Vous le connaissez peut être, Jean François Niemezcki a cette double casquette d'être à la tête de l'équipe de France B (depuis 2015) et de l'équipe de France Universitaire. Aujourd'hui, on s'est attaché à cette seconde équipe qu'il manage depuis 2008. En juillet 2015, il remporte le titre de Champion du monde avec son équipe, aux Universiades de GwangjuAvec justesse, il évoque de ses équipes et nous confie également son ressenti sur l'équipe de France A sous l'ère Echouafni. Il revient également pour nous sur l'importance de l'équipe universitaire, qui sert d'anti-chambre pour les A, tout comme l'équipe de France B.

 

Depuis quand êtes-vous à la tête de l'équipe Universitaire ? Comment en êtes-vous arrivé là ?

Jean François Niemezcki : Je suis en poste depuis 2008, nommé à l’époque par Gérard Houllier.

 

Vous étiez auparavant coach d'un club masculin, avant d'être appelé à la tête de cette équipe, comment s'est passée l'adaptation ? 

Jean François Niemezcki : Oui j’ai entraîné des jeunes de toutes catégories pendant 15 ans ; puis entraîneur Adjoint/joueur en CFA, 3 ans, puis 6 ans entraîneur d’une CFA (pas de National à l’époque, donc plus haut niveau amateur).

Je suis par ailleurs CTR (Conseiller technique régional) depuis 1999, j’ai aussi depuis 15 ans la responsabilité de l’équipe de Ligue dans la compétition UEFA. Nos différentes missions liées à la formation, à la détection et au développement font que nous sommes impactés naturellement par le football féminin, même si nous ne sommes pas tous, au départ, des experts du football féminin.

Lorsque j’ai été nommé sélectionneur de l’équipe universitaire, mon premier match fut contre l’Allemagne… et je ne connaissais pas les joueuses ! J’ai été immédiatement sous le charme de ce public, dès mon premier entrainement. En effet, j’ai compris que j’allais être en phase. Je trouvais une qualité technique mais aussi et surtout un engagement total à l’entrainement, un respect presque outrancier des consignes lié à une grande envie de progresser ! J’ai tout de suite adoré cet état d’esprit… et en plus on a terminé sur une victoire 1-0… moi qui suis compétiteur !

Bien sûr, qu’ il m’a fallu un temps d’adaptation, d’apprentissage, dans l’approche, le management, le vocable etc… mais cela c’est fait très rapidement, presque naturellement.

 

Avez-vous une philosophie de jeu ?

Jean François Niemezcki : Ma philosophie de jeu est surtout basée sur le jeu vers l’avant dans un équilibre d’équipe, j’ai un tempérament plutôt offensif et audacieux, je demande aux filles d’oser en jouant avec leur tête. Je préconise aussi une capacité à s’adapter, à changer de système, à déformer l’animation, non seulement pour pouvoir répondre aux problématiques posées par l’adversaire, mais surtout aussi pour lui en poser. Le tout axé sur des principes, des constantes pédagogiques qu’aiment appliquées pratiquement l’ensemble des coaches (sur le jeu en mouvement, la transition, défendre en avançant etc…).

 

Comment se fait votre choix pour l'équipe au niveau des joueuses ? Est-ce que vous dépendez un peu des choix de la FFF, ou des autres équipes nationales ? Ce sont des joueuses, qui sont très rarement sous votre houlette, qui n’évoluent pas forcément ensemble, est-ce que c'est difficile de mettre en place votre stratégie, les automatismes ?

 

Jean François Niemezcki : "Mes choix s’établissent sur mes observations, mais aussi sur un réseaux d’observateurs avec notamment mon staff (avec en particulier Sylvie Mayot et mon staff universitaire associé : Ph. Rebot et S. Blaise) et la bonne relation que j’entretiens avec pratiquement l’ensemble des coaches me permet d’affiner mes choix. Ensuite, je suis sélectionneur de l’équipe de France B (je suis cadre d’état mis à disposition de la FFF et de ma Ligue) et de l’équipe de France Universitaire. C’est suite à la convention signée entre la FFF et la FFSU, sous l’égide de Brigitte Henriques et François Blaquart, que j’ai eu la responsabilité de cette double casquette très complémentaire (on y retrouve 60% du même effectif). Donc tout naturellement, ma sélection se fait en étroite liaison et complicité avec le coach de France A (j’ai donc travaillé en relation avec B. Bini, Ph. Bergeroo et maintenant Olivier Echouafni) mais aussi avec les coaches Gilles Eyquem et Sandrine Soubeyrand pour les filles issues des sélections jeunes.

Pour ce qui est de l’amalgame, le groupe est assez mouvant et évolutif, mais c’est aussi très formateur pour le staff et surtout pour les filles d’être dans l’adaptation perpétuelle.

Mais les grands principes de jeu sont les mêmes, liés au projet de jeu fédéral. Cela facilite les choses.

Nous sommes assez fiers du nombre de filles que nous amenons à ce niveau, et surtout du nombre de filles qui émergent au niveau supérieur, c’est-à-dire en équipe de France féminine A.

Puisque c’est bien là, l’une de nos missions principales, servir de courroie de transmission entre les U19 et les A.

 

"formidables ambassadrices du football universitaire, du football féminin, du football français et de la France"

 

Vous étiez récemment en Chine, pour la journée internationale du sport universitaire, comme s'est déroulé cet événement ?

Jean François Niemezcki : Très bien,  formidablement bien, nous sommes partis avec un groupe de jeunes filles pour la plupart inconnues de nos listes. Groupe très jeune, puisque programmé hors dates internationales.

Cette programmation ne nous permettait pas d’amener des filles de D1 ou de D2. 80% des filles présentes jouent en DH ou en U19. Quel bonheur et quel constat positif du travail de fond de la FFF et des clubs, puisque sportivement l’équipe a montré un très bon visage de par son fond de jeu. Et en 7 jours, avec un voyage de 24 heures, un décalage horaire de 6 heures et un seul entrainement, ce groupe de 18 joueuses a montré sur 3 rencontres en 3 jours, un progrès grandissant avec 1 premier match perdu, un match gagné et un match nul. Un grand merci aux clubs, et aux coaches qui ont mis ces jeunes joueuses à notre disposition. Mais au-delà de la satisfaction sportive, ces filles ont été de formidables ambassadrices du football universitaire, du football féminin, du football français et de la France. Elles ont répondu très brillamment aux obligations protocolaires et ont  fait preuve de beaucoup de disponibilité, d’empathie et d’intelligence au service de nos hôtes chinois mais aussi de la mission « politique » qui leur a été confié, sous la coordination de F. Capel, V. Rognon (DTN universitaire) et P. Rebot. La preuve…

 

 

Les valeurs du foot au service du rapprochement des peuples...

 

Avez-vous des liens avec l'UNSS, Candice Prevost par exemple dans la gestion de l'équipe universitaire, le choix des joueuses ?

Jean François Niemezcki : Non, mais je connais bien Candice puisqu'elle était une joueuse brillante, qui a participé dans mon équipe, aux Universiades de Belgrade en 2009. Je la croise encore au sein de la Commission fédérale football en milieu scolaire et universitaire. Mais elle n’a aucune mission directe avec l’équipe de France B et Universitaire, sauf lorsqu’elle nous fait certaines éloges lors de ces commentaires de consultante, et on apprécie forcément ce petit clin d’oeil.

 

Pensez-vous que le modèle des Etats-Unis, par exemple, dans leur emboîtement du sport et des études et à prendre en compte pour la France ? En NWSL, on sait que certaines joueuses peuvent être engagées, lors des "Drafts", pensez-vous que c'est un bon exemple ? 

Jean François Niemezcki : Je ne peux juger le système américain que je connais trop peu, mais nous avons aussi, nous, une organisation associative, unique au monde qui me semble efficiente. La FFF et la DTN travaillant pour engager les filles à la sortie du lycée vers un double projet compatible entre le projet sportif et le projet professionnel à plus ou moins long termes. C’est déterminant et on essaie de faire comprendre aux filles et aux clubs qu’un engagement unilatéral des filles, est dangereux à terme, pour elles et le reste de leur vie post foot (nous avons connu cela avec le haut niveau amateur du football des garçons).

J’ai fait d’ailleurs quelques propositions concernant la post formation de nos jeunes joueuses, la FFF et la DTN y travaillent, cela me semble incontournable.

 

Le Football aux Etats-Unis/Canada compte 15 millions de licenciées, grâce notamment à ce modèle où les jeunes filles commencent à pratiquer le football dès leur plus jeune âge et cela avant tout dans leur école. On sait notamment que les meilleurs sportifs accèdent à des bourses pour payer leurs études, que les résultats doivent suivre autant dans leur sport que dans leurs études... Pensez-vous que le fait d'intégrer cela en France serait un moyen de populariser le football pour les filles et in-fine le nombre de licenciées, qui vient à peine de dépasser les 100.000 ? Alors qu'en Allemagne, elles sont 3 millions.

Jean François Niemezcki : Je reviens de Chine avec un modèle aussi très différent, je pense que les copier-coller d’un système dans un environnement spécifique qui est le nôtre, serait une erreur. Mais il y a des choses à prendre dans les différents systèmes et les mettre en place avec une adaptation à notre propre système. Nos pôles, par exemple, sont uniques au monde et fonctionnent à merveille, les Etats-Unis viennent chercher notre savoir-faire dans nos formations, le gros travail effectué sur le football de masse par la FFF et la DTN sous l’impulsion de Sylvie Mayot commence à porter ses fruits… Il faut laisser le temps au temps !!! Ce qui m’inquiète le plus, pour le cadre d’état que je suis, n’est pas la place du football, elle évolue plutôt bien, mais de façon plus générale, la place du sport dans les années à venir au sein de la société française.

 

"Il faut vraiment préparer "l’après football."

 

On sait qu'il y a certaines joueuses de D1, qui continuent leurs études en même temps que le sport de haut niveau, mais le modèle n'est pas clairement apposé. Même si l'Insep accueille ces étudiantes à double cursus. Pensez-vous qu'il faut accorder plus d'importance aux sports universitaires ? Si oui, comment y arriver ?

Jean François Niemezcki : Je pense que c’est en effet l’enjeu des années à venir, le football féminin, n’est pas professionnel, et comme je l’ai dit ci-dessus, il serait suicidaire à long terme de ne pas anticiper. Je pense que nous avons les armes pour y parvenir, avec le savoir-faire de certaines universités mais aussi avec nos propres formations. Il faut aller vers des bi-certifications beaucoup plus professionnalisantes. Peut-être aussi pouvoir proposer à certaines filles un peu plus en difficulté sur le plan scolaire, des DEUST (plus court mais aussi plus rationnel…) Mais encore une fois, je peux attester que la DTN et la FFF y travaillent… On s’aperçoit que selon le territoire, certaines universités arrivent à proposer des organisations adaptées au double projet. Des formations, des aides… sont aussi proposées dans le cadre de la reconversion des joueuses à statut "haut niveau" par la FFF et l’Etat. Il faut vraiment préparer "l’après football."

 

"L'équipe de France A est passée en 10 ans de l’anonymat à la 3e place mondiale"

Connaissiez-vous Olivier Echouafni, avant qu'il ne soit nommé au poste de coach des Bleues ? Que pensez-vous de l'équipe de France A actuellement ? Pensez-vous qu'il y a des joueuses de l'équipe universitaire ou autre, qui mériteraient leur place au sein de l'effectif ? 

Jean François Niemezcki : J’ai croisé Olivier sur une de ses formations, puisque j’encadre au niveau du DEF, DES aujourd’hui, puis j’ai bien entendu fait sa connaissance dans le cadre de ma responsabilité France B et Universitaire. Mais nous allons apprendre à nous connaitre mieux, la relation entre nos deux responsabilités est incontournable.

L'équipe de France A est passée en 10 ans de l’anonymat à la 3e place mondiale et l’ensemble des coaches qui se sont succédé (Babeth Loisel, Bruno Bini, Philippe Bergeroo) ont amené leur pierre à l’édifice dans la construction de notre élite du football féminin. Je pense comme on peut le voir en club, que c’est souvent long pour obtenir le consécration d’un titre (combien de temps ont attendu les garçons ?)… à quoi cela se joue ? Ce n’est pas moi qui vais vous dire que cela se programme avec certitude, nous sommes champion du monde avec les universitaires alors que nous n’étions pas programmés pour cela… Ce sont les filles qui créent l’événement et la somme de tous ces petits détails qui sont très aléatoires et qui font la différence. Ce qui me rend confiant en me disant que cela va arriver… c’est la régularité des titres accumulés ces derniers temps par nos jeunes, nos militaires, nos universitaires et le fait que l'équipe de France A est continuellement dans les 4 premiers au classement FIFA. Même si une belle génération commence progressivement à quitter la sélection, nous avons de belles générations de jeunes qui arrivent et justement France A mais aussi France B et Universitaire, vont permettre à ces jeunes talents de mûrir.

En ce qui concerne France B et Universitaire sur les 8 ans,  j’ai eu la chance d’avoir à un moment ou un autre dans mes rangs (Méline Gérard, Jessica Houara, Laure Boulleau, Sabrina Delannoy, Aurélie Kaci, Julie Soyer, Camille Catala, Kenza Dali, Caroline Pizzala, Melissa Plaza, Léa Rubio, Amandine Guerin, Clarisse Le Bihan… Universitaires B, puis aussi Charlotte Bilbaut, Amel Majri, Viviane Asseyi, Kelly Gadéa, Eve Perisset, Aissatou Tounkara… pour la B pour ne citer qu’elles…)  Et bien entendu que quelques autres pointent le bout de leur nez et viendront dans les mois à venir amener d’autres alternatives à Olivier. Tout cela est le fruit d’une stratégie fédérale.

 

Avec votre vision de coach, que manque-t-il à cette équipe de France pour briller ? Pensez-vous qu'il y aura enfin un résultat cet été à l'Euro 2017, qu'elles feront peut être mieux que leurs homologues et qu'elles remporteront ce trophée si convoité ou est-ce trop court sous l'ère Echouafni ?

Jean François Niemezcki : Il lui manque un peu de temps et de réussite !!! Elle brille déjà mais elle cherche une consécration, c’est normal et légitime ! Mais je ne sais pas justement, si ce n’est pas l’envie de la recherche du Graal trop systématique qui met une pression négative à tous les niveaux.

Pour cet été, je ne suis pas devin, mais cette équipe peut battre tout le monde... Alors je le souhaite de tout cœur !!! Le football se joue parfois à un détail… un poteau rentrant ou sortant et toute l’histoire est changée… espérons que les vents seront favorables cette fois-ci.

 

Quels sont vos prochains objectifs avec l'équipe universitaire ? 

Jean François Niemezcki : Outre les 3 rassemblements de l’année avec l'équipe de France B pour préparer l’Istria Cup [2ème en 2016], nous préparons aussi les Universiades d’août 2017 (véritable jeux olympiques des espoirs) un tournoi qui aura lieu en Chine, à Taipei. Et nous y défendrons notre titre dont nous sommes si fiers. Ce serait une première… je ne peux non plus me prononcer sur le résultat, mais je peux vous dire, que les filles qui devront gagner leur place sont hyper motivées. La FFF et la FFSU nous accompagnent pleinement dans ce projet… et que dire du Staff qui piaffe d’impatience d’en découdre. Je vous donne rendez-vous dans quelques mois. Quel bonheur !!!

 

Quelle joueuse vous a le plus impressionné lors de vos années d’entraîneur ? 

Jean François Niemezcki : Incontestablement Amandine Henry, une pure Ch’ti que j’ai connu à Lambersart et qui était déjà l’égale des garçons. C'est La Joueuse qui m’a fait prendre conscience que mon rôle technique serait le même que celui de l’entraineur des hommes.

 

Quel a été votre meilleur souvenir à la tête des Bleues, et dans le football féminin en général ?

Jean François Niemezcki : Mon meilleur souvenir est bien entendu le titre que nous avons remporté l’an passé en Corée, de par la performance sportive bien évidemment, mais aussi et surtout, pour l’aventure humaine que nous avons partagé et du plaisir que nous avons pris et donné. Car quand je parle d’aventure humaine, bien sûr qu’elle fut fusionnelle avec les filles, le Staff et l’ensemble du club France de la FFSU, mais nous avons créé des liens formidables avec bon nombre de personnes dont j’ai fait la connaissance via les réseaux sociaux. Nous avons contribué à l’histoire du football féminin français et cela laisse une impression et des souvenirs EXTRAORDINAIRES. MERCI SINCÈREMENT À TOUS.

Dounia MESLI