Quelques jours après la déconvenue face à la Nouvelle-Zélande (match nul 0-0), nous avons retrouvé le coach de l'équipe de France U20, Gilles Eyquem au camp de base des Bleuettes à Dinan/Léhon. A la veille de leur match fatidique contre les Pays-Bas, le technicien n'a pas fait de détours dans son analyse du début de tournoi des Bleuettes et se veut exigent envers ces joueuses. Et si un nul suffirait pour qualifier les Tricolores en quart de finale, le coach ne veut pas se satisfaire d'un tel résultat dans une compétition majeure et espère que cette rencontre sera le tournant pour la suite pour ces joueuses.

 

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Le discours d’après-match France/Nouvelle-Zélande

Un peu de colère de ma part (rires nerveux). Je crois que c’est par rapport à la frustration et au fait que je voulais remobiliser le groupe et dire « Attention, ce n’est pas encore fait ! ». C’est-à-dire qu’on savait que ça allait être un match difficile par le fait que cette équipe-là [de Nouvelle-Zélande] nous opposait avec un bloc défensif solide, de l’engagement et je leur ai dit que le foot, c’est un jeu d’opposition et il y a ce duel qu’il faut passer.

Ce passage qui est incontournable (au sujet des duels) et où il faut être plus fort que l’adversaire. Je pense qu’elles ne mesurent pas totalement l’exigence et donc c’était un rappel à l’ordre [ce match nul]. Après, il y a eu trop de déchets techniques par rapport à ce qu’elles sont capables de faire. C’est difficile d’évoquer que pour elles, ça reste des matches stressants, avec du public, de l’ambiance et les familles. Voilà le point sur lequel on pouvait être en difficulté sur cette Coupe du Monde à la maison et il s’avère que c’est un point qui les touche. Mais on a toujours eu des débuts de Coupe du Monde compliqués, est-ce que c’est le mal français de se faire peur ? J’ai toute confiance sur ce qu’elles sont capables de faire, j’ai eu une belle réaction à l’entraînement et je souhaite que cela produise des effets positifs dimanche.

 

Oui, oui, c’est exactement ça. Leur dire que ce n’est pas fait. Il faut de l’investissement, même dans ce genre de match parce que l’adversaire ne lâche jamais rien et le schéma avait bien été étudié, travaillé à l’entraînement. On a vu que quand on faisait les choses qui étaient demandés, ça passait. On va systématiquement un retour vidéo ce soir et on va leur montrer que quand elles veulent bien faire les choses dans le rythme et avec l’engagement nécessaire, ça va au bout. Après, il y a d’autres problèmes de présence devant le but mais au moins, dans la mise en route, les choses se font ; et arriver à leur dire qu’il faut qu’elles soient très exigeantes. Pour certaines, c’est peut-être un manque de compétition, un manque d’expérience mais, comme je l’ai dit, faut grandir vite, être capable d’aller chercher loin.

 

Le respect de l’adversaire a-t-il joué sur le manque d’agressivité ?

Moi, ça ne me dérange pas qu’on bouscule l’adversaire. Respecter un adversaire, c’est aussi montrer ses qualités, les bousculer, marquer 10 buts s’il le faut. Je pense que si on la joue facile, c’est plutôt une marque d’irrespect. Ce n’est justement pas respecter le jeu, pas forcément respecter l’adversaire parce qu’on les prend [un peu] de haut.

Je véhicule ça, il me semble que mettre de l’engagement, c’est aussi respecter l’adversaire, c’est montrer qu’on sait que ça va être difficile et que c’est l’un des moyens d’aller bousculer et aller chercher le résultat parce qu’il faut du résultat.

 

Sur les Junior Ferns qui n'ont pas "vraiment" joué le jeu contre les Bleuettes

Elles ont joué leur jeu. On le savait, elles l’ont bien joué, elles étaient heureuses de ce qu’elles avaient fait et le coach était fier parce que c’était leur jeu. Je pense qu’elles pouvaient difficilement espérer mieux. Pour elles, c’est un très bon résultat. On a vu des filles satisfaites et ça leur permet de croire encore à une qualification puisqu’on peut imaginer une catastrophe, que ça se passe mal [pour nous] face aux Pays-Bas et qu’elles [face au Ghana] réussissent une performance, à marquer des buts. Tout est possible !

Ce qu’il faut, c’est qu’on soit capable d’être plus agressif, d’élever notre jeu pour pouvoir aller chercher cette qualification. Pas jouer le nul parce qu’on n’est pas préparés pour ça. L’équipe qu’on a confectionné, avec le staff, n’est pas une équipe pour défendre. Il y a 6 attaquantes, des milieux offensives, les latérales portées vers l’avant. […] Pour aller de l’avant, il faut mettre l’impact nécessaire pour faire mal.

 

Les Pays-Bas, une équipe qui convient mieux au style de jeu de la France ?

Effectivement, il y a tout pour réussir quelque chose de bien. Malgré tout, ça reste de l’engagement que doivent mettre les filles. Il ne faut pas qu’elles pensent que c’est une équipe joueuse en face, qu’elles vont nous laisser passer, ouvrir les vannes. Il faut s’attendre aussi à ce qu’elles soient très bien organisées, qu’elles défendent bien, ensemble, mettent du pressing pour gêner la relance adverse. C’est une bonne équipe. Il faudra, là encore, être capables de montrer qu’on a l’énergie pour passer au-dessus.

On les connaît bien parce qu’on les a eus lors des qualifications du Championnat d’Europe U19. On n’a pas pu les battre chez elles lors du Tour Élite la saison dernière. On les rencontre à nouveau en Irlande, on perd contre elles. On n’a pas su gagner mais ça reste une équipe qui nous convient bien. Peut-être qu’il n’y a pas tous les atouts qu’on a aujourd’hui mais ça reste une bonne équipe. Il ne faut surtout pas la regarder jouer

 

Sur les choix difficiles pour le 11 de départ contre les Pays-Bas. Marie-Antoinette Katoto titulaire ?

Très difficile, oui, comme toujours (sourire). Mais bon, les 11 qui démarreront demain (dimanche 12 août ndlr) seront celles, qui à nos yeux, sont les plus performantes et qui peuvent aller chercher le résultat que l’on escompte tous, c’est-à-dire une victoire.

Ce n’est pas encore décidé. J’attends le dernier entraînement pour me décider.

 

Le rôle des générations qui ont pris part aux précédentes Coupes du Monde (2014 et 2016).

Je sais qu’il y a eu des échanges. On a eu des encouragements, notamment de ceux qui étaient en Papouasie, qui connaissent un petit peu Mylène [Chavas] ou même Marie [Katoto] par rapport aux clubs ou au championnat. Il y a effectivement des générations, notamment Solène Durand, qui seront présentes. Il y a des générations qui sont passées, avec Sandrine [Ringler] et moi-même, qui nous suivent et qui ont de bons souvenirs (et qui nous le rappellent de temps en temps). Il y a une transmission.

Maintenant, on voit la différence entre les différentes générations, ce n’est plus tout à fait comme avant. C’est une évolution qu’il faut accepter. Je pense que les précédentes générations avaient beaucoup d’humilité parce que, souvent, il a fallu se bagarrer pour aller la chercher cette qualif’. Là, il n’y a pas eu de bataille, on était qualifiés [en tant que pays hôte]. On a eu que des matchs amicaux, on a beaucoup fait tourner, on a eu la qualification en U19. […] J’espère que les deux premiers matches ont permis de régler ce petit détail. Je m’interroge, comme toujours quand on est sélectionneur, sur le fait de : comment faire pour être plus performants ?

 

Plus de pression par rapport aux précédentes générations ?

Il y a eu des contextes qui ont fait qu’il y a eu beaucoup moins de sollicitations [lors des dernières fois]. Le fait d’être à l’étranger fait qu’il n’y a pas de phénomène d’entourages des joueuses, qui sont omniprésents aujourd’hui. Il y a des contextes de clubs différents, car la plupart des joueuses qui sont sous contrat, ont des engagements à tenir vis-à-vis de leurs clubs même si on peut imaginer que la sélection passe au-dessus.

On sait qu’il y a une reprise de championnat le 25, est-ce que ça joue dans les têtes, je ne sais pas. C’est vrai que ce n’est pas forcément la meilleure chose aujourd’hui, pour des jeunes filles qui disputent une compétition, par rapport à l’exigence d’une Coupe du Monde. D’avoir tout ça en tête, c’est possible que ça soit perturbant.

 

Sur le fait de jouer en France, à domicile

Non, ce n’est pas anodin. Ça peut les perturber mais maintenant, il faut qu’elles se préparent en conséquence, pour que ça les aide à évacuer tout ce stress qu’elles peuvent engendrer. Comme je leur ai dit, ce n’est pas gênant, c’est logique, normal. Ce qu’il faut, c’est de trouver des moments pour dire « Ça y est, c’est le jeu, on est sur le terrain. Comment je me prépare pour me mettre dans ma bulle ? ». On va repartir sur des choses comme ça pour les amener à être mieux à la fois dans leur tête et dans leur corps. On est là pour ça et comment peut-on faire pour être le plus performant possible à tout niveau.

 

Comment adapter son discours face à des jeunes filles, dont certaines sont en manque d’expérience ?

On l’adapte parce que d’une part c’est souvent une découverte, même s’il y en a eu chez les A. J’ai utilisé malgré tout le parcours des A [garçons] et ce qu’ils ont vécu pour parler avec les filles et notamment sur des choses qu’il faut mettre en avant, notamment tout ce qui est "notion de groupe, de solidarité et d’entraide." […] Aujourd’hui, on a de plus en plus de personnes [autour des joueuses] qui tirent sur l’individualisme et même s’il y a du plaisir à passer des moments ensemble, ils sont encore sur l’image « Moi je veux briller et être meilleure buteuse ». D’abord, c’est peut-être aussi penser à gagner et les titres individuels, ce sera pour après (s’il y en a). Comme je leur disais, on ne dit jamais que c’est Cristiano Ronaldo qui est champion d’Europe, c’est le Real Madrid. Ça c’est important. Et donc, comment les amener à utiliser leur potentiel, leur talent au service de l’équipe.

 

Les individualités, porte-parole du discours ?

On a Marie [Katoto] qui est capitaine. Mylène [Chavas] qui l’a été pendant un temps. On a pris une joueuse par génération, on a deux éléments expérimentés, reconnus pour leurs qualités sportives et je pense aussi, pour entraîner le reste du groupe. Il y a aussi une 99, une joueuse de 2000 pour que toutes les générations soient impliquées dans ce type de réflexion, d’échanger avec nous éventuellement et avoir une quête, c’est la finale de la Coupe du Monde.

 

L’ambiance au sein du groupe des Bleuettes dans ce tournoi.

Les filles vivent bien ensemble à l’extérieur, mais elles ont du mal à le traduire sur le terrain. Ces moments où ça chambre, où elles ont la joie de vivre mais je trouve que sur le terrain, ça ne transparaît pas autant que je le souhaiterais. C’est-à-dire qu’il y a encore [un petit peu] l’individu qui ressort avant l’idée du groupe, on fait toujours les choses pour soi, avant d’aller le faire pour les filles [pour ces coéquipières]. Et il faut qu’elles arrivent à comprendre que ça rejaillira, se mettre dans la tête que ce qu’elles font, c’est au service de l’équipe.

 

Le fait de ne pas marquer dans un match

Ça me préoccupe toujours, quand on sait que c’est un argument dans lequel je pensais qu’on avait un gros potentiel. Il y a effectivement de la frustration par rapport à ça parce qu’on joue pour marquer des buts. Ensuite, je ne suis pas persuadé que ce soit plus compliqué de jouer les Pays-Bas. On n’aime pas ce genre d’équipe telle que les Néo-Zélandaises qui joue que pour casser le jeu, casser le rythme. On a vu souvent qu’elles savaient bien le faire. Et qui mettent de l’engagement athlétique, qui vont au bout de l’impact, qui rentrent bien dedans, qui mettent une vraie agressivité dans le bon sens du terme. Je n’ai pas trouvé qu’elles étaient méchantes, je n’ai pas vu de choses méchantes. On n’a pas pu mettre les armes nécessaires pour répondre.

 

Un turn-over face aux Pays-Bas ?

Je suis encore en pleine réflexion, je ne veux pas tout chambouler. Ce qui est sûr, c’est que les filles qui seront sur le terrain auront montré qu’elles sont prêtes pour aller combattre, même si le terme est un peu fort mais je le fais sciemment. L’idée est de combattre pour aller marquer des buts.

 

Propos recueillis par Dounia Mesli avec Ouest France et Le Telegramme

Karim Erradi & Dounia MESLI