De secrétaire générale à vice-présidente de la FFF, Brigitte Henriques a posé son empreinte dans le football féminin, depuis qu'elle est joueuse et jusqu'à aujourd'hui hors des terrains.

Première partie dans cette interview grand format avec pour débuter, un retour sur son parcours et son rôle au sein de la FFF. Brigitte Henriques a notamment incarné du côté des instances fédérales, le « décollage » du football féminin en France à partir de 2011 notamment au travers des « plans de féminisation » qui ont cherché à donner des objectifs associés au développement des pratiques.

 

Retour sur son parcours

 

Cœurs de Foot - Vous avez été joueuse vous-même. Vous avez notamment évolué à Juvisy et Soyaux jusqu'en 1999 avant que les clubs dit "pros" n'arrivent. Montpellier avait ouvert le bal avant que Lyon n’emboîte le pas, puis plus tard Paris... On parle souvent de l'évolution et du développement rapide du football féminin en France. Est-ce qu'il y a des choses pour vous qui n'ont pas changé par rapport à l'époque où vous jouiez ?

Brigitte Henriques - Déjà pour parler de ce qui a changé, avant de vous répondre sur ce qui n'a pas changé. Je viens d'une famille où ça transpirait le football du matin jusqu'au soir. Quand j'ai voulu aller m'inscrire à l'âge de 6 ans avec mon frère qui était à peine plus âgé que moi - parce que j'avais cinq frères qui jouaient tous au foot - la commune où j'habitais m'a dit qu'elle ne prenait pas les jeunes filles [en club]. Donc sur ce point, pour tomber sur un club aujourd'hui qui n'accueille pas les jeunes filles c'est devenu très très rare et ça culturellement c'est juste incroyable que ça ait changé.

Après comme on a déménagé, mon premier club c'était Poissy, vous ne l'avez pas cité mais Poissy c'était un grand club à l'époque. On a aussi été vice-championnes de France, on jouait les hauts de tableau et j'y suis restée neuf ans. Donc évidement c'était amateur, mais c'était vraiment extraordinaire parce que c'était un club qui était très bien structuré et il y avait beaucoup de licenciées.

Ce qui était extraordinaire c'est qu'il y avait toujours deux cadettes à l'époque, qui assistaient et participaient tous les week-ends aux échauffements, aux entraînements, aux matches des grandes, des joueuses de la D1 parce que forcément c'étaient des choses qui faisaient rêver. Je ne suis pas sure que ça existe encore, mais ça c'est quelque chose qui se faisait avant et c'était vraiment extraordinaire.

Après effectivement je suis partie à Juvisy, parce que ça correspond à la période où je suis devenue internationale. Et j'ai terminé à Soyaux parce que je savais que c'était bientôt la fin de ma carrière et j'avais envie d'avoir une autre expérience.

 

« Les choses ont fait un bond vraiment fulgurant pour le football féminin. »

 

Ce qui n'a pas changé, je pense, c'est la passion qu'ont les joueuses de haut niveau, qui sont dans des clubs amateurs et aussi professionnels. Aujourd'hui, ça demande forcément un dépassement de soi et de faire des sacrifices pour participer à la D1 et être obligée, comme c'était le cas à mon époque, d'être internationale, de s'entraîner et de travailler en même temps, parce que vous ne pouvez pas faire grand chose à côté [du football].

Mais, en tous cas, c'est un choix et je pense que ça, ça n'a pas changé partout, c'est encore ainsi pour beaucoup de joueuses. Et après, évidemment, ce qui est bien, c'est qu'il y a des clubs qui ont suffisamment de moyens pour pouvoir professionnaliser les joueuses. Mais ce n'est pas la généralité parce que les choses sont allées très vite. A partir de 2011 c'est vrai qu'il y a eu un engouement et des performances que ça soit avec le club de l'Olympique Lyonnais ou encore notre équipe de France A en Allemagne [elle me montre les photos des Bleues accrochées dans son bureau], plus l'arrivée de Noël Le Graët et celle des médias qui ont fait que les choses ont fait un bond vraiment fulgurant pour le football féminin.


Il y a quelques clubs professionnels aujourd'hui, et il y en a de plus en plus qui ouvrent des sections féminines mais qui fonctionnent pour certains avec les mêmes budgets que des clubs amateurs. Vous prenez par exemple - même si c'est devenu le Paris FC maintenant - Juvisy, qui avait un budget supérieur à un club comme Saint-Étienne ou Marseille. Donc en fait ce n’est pas tant la structure qui est importante. Je pense que ce qui est important c'est le projet club qui va avec.

Bien évidement le projet club est estimé avec un budget et c'est évidemment l'investissement qu'on met dans ce projet-là qui est important. Et aujourd'hui, c'est très bien qu'il y ait l'arrivée des clubs professionnels. [Même s'il] n'y a pas encore d'économie derrière le sport féminin et derrière le football féminin, les choses avancent, on l'a bien vu avec les droits TV.

Ce qui est certain c'est que pour pouvoir encore élever la discipline, il faut bien évidement professionnaliser les joueuses, mais avant cela il faut professionnaliser les structures et faire en sorte qu'il y ait de l'argent qui permette d'aller plus loin. Aujourd'hui on n'en est pas là. Ça avance vraiment et ça avance en profondeur, [même si] ça ne se voit pas forcément. Je pense qu'après la Coupe du Monde 2019, on aura passer encore un nouveau cap.

 

CDF - Je crois que vous avez stabilisé les dépenses par rapport aux recettes de la FFF ?

B.H. - Exactement, sur l'équipe de France féminine, tout à fait. Et c'est vrai qu'avec l'arrivée des droits TV, qui ont augmenté, on passe même un cap pour la première fois de l'histoire. Si vous regardez les chiffres pour la Bundesliga, on devient le championnat télévisé de top ligue le plus cher du football européen. Quand on voit aussi l'affluence dans les stades, on est vraiment bien loti en France. Et tout ça, en sortant de la Coupe du Monde 2011, Noël Le Graët l’avait senti. Il avait déjà cette vision, et c’est pour ça qu’il y a cru.

 

CDF - Que retrouvez-vous encore, quand vous allez dans un stade assister à un match. Comment vous voyez l'évolution du football féminin ?

B.H. - Ce que je retrouve c'est cette ambiance familiale qu'on peut avoir avec des gens qui sont particulièrement passionnés, qui connaissent et aiment ce spectacle là. Ça, ça n'a pas changé. Ce qui a changé c'est le niveau. Forcément, les joueuses s'entraînent mieux et plus. Il y a la formation qui a été instaurée depuis 1998 avec le pôle France chez nous, et les 6 autres pôles, qui a fait que vous avez 25 joueuses qui sortent tous les trois ans de nos pôles. Et puis il y a aussi le travail des clubs, qui font de la pré-formation, qui font de la formation et forcément le niveau s'élève, donc je pense que le niveau est plus élevé qu'avant. C'est comme ça aussi pour le foot masculin.


«  À partir de 2011, tous les voyants ont été mis au vert. »

 

CDF - Vous êtes également passée par l'équipe de France A. Comment vous essayer de répercuter votre expérience de la sélection aux Bleues aujourd'hui ? Comment vous voyez la progression de l'équipe de France ?

B.H. - Ça a été spectaculaire depuis 2011. La période entre le moment où j'ai arrêté et le mondial 2011, il y a eu aussi un gros événement, c'est la qualification pour la Coupe du Monde aux États-Unis en 2003 et évidemment qu'il y avait des choses qui continuaient à se passer. Mais je crois que le vrai changement, il est vraiment à partir de 2011 parce que tous les voyants ont été mis au vert.

On a récolté les fruits de tout ce qui avait été fait au préalable. La Coupe du Monde en Allemagne a déclenché les choses dans l'esprit de Noël Le Graët. On s'est dit "waouh c'est extraordinaire, les stades sont remplis, ça joue bien". Il faut que ça soit aussi comme ça chez nous.

Et à partir de là, vous connaissez l'histoire, il a permis aux joueuses de l'équipe de France d'avoir un staff aussi complet que celui des garçons, l'organisation des matches. Il n'y a pas de commune mesure avec ce qui se passait avant. Les stades sont pleins et ils sont pleins parce qu'il y a tout un travail remarquable qui est fait avant avec les ligues, les districts, les clubs, par la communication, nos services ici, le service billetterie.

Et ça comme je vous l'ai dit, il n'y a pas de commune mesure avec ce qui était fait au préalable, et ça porte ses fruits. Les choses ont vraiment changé. Quand je suis dans les stades, je filme l'entrée des joueuses avec les drapeaux qui s'agitent de partout et ça c'est juste un rêve, de voir ça comme ça. C'est top, c'est génial.

 

CDF - Quand vous voyez les Bleues en match, est-ce qu'il y a une certaine nostalgie ?

B.H. - Non pas du tout. Je suis au cœur de cette évolution là aujourd'hui, je la vis [et j'en suis] actrice avec ce deuxième mandat. C'est autant de bonheur, et je me réjouis de voir ce que les joueuses vivent. C'est tout ce qui m'importe. Et en plus je continue à jouer, du coup j’ai toujours le même plaisir, ce jeu est fabuleux !

 

Sur son rôle à la FFF


CDF - Aujourd'hui, vous êtes vice-présidente de la FFF, et donc pas seulement en charge du football féminin. Quelles sont les autres missions sur lesquelles vous travaillez ?

B.H. - La première mission que le Président Noël Le Graët m'a donné, et elle n'est pas des moindres, c'est de le représenter partout où lui ne va pas, Partout où il y a besoin que la Fédération soit représentée. C'est déjà un rôle important et cela me demande vraiment de bien travailler les dossiers en amont pour pouvoir porter sa parole.

Donc c'est vraiment différent, c'est une vision à 360 degrés sur ce qui se passe à la Fédération. C'était aussi le cas en tant que secrétaire générale, mais surtout sur les deux dernières années du précédent mandat, où j'étais amenée à parler de notre politique fédérale dans son ensemble avec "Horizon Bleu 2016". Là on vient tout juste d'enclencher la nouvelle vision de la Fédération qui est "Ambition 2020".

Bien évidemment c'est très honorifique, c'est aussi très valorisant intellectuellement parce que ça me demande vraiment de bien connaître l'ensemble des sujets et de beaucoup écouter, plus que d'habitude. Bien évidemment j'ai aussi la Coupe du Monde 2019, puisque je suis vice-Présidente du comité d'organisation et ça aussi, vous imaginez bien que c'est quelque chose de très important pour moi. Tout comme la Coupe du Monde 2018.

Je représente aussi la FFF au CNOSF en tant que Vice-présidente en charge du développement et de la diversité des pratiques. Du coup, ce partage avec les fédérations des mêmes problématiques qui nous touchent tous est très riche. Et puis il y a Paris 2024 !

 

« Aujourd'hui, le football féminin est vraiment beaucoup plus intégré

dans la mentalité des gens qui travaillent [à la FFF] »


CDF - Quelle place, selon vous, le football féminin a aujourd'hui dans le football français ?

B.H. - Vous voyez bien, je pense, qu'il a une part importante parce qu'on parle beaucoup de l'équipe de France féminine, on parle beaucoup de la D1. Et puis nous dans notre politique fédérale, c'était la priorité du précédent mandat, donc on en a parlé mais à toutes les sauces, tout le temps. Cela fait qu'aujourd'hui, c'est vraiment beaucoup plus intégré dans la mentalité des gens qui travaillent ici, mais aussi chez les présidents de ligues et districts, les clubs.

C'est une vraie révolution que ce soit en interne mais aussi dans le paysage du football français. On a encore du chemin à faire parce qu'on n’en est qu'à la moitié mais on a vraiment fait des grands pas.
 

CDF - Dans votre programme, il y avait notamment la création d'une « licence club féminine » à partir de cette saison, à quoi cela correspond ?

CDF - Alors en fait, on fait partie des rares pays européens aujourd'hui à ne pas avoir de système de licences pour le football féminin. Avec l'UEFA, tous les ans on participe régulièrement à un workshop [atelier] où c'est un échange de bonnes pratiques avec les nations phares. Vous avez à chaque fois l'Allemagne, l'Angleterre, le Danemark, la Suède. Des fois il y a aussi quelqu'un des États-Unis qui vient et on partage sur les championnats de top ligue.

On fait partie des rares à ne pas avoir de système de licence. C'est à dire qu'en Allemagne ou en Angleterre par exemple, pour pouvoir participer à la compétition élite (comme la D1) vous êtes obligé d'avoir cette licence. C'est un cahier des charges avec les obligations de structuration que vous devez mettre en place pour participer à la compétition.

Alors, on va mettre en place cette licence, comme par exemple pour le National. Dedans, vous avez par exemple l'obligation d'avoir un staff médical avec telle composition, vous avez besoin d'avoir tel type de stades etc.. puisque maintenant les matches vont tous être télévisés par Canal +, avec un match par week-end.

Le président Noël Le Graët a demandé à chaque club de s'engager pour avoir un stade digne de ce nom, avec une jauge suffisante pour amener du monde. Vous avez aussi des conventions de formation avec les jeunes…

Il y a tout un tas de critères qui seront inclus et qui permettent en fait d'avoir des clubs pérennes. On le voit bien aujourd'hui, un club qui monte en D1 a vite fait de redescendre en D2 parce que la structuration n'est pas suffisante, et le système de licence sert à ça. On va y aller progressivement et surtout accompagner les clubs pour leur permettre d'être prêts quand on imposera cette licence club.
 


=>  La deuxième partie de l'entretien : « La Coupe du Monde 2019, c'est plus qu'un événement sportif »

=> La troisième et dernière partie: « Après la Coupe du Monde 2019, on aura un autre paysage. »

 

Interview réalisée au siège de la FFF

Dounia MESLI