Le cœur a ses raisons, que la raison ignore. Cet adage sied à la mésaventure que connaît depuis plus d'un an maintenant Ada Hegerberg avec la sélection nationale de la Norvège. Sélection qu'elle a quitté à contrecœur, mais pour le "bien" de son équipe et des générations futures. Le cador norvégien a fait passer la sélection, les sélections féminines avant elle, pour tenter d'insuffler un nouveau souffle au sein du Football Féminin de sa nation, par son absence. Tel un électrochoc. Une situation qui lui cause aujourd'hui des torts, notamment concernant le prix UEFA qu'elle aurait dû recevoir cette saison 2017/2018, après son record renversant en Ligue des Championnes, entre autres, et ses 15 buts inscrits. Mais face à la mauvaise gestion et le manque de considération de la Fédération norvégienne à l'égard de ses sections féminines, le prix est cher à payer pour l'attaquante phare de l'Olympique Lyonnais. Portrait d'Ada Hegerberg, la jeune prodige de 23 ans, qui a tout d'une grande depuis quelques années déjà maintenant. 

 
 

Coeurs de Foot - Félicitations déjà pour ton futur mariage. 

Ada Hegerberg - (sourire) Oui merci.

 

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CDF - C'est une bonne nouvelle j'imagine avec tout ce qu'il y a autour ces temps-ci, le football, tout ça ? 

A. H. - Oui bien sûr. Ça a toujours été un bonheur. Ça fait 3 ans qu'on est ensemble et c'est la personne la plus importante dans ma vie, donc j'étais très heureuse [lorsqu’il a fait sa demande]. 
 

CDF - Une fois tu as dit que : "L'envie de gagner doit être plus forte que la peur de perdre"... 

A. H. - Oui (sourire) c'est une belle phrase. Sincèrement je trouve que ça décrit la mentalité d'une équipe, qui a déjà vécu le sentiment d'avoir gagné, et qui a toujours envie de faire encore plus. Donc pour moi cette phrase elle est importante. 

 

CDF - Beaucoup de personnes pointent du doigt que vous gagnez le championnat - chaque saison depuis quelques années - dès la première journée avec l'OL. Quel est ton sentiment à ce sujet ? 

A. H. - (Rires) Je ne sais pas quoi dire. Waouh ! (Sourire) Elles sont où les médailles ? Oui, qu'est-ce qu'il faut dire par rapport à cela ?

Je pense que nous déjà on sait bien les conséquences d'avoir des ambitions. On ne dit pas n'importe quoi, on ne dit pas qu'on va tout gagner, ça va être ainsi. On sait que chaque année c'est dur, on sait que chaque année on se remet en question pour le refaire et ça c'est l'une des raisons qui explique les succès année après année, mais ce n'est pas tout à fait facile [à faire]. Donc là on est qu'au début [de la saison] et à chaque match son challenge... On n'a pas encore gagné (sourire). 

 

CDF - Avoir marqué autant de buts que les neuf autres clubs qui ont joué ce week-end là (Metz-Bordeaux ayant été reporté) c'est quand même énorme ? 

A. H. - Oui ça montre qu'il y a un écart [entre nous et les autres clubs] et nous on est concentrés sur ce qu'on a envie de faire. Donc je pense que pour les autres, ça doit être une motivation aussi de faire encore plus. De mon côté je garde toujours le meilleur pour voir ce que je peux apprendre, comment me motiver pour faire encore plus, et en tant qu'équipe on a envie de rester la meilleure équipe, donc pourquoi pas en mettre 8 [buts] quand on en a la possibilité, c'est comme ça en fait. 
 

CDF - Certains disent aussi qu'il y a plus de facilité de marquer avec Lyon en D1, qu'en Allemagne face aux autres clubs ou encore en Angleterre etc... Qu'est-ce que tu en penses de cela aussi ? 

A. H. - Je n'ai jamais entendu cette remarque... Mais ce n’est pas vrai car d’autres s’y sont essayées et n’ont pas réussi [de marquer autant de buts]. Il faut trouver sa place dans une équipe aussi, qui gagne la Ligue des Champions, qui chaque année arrive à marquer, pour arriver à être la meilleure buteuse [de la saison]. Donc je ne me pose jamais cette question [s'il est facile de marquer avec Lyon ou pas]. 
 

CDF - C'est difficile quand même à avaler cette remarque, parce que tu travailles dur tous les jours pour avoir "cette facilité" soi-disant de réussir à marquer autant de buts du moins ? 

A. H. - Ça ne me préoccupe pas trop en fait, je reste concentrée sur mes objectifs et si je peux mettre autant de buts chaque année, je le ferai. Mais le vrai fait, c'est que les gens pensent que c'est normal de mettre 50 buts en une saison, mais ce n'est pas normal en fait.

Moi j'essaye toujours de voir combien d'occasions je vais avoir et combien je vais mettre. Ça c'est un objectif pour moi de toujours voir l'efficacité, par rapport aux opportunités [que j'ai]. Je me concentre toujours sur ces domaines-. 

 

CDF - Pour retourner un petit peu en arrière, j'aimerais évoquer avec toi tes premiers jours à Lyon, tes premières semaines. Comment s'est passée ton intégration ? 

A. H. - Fantastique ! C'était un groupe spécial, particulier. Dès la première journée j’étais comme intégrée au groupe. Tout le monde était ouvert, tout le monde était agréable, avec beaucoup de professionnalisme. Je me suis sentie à la maison tout de suite.  

Je pense que tout le monde sait l'importance de bien intégrer une joueuse, pour construire une belle équipe en fait. Donc l'importance d'avoir des joueuses qui s'intègrent vite, ça apporte aussi encore plus à l'équipe. C'est un peu win-win [gagnant-gagnant], pour tout le monde. Pour moi ça a été important pour les nouvelles qui viennent aussi [d'arriver], de vraiment montrer que c'est un bon groupe, on vit bien ensemble et c'est important pour gagner aussi [de les intégrer aussi bien que possible]. 

 

"C'est quelque chose qui me motive

d'être un leader et de pousser l'équipe"

 

CDF - Quatre saisons après avoir rejoint Lyon, est-ce que tu te considères comme une leader ? Parce que Reynald Pedros a dit que tu étais une cadre de l'équipe, mais est-ce que tu es une leader ? 

A. H. - Pour être honnête je me suis toujours considérée comme un leader. Ça a toujours été naturel pour moi. Même lorsque j'avais 17 ans, 16 ans ou 23 ans aujourd’hui. Je veux toujours aller sur le terrain et tout donner et montrer qu'à n'importe quel âge tu as un rôle, tu as une responsabilité dans une équipe, et il faut vraiment la porter avec ta personnalité, sans forcer [ta nature].  

Il ne faut pas faire quelque chose qui n'est pas normal pour toi, ou qui n'est pas naturel, mais vraiment donner tes qualités [au groupe]. Et maintenant bien sûr je suis plus expérimentée, cela m'aide encore plus de vraiment profiter [sur le terrain] et de développer ce domaine- [le leadership]. C'est quelque chose qui me pousse vers la réussite, qui me motive d'être un leader, de pousser le groupe et de grandir dans cet aspect- 

 

CDF - C'est l'ambition du club qui continue à te pousser et à te donner l'adrénaline ? Parce qu'on a l'impression que tu as fait le tour de ton côté, tu as tout gagné sauf le prix de meilleure joueuse du monde que tu méritais pourtant (en 2016 après avoir été élue meilleure joueuse d’Europe à juste titre). Où est-ce que tu te jauges, comment tu te sens-là ? 

A. H. - Bien, bien. Je me sens très bien.  

Déjà le fait de commencer le championnat ça a été un vrai plaisir, d'avoir le temps parfois d'analyser [les faits qui se sont produits], de bien réfléchir par rapport à l'année passée, c'est important, surtout pour moi. On avait plusieurs semaines pour vraiment se calmer, comprendre ce qui s'est passé et je me remets toujours en question, avec ma famille, avec "mon entourage" entre guillemets, mes proches, pour vraiment voir comment ça s'est déroulé, qu'est-ce qu'on a vraiment bien fait, qu'est-ce qu'on a vécu ?  

Ensuite, on se dit qu'il faut faire telles ou telles choses pour vraiment monter [en gamme] encore l'année suivante et ce n'est pas révolutionnaire, ce sont des choses simples en fait. Mes ambitions ce n'est pas que de mettre des buts, mais c'est aussi petit à petit développer chaque année, année après année [mon jeu, mon état d'esprit]. Et ça a été un succès pour moi, je trouve, pendant ces quatre ans [à Lyon], et je sais que je dois continuer dans cette façon de faire les choses 

 

CDF - Est-ce que quand tu sors d'un match sans marquer, tu es en colère contre toi-même malgré la victoire ? 

A. H. - Heu oui (elle acquiesce de la tête) si j'avais eu des occasions, j'aurais dit oui. Si je n'avais pas eu d'occasions, c'est différent. 

Là il faut encore parler d'efficacité. J'aurais été énervée si j'avais loupé quelque chose, si je n'avais pas fait de mon mieux pour marquer. Mais les matches sont différents les uns par rapport aux autreset il y a des situations différentes dans le match en fait. Il y a des fois où je me suis dit : "Waouh, c'était un match énorme, personnellement", et où je n'avais même pas marqué, où j'étais tellement contente [de ma prestation], mais où les gens voient le fait que je n'ai pas marqué dans ce match et se demande ce qui se passe. (Ada a été coupée dans son élan avec une blessure assez ennuyeuse cette saison, qui l'a écartée des terrains 6 semaines. Elle était revenue juste à temps pour le choc contre Barcelone, qui était son match de reprise. A son retour, peu de personnes se sont demandées si elle était de retour à 100%, tout le monde attendait le même niveau de performance dès le premier match. Pas simple. 50 buts sans jouer 6 semaines. Au rythme de 2 buts par match, on imagine le résultat final.)

Mais ça, ça ne me concerne pas franchement. Je sais quand je dois me corriger et quand je suis dans le bon chemin, donc je me concentre toujours sur moi-même [pas sur le négatif autour].  

 

CDF - Tu sais te remettre en question donc et on a l'impression justement qu'il y a une recherche de perfection et qu'elle n'est jamais satisfaite, jamais rassasiée ? 

A. H. - Oui je suis contente aussi de temps en temps (rires). Mais je pense que ma façon de travailler c'est un peu, par rapport à ce que vous dîtes là, de toujours me surpasser. Je me demande tout le temps : "Qu'est-ce qu'il faut un peu mieux faire pour vraiment m'améliorer un peu mieux, chaque jour, chaque semaine" et ça je le travaille toujours.

Parfois je souffle, je prends du recul quand même. Si ce n'était pas ma meilleure journée, ça va, je relativise, la vie est belle (sourire). Mais ça m'aide aussi de vraiment assimiler le niveau que je veux chercher [à atteindre], donc ça me motive de toujours vouloir le meilleur.  
 

CDF - Mais qu'est-ce que tu dois encore améliorer, parce qu'on a l'impression que tu as tout ? 

A. H. - Heu pas tout (sourire) tout tout (elle répète). C'est comme je le disais avant aussi, ce sont les petits détails tous les jours, année après année à corriger, à rectifier. Je ne me dis pas : "cette année je vais marquer 50 buts et puis c'est bon". Je me dis toujours : "Ok, il y a des détails à travailler et si j'arrive à faire ça, ça, ça à l'entraînement, si je sais que la préparation était bonne, je sais que ça va venir". Et c'est cela qui me motive, de toujours voir plus loin et cette recherche perpétuelle de perfectionnement. J’analyse aussi : "Là je sais que je me suis améliorée par rapport à l'année dernière, donc je suis satisfaite". Il y a plein de motivation à obtenir dans ces domaines-là. 

 

(Blanc des deux côtés, je suis un peu déconcertée, et elle le remarque. Rires) 

 

"Il y a des moments où c'est dur."

 

CDF - (Sourire) On a du mal à voir tes points faibles pourtant... 

A. H. - Oui (sourire) mais si. Je trouve qu'il y a des challenges aussi [à relever], mais on ne peut pas être à 100% tous les jours, il y a des journées difficiles, il y a des matches difficiles, et c'est cela qui me poussent aussi. Il y a des moments où c'est dur.

Mais j'essaye toujours [de prendre du recul] dans ces instants-là, il y a un entourage autour de moi qui m'aide, qui m'encourage, qui me pousse quand j'en ai besoin. Ils me connaissent et je me connais très bien aussi, donc je sais comment réfléchir pour vraiment avoir un esprit offensif, parce que ça c'est important pour moi aussi, de penser "positif", de toujours aller à l'attaque encore et encore. 

 

"On dit toujours que "je n'avais pas le choix (rires),

c'était le football"

 

CDF - Comment ça t'est venue ta passion du football ? 

A. H. - Alors c'est marrant parce qu'au début j'étais la plus jeune au sein de ma famille, mon frère a joué, ma sœur [Andrine] joue évidemment [au PSG] et mes deux parents (Gerd et Stein Erik) également. Donc on dit toujours que "je n'avais pas le choix (rires), c'était le football".  

Petit à petit ça m’intéressait de plus en plus et de plus en plus j'ai découvert le sentiment [de joie] quand je marquais, j'avais toujours ce sentiment [de plaisir] pour le but, d'avoir faim de marquer des buts. Ce besoin était là depuis toute jeune, donc je me suis dit à ce moment-là : "Bon ça me plait vraiment de jouer, de marquer". Donc c'est devenu au fil du temps, la chose la plus importante dans ma vie [le Football] et pour la famille aussi. Ma famille ça a été le foot toute la vie et on vit ensemble pour ça.  

CDF - C'est une vocation en fait ? 

A. H. - Oui c'est sûr ! 

 

CDF - Tu te vois être coach à la fin de ta carrière ? 

A. H. - En ce moment, aucune idée. Des fois je me dis absolument pas (rires) et des fois ça m’intéresse un peu, donc on verra (rires). Ça dépend des journées. 

 

CDF - Tu es ambassadrice UEFA, j'ai vu plusieurs vidéos avec des anciens grands joueurs, des associations aussi pour “Equal Game”Je sais que c’est quelque chose qui te tient particulièrement à cœur. Est-ce que le fait de parler français et anglais et allemand aussi, ça t’a aidé pour avoir ce rôle à l'UEFA ? 

A. H. - Aucune idée, il faut leur demander (sourire). J'espère que ce sont mes performances surtout (rires).

Mais ça montre aussi [par cette initiative] que le foot peut apporter plein de bonheur. J'ai eu la chance [dans mon parcours] d'apprendre l'allemand, d'apprendre le français et ce sont des cultures complètement différentes, mais waouh ça a été des années riches et j'en ai trop profité, j'apprécie ces expériences que j'ai eu la chance de vivre. 

CDF - Tu évoques les bons moments on va dire jusque-là, mais est-ce que tu as un pire souvenir dans ta carrière ? Peut-être quand tu étais jeune ou plus récemment ? 

A. H. - (Elle réfléchit brièvement) J'ai toujours essayé de penser, "certes il y a des moments difficiles", mais en même temps j'ai eu tellement la chance dans la vie d'avoir les expériences que j'ai eues [dans ma carrière]. Je pense qu'il faut avoir des moments durs, pour vraiment apprécier les moments fantastiques encore.  

Donc quand on me pose des questions comme celle-là, je n'arrive pas à sortir un seul fait, parce qu'il y a plein de challenges dans la vie et il faut les vivre, il faut les accepter, il faut grandir avec les challenges, parce que moi j'ai grandi avec mes challenges ça c'est sûr (rires). Ça m'a vraiment aidé pour savoir qui je suis, je suis jeune et ça m'apporte aussi des certitudes pour l'avenir, j'en suis sûre. 
 

CDF - J'ai vu que ton modèle chez les hommes, c'était Thierry Henry quand il jouait au Barça, et Cristiano Ronaldo plus récemment. Il vient de quitter le Real Madrid pour la Juventus de Turin. Au-delà des problèmes internes du Real, c'est un nouveau challenge pour le Portugais, celui de remporter la Champions League avec un autre club. Est-ce quà un moment donné tu vas aussi tenter le même challenge avec un autre club ? 

A. H. - Je pense que ça montre avant tout que c'est un joueur très intelligent, je pense qu'il sentait qu'il avait besoin de renouveau. Lui il pouvait facilement partir, je ne sais pas, en Chine, aux Etats-Unis, mais ça montre que c'est un joueur qui a des ambitions hors normespuisqu'il a pris cette décision [de rester en Europe, avec un grand club]. Mais moi je ne suis pas dans la même situation.  

Moi je suis toujours dans le meilleur club du monde, donc pourquoi changer ? Pas à l'instant présent, en tout cas. C'est mon club, je me suis beaucoup développée ici, je me sens appréciée, j'apprécie le club et je sais que c'est ici, que je peux devenir la meilleure version de moi-même, donc ce n'est pas le moment de partir de Lyon, c'est sûr.  

 

"C'est important d'avoir de l'exigence

dans un groupe aussi"

 

CDF - Comment tu fais justement pour te mettre autant d'exigence envers toi-même ? 

A. H. - C'est dans ma nature un peu. Je pense que j'ai des ambitions [assumées], donc il faut aussi savoir les conséquences d'avoir des ambitions, parce que c'est facile de dire : "Je vais devenir la meilleure etc". Moi je ne dis pas ça, je n'ai pas besoin de dire que je vais gagner le ballon d'or, mes objectifs sont dans ma tête et j'ai envie de dire que j'ai envie de tout gagner avec mon club, parce que je sais que si on gagne tout, moi j'aurais été bonne aussi [dans mon rôle]. C'est un équilibre.  

Pour réussir il faut avoir de l'exigence, et c'est important d'avoir de l'exigence dans un groupe aussi, parce que ça me motive et voir l'exigence que le club a, ça m'aide déjà dans mon exigence personnelle, donc exigence, exigence (sourire) partout. Mais il faut en avoir pour réussir aussi. 

 

CDF - Tes parents (Gerd et Stein Erik) te poussent aussi dans ce sens ? 

A. H. - Oui, mais je pense que des fois les gens pensent que ça été tellement dur, mais en fait ça a été un équilibre entre l'humour, la bonne ambiance, et l’exigence. Parce que si tu ne prends pas de plaisir dans ce que tu fais tous les jours, quand tu travailles tellement dur tous les jours, si tu n'as pas de plaisir à le faire, ça ne sert à rien en fait et je ne sais pas combien de fois on a rigolé de nous-mêmes, avec la famille, ici [à Lyon]. Il y a tellement une bonne ambiance, tout le monde rigole, mais des fois on s’engueule, ce n'est pas une ambiance relâchée. Mais en même temps on est tellement proches et c'est ça qui nous fait grandir encore une fois. Quand je parle de l'exigence et du travail à fournir, c'est pour prendre plaisir avant tout, ensemble sur le terrain et avoir une bonne ambiance [dans le groupe]. 
 

CDF - Mardi (28 août) j'étais à la maison des Bleues, à Clairefontaine et j'ai interviewé une de tes anciennes coéquipières, Kenza Dali qui a fait son retour en équipe de France A après deux ans d'absence et elle m'a subitement parlé de toi... (après avoir évoqué les “exigeantes” Shirley Cruz et Camille Abily) 

A. H. - (Elle me coupe et s'esclaffe) Je suis vraiment contente pour elle, parce qu'elle a retrouvé l'équipe de France [A] et je sais l'importance de cela pour elle. Elle n'a pas eu un parcours facile, et je lui souhaite le meilleur, parce que c'est une bonne fille. 
 

CDF - Et elle m'a dit un truc un peu dur sur toi, elle m'a dit que tu étais "un vrai monstre sur le terrain". Comment tu le prends de ton côté cette description qu'elle fait de toi ? 

A. H. - (rires) Voilà ! (sourire) Ça se voit ! Non mais je ne sais pas ce qu'est sa description d'un "monstre". Mais il n'y a pas de cadeau en fait quand tu es sur le terrain, l'adversaire ne va pas te rendre la tâche facile...  

 

CDF - (Je la coupe) Je rigolais , c'est positif en fait... (sourire) 

A. H. - C'est positif (elle s'esclaffe à nouveau) non je ne sais pas (sourire). Il n'y a pas de cadeaux, moi je demande beaucoup à mes coéquipières, mais surtout de moi-même. Je ne me mets jamais devant l'équipe, je n'ai pas besoin de dire ça d'ailleurs. L'exigence doit venir de toi-même déjà et ensuite tu dois demander beaucoup à tes coéquipières. Je pense qu'il y a cet équilibre- [à trouver] et moi j'ai besoin d'être exigeante, pour vraiment trouver mon meilleur niveau.  

 

CDF - Pour évoquer le Football Féminin en Norvège, j'ai discuté avec des connaissances, j'ai lu et vu certains reportages pas seulement sur le foot féminin mais sur l'état d'esprit aussi des hommes en Norvège (pas de "machisme"). Mais j’aimerais avoir ton avis à ce sujet. Comment sont les Norvégiens selon toi à l'égard des femmes et à l'égard du foot féminin ? 

A. H. - (Blanc) Pour en parler je dois commencer d'abord par évoquer la culture, parce qu'on est tellement...on apprécie l'égalité, les femmes avant [les hommes], vraiment [la volonté] d’avoir une égalité entre les hommes et les femmes, et de ce fait je suis tellement contente d'être née en Norvège, c'est vraiment un beau pays.  

Mais par rapport au foot c'est complètement différent, antagoniste. Avec le foot on n'a pas réussi à trouver cette égalité, c'est ce qu'il faut dire. Les jeunes filles n'ont pas les mêmes opportunités que les jeunes garçons et ça m'a fait mal. (Blanc) Parce que je connais l'importance de ça [avec Lyon par exemple] et je ne comprends pas pourquoi il y a une différence entre les filles et les garçons ? Ce n'est pas une question qui se pose pour moi. Sur ce point il y a un chemin à faire et il n'est toujours pas fait, ça c'est sûr. 

 

CDF - Pourtant en octobre 2017 il y a eu une avancée “conséquente” sur l'égalité salariale entre les joueurs et les joueuses ? Non ?  

A. H. - Si ! Oui, déjà c'est une bonne avancée, un bon début pour l'avenir, mais je me pose la question du pourquoi. Pourquoi ça surprend les gens en fait [qu'il y ait l'obligation de l'égalité salariale au sein d’une Fédération] ? On est en 2018, les écarts étaient tellement grands [entre les joueuses et les joueurs]. Pourquoi ça ne s'est pas fait avant ? (Ada Hegerberg ne joue plus pour la sélection depuis le 30 août 2017, tout juste après le gros raté à l'Euro aux Pays-Bas).  

Moi je me pose toujours ce genre de questions. Il y a beaucoup de choses [positives] derrière aussi, pour les jeunes aussi, c'est vraiment une chose positive, mais il y a encore beaucoup de choses à faire. Il faut avoir de l'égard envers le football féminin aussi [pas que vis à vis du football masculin], au moins d'avoir le respect [des institutions] pour le football féminin. On sait tous qu'il y a des différences d'économies, par rapport à la presse aussi. On ne parle pas de cela, on parle du respect à l'égard du travail que font les filles...et les garçons [qui sont dans ce milieu, dans les sélections]. Donc le respect avant tout. 

CDF - Ton départ a déclenché un peu cela on a l'impression. Est-ce que c'était ce que tu voulais en même temps, que justement la Fédération considère mieux tes coéquipières et toi aussi du coup ? 

A. H. - Oui j'espère que ma décision elle sert au moins à quelque chose. (Blanc) Mais après ouais...la situation reste la même donc, il n'y a pas tellement [de satisfaction] pour moi aujourd'hui. 
 

CDF - Justement tu as dit au Guardian que : "La Norvège a stoppé le développement de son football féminin et les autres pays sont entrain de nous rattraper". Alors que la Norvège, il y'en a peut-être peu qui le savent, mais a tout gagné (Coupe du Monde, Jeux Olympique et deux Euro)... 

A. H. - Oui ! Dans l'histoire. Et c'est ça qui est dommage parce que l'histoire reste l'histoire. Nous aussi [ici au club] on a tout gagné, mais on a envie de continuer à gagner, donc... Ça fait longtemps hein, 2000, avec les JO [Jeux Olympiques de Sydney].

C'est comme ça, il faut toujours poursuivre le développement et ça se voit sur le résultat surtout et là on n'a pas été assez bon [depuis] et c'est ça qui est dommage. Ça ne vient pas que par rapport au résultat sur le moment, mais ça vient aussi à l'égard de la future génération, les filles qui vont prendre nos places dans la sélection [par la suite]. Il faut qu'on les aide à avoir de meilleures conditions, que celles d'aujourd'hui. 
 

CDF - Ta dernière sélection remonte à l'Euro 2017, je t'avais interviewé et je ne te sentais pas très bien, on avait le sentiment que tu étais vraiment amère. A ce moment-là on pouvait se dire que c’était par rapport à la défaite 1-0 contre les Pays-Bas, mais c'était aussi peut-être cette situation qui te pesait en fait ? 

A. H. - Oui (elle souffle) moi je n'ai pas très envie de parler de ça maintenant. J'ai pris ma décision... 

 

CDF - Pour revenir sur toi, avec tout ce qui se passe maintenant autour de toi, ta signature du nouveau contrat avec l'OL, d'être la joueuse la mieux payée au monde... Comment tu fais pour gérer tout ça ? Est-ce que toute cette attention autour de toi, ce n'est pas difficile à manier parfois ?  

A. H. - Oh c'est tellement tranquille en ce moment, je suis contente que vous soyez venue, sinon je n'aurais rien fait aujourd'hui (rires). Je vais bosser là une deuxième séance, donc la vie est belle.

J'ai le temps pour bosser comme il faut, quand il y a les trêves [internationales] et je profite [de cette accalmie]. C'est vraiment bien, il faut profiter quoi. Je joue dans la meilleure équipe, je suis à la maison, tout est agréable, on commence une nouvelle saison, donc il ne faut pas se mettre dans le stress en fait. C'est comme d'habitude, moi j'ai les yeux [rivés] vers l'avenir et j'essaye de faire tout ce qu'il faut, de la bonne manière au moment présent, donc la vie elle n'est pas mal.  ​

 

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CDF - Justement le Football européen grandit de plus en plus et de plus en plus vite. Si on évoque la Ligue des Championnes, vous allez avoir de sacrés concurrents et des équipes qui vont vous attendre au tournant, elles veulent toutes prendre leur revanche face à vous là ? 

A. H. - (Elle s'esclaffe de rires) Oui ils nous attendent depuis trois ans je pense (rires).  

Non mais sérieusement, chaque année c'est compliqué, je ne sais pas si les gens pensent que c'est facile [de gagner la Ligue des Championnes], mais chaque année, waouh c'est compliqué, et c'est ça aussi qui est beau, c'est un challenge à relever.

C'est ça que je voulais dire tout à l'heure, on ne défend pas le titre, on réattaque la course aux titres, il faut se dire ça. Nous on est là [chaque année] pour regagner, pas pour défendre nos titres en fait et on sait que "un jour" ça va venir, "un jour" ça va être dur si on perd un match, si on perd [un titre], mais si ce jour vient, il faut garder notre caractère, il faut se remettre en question, se demander comment on va surmonter [cet obstacle ou cet échec] et c'est ça en fait [notre philosophie]. Mais d'avoir peur ou d'être stressée [d'échouer] ce sont des choses qui ne me motivent pas et qui ne motivent pas ce groupe, donc nous on reste dans la bonne humeur et dans un esprit offensif pour, on espère, tout gagner encore cette année. 
 

CDF - Dernière question, ça concerne justement le football, c'est un peu toute ta vie, tu l'as dit dans une interview, tu n'as pas vraiment autres choses à côté, enfin, tu lis, tu te cultives d'après tes propres mots... 

A. H. - (Elle rigole) Ouaaiiiis (Rires) 

 

CDF - (Sourire) Mais qu'est-ce qu'il t'a apporté on va dire ce football dans ta vie ? 

A. H. - Huummm... Les gens. Des relations fantastiques, des ami(e)s pour la vie, les langues [étrangères]. J'ai vécu des épreuves qui ont été difficiles, mais en même temps qui m'ont apportées plein de choses, dont l'expérience.

Donc je n'ai pas de regrets en fait, ça a été une aventure et ça reste une aventure pour ma carrière. J'ai beaucoup échangé avec des filles qui ont pris leur retraite récemment, et qui m'ont dit : "Profite parce que ça passe vite". Mais je me suis dit : "pffff non ça ne passe pas trop vite", mais là je me dis "Ça va vite [en vrai] quand même", donc j'essaye de profiter un maximum et de tout donner tous les jours et je pense que ça va me faire grandir encore. 

 

Photo : Ryszard Dreger - Interview réalisée jeudi 30 août 2018

 

Dounia MESLI