Coeurs de foot vous raconte l'histoire d'une entraîneure de 30 ans qui a révolutionné le football féminin en Iran par ses méthodes d'entraînement et changé le regard des Iraniens sur la pratique. Cette femme, c'est Katayoun Khosrowyar, l'entraîneure de l'équipe U19 iranienne.

 

Le football féminin en Iran connaît actuellement une sacrée évolution. Cette évolution est portée par des femmes au courage extraordinaire et à la volonté sans faille. Le mois dernier, on vous avait parlé de Gelareh Nazemi, celle qui est devenue la première Iranienne à arbitrer un tournoi de futsal, aux JOJ de Buenos Aires. Aujourd'hui nous allons vous raconter l'histoire de Katayoun Khosrowyar. Cette femme de 30 ans née aux Etats-Unis, a métamorphosé l'équipe U19 de la république islamique. Mais elle a surtout changé à jamais le regard des Iraniens sur le football féminin.

 

===> JOJ 2018 : Gelareh Nazemi, première femme iranienne à arbitrer un tournoi de futsal

 

Son arrivée à la tête de cette équipe a coïncidé avec une progression spectaculaire des résultats sportifs. Katayoun Khosrowyar a en effet réussi à qualifier les U19 iraniennes pour la dernière phase du championnat féminin U19 de l'AFC. Pour réussir cette performance, l'entraîneure a dû changer en profondeur les méthodes d'entraînement. Exit les vieux manuels d'entraînement utilisés depuis plus de 50 ans ! Place aux techniques modernes et à la variété.

"Ils utilisaient des livres datant d'il y a 50 ans, avait-elle ainsi expliqué pour FIFA.com. Je ne dis pas que les informations d'il y a 50 ans sont mauvaises, mais la modernité a aussi du bon." Aujourd'hui, les plateformes comme YouTube et Instagram sont sources d'inspiration et de variation pour leurs séances d'entraînement. Katayoun Khosrowyar a aussi fait comprendre à ses joueuses l'importance d'une bonne alimentation, d'une bonne condition physique et d'une bonne préparation. 

 

 "Ma famille disait (en plaisantant) que je partais

kidnapper des filles dans les parcs"

 

Mais ce n'était pas le plus difficile. Avant d'entraîner les joueuses, il a d'abord fallu les détecter ! Et ce fut un travail de très longue haleine. Elle s'y est attelée juste après avoir obtenu sa licence A d'entraîneure avec le soutien financier de la FIFA, à 26 ans. "J'ai dû me rendre dans des villes inconnues, traverser les quartiers, demander aux gens s'il y avait un centre de football ou un endroit où les filles pouvaient pratiquer le futsal, n'importe quoi", a t-elle expliqué à FIFA.com. On me dirigeait toujours vers des parcs où des filles jouaient avec leurs frères et leurs cousins. Les filles étaient là et pas ailleurs. Ma famille disait que je partais kidnapper des filles dans les parcs", ajoute-t-elle en riant.

 

*** "Et notre nouveau chapitre commence... Avec toutes les probabilités qui étaient contre nous, toute la discrimination à laquelle nous avons été confrontées à l'international, nous avons réussi à élever le football féminin en Iran à un niveau supérieur, grâce à notre travail acharné et notre dévouement. Merci à tous pour le soutien, rendez-vous au deuxième tour des qualifications asiatiques."

 

17 ans : un voyage familial qui a bouleversé sa vie

 

Mais la plus grande victoire de cette entraîneure n'est pas d'avoir changé les méthodes d'entraînement en Iran. Elle a fait bien plus que ça. Elle a changé à jamais le regard que les Iraniens portent sur la pratique du football féminin. La preuve de ce changement de mentalité : Katayoun Khosrowyar et ses joueuses ont été les premières femmes de la république islamique à assister à un match de l'équipe nationale masculine. Avant elles, aucune femme n'avait le droit de s'asseoir dans un stade pour regarder du football.

Et pourtant, qui aurait pu croire que ce serait elle qui ferait évoluer les mentalités de tout un pays, juste en coachant des filles ? Née aux Etats-Unis de parents sportifs - son père était triathlète et nageur professionnel - Katayoun Khosrowyar évoluait pour son équipe de football régionale à l'âge de 17 ans. Son rêve dans la vie était alors d'obtenir une bourse pour jouer au football à l'université et évoluer un jour au sein de l'équipe nationale féminine des États-Unis.

Mais un voyage familial en Iran va chambouler tout ses plans. L'adolescente de 17 ans aux cheveux teints en rouge et aux piercings sur les sourcils tombe amoureuse de l'hospitalité, de la culture et de la générosité du peuple iranien. Là-bas, la jeune fille n'en oublie pas pour autant le football. Elle continue donc de le pratiquer mais sous la forme du futsal, beaucoup plus développé que le football chez les Iraniennes. 

Son talent ne passe pas inaperçu. C'est ainsi que, la veille de son retour aux Etats-Unis, on lui propose ni plus ni moins d'intégrer l'équipe de football nationale iranienne ! "Quand quelqu'un te demande 'veux-tu faire partie d'une équipe nationale ?' alors que tu n'as que 17 ans, tu dis oui !"  Hélas, son enthousiasme va se heurter au trop faible niveau de l'équipe nationale. Au bout de quelques années seulement, elle finit par raccrocher les crampons à l'âge de 24 ans. Mais son histoire extraordinaire avec le football iranien ne s'arrête pas là. Au contraire, elle ne fait que commencer...  La jeune femme a une idée derrière la tête : entraîner. "J'ai décidé de me concentrer sur l'avenir. C'est là que je devais mettre toute mon énergie." 

 

"C'est grâce à vous et à votre équipe que j'ai

commencé à apprécier et à respecter le football féminin"

 

L'avenir lui a donné raison. Six ans plus tard, grâce à elle, les hommes s'impliquent activement dans le développement des équipes féminines en Iran. Après tout ce travail de détection, de préparation, de formation elle a aujourd'hui le soutien total de la fédération iranienne. "Ce soutien est venu de façon inattendue", indique-t-elle. "Le secrétaire général, accompagné d'autres hommes, est passé devant le terrain où l'on s'entraînait et ils ont cru que c'étaient des garçons. Les joueuses centraient, faisaient des têtes, taclaient. Le secrétaire général m'a appelée pour me demander si j'étais sûre que c'était des filles. Maintenant, il me dit toujours : 'C'est à cause de vous et de votre équipe que j'ai commencé à apprécier et à respecter le football féminin'." Qui a dit qu'une jeune femme, toute seule, ne pouvait pas révolutionner le football féminin, et surtout faire évoluer les mentalités de tout un pays ?

Arnaud Le Quéré