De secrétaire générale à vice-présidente de la FFF, Brigitte Henriques a posé son empreinte dans le football féminin, depuis qu'elle est joueuse et jusqu'à aujourd'hui hors des terrains.

Deuxième partie de notre interview avec Brigitte Henriques, vice-présidente de la FFF. Ici on évoque la question des droits TV qui a été au cœur de l'actualité ces dernières semaines, mais aussi l'équipe de France, avec les deux Coupes du Monde qui se profilent pour les U20 en 2018 du côté de la Bretagne avant la Coupe du Monde 2019 également organisée par la France.

 

=> La première partie de l'interview: « Je me réjouis de voir ce que les joueuses vivent. »

 

Cœurs de Foot - On a donc appris que les droits TV avaient été bien disputés. C'est finalement M6 (Bleues) et Canal+ (D1 Féminine + CDM 2019) qui succèdent à Eurosport et France TV (le diffuseur officiel de la Coupe du Monde 2019 est TF1). Quelles ont été les exigences de la FFF ?

Brigitte Henriques – Concernant la D1, Qu'il y ait une plus grande récurrence dans la diffusion des matches même si c'était satisfaisant avec Eurosport et France TV, parce que vous aviez pratiquement 15 matches sur les 22 journées qui étaient diffusés. Il fallait aussi s'adapter au contexte parce qu'on leur a bien dit que tous les clubs n'avaient pas des stades de la qualité du Groupama OL Training Center, quand les filles ont la chance d'y jouer.

Du coup, l'objectif c'était d'avoir une récurrence et de s'adapter et c'est ce qu'on a obtenu.

Concernant l’Équipe de France, M6 a joué un joli coup. Quand vous voyez le montant des droits de la Coupe du Monde 2019, avec W9 qui était à 850.000€ pour la Coupe du Monde 2015 et qui ont eu un bénéfice de 5 millions d'euros. Là, TF1 a acheté les droits pour plus de 12 millions. Nos diffuseurs savent très bien qu'avec la Coupe du Monde 2019, il y a vraiment un marché qui est en train de s'ouvrir et il ne faut pas rater le train.

 

« Il y aura un match par week-end et un multiplex le samedi »

 

CDF - Quels ont été les engagements obtenus de ces deux diffuseurs [M6 / Canal +] ?

B.H. - Déjà d'avoir des moyens de productions assez conséquents, parce que vous savez que ce sont les télévisions qui paient les moyens de production et ce n'est pas rien, ce sont des coûts importants. Et c'est ce qui a été obtenu. Vous imaginez, on va pouvoir suivre le championnat de D1 de la première à la dernière journée, donc c'est vraiment génial. Après, pour l'équipe de France, on espère que M6 restera dans la même continuité au niveau de la qualité que France Télévisions [lors de l'Euro aux Pays-Bas].

 

CDF - Est-ce que Canal+ compte diffuser tous les matches de D1 ?

B.H. - Oui tout à fait, il y aura un match par week-end et un multiplex le samedi. Vous allez avoir quasiment la totalité des matches.

 

CDF - Est-ce qu'il y aura un développement de la diffusion numérique, sur internet ?

B.H. - On le fait déjà avec le championnat National [masculin], et c'est juste fabuleux ce que la FFF a mis en place l'année dernière. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail réalisé par les services de la FFF. Donc oui il y a la même perspective pour la D1 Féminine, parce que c'est une vraie valorisation. C'est vrai qu'aujourd'hui on est obligé de s'adapter à l'évolution des médias et du coup c'est le cas.

 

CDF - Aura-t-on plus de matches de D2 [sachant qu'il y a déjà des diffusions ponctuelles sur FFF TV] et de Coupe de France (pratiquement aucune diffusion) ?

B.H. - On n'en est pas là encore. En fait, on a beaucoup travaillé sur la D1 les quatre dernières années et la D2 c'est aussi un chantier. C'est très difficile pour les clubs [d'avoir les structures pour accueillir les TV], donc là on doit poursuivre l'accompagnement aussi des clubs de D2, de DH pour les aider, pour qu'il y ait moins d'écart entre les deux, notamment en terme de structuration.

 

Sur les Bleues et les deux Coupes du Monde organisées par la France dans les mois à venir :

 

CDF - Concernant la Coupe du Monde U20 2018. La Bretagne, c'était vraiment la bonne région pour cette compétition comme vous l'aviez déjà dit dans une interview. Comment ça va se dérouler ? On peut s'attendre à avoir une large affluence dans les stades ?

B.H. - Oui, c'est vrai qu'on a des régions qui sont des terres de foot, et la Bretagne en fait partie. Ils ont une augmentation du nombre de licenciées très importantes et c'est vrai qu'à chaque fois qu'on va jouer là-bas, les stades sont pleins, contre la Grèce, on avait eu 24.835 spectateurs à Rennes (Roazhon Park).

C'est vrai qu'on n’ a aucune inquiétude sur le remplissage des stades et ce qu'il faut souligner c'est que c'était une vraie volonté du président Le Graët de faire cette Coupe du Monde des moins de 20 ans sur une seule [et même] région.

L'idée c'est vraiment d'avoir une belle ambiance comme sur la Coupe du Monde militaire [jouée en 2016 en Bretagne]. Je pense aussi que notre équipe des moins de 20ans, avec Gilles Eyquem et son staff, va franchir la dernière marche qui lui reste, parce qu'ils ont fait déjà deux podiums (3e en 2014 et 2e en 2016). C'est vrai que c'est bien d'avoir ce public-là, qui est amoureux du football et encore plus du football féminin, avec trois ambassadrices de taille, que sont Griedge (Mbock), Eugénie (Le Sommer) et Camille (Abily).


 

« On sait que cette Coupe du Monde 2019 ne sera réussie

que si les stades sont remplis »

 

CDF - Sur la Coupe du Monde 2019, la FFF parle de laisser un « héritage » pour le football féminin et le football français. Quelles sont les objectifs que se fixe la FFF pour cette compétition et quel type d'héritage peut laisser cette compétition ?

B.H. - En fait c'est même plus que pour le foot. La Coupe du Monde 2019 elle est très importante pour nous, parce que c'est plus qu'un événement sportif, c'est un événement sociétal. Parce que si la France accueille une Coupe du monde féminine, ça veut dire qu'au niveau de la mixité, c'est un message symbolique très fort d’ouverture. Si le Football peut donner cet exemple d’évolution, aussi par le biais de cette Coupe du Monde 2019, ça serait formidable !

On sait que cette Coupe du Monde 2019 ne sera réussie que si les stades sont remplis. Donc depuis deux ans, et cela a été mon rôle, on a mobilisé les élus politiques, que ça soit dans le football mais aussi les municipalités, les collectivités de la région... Au Havre, c'est Édouard Philippe (premier ministre, il était maire du Havre jusqu'en juin dernier) qui est venu soutenir le projet de candidature.

On leur a dit que Gianni Infantino (Président FIFA) avait annoncé qu'il y aurait plus d'un milliard de téléspectateurs et que ça allait forcément être une valorisation de leur territoire, un levier pour leurs politiques publiques et que donc du coup ça voulait dire derrière qu'il pouvait y avoir un héritage fabuleux.

« Toutes les jeunes filles veulent jouer au foot »

Et bien évidemment, on a mis l'accent sur la mixité. Quand on a des hommes et des femmes en même temps, ça optimise toutes les performances de toutes les structures et ça c'est le message de la Fédération. Après pour le sport féminin aussi, cela va être une vraie opportunité d'offrir cette visibilité à tous les sports et du coup de les faire aussi participer à la fête en venant au stade.

Par rapport à l'héritage sur le football, il est très très important. On va faire exactement la même chose que pour l'Euro 2016, qui a laissé un très bel héritage, au niveau de la formation des éducateurs, des éducatrices, des dotations aux clubs mais aussi au niveau des infrastructures parce que là, c'était vraiment important pour notre Fédération.

On sait aujourd'hui que toutes les jeunes filles veulent jouer au foot mais que le plus gros frein pour les clubs ce sont les manques en infrastructures, les vestiaires prioritairement. C'est cela qui empêche d'accueillir les joueuses pour les clubs notamment et aussi [en terme] de terrains.

Pour cela, il y a le fond d'aide au football amateur de la Fédération ( FAFA). Et avec cet argent là, il y a des projets d'infrastructures qui vont être étiquetés aux couleurs de la Coupe du Monde 2019 pour être financés. Avec des aides assez conséquentes, des appels à projets [vont être lancés] sur des projets structurants pour les clubs qui s'engagent à créer des sections féminines.

 

« La dernière marche pour être sur le podium, c'est vraiment difficile »

 

CDF - En 2011, les Bleues n'étaient pas attendues et c'est peut être cela qui a été bénéfique. J'ai lu une interview d'Eugénie Le Sommer qui disait que c'est parce qu'elles n'étaient pas attendues, qu'elles ont pu atteindre cette demi-finale. Est-ce que selon vous les Bleues seront attendues pour 2019 ?

B.H. - Aujourd'hui, je pense qu'elles ne sont plus attendues. Elles étaient encore attendues à l'Euro 2013.

 

CDF - Est-ce qu'elles ne seront pas quand même attendues, parce que ça se joue en France ?

B.H. - Oui bien sûr, vous avez raison, elles sont peut être attendues, mais plus de la même manière. Là, elles sont attendues parce que c'est en France. Malheureusement, on a fait une contre-performance à l'Euro aux Pays-Bas. Je pense que dans la performance quand vous arrivez tout là-haut, le plus dur c'est d'y rester, c'est de performer.

Arriver en demi-finale lors de la Coupe du Monde 2011, c'était juste incroyable parce que ça n'était jamais arrivé avant. C'est comme s'il n'y avait pas eu de préparation à cet envol spectaculaire. Et après, c'est allé tellement vite que la question qui se pose, c'est : « Est-ce qu'on était prête à devenir des "Winneuses" (gagnantes) ? », comme on dit. Malheureusement l'histoire laisse à penser que non, on n’était peut- être pas prête à assumer ce statut définitivement. Donc voilà je pense que cette phase là, la dernière marche pour être sur le podium, troisièmes, puis deuxièmes et premières, c'est vraiment difficile. Cela me fait penser à Yannick Noah qui témoigne après leur victoire magnifique en Coupe de Davis, de ces années difficiles où « parce que tu ne gagnes rien pendant 16 ans, tu t’habitues à perdre » et il explique comment c’est difficile de sortir de cette spirale.

Corinne Diacre est vraiment très très perfectionniste, elle a une rigueur et une exigence, déjà pour elle-même. J'ai beaucoup joué avec elle, et je la connais très bien puisque c'était ma partenaire en équipe de France. Je pense qu'elle aidera à passer ce cap, c'est vraiment un environnement qu'elle connaît très bien. Je pense aussi que son expérience à Clermont avec des joueurs professionnels, va aussi l'aider à appréhender ce nouveau public parce que beaucoup de joueuses sont professionnelles aujourd'hui. Ce n'est pas tout à fait pareil mais je pense qu'elle a toutes les chances de son côté pour réussir.
 

CDF - Pour continuer à évoquer de Corinne Diacre. On voit qu'elle fait un gros turn-over aujourd'hui en équipe de France. Que pensez-vous de cela ?

B.H - La difficulté qu'on a aujourd'hui depuis un petit moment c'est que nos joueuses internationales ne jouent pas toutes. Bien évidemment, elles vont dans les meilleurs clubs, où les conditions sont les plus reliées à la performance. Et l’on doit de se réjouir des conditions dans lesquelles elles peuvent évoluer. Donc c'est sûr qu'à partir du moment où il y a des embouteillages dans ces clubs, cela fait que ce sont des joueuses qui ne jouent plus en championnat.

Si vous ne jouez pas, c'est difficile d'être compétitive et donc Corinne a juste voulu lancer un message d'alerte en disant : « Attention, pour être performantes en équipe de France, vous devez jouer. » Et donc c'est pour ça qu'elle a ouvert [la sélection] à ce point-là. Mais ce n'est pas tant lié à la professionnalisation, c'est juste qu'elle veut des filles qui soient dans le rythme et qui jouent. Même si les joueuses internationales étrangères des clubs comme Lyon et Paris font aussi progresser la D1 Féminine et nos joueuses de l'équipe de France.

 

=> Troisième partie de l'interview: « Après la Coupe du Monde 2019, on aura un autre paysage. »

 

Interview réalisée au siège de la FFF


 

Dounia MESLI