C’était un 30 septembre 2006, Marinette Pichon raccrochait ces crampons non sans émotion, après avoir tant donné et reçu du football. A presque un an du Mondial en France, nous l’avons rencontrée pour évoquer sa carrière, alors qu'elle a récemment publié son livre "Ne rien lâcher". Une maxime qui lui a permis de s’accrocher et de vivre sa vie pleinement. Dans cette première partie, nous évoquons ses débuts dans le football, son expérience américaine et sa vie actuelle hors des terrains, quoique...

 

Rencontre avec Marinette Pichon (2/3) : "Ce championnat de France mériterait à être développé"

Rencontre avec Marinette Pichon (3/3) : "Le potentiel il est là, il est existant et il doit être opérationnel."

 

Coeurs de Foot – Vous avez arrêté de jouer avec les garçons à 16 ans, parce que vous n'aviez plus trop le choix. Comment s'est passée l'adaptation avec les filles ?

Marinette Pichon – L'adaptation a été assez simple parce que je continuais à m'entraîner avec les garçons et je ne faisais que les matches avec les filles, donc forcément j'étais plutôt tranquille. Je continuais à m'aguerrir, sur tout ce qui était vitesse d'exécution, qualité technique, déplacements et je transposais tout ça le dimanche avec les féminines de Saint-Memmie [Olympique], donc ça se passait bien. L'adaptation a été très positive et très agréable en ce sens. 

 

CDF – Quand a eu lieu votre passage à 100% en équipe féminine ?

M.P – Lorsque j'ai déménagé en 1994. A partir de là, je vais jouer et m’entraîner avec le club à 100%, je vais devenir une vraie Mengeotte. Les rapports étaient différents, parce que je n'avais évolué jusque-là qu'avec des garçons, donc je vivais les choses plutôt positivement et j'étais super heureuse d'être parmi eux. Mais quand j'ai intégré Saint-Memmie c'était différent, je les connaissais déjà, sauf que je passais d'un statut où je venais que les dimanches [pour les matches], à être là aux entraînements. On a développé certaines affinités, [chacun] s'est fait des potes, on a créé un espèce de cocon qu'on ne pouvait pas créer quand je ne venais que le dimanche. Donc l'intégration s'est bien passée, le fait de bosser à Saint-Memmie aussi, cela a été quelque chose d’exceptionnel à vivre en terme de relations humaines.

 

CDF – Quelles ont été les difficultés rencontrées durant vos débuts dans le football ?

M.P – Les difficultés, c'était d'avoir quelqu'un pour m'emmener sur les matches, quand je m'entraînais encore avec les garçons. Ensuite, c'était de trouver un boulot, parce que je n'avais pas de diplôme, je ne l'ai été [diplômée] que très tardivement. Puis il fallait que je trouve un équilibre loin de ma famille, surtout loin de ma mère et de ma sœur. C'était pour moi, pas si évident que ça. Puis, le fait d'avoir un cocon et de développer des affinités avec des personnes, des supporters, m'a permis de me sentir bien, de me sentir une Mengeotte et puis de performer sur le terrain. Donc je n'ai pas vraiment rencontré de difficultés.

Après j'en ai rencontré quand je suis partie aux États-Unis, parce qu'il y a eu la barrière de la langue, mais c'est l'éloignement qui a été dur à gérer. Il m'a fallu deux mois pour m'adapter aux États-Unis. Chaque étape a eu son lot de difficultés parce que je suis passée de trois entraînements par semaine, à deux entraînements par jour, j'avais du mal à assimiler la charge [de travail].

Et quand je suis revenue [en France] il fallait que je repasse au statut amateur, cumuler le travail et se remettre à être performante le soir [avec Saint-Memmie]. Là, c'était aussi un moment [compliqué à gérer], où la présidente du club de Juvisy [Marinette Pichon va rejoindre Juvisy après son deuxième passage aux États-Unis en 2004, ndlr], Marie-Christine Terroni, va me dire: "Si ça ne va pas, tu retournes [aux États-Unis] je te laisse aller là où tu veux, parce que moi, ce que je veux c'est que tu ailles bien" et je trouvais ça très classe de sa part, parce qu'elle aurait très bien pu continuer à insister. Et finalement, [je reste avec Juvisy] on gagnera un titre [de championnes de France], on gagnera une Coupe de France, on participera à la Coupe d'Europe, on vivra pas mal de choses.

 

CDF – Aviez-vous une acolyte en particulier à Juvisy ? 

M.P – Oui, avec Toto, Laetitia Tonazzi. Ça a fait pencher la balance pour mon arrivée à Juvisy, parce qu'on se voyait déjà en équipe de France. Après, on avait des affinités avec d'autres personnes, mais elle a vraiment été la fille qui m'a fait venir à Juvisy.

 

CDF – Est-ce qu'il y a une anecdote de votre passage à Juvisy, qui vous a marqué ?

M.P – Aux entraînements surtout. On n'était pas très d'accord avec les coachs [sourire] parce qu'à chaque fois, ils voulaient nous faire évoluer à trois attaquantes, ou à une attaquante et nous on aimait bien jouer à deux devant. Donc, à chaque fois, on ramenait notre fraise [sourire]. A chaque fois on se prenait des tirs et on était solidaires l'une et l'autre. Des fois, ça animait l'entraînement, mais on donnait notre avis: "Nous on préfère jouer là, on peut utiliser à la fois le pied droit et le gauche" et ils nous rappelaient que ça ne fonctionnait pas comme ça. Du coup, ça gueulait un peu.

 

CDF – Vous en avez parlé brièvement, mais comment s'est passée votre expérience aux États-Unis ?

M.P –  Au début, cela se passe sans moi. C'est mon coach, Mark Krikorian [aux Philadephia Chargers], qui va superviser mes prestations avec l'équipe de France lors du championnat d'Europe [2001] en Allemagne et il va appeler Babeth Loisel [sélectionneuse des Bleues de l'époque, ndlr], en lui disant: "J'ai un profil d'attaquante que je veux recruter et j'ai deux joueuses, ta joueuse et Patrizia Panico, internationale italienne. J'aimerais savoir comment est Marinette dans la vie de tous les jours, aux entraînements, son état d'esprit, si elle matche [correspond], si c'est pas quelqu'un qui est néfaste à la vie de groupe, si c'est quelqu'un de positif, qui travaille, si c'est pas un cas difficile à gérer en somme."

Bon j'imagine que le retour de Babeth a été concluant, puisque j'ai rejoint le club. Derrière, je vais avoir le premier échange avec Elisabeth Bougeard-Tournon, qui va "préparer" mon départ, étudier toutes les clauses du contrat en anglais, et les transposer [en français] afin de s'assurer qu'on allait pas faire de conneries [sur mon transfert]. Donc, ça va s’enchaîner et là je commençais à avoir un peu peur. Je ne connaissais pas les États-Unis, je ne parlais pas l'anglais, c'est à 6000km de la France, 6 heures de vol dans un sens, 8 heures dans l'autre, c'est loin. C'était dur et le monde professionnel faisait peur.

Par curiosité je suis allée sur le site de la WUSA (Women's United Soccer Association) et je me suis dit: "Mais attends, c'est eux qui m'appellent ! ". Je trouvais ça à la fois effrayant et extrêmement valorisant. J'ai attendu, attendu, puis finalement, après plusieurs mois de réflexions, je vais décider de partir. Je suis partie [rejoindre le club de Philadelphie]. J'avais 25 ans à ce moment-là. Ce n'était pas évident parce que même si c'est une belle aventure, ce n'est pas évident de laisser tout le monde, de quitter un boulot où j'étais bien...

 

CDF – Est-ce que vous en gardez un bon souvenir de votre passage aux États-Unis ?

M.P –  J'en garde un magnifique souvenir, à la fois sur le plan professionnel, sur le plan humain et aussi sur le plan culturel. On m'a vraiment accompagné au sein du club pour m'intégrer et m'adapter très vite, avec la langue déjà. J'étais avec deux internationales chinoises et on ne comprenait rien au début lors des cours de langue. On se tapait des barres à cause de ça. Mais à la fin l'anglais était parfaitement maîtrisé. Et quand on est implantée dans la culture locale, quand on vit, quand on parle au quotidien, quand on est obligée de s'exprimer, tout vient naturellement et c'est vrai que ça me manque, parce que j'ai une petite affection pour les langues étrangères.

 

CDF – L'expérience d'Amandine Henry plus récemment, est-elle ressemblante à la vôtre ?

M.P – Oui, après c'est peut être un peu différent [par rapport à Amandine Henry] parce que moi j'y suis restée plusieurs années, et je pense être celle qui y est restée le plus longtemps à chaque fois. Et j'étais pro, elle n'était pas dans un championnat professionnel, la ligue n'est pas professionnelle, ce sont les clubs, des conférences... Bon après elle a été titrée [avec Portland], c'est chouette. De mon côté je n'ai pas été titrée mais j'ai été élue à titre individuel [meilleure joueuse (MVP) et meilleure attaquante lors de la saison 2002, ndlr]. Le parcours de toutes les joueuses françaises qui sont allées aux États-Unis sont différents et admirables.

 

CDF – Par la suite, comment avez-vous débuté en tant que consultante TV ?

M.P – J'ai rejoint France TV en 2011, suite à un coup de fil de Claude Eymard, qui m'a expliqué qu'ils allaient lancer un dispositif pour couvrir le championnat de France de D1 et qu'ils recherchaient une voix, quelqu'un qui connaît le football, qui a envie de se lancer dans l'exercice et j'étais un peu dubitative, je ne savais pas trop quoi leur dire au moment précis. Mais on s'est rencontrés pour échanger sur cette proposition.

On s'est vus avec François Brabant et Claude Eymard donc, et ce rendez-vous leur a permis de me "tester", pour savoir comment je m'exprimais, comment je parlais, si j'avais de l'aisance, si j'avais une facilité, des connaissances et on a entériné la collaboration comme ça. Le premier match a été compliqué, difficile, parce qu'on sait pas à quel moment on doit parler, à quel moment tu dois discuter [avec ton co-présentateur], à quel moment tu dois apporter ton expertise... Chaque consultant ou consultante a sa méthode propre et commente différemment ou voit le football différemment. Moi je m'épanouis beaucoup [à ce poste de consultante]. Là, on arrive en pleine re-négociation puisque les droits ont été cédés à Canal+, M6, Eurosport, donc on va voir.

 

CDF – Est-ce que vous vous voyez faire autre chose que consultante TV aujourd'hui ?

M.P – J'ai passé un diplôme de manager, pour intégrer un club prochainement, avec un projet qui m’intéressera. Il faut que le projet m’intéresse, je ne sais pas si ça sera en France, l'étranger me tenterait plus en fait. Il y a aussi ma Football Académie que je souhaite développer avec une vraie implication sociétale. Mais aujourd'hui j'ai obtenu un diplôme pour avoir quelque chose et si un jour je veux me mettre sur le marché, je le ferai.

Mais j'aimerais continuer à commenter parce que je reste au contact [du terrain], je vis le truc et puis sur le championnat d'Europe de l'été dernier [aux Pays-Bas, ndlr] il y'a des matches où j'avais mal aux jambes, comme face à la Suisse [dernier match de poule de la France, qui a permis la qualification en quart, ndlr]. J'ai cru que je ne pourrais plus marcher ! Parce que je vivais tellement d'émotions qu'on avait fait de l'acide lactique [dans les muscles], je crois.

Je ne veux pas coacher moi, je veux manager, je veux faire les deux : de l'administratif et du technique. Je veux coordonner une équipe technique, je veux être force de proposition sur l’administratif, monter un projet, définir un projet, être à +2/3/4 ans etc et atteindre cet objectif, mais je n'ai pas envie d'entraîner, j'ai un sale caractère (sourire). Je suis exigeante, je pense que ça clasherait [avec les joueuses].

Dounia MESLI