenue face à l'équipe de France.

 

Les Bleues tiennent leur rang, en attendant les titres

Dans un contexte post-Mondial propice aux passages à vide, l'équipe de France est donc restée à sa place, troisième mondiale au classement FIFA, et donc parmi les équipes attendues pour jouer les premiers rôles dans les grandes compétitions. C'est donc cet objectif qui reste au cœur des préoccupations, après une cinquième élimination consécutive en quart-de-finale d'un tournoi majeur (Euros 2013 et 2017, Coupes du Monde 2015 et 2019, Jeux Olympiques 2016).

Alors que l'efficacité devant le but s'est révélée un problème chronique des Bleues depuis quelques années, les derniers mois proposent un tableau plus encourageant. Une efficacité qui reste également conditionnée par la capacité des Bleues à convertir leurs opportunités sur coup de pied arrêté. À 4 reprises (sur 8 matches disputés) dans ces éliminatoires l'équipe de France a ouvert le score sur coup franc ou corner. C'était notamment le cas hier face au Kazakhstan ou vendredi dernier face à l'Autriche, avec un but précieux inscrit par Wendie Renard dès la 11e minute.

Dans ce domaine offensif, Corinne Diacre dispose de plusieurs options à tous les postes, comme elle l'avait souligné lors de précédents rassemblements.  C'est le cas à droite (Diani/Cascarino) ou en pointe (Gauvin/Katoto), avec notamment un doublé de Marie-Antoinette Katoto face à l'Autriche, signe de l'installation de l'attaquante parisienne dans le groupe France (8 buts en 8 matches dans ces qualifications). À gauche, l'incontournable Amel Majri, semble désormais (bien) installée dans un poste plus offensif. Pour suppléer Majri, Diacre peut aussi choisir ponctuellement de faire monter Sakina Karchaoui d'un cran, utiliser Viviane Asseyi, ou encore profiter de l'émergence de Sandy Baltimore, buteuse hier face au Kazakhstan, dès sa première apparition en équipe de France A. 

 

Des options à tous les postes ?

Ce tableau ne pourrait être complet sans évoquer Eugénie Le Sommer, leader de cette attaque tricolore avec un positionnement plus axial depuis le Mondial, derrière l'attaquante de pointe. Plus de choix, et donc la possibilité d'évoluer avec des animations différentes en fonction des circonstances de match. Corinne Diacre avait par exemple aligné 5 attaquantes (avec Le Sommer et Katoto positionnées au milieu) en Serbie au mois de septembre, les Bleues prenant rapidement l'avantage avec deux buts et une victoire acquise ou presque dès le premier quart d'heure.

Cette possibilité de doubler véritablement les postes se retrouve aussi pour les latérales (Karchaoui/Morroni à gauche, Torrent/Périsset), et avec des défenseures axiales qui sont aussi capables d'évoluer sur un côté, l'un des critères déjà évoqués par Corinne Diacre dans ses choix de sélections en défense. Des options qui nécessitent aussi de se traduire par un temps de jeu pour chacune des joueuses concernées, utiles pour établir  de la confiance et des automatismes au-delà de ceux qui existent entre coéquipières en club. 

Les interrogations sont plus grandes au milieu de terrain, entre retraites internationales ces dernières années, des joueuses éloignées du groupe France, et désormais le conflit ouvert entre Corinne Diacre et Amandine Henry. Depuis le Mondial, Corinne Diacre a choisi de faire confiance à Grace Geyoro, et surtout Charlotte Bilbault, installée au cours des derniers rassemblements dans ce rôle de sentinelle devant la défense, une confiance matérialisée par le brassard de capitaine face au Kazakhstan.

Le débat pourrait aussi s'ouvrir concernant les gardiennes après la décision (provisoire ?) de Sarah Bouhaddi de se mettre en retrait de la sélection. Une décision qui dans l'immédiat a propulsé Pauline Peyraud-Magnin dans un rôle de numéro une.

 

Une nouvelle génération à intégrer avant l'Euro

La pandémie de COVID-19 a bousculé le calendrier des compétitions, notamment en provoquant l'annulation des coupes du Monde dans les catégories de jeunes. Les Bleuettes faisaient partie des candidates au titre mondial dans la catégorie U20, et plusieurs d'entre elles pourraient découvrir l'équipe de France A plus rapidement que prévu.

Elles sont déjà quelques unes à avoir été convoquées par Corinne Diacre (Justine Lerond, Melvine Malard, Oriane Jean-François ou Sandy Baltimore) et d'autres joueuses pourraient également profiter des prochains mois pour intégrer, au moins le temps d'un stage, le groupe des A.

Un enjeu qui participe à la nécessité d'assurer une profondeur de banc en vue du prochain Euro. Parvenir à étoffer ce futur groupe de 23 et permettre de doser le temps de jeu de chacune pendant la compétition, sans remettre en cause le niveau global de l'équipe et ses performances sur le terrain. En ce sens, les dernières prestations d'Elisa De Almeida peuvent être un exemple d'intégration réussie, en l'absence de deux titulaires potentielles, Griedge Mbock, et Aïssatou Tounkara en défense centrale.

Alignée dans l'axe et sur le côté droit, la jeune défenseure montpelliéraine a répondu aux attentes défensivement, mais aussi devant le but adverse, inscrivant ses trois premiers buts sous le maillot bleu face à la Macédoine du Nord et le Kazakhstan. Des matches plus accessibles pour débuter (face à la Serbie et la Macédoine du Nord), avant d'être également titularisée aux côtés de Wendie Renard pour la rencontre décisive du groupe G face à l'Autriche.

 

Sous les projecteurs

En 2019, l'équipe de France a définitivement crevé l'écran, avec une collection d'audiences TV qui ont dépassé les 10 millions de téléspectateurs pendant la Coupe du Monde. Désormais, l'actualité des Bleues est une affaire publique, pour le meilleur et pour le pire, et commentée au-delà de l'univers des fans de football au féminin.

La multiplication des polémiques, réelles et/ou amplifiées par les médias, sont l'un des signes de ce placement des Bleues sous le feu des projecteurs. Vouloir les balayer d'un revers de main n'est de fait plus possible, puisque la caisse de résonance offerte, permet à chacun/chacune de pouvoir profiter de cette nouvelle tribune pour exprimer joie, déception, regrets et critiques.

En Angleterre, le départ de Mark Sampson en 2017 suite à des accusations de racisme, a notamment été rendu possible parce que des internationales anglaises, et notamment Eniola Aluko, à l'origine des révélations, ont eu accès aux plateaux des médias. Une exposition facilitée par la troisième place de l'Angleterre à la Coupe du Monde 2015, et donc la diffusion en clair de l'Euro 2017, sur Channel 4 avec Eni Aluko parmi les consultantes.

 

Un Mondial 2019 toujours pas digéré ?

Du côté français, le débat, encore ouvert depuis le Mondial 2019, est notamment de savoir si l'élimination de l'équipe de France par les États-Unis en quart-de-finale doit être considérée comme une contre-performance. Autrement dit, se demander si c'est une défaite qui correspond à une « logique sportive » ou si la France « aurait dû gagner ce match », et par voie de conséquence, éventuellement remporter le Mondial.

En fonction de la réponse apportée à cette question, les critiques se tournent tour à tour vers les joueuses, Corinne Diacre, la FFF... Les tensions actuelles en équipe de France sont à la fois liées aux relations en interne des Bleues, mais aussi à l'analyse que l'on peut faire de ce qu'il s'est passé avant et pendant la Coupe du Monde 2019.

Ce constat transparaît notamment dans les propos d'Amandine Henry, lors de son interview choc pour le Canal Football Club. Face caméra, la capitaine tricolore évoquait un tournoi difficile « humainement ». Selon Henry, « l'ambiance générale » et les problèmes de « management » se seraient « traduites sur le terrain », avec donc de moins bonnes performances de la part des Bleues.

=> Équipe de France / Amandine Henry : « C'est maintenant qu'il faut régler les problèmes »

Des explications rejetées récemment par Noël Le Graët, le président de la FFF, qui appelait également ce week-end à « ne pas revenir sur de vieilles histoires », selon des propos rapportés par le journal L’Équipe. Sans bilan partagé, au moins en interne des Bleues, sur les ressorts de cette échec au Mondial, il semble effectivement difficile d'envisager la suite sereinement.

 

2021, l'heure des choix ?

Dans ce contexte, et à l'approche d'élections au sein de la FFF, le choix de facilité serait de changer de « personnel », soit en remerciant Corinne Diacre, ou encore en tentant de faire taire la contestation, ce qui pourrait se traduire par la départ ou la mise à l'écart de certaines joueuses. Comme le pointait Corinne Diacre la semaine dernière, « nous avons à prouver que la France peut gagner un titre. Ce que nous n'avons jamais fait. Et nous avons ça en commun. »

Une manière de rappeler que tout le monde peut faire partie à la fois des problèmes et des solutions. Dans le cas spécifique de l'équipe de France, c'est aussi identifier quels leviers actionner pour éviter que le changement n'aboutisse finalement à reproduire la même situation...

 

Photo: Simon Morcel/FFF (Les joueuses de l'équipe de France à la fête face à l'Autriche, le 27 novembre dernier sur la pelouse du Roudourou à Guingamp)

Hichem Djemai