De secrétaire générale à vice-présidente de la FFF, Brigitte Henriques a posé son empreinte dans le football féminin, depuis qu'elle est joueuse et jusqu'à aujourd'hui hors des terrains.

Troisième et dernière partie consacrée à la D1 et à l'évolution récente et future de l'élite du championnat de France. On a évoqué notamment la question de la professionnalisation du football féminin, un processus en cours mais encore loin d'être achevé.


=> La première partie de l'interview: « Je me réjouis de voir ce que les joueuses vivent. »

=> La deuxième partie: « La Coupe du Monde 2019, c'est plus qu'un événement sportif »
 

Cœurs de Foot - Vous avez dit dans une interview que vous êtes fière d'avoir ce mix entre le football et l'extra sportif, ( avec le double-projet sportif et professionnel) mais on sait que pour faire développer le football féminin il va falloir aller plus loin. Est-ce qu'on ne va pas inévitablement vers la professionnalisation complète de cette élite féminine ?

Brigitte Henriques - C'est pas tant que j'en suis fière, mais c'est juste que c'est la réalité. Je pense qu'il faut vraiment avoir une bonne connaissance de l'environnement, du contexte. Aujourd'hui on aimerait avoir un championnat [uniquement] avec des joueuses professionnelles. Sauf que quand elles commencent à jouer à 6 ans, sur tout leur parcours de jeunes joueuses, elles ne jouent pas tous les week-ends parce qu'il n'y a pas assez d'équipes. À l'inverse des garçons.

Ensuite, quand elles ont entre 10 et 13 ans, il n'y a pas de préformation. Il n'existe pas de structures de préformation, parce qu'on n'a pas encore assez de licenciées. On pourra le faire que quand on en aura 200.000. Pour l'instant, la seule chose que l'on peut faire c'est des sections sportives, scolaires, dans les collèges, et aujourd'hui on en a que 150. Chez les garçons il y en a 900.

Donc comment voulez vous qu'on demande à des joueuses d'avoir un niveau très élevé ? Le nombre de licenciées et d'équipes sont insuffisants aujourd'hui, sachant qu'il manque des étapes au préalable. Et ça, je pense que souvent les gens ne l'entendent pas.

 

« Si le socle de formation [des joueuses] n'a pas été complet,

on n’est pas au maximum de nos possibilités »

 

Je suis très contente du travail qu'on fait ici à la Fédération, parce qu'une fois encore c'est du travail dans l'ombre. On a pris les choses de bas en haut, on n'a pas travaillé [uniquement] sur la vitrine tout en haut, parce que c'est insuffisant. L'idée c'est de développer et créer des équipes pour qu'il y ait des compétitions dans toutes les catégories d'âge et après qu'on puisse aussi avoir de la préformation.

Aujourd'hui les joueuses entrent dans les pôles à 15 ans, c'est à dire que toutes les bases que vous devez apprendre avant, elles les apprennent à 15 ans. Ce n'est pas pareil que de les apprendre à 10 ans, et c'est l'âge d'or des apprentissages moteurs. C'est vraiment là qu'on apprend le maximum de choses. Donc par rapport à cela, la professionnalisation ne peut pas faire des miracles.

Si le socle de formation n'a pas été complet, de 6/8 ans jusqu'à 20 ans, on n’est pas au maximum de nos possibilités et cela signifie qu’on a encore une grande marge de progression. Si vous prenez les trois grands clubs de la D1, ce ne sont à 80 % que des joueuses qui sont passées par nos pôles de formation. Cela veut dire que ce sont des joueuses qui ont été choisies parce qu'elles ont un niveau qui a fait qu'elles ont pu devenir professionnelles et élever le niveau de la pratique. Il y a bien sûr quelques exceptions et c’est tant mieux.

 

« Ce mix, c'est la réalité »

 

Et je me réjouis de ça parce que c'est pareil en Allemagne, il y a un mix aussi des clubs. En Angleterre par exemple au début de la FA WSL, quand ils ont lancé une ligue professionnelle fermée, ils ont demandé aux clubs masculins de créer une section féminine mais il n'y avait pas suffisamment de rentrées d'argent. Donc ce qui s'est passé, c'est qu'à chaque fois qu'un club masculin était en difficulté, la section féminine fermait.

Donc c'est pour cela que je pense qu'on est dans l'air du temps. C'est à dire que ce mix c'est la réalité. Après je pense très sincèrement qu'à la suite de la Coupe du Monde 2019, vous verrez, on en sera à autre chose.

Vous prenez des clubs comme l'Olympique de Marseille, ils construisent dans le temps. Ils sont partis avec un budget de ce qu'ils pouvaient mettre. Bordeaux ou à Lille c'est exactement pareil. Et c'est bien déjà, parce que l'argent ne tombe pas du ciel, et il faut qu'ils puissent générer des recettes. Elles jouent parfois au Matmut-Atlantique pour générer des recettes de billetterie et offrir une visibilité plus importante pour les médias. Voilà c'est un cercle vertueux, et je peux vous dire que nous on l'a pris dans le bon sens et on avance. Je suis sûre qu'après la Coupe du Monde 2019, on aura un autre paysage.

 

CDF - Certains pays font le choix d'un modèle pro (USA, Angleterre). Est-ce que pour vous c'est une piste pour l'avenir, de pousser à ce que le championnat devienne progressivement professionnel ?

B.H. - Oui mais il faut générer l'économie en fait derrière. Et je pense que quand cette économie sera générée, on fera autre chose et peut être que les joueuses elles pourront toutes être professionnelles. Nous on travaille beaucoup avec la Fédération de Handball et de Basket. Et par exemple la moyenne des budgets des clubs de Handball professionnels, c'est 1,7 million d'euros et elles sont une dizaine de joueuses, nous c'est 25, une équipe de D1 Féminine.

Comment voulez-vous faire aujourd'hui avec des budgets de 200.000 euros, alors que vous avez d'autres clubs qui ont beaucoup d’avance et qui peuvent déjà investir 6 ou 7 millions ? [L'horizon] c'est comme en Angleterre des budgets de 1-2 millions. Quand on arrivera à avoir des budgets de 2 millions [par club], peut être qu'on aura beaucoup plus de joueuses professionnelles, à plein temps.

 

« Il y a vraiment un frein sur l'équité

par rapport aux installations sportives »

 

CDF - A propos des infrastructures. Au début de la saison dernière lors de la présentation de la D1 au siège de la FFF, Noël Le Graët avait évoqué l'objectif que tous les clubs de D1 disposent de stade de quelques milliers de place (il avait donné le chiffre de 4000) et qui soient adaptés pour les diffusions TV. Aujourd'hui, on en est loin, y compris pour les sections féminines de clubs professionnels. Quels sont les leviers aujourd'hui pour avancer sur ces sujets ? Sachant que cela concerne aussi l'état des terrains qui sont régulièrement dégradés...

B.H. - Comme je vous disais sur l'appel d'offre, il a lui-même envoyé un courrier à l'ensemble des clubs pour qu'ils s'assurent de se délocaliser trois ou quatre fois par an pour aller jouer dans un stade plus adapté. Aujourd'hui les clubs se sont engagés là-dessus. Après ce qu'il faut dire par rapport à ça, c'est qu'il y a vraiment un frein sur l'équité par rapport aux installations sportives.

Vous avez bien vu ce qui s'est passé par rapport au Paris Saint-Germain (les U19 masculins allaient récupérer le Camp des Loges au détriment de l'équipe féminine senior). Et là, je sais que Laura Flessel, notre Ministre que je rencontre régulièrement, a dit qu'elle voulait la liste des clubs de D1 Féminine qui n'avaient pas la priorité par rapport à des équipes qui jouaient à des niveaux moins élevés et qui seraient avantagés sur les infrastructures. Donc en fait on avance petit à petit, mais c'est vrai que c'est un véritable frein.


C'est ce qui s'est passé après l'Euro 2013 en Suède, cela a été l'héritage du football puisqu'il y a trois stades de 4000 places minimum qui ont été construits pour les trois clubs phares féminins. Et ce qu'à fait Jean-Michel Aulas avec la création du Training Center, c’est énorme. Bien évidemment c'est le genre d'infrastructures dont on a besoin.

Si vous me demandez ma vision à l'horizon 2020/2024 en fait c'est ça. Je pense que tous les clubs de D1 auront un stade de 4000/5000 places et du coup auront des rentrées d'argents avec de la billetterie, avec des animations que les clubs feront, avec des hospitalités etc. Et je pense que les ressources économiques augmenteront de cette façon là. Si on regarde le foot professionnel masculin, après la rénovation des stades de l'Euro 2016, tous les stades qui ont été rénovés ont eu +18% de ressources économiques supplémentaires. Donc aujourd'hui on sait que le frein du football féminin c'est ça.

Pour les leviers, c'est toujours pareil. Qui va financer ces infrastructures ? Ce sont des coûts pharaoniques. Donc je pense que dès que les ressources augmenteront, il y aura probablement la possibilité d'avoir des stades de cette capacité là.

 

« Il n'y a aucun club en Europe

qui a les budgets [de l'OL et du PSG] »

 

Coeurs de Foot - Alors au début de cette saison, lors de la présentation de la D1, on a pu entendre s'exprimer des remarques sur les écarts importants entre les clubs les plus riches et les plus modestes, des différences qui ont évidemment un impact sur le plan sportif. Pour vous, et c'est une problématique qui progressivement rejoint celles qu'on retrouve chez les garçons, comment est-ce qu'on pourrait faire pour limiter justement cet écart ?

B.H. - Là il faudra que vous interrogiez les présidents du PSG et de l'OL pour proposer des solutions parce que c'est vrai que ce sont deux clubs qui sont des vitrines extraordinaires pour nous. Ils font rayonner le football français partout, y compris Montpellier en Coupe d'Europe cette saison, et c'est super le parcours qu'elles font. C'est vrai qu'il n'y a aucun club en Europe qui a ces budgets là. Donc du coup forcément ça créé un écart qui ne correspond pas à la réalité de ce qui se fait dans les autres pays.

Alors qu'est-ce qu'on fait pour y remédier ? On travaille beaucoup sur la structuration de nos clubs qui sont dans le ventre mou, énormément. On [nous] dit toujours : « Si les droits TV sont augmentés est-ce que vous allez donner d'avantage aux clubs ? » En priorité, ce que l'on fait, ce sont énormément de choses en termes de structurations pour les aider.

On a des prestataires externes par exemple, qui vont faire des audits sur leur structuration en leur disant qu'il faut qu'ils s'attaquent à tel ou tel sujet et les accompagner pour y arriver. Sur les recettes commerciales vous avez aussi quelqu'un, un expert qui va les aider avec la zone de chalandise, à augmenter leur visibilité et leurs profits. Cela représente des coûts, et c'est de cette manière qu'on redistribue l'argent [des droits TV par exemple].

Aussi sur le double projet, le travail de Véronique Barré et du Collectif Sport avec Albi, [un projet] qui va d'ailleurs être primé à Generali Sport. L'objectif c'est de demander aux joueuses quels sont leurs projets professionnels et de trouver des entreprises qui veulent bien être partenaires pour permettre aux joueuses d'avoir des revenus, tout en ayant une formation professionnelle. Pour ces clubs-là, c'est une force et vous avez beaucoup de clubs de D1 qui travaillent de cette manière là.


 

Interview réalisée au siège de la FFF

Dounia MESLI