L'aventure à l'étranger n'est plus si rare que cela pour les Françaises ces dernières saisons. Elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir connaître un autre football que le football français. Après plus de 20 ans en France et plusieurs clubs à son actif, Laura Agard a posé ses valises à la Fiorentina cette saison. On a échangé avec elle, pour évoquer son parcours, ses moments forts et ce nouveau chapitre dans sa "grosse" carrière de footballeuse. Dans cette première partie, on parle de ses débuts, de la professionnalisation de la pratique et de ses passages dans les clubs français. 

   
 

La deuxième partie de notre entretien => Laura Agard (ACF Fiorentina) 2/2 : « Ça me plait ce côté tactique [en Italie]. »

 

Coeurs de Foot - Tu fais partie de ces joueuses qui ont "connu" entre guillemets la première Ligue des champions disputée par Toulouse (lors de la saison 2001/2002). Tu avais 11 ans. Est-ce que tu as des souvenirs de cette période-là de ta carrière ?    

Laura Agard - J'étais petite donc forcément les "grandes" entre guillemets qui ont disputé cette compétition faisaient rêver, parce que la plupart des filles étaient en Equipe de France. Et puis c'était le meilleur club pendant quatre saisons d'affilée, puisqu'elles ont gagné le championnat de France 4 saisons de suite (entre 1999 et 2002) ainsi que le Challenge de France en 2002. Elles ont aussi disputé la première UEFA Women’s Champions League... 

Tout le monde était au stade le week-end pour les encourager. C'était des filles hyper accessibles... Certaines étaient nos entraineures. J'ai commencé avec Céline Bonnet, Karine Pavailler et Elodie Woock. Puis avec Mélanie Briche et Myriam Saidi. D'autres venaient nous voir jouer nous les petites, alors qu'on était benjamines ou encore cadettes !!! Comme Sabrina Viguier (actuelle coach du Rodez Aveyron Football, ndlr). Ces filles-là étaient parmi les meilleures françaises. On pouvait aussi voir l'entraîneur de l'équipe première, Jean Pierre Bonnet. Il pouvait jouer une place en play off le samedi contre Montpellier ou Juvisy et venir nous voir à un tournoi le dimanche à 2h de route de Toulouse !!! Il y a des choses qui marquent dans la vie... et ces années-là en font partie. 
  

CDF - Est-ce que tu as déjà évoqué ce premier championnat d'Europe des clubs avec Sabrina [Viguier] ?   

L. A. - Ca nous arrive parfois de ne pas parler de foot (rires). 
 

CDF – Est-ce que tu évoques avec elle ou d’autres joueuses la professionnalisation du football féminin ? 

L. A. - J'en parle avec les filles avec qui j'ai commencé le foot et des plus anciennes que moi aussi, et c'est vrai qu'on voit l'évolution de la professionnalisation du foot en France. C'est incomparable avec ce que c'était il y a pratiquement 15 ans, quand j'ai débuté. Je fais partie maintenant des anciennes, j'ai connu ma première année quand j'avais 7 ou 8 ans, et jusqu'à mes 17 ans à Toulouse ce n'était pas professionnel, c'était comme ça partout.   

Quand t'étais petite, tu ne répondais pas que tu voulais être footballeuse professionnelle [quand on te posait la question] parce que ça n'existait pas. Moi je disais astronaute (rires). Aujourd'hui il y a beaucoup de petites filles qui le disent quand tu leurs demandes, parce que ça existe et que c'est accessible.  
 

CDF - Tu as disputé ton premier match de D1 assez jeune, à 15 ans, avec Toulouse en 2004 contre Juvisy. On a l'impression que c'était plus courant, plus commun de débuter très jeune avant dans l'élite.   

L. A. - Oui, après ça dépend. Il y avait beaucoup moins de joueuses, donc beaucoup moins d'équipes dans les différentes catégories. Les championnats U17/U19 etc n'existaient pas. L'accès aux équipes séniors était peut-être plus rapide, mais je ne pense pas plus facile pour autant. 

   

CDF - Dans ton parcours tu as connu plusieurs clubs et tu as fait aussi des retours dans certains clubs. Pourquoi avoir fait ces choix ?  

L. A. - Quand je suis revenue à Toulouse en D2, c'est parce que je voulais finir mon Master 2 et que c'était compliqué d'aller dans un club de D1. Surtout à haut niveau, parce que je savais que j'étais en cours jusqu'au mois de janvier et qu'après janvier je devais trouver un stage, qui pouvait se dérouler un peu partout en France. 

Par rapport à cela, je n'étais pas vraiment accompagnée [par le club, la Fédération...]. On doit se débrouiller toute seule. A Toulouse, je leur avais dit que “peut-être en janvier je ne serai plus là” et que je ne savais pas par rapport à ma "carrière" entre guillemets si j'allais continuer après les six mois et finalement j'y suis parvenue alors que je n'étais pas là durant la semaine. Le lundi j'étais à Montpellier, le reste de la semaine à Perpignan et le week-end à Toulouse, avec les déplacements et tout. Le club a été d'accord et ça m'a permis de continuer cette saison-là. Je faisais du futsal le lundi, je m'entraînais avec des seniors garçons à Perpignan le mardi et le jeudi et le vendredi à Toulouse avec l'équipe. Mais c'était à moi seule de toute gérer. Personne ne m'a aidée à trouver un stage, à passer des entretiens... La route, les transports, la fatigue accumulée... Puis pour mon stage je suis tombée sur une belle structure, avec un super directeur et un super chef d'agence.   

Et pour mon retour à Montpellier, c'était grâce à mon retour à Toulouse aussi, puisque mon stage s'est fait en partie à Montpellier, donc j'avais encore des contacts avec Jean-Louis Saez et à chaque fois je disais non [pour revenir] parce que je voulais finir mes études. Par la suite [mon retour] ça s'est fait naturellement et puis j'ai pu ré-attaquer trois saisons avec Montpellier.   

Parfois tu te dis que peut-être tu es passée à côté de certaines choses, notamment par rapport à l'équipe de France, parce que des gens se sont fait des idées, sur mes choix de carrière dans le foot ou parce que j'ai privilégié mes études. Après si c'est une question de niveau etc il n'y a pas de soucis. Au moins c'est bien que tu m'aies posé la question, comme ça je peux enfin y répondre.   

   

CDF - Pour évoquer Montpellier, on te sentait un peu en retrait parfois, alors qu’en même temps on a l’impression que tu as beaucoup de caractère (nous avions déjà échangé avec elle brièvement en mai dernier). Est-ce que c'était une façon pour toi de te protéger, de ne pas attirer l'attention sur toi ?   

L. A. - Oui je suis quelqu'un d'assez réservé, qui va plus faire que dire. Je ne suis pas quelqu'un qui va parler énormément. J'ai toujours été comme ça et même si parfois tu essayes de changer quelques trucs, tu as quand même ta personnalité qui reste la même. 

Ce n'est pas parce que je suis réservée, calme, que je n'ai pas d'intention et pas d'envie. Mais pour moi ça se montre dans ce que tu fais, pas dans ce que tu dis, par ce que tu montres, et pas par le fait qu'on parle de toi [dans les médias]. Je suis quelqu'un qui n'aime pas tous ces trucs où il faut parler, où il faut se montrer en photos...   
 

CDF - Justement Montpellier est vraiment une belle équipe, et on a l'impression qu'elle passe souvent au second plan face aux deux ténors que sont le PSG ou l'OL. Comment tu l'expliques ? Comment tu te sentais personnellement dans ce projet de club ?    

L. A. - Si on ne parle pas trop de Montpellier, je pense que c'est parce qu'il n'y a pas eu les résultats espérés, donc forcément on ne parle pas de toi. On ne parle de toi que quand tu gagnes. Ce qui manque à Montpellier pour qu'on parle peut-être plus de l'équipe et du club : c'est un titre. Après on sait aussi qu'il y a Lyon et Paris. Mais il n'y a pas pour moi de complexe d’infériorité. 

L'année dernière on a parlé plus de Paris, parce qu'elles ont gagné la Coupe [de France face à Lyon].    

Personnellement par rapport à Montpellier, je m'y sentais bien parce que j'y avais mes repères. C'est un peu aussi "mon club" parce que j'y ai passé 6 ans en tout. J'étais vraiment bien à Montpellier que ça soit au niveau des conditions, du staff, du club, du Président et des coéquipières. C'est un club auquel je suis vraiment attachée.   

   

CDF - Avec Montpellier ou un autre club, est-ce qu'il y a un moment particulier ou un match que tu retiens dans ta carrière ?    

L. A. - A Montpellier, il y a eu ma première année 2006/2007 où on gagne la Coupe de France (ex-Challenge de France), contre Lyon. C'était un match qui a fini à 1-1 et on gagne 4 à 3 aux tirs au but. C'était ma première année en plus dans un grand club, parce que je quittais Toulouse et j'arrivais, j'avais 17 ans, donc pour moi ça a été un de mes meilleurs souvenirs.    

Il y a eu aussi le match avec Lyon [en novembre 2012] lors de la Mobcast Cup (qui regroupe plusieurs clubs parmi les meilleurs du monde) au Japon. C'était deux matches contre des équipes japonaises, qui nous ont mis en difficulté et puis finalement on a gagné les deux matches. Pour moi, ce n'était peut-être pas un titre hyper reconnu, mais c'était un trophée, et ça reste un de mes meilleurs souvenirs.   
   

CDF - De mon côté, je retiens surtout ton coup franc direct qui donne la victoire au MHSC contre Guingamp (1-0) !  

L. A. - Oui après on travaillait beaucoup les coups-francs, donc c'est vrai que ça fait toujours plaisir de marquer et puis en plus c'est le but de la victoire. C'était aussi beaucoup de travail, parce qu'on était plusieurs à les tirer.    

Oui c'était sympa, je n'ai pas l'habitude de marquer on va dire, et quand c'est le but de la victoire, c'est toujours plus agréable et c'était important de gagner. Après que ça soit moi ou une autre, l'important était qu'on gagne ce match. 

  

CDF - En étant passée par Lyon en 2013 tu as soulevé une Coupe de France et un titre de Championne de France (elle a également glané 2 Challenges de France avec Montpellier en 2007 et 2009). Est-ce que tu es frustrée cependant de ne pas avoir raflé la Coupe d'Europe cette année-là ?   

L. A. - Non je ne suis pas frustrée, je pense que les choses arrivent quand elles doivent arriver et puis on est tombées sur une équipe plus forte. Mais ça m'affecte quand même, dans le sens où forcément j'aurais aimé la gagner.   
   

CDF - Est-ce qu’au fil de la saison dernière, tu avais perdu ce plaisir de jouer au MHSC ?   

L. A. - Non ça n'a rien à voir, j'avais encore un an de contrat, donc j'étais Montpelliéraine jusqu'en 2019.  

    

CDF - Est-ce qu'il y a eu cette déception en Ligue des Championnes et le fait d'avoir perdu ces matches contre Paris ou Lyon aussi qui t'ont incité à partir de Montpellier ?   

L. A. - Non ce n'était pas parce que j'avais envie de partir.  

 

CDF - C'était plus une envie personnelle de ta part de vivre autre chose ?   

L. A. - Oui voilà. Pour moi ce sont plus des petits signes de la vie, et je me disais aussi que c'était le moment, parce que peut-être que je n'aurais pas eu une telle opportunité plus tard. Et puis voilà, ça s'est fait comme ça. 

  

CDF - De l’extérieur on voit une super belle équipe montpelliéraine, mais qui manque juste parfois d'envie, l'envie de renverser les "grands" du championnat ou d'Europe ? Est-ce que c'est ça aussi qui manque à Montpellier selon toi, qui as vécu la saison dernière en particulier avec la Ligue des Championnes ?   

L. A. - (elle soupire) Non ça c'est l'avis des gens qui regardent. Après nous, en tout cas concernant les matches que j'ai fait contre ces grandes équipes, jamais je n'y suis allée en me disant "Bon de toute façon c'est Lyon on va le perdre" après si c'est l'avis extérieur, c'est l'avis extérieur, moi ce n'est pas le mien.    

Pour moi c'est surtout sur des aspects tactiques, même si après techniquement et physiquement elles sont, notamment Lyon pour moi, un peu au-dessus. Mais sur un match tu peux les avoir, les renverser. Après voilà je ne suis pas là pour critiquer ou quoi que ce soit, mais pour moi c'est d'un œil extérieur. Je ne parle pas au nom de tout le monde, parce que je ne connais pas l'avis de tout le monde, mais de toute façon je n'y suis plus donc Montpellier c'est un peu derrière moi.   

Dounia MESLI