Le momentum a-t-il changé de camp ? Depuis leur victoire à la dernière Coupe de Monde, rien ne semblait arrêter les internationales américaines dans leur combat pour une égalité des revenus (equal pay) avec l'équipe masculine. Pourtant, c'est une première décision défavorable qui a été rendue vendredi par le juge chargé du dossier, écartant l'essentiel des demandes formulées par les joueuses et leurs avocats...

 

Dans une décision (summary judgement) rendue le 1er mai, le juge fédéral R. Gary Klausner a tranché en défaveur des internationales américaines, qui accusent leur fédération de pratiques discriminatoires, et réclament une « égalité de revenus » (equal pay) avec les joueurs de l'équipe masculine. Si plusieurs cadres de la sélection, comme Becky Sauerbrunn ou Megan Rapinoe ont réagi de manière combative, ce jugement constitue un premier coup dur pour les internationales étasuniennes.

 

Une plainte vidée de sa substance

Le juge californien a rejeté l'essentiel des demandes des joueuses en particulier celles qui concernent les questions relatives aux disparités de revenus (avec des demandes cumulées dépassant les 66 millions de dollars). Seules les demandes concernant les conditions de voyage et d'hébergement, et liés à l'encadrement des équipes nationales (au niveau médical, et sur les conditions d'entraînement) ont été entendues. Le recours aux pelouses synthétiques pour certains matches de l'équipe féminine n'a également pas été reconnu par le juge comme pouvant prêter à discrimination.

Pour les demandes passées au travers des mailles de ce premier filet, un procès est programmé le 16 juin prochain, avec une décision censée être apportée cette fois-ci par un jury. Pourtant, ce procès pourrait être reporté. Les joueuses américaines, et leur porte-parole Molly Levinson ont rapidement communiqué leur volonté de faire appel de la décision du juge Klausner, un appel qui pourrait retarder de plusieurs mois la tenue d'un éventuel procès public.

Au-delà des aspects de procédure, cette décision illustre le décalage entre la popularité acquise par le combat des internationales étasuniennes dans leur pays, et leur capacité à obtenir une décision favorable sur le terrain judiciaire. L'un des éléments-clés de la décision du juge Klausner est que les joueuses et les joueurs de l'équipe nationale des États-Unis ne disposent pas des mêmes accords collectifs, et sont donc rémunérés sur des bases et des critères différents.

 

Unité(s) de mesure

Ces accords collectifs (Collective Bargain Agreement, CBA) sont négociés entre la fédération (USSF) et les représentantes des joueuses d'un côté (USWNTPA) et les joueurs de l'autre (USMNTPA). Le CBA de l'équipe masculine est d'ailleurs en cours de négociation, avec la volonté des joueurs de prendre en compte les revendications de leurs homologues féminines, en vue de la rédaction du nouvel accord.

La décision insiste notamment sur le fait que les internationales ont choisi elles-mêmes une structure avec une plus importante rémunération de base (par exemple 100.000 dollars annuels pour 17 joueuses désignées en début d'année) et des bonus liés à la performance moins élevés que les garçons. Un choix qui s'explique par le fait que les internationales reçoivent l'essentiel de leur rémunération directement de la fédération, et non de leurs clubs comme c'est le cas des garçons.

Standards différents et des circonstances qui tendent à atténuer les différences entre équipes masculines et féminines. Dans sa décision, le juge Klausner rallie les arguments de la fédération américaine qui explique notamment que les joueuses ont globalement gagné plus d'argent sur la dernière période (entre 2015 et 2019) que les joueurs de l'équipe nationale.

 

Les joueuses mieux loties ?

Entre 2015 et 2019, 24 millions de dollars auraient été versés aux joueuses de l'équipe nationale (avec 111 matches disputés, soit 220.747 dollars par match) contre 18 millions versés aux joueurs de l'équipe masculine (87 matches disputés, soit 212.639 dollars par match). Des chiffres en apparence irréfutables, mais qui masquent un contexte, avec deux titres mondiaux d'un côté (2015 et 2019) et de l'autre, une sélection masculine qui ne s'est pas qualifiée pour la Coupe du Monde 2018 en Russie.

Une première depuis 1986, et qui éclaire la supériorité des chiffres de l'équipe féminine américaine, qui vient de signer le premier doublé de son histoire en Coupe du Monde. Si les garçons s'étaient qualifiés pour le Mondial en Russie (sans même y gagner un seul match), les chiffres auraient été mécaniquement en faveur de l'équipe masculine.

 

Un compromis plutôt qu'un jury ?

De fait, l'existence de deux accords collectifs (CBA) distincts entre équipes nationales masculine et féminine fragilise la stratégie judiciaire des joueuses américaines, alors qu'elles peuvent compter sur une popularité et des soutiens de poids, comme l'ancien vice-président (sous Barack Obama) et désormais candidat démocrate à la prochaine présidentielle Joe Biden.

Une notoriété qui va aussi avec son lot de détracteurs. Dernier argument en date, un match d'entraînement, perdu en avril 2017 face à une équipe U15 masculine du FC Dallas, une « preuve » exhibée pour tenter de démontrer qu'il ne peut y avoir d'égalité entre hommes et femmes sur et autour des terrains de football.

Ce premier revers judiciaire pour les joueuses américaines pourraient également les amener à revenir vers la table des négociations, alors que la nouvelle présidente de la fédération, Cindy Parlow Cone, a tenté d'adopter une position d'ouverture, espérant parvenir à une solution négociée avant la tenue d'un éventuel procès. Ancienne internationale, championne du monde et olympique, Cindy Parlow Cone a pris la tête de la fédération après la démission de Carlos Cordeiro, emporté dans la tourmente et par la stratégie incendiaire, mais pour le moment efficace des avocats de l'USSF.

 

Photo: Ronald Martinez / Getty Images

Hichem Djemai