A la veille de leur rencontre du 1er tour en Ligue des Championnes, face au club ukrainien de Kryvbas, Sandrine Soubeyrand nous avait partagé son sentiment après la défaite 2-0 contre le HAC en match de préparation à la Aiglonnes Cup. Nouvelle formule du championnat avec les playsoffs, avec une équipe à reconstruire cette saison et son regard sur l'équipe de France et les championnes du monde espagnoles. Interview.

 

Journaliste - Vous sortez d'une semaine de stage, vous terminez avec ce match [contre le HAC, perdu 2-0] est-ce que ça peut expliquer aussi que les filles n’aient pas la même énergie qu'elles pourraient avoir en Coupe d'Europe ?

Oui oui (elle fait la mou). Le terrain n’était pas facile. C'est vrai qu'on sort d'une semaine, où on n'a pas été très bon dans l'utilisation du ballon. On a manqué aussi un peu [d'agressivité] dans les duels, mais je ne suis pas trop inquiète. On a manqué de jus mais on n'a pas mal bossé encore cette semaine. C'était un bon match intéressant. Je pense que Le Havre n'avait pas fait jouer son équipe [type] vendredi soir, elles étaient dynamiques, plus que nous et elles ne sont pas du tout dans la même phase de préparation que nous. On se fait contrer une ou deux fois, mais ça fait partie du jeu. L'objectif, c'était de jouer, de finir le stage par un match. C'est pas que je ne suis pas inquiète, j'aurais préféré gagner, mais il nous a manqué un peu d'intensité et surtout de combativité. On n'a pas gagné beaucoup de duels et à partir de là, c'est difficile de jouer.

 

Journaliste - Et un retour des mondialistes, qu'il va falloir intégrer ?

C'est vrai que Clara [Mateo] est arrivée en stage mercredi, elle a très peu d'entraînements au compteur et il faut qu'elle retrouve aussi un peu d'allant, qu'elle se régénère, qu'elle ait évacué la frustration de la compétition. Elle n'a pas beaucoup joué donc il y a aussi un peu de manque de confiance, manque de repères. Il faut se relancer. Mais je ne suis pas inquiète. Elle connaît bien la maison, elle revient dans une équipe qu'elle connaît et dans un endroit où elle est en sécurité. J'espère qu'elle va vite retrouver confiance parce que sur nos deux actions on aurait pu revenir à 2-2.

 

Journaliste - Il y a eu du changement effectif, comment a été fait ce recrutement ? 

On savait qu'il y avait des joueuses qui souhaitaient faire une autre aventure, notamment celles qui étaient en fin de contrat mais aussi certaines qu'on ne voulait pas garder, donc on les avait prévenu assez à l'avance. On a travaillé en amont sur les joueuses qui voulaient pas rester et celles dont on voulait se séparer. Ça fait déjà pas mal de temps qu'on était en contact avec certaines. 

L'objectif était d'améliorer l'équipe. On avait une très bonne équipe, mais il faut que les individualités prennent bien les repères, et les mêmes repères. Pour l'instant, on est encore en tâtonnement, mais j'espère que ça va se régler dès le prochain match amical [face à l'ASSE].

 

Journaliste - Il y a aussi des filles comme Julie Soyer et Gaetane Thiney qui prolongent, avec la Coupe d'Europe aussi qui est certainement un challenge intéressant, car, il y a eu de la frustration l'année dernière avec cette élimination aux tirs aux buts (face à l'AS Rome).

On souhaitait les conserver parce que sinon, j'ai une équipe très très jeune avec un manque d'expérience. Les avantages de la jeunesse, c'est que c'est un peu insouciant et inconscient, mais dans la constance, c'est pas toujours ça. Ce que je souhaitais, c'était les conserver pour le côté transmission où moi j'y suis très attachée. Je pense que quand on rentre dans une équipe, il faut en connaître le passé, l'histoire, mais aussi les valeurs et il faut aussi avancer et aller de l'avant. 

On a ramené aussi quelques joueuses de niveau international qui sont des étrangères, donc voilà qui vont nous permettre, je l'espère, de passer des caps. L'objectif, c'est de faire aussi émerger quelques jeunes talents qu'on a, leur laisser un peu de place. Donc c'est un amalgame, un peu de tout ça, c'est penser avec le club, c'est construit. c'est fait pour que l'équipe perdure sur le long terme. 

C'est un savant mélange, mais c'est un équilibre fragile, on le sait donc on en a enlevé quelques unes. Mais c'est le job et c'est aussi ce qui est motivant et attrayant, c'est que c'est d'autres joueuses avec d'autres qualités, d'autres personnalités. Et l'objectif c'est de faire encore mieux que l'année passée où si ce n'est aussi bien.

 

"J'aurai peut-être choisi une autre formule

[pour les playsoffs]"

 

Journaliste - En championnat, c'est deux fois à la 3e place. Cette année il va y avoir le nouveau format avec les playoffs. Est-ce que ça peut changer quelque chose ?

Ça, je sais pas. Il y a un côté un peu coupe après le championnat. Le championnat est fait avec de la régularité. Quand on commence le championnat, on sait que ça va jouer comme ça. Pour l'avoir vécu en tant que joueuse, c'est pas toujours top mais c'est une forme de mini championnat. J'aurai peut-être choisi une autre formule, mais ce n'est pas moi qui décide. Je pense que le premier et le deuxième doivent être protégés parce que c'est pas si simple que ça de finir premier et deuxième et peut-être concerner un peu plus d'équipes pour, faire 3e contre 6e ou 4e contre 5e. Je pense que c'est ce qui permettrait d'avoir un petit peu plus [d'attractivité], de concerner plus d'équipes, ça mettra un peu plus de piment, mais c'est comme ça, c'est du 1 au 4, c'est la règle du jeu après ce que ça va changer je sais pas, il faut voir dans la durée (sourire). 

 

"On va jouer Arsenal si

on se qualifie"

 

Journaliste - Pour vous qui avez terminé deux fois 3e, remettre en jeu cette place qualificative pour la Champions League...

(sourire crispé) Oui c'est ça, ce n'est pas simple, mais bon ça fait partie du challenge, on peut finir 4 et finir premier [lors des playsoffs] (sourire). C'est excitant et c'est aussi ce qui va peut-être changer la donne. Ou alors peut-être que ça sera le premier et 2 en finale et ça ne changera pas.

Maintenant, pour nous l'objectif c'est d'essayer de faire aussi bien à la fin du championnat dans un premier temps et puis se requalifier [en Ligue des Championnes] même si on sait que ça va être compliqué. On l'a fait 2 fois déjà et l'année passée, on avait eu un peu de mal à redémarrer après la frustration [de l'élimination], mais finalement on s'aperçoit qu'on avait joué contre la Roma qui était une équipe qui est allée en quart de finale, et on avait perdu au penalty, on avait pas non plus [démérité]... 

Là on retourne contre une très grosse équipe, voire la plus grosse équipe, on va jouer Arsenal si on se qualifie. On va se concentrer sur le premier pour se donner la chance de pouvoir disputer une finale. On part un peu dans l'inconnu avec les Ukrainiennes (FC Kryvbas), même si on a déjà récupéré des images. Mais voilà, c'est un premier match, c'est toujours un peu compliqué l'année passée contre le Servette, c'était pareil. C'est à la fois excitant, mais on part un peu dans l'inconnu.


Journaliste - C'est un peu plus proche du championnat, plus facile peut-être [pour être bien préparé] ?

L'année passée, on avait quasiment commencé aussi tôt. Bon, c'est vrai que là, on avait déjà joué la Coupe d'Europe et après on a eu une semaine où on avait pu récupérer et là on va devoir enchaîner [avec le championnat] et quand on sait qu'on a récupéré des joueuses, il n'y a pas très longtemps, c'est un peu compliqué et complexe. 

C'est pas top quand on finit une compétition internationale comme la Coupe du Monde où on laisse beaucoup de jus, dans les émotions, dans la frustration. C'est du stress, beaucoup de stress, on récupère pas en une semaine psychologiquement. Même si on a fait des très bons résultats et qu'on a performé, il y a toujours une forme de down (chute). Il va falloir gérer ça et une joueuse qui était rentrée un peu frustrée, une 2e qui a plutôt performé. Les équilibres sont toujours difficile à trouver mais c'est comme ça, ça fait partie des choses qu'on doit gérer.

 

"C'est un challenge pour les coachs, en peu de

temps de [préparer leurs équipes]"

 

Coeurs de Foot - Aujourd'hui, on a l'impression que vous avez voulu tester plusieurs systèmes, des joueuses qui ne sont pas forcément à leur poste, et justement, vous avez des doublons à chaque poste quasiment. Vous cherchez la polyvalence quand même cette saison chez vos joueuses ?

Oui parce que j'ai envie de voir les associations, car par exemple, les moins de 19 ans sont rentrées du championnat d'Europe et elles ont très peu de temps [pour s'intégrer au groupe]. L'année passée, je les avais pas eu. Il y avait eu la Coupe du monde U-20, il y avait le championnat d'Europe. Toutes les années, c'est un challenge pour les coachs, en peu de temps de [préparer leurs équipes]. 

Parfois le début de saison, c'est pire que en sélection, on a très peu de temps pour travailler et il faut les amener à être performantes. En plus j'ai pas mal de changements, donc j'ai envie de voir des associations et c'est pas en une fois qu'on voit si elles sont complémentaires ou pas, si elles peuvent jouer à certains postes ou pas. L'objectif était aussi d'avoir aussi d'avoir pas deux équipes, mais d'avoir sur certains postes, deux joueuses avec des profils différents pour avoir des qualités et des possibilités différentes. C'est pas facile parce que j'ai pas 10000 matches donc il va falloir aller vite (rires nerveux).

 

Journaliste - Est-ce qu'avec cette Coupe du monde, on a pu voir qu'il y a vraiment un renouveau, enfin une évolution dans le foot féminin ? Comment avez-vous vécu cette compétition ?
À la fois, elle était loin la compétition parce que c'est difficile de percevoir un petit peu l'engouement qu'il y avait là-bas [en Australie et en Nouvelle-Zélande]. On a suivi tous les matches, évidemment. La formule fait qu'il y a plus d'équipes, ça permet aussi à des équipes qui s'étaient qualifiées la compétition précédente de se développer et elles vont très vite. Si je prends la Jamaïque, le Nigeria, même si c'est un pays qui est souvent et régulièrement enfin en phase finale. Il y avait Haïti, l'Afrique du Sud et la Colombie. Je regardais ça un peu de loin, mais je trouvais qu'on a davantage vu les qualités athlétiques des équipes que vraiment le jeu d'équipe. 

 

CDF - Sauf l'Espagne ? (sourire)

(sourire) Oui voila. Le jeu a été récompensé parce que l'Espagne a gagné, c'est l'équipe - avec le Japon - qui m'avait beaucoup plu dans la phase de groupes, où il y avait vraiment un jeu d'équipe, qui était plus mis en avant, que les qualités individuelles de vitesse notamment. Elles ont quand même une attaquante qui va très très vite en Espagne [Salma Paralluelo]. C'est un jeu où elles monopolisent le ballon, trouvent des décalages, font du jeu et finissent à l'opposé.

Alors je ne dis pas que les autres équipes n'ont pas fait ça. J'aurai du mal à ressortir - même s'il y a plusieurs très très bonnes joueuses - sur la première phase de poules, une du Japon ou de l'Espagne, même s'il y en a que je connais évidemment [en tant qu'ancienne coach des U17 de l'équipe de France]. 

Mais par contre j'ai apprécié leur volonté de jouer, même la Colombie aussi qui fait preuve d'une structure d'équipe ultra intéressante, qui reposait en partie sur la petite qui joue au Real Madrid (Linda Caicedo), mais aussi l'attaquante. Mais quand elles ont été bloquées et que l'adversité s'est élevée un peu, on les a évidemment moins vus. Elles ont quand même été assez loin, même si pour le Japon [sortie par la Suède], je pense qu'il lui a manqué de la densité athlétique face à des équipes, qui sont puissantes mais je trouvais qu'elles avaient progressé par rapport à la compétition d'avant dans ce registre et je pense que lors de la prochaine compétition, elles seront plutôt pas loin d'être dans le dernier carré.

 

"On travaille bien en France, mais il

manque un petit truc"

 

CDF - Les Espagnoles ont remporté leur premier titre, mais il a été un peu éclipsé par une autre affaire, ce baiser forcé du Président Rubiales à Hermoso. Quel est votre sentiment à ce sujet d'un œil extérieur ?

J'ai envie de parler que de foot. C'est dommage qu'on parle d'autre chose parce que c'est une nation (blanc). Pour avoir travaillé à la Fédération [française], toutes les nations elles bossent, mais j'aime la dynamique, j'aime la philosophie de la Fédération [espagnole] en matière de sélections, 16 ans, 17 ans, 19 ans, 20 ans, A, le modèle est identique, il y a une vraie philosophie, il y a une vraie cohérence. 

Moi j'ai, j'ai pas mal étudié L'Espagne, parce qu'avec les 17 ans, j'y ai été confrontée. En étant responsable des sélections, évidemment j'ai vu le travail. On travaille très bien en France, on est bons, mais ils ont quand même un temps d'avance sur le jeu de l'équipe. Ce qui fait notre force, c'est plutôt les qualités individuelles des joueuses. Eux ils ont un vrai jeu d'équipe dès les 16 ans et qui font grandir. 

Souvent, on est plus mature sur le plan athlétique dans les sélections, que cette nation-là et du coup on arrive à avoir 4, 5 ou 6 très bonnes joueuses. Par exemple, avec la génération 96 et la génération 97, on a fait plein de finales, on a fait des demi-finales de Coupe du monde, on a gagné les championnats d'Europe en 2016. Mais, c'est toujours un peu aléatoire en fonction de la qualité d'une génération alors qu'eux, sur une génération, ils arrivent à faire jouer leur équipe d'une certaine façon, elles s'entraînent tout le temps ensemble, font des camps d'entraînements et il y a une vraie philosophie et une vraie cohérence entre les staffs. Vous avez le numéro un, qui est adjoint sur la sélection du dessus. Il y a un principe de "on avance à travers les sélections" en fonction de celui qui est en haut, s'il s'en va ou s'il est remercié, c'est celui qui était en dessous qui monte. Il a une vraie cohérence et aussi une vraie synergie de travail. Chacun a ses caractéristiques, ses spécificités, mais je ne suis pas étonnée que, à un moment ou un autre, ça match chez les A et si on regarde bien, depuis 2014, je pense qu'elles ont été en demi finale des championnats d'Europe, en finale. Presque 3 fois sur 4 et à la Coupe du monde, elles sont toujours demi-finaliste ou finalistes. C'est comme quand vous lancez une bouteille à la mer, comme ils ont bien formé [leurs joueuses], à un moment donné ça va revenir sur la plage et vous allez bénéficier de tout le travail qui a été fait. Je pense que ce titre-là associe aussi évidemment au travail des clubs, fait qu'à un moment [il y a un titre au bout].
C'est un peu comme l'Angleterre. L'année passée, l'Angleterre avait fait exactement la même chose, même s'ils performent un peu moins chez les jeunes, parce qu'ils ont pas eu de titre, ils ont eu des générations depuis 96, à chaque fois qui s'empilent et qui font maintenant [l'effectif pour] les A. Associé à un travail de la Fédération [anglaise] fait que... Après on travaille bien en France, mais il manque un petit truc. 

 

CDF - Il faudrait plus de cohérence et de cohésion selon vous pour y parvenir avec les Bleues ?

Oui entre les clubs et la sélection, c'est une certitude, parce que 80% du temps, elles sont en club et 20% elles sont en sélection. Si on travaille bien en club, la sélection en bénéficie. Et si on passe des caps en sélection, quand elles reviennent, on est gagnant aussi donc faut juste trouver [le bon calcul]. Il faut encore continuer à travailler, ça les fait passer un peu devant [alors que] on était un peu en avance sur l'Espagne et l'Angleterre... 

Dounia MESLI & Karim Erradi