Sorti le 9 septembre dernier dans les salles en France, "Les Joueuses", un film de Stéphanie Gillard, retrace la saison 2019/20 des Lyonnaises, qui avaient réalisé le triplé sur cet exercice. Des moments uniques, qui nous sont offerts par l'Olympique Lyonnais, et que pouvez encore découvrir sur grand écran, avant qu'il ne soit trop tard.
 

Coeurs de Foot - Pour commencer cet interview, comment avez-vous eu l'idée de faire ce film autour des Lyonnaises ?

Stéphanie Gillard - C'est en voyant le film sur les Bleus, qui avait été réalisé lors de la Coupe du Monde 2018, autour de la victoire de l'équipe de France. Je me suis rendue que c'était peut-être plus possible de faire les yeux dans les Bleus, que le foot masculin était peut-être devenu que de la com. Et comme il y avait la Coupe du Monde, qui arrivait en France, je me disais : "Peut-être qu'il faudrait faire les "Yeux dans les Bleus" au féminin, dans une équipe féminine. 

Donc je suis allée voir ma productrice, Julie Gayet, je lui en ai parlé, et elle m'a dit que c'était une super idée. On est allées voir la Fédération qui nous a dit que non ça ne serait pas possible. Très vite on s'est tournées vers Jean-Michel Aulas et il a accepté.

 

CDF - La FFF ne voulait pas, parce qu'elle voulait avoir la main mise sur un plausible reportage/inside des Bleues ?

S. G. - (sourire gêné) Non, c'est qu'il n'y avait pas moyen de mettre une caméra dans l'équipe, on m'a fait comprendre que la sélectionneure (Corinne Diacre, ndlr) ne voulait pas de caméra.

 

CDF - Qu'est-ce qui vous a le plus marqué durant votre année à côté des Lyonnaises ?

S. G. - Déjà le plaisir de vivre toutes les compétitions qu'elles font, avec elles. C'était génial de pouvoir le vivre de l'intérieur. Ensuite ce qui m'a marqué, c'est vraiment leur solidarité, le plaisir du jeu qu'elles ont tout le temps, comme-ci elles n'étaient jamais blasées. On sent qu'elles adorent ceux qu'elles font, qu'elles ont du plaisir à aller jouer tous les jours et qu'en même temps, elles sont vachement dans la compétition, même si elles restent en même temps très solidaires.
En clair, elles sont très [portées] dans la compétition les unes contre les autres, quand elles sont à l'entraînement, mais quand il y a match, c'est toutes dans le même sens.

 

CDF - Elles savent aussi que si elles travaillent dur, c'est pour gagner et in-fine gagner plus d'argent ? Certaines joueuses l'ont déjà dit aussi, que plus le foot féminin va se professionnaliser et meilleurs seront les conditions et les salaires.

S. G. - Oui mais il n'y a pas que ça, dans leur tête ce n'est pas leur but premier. Il faut arriver à un équilibre. Mais c'est par leur état d'esprit, qu'elles gagnent avant tout, les compétitions depuis plusieurs années maintenant.

Quand tu es dans cette équipe, et que tu as ce plaisir du jeu et cet esprit de la compétition en permanence, oui ça te donne plus de capacité de gagner [de l'argent]. Plus tu gagnes de compétitions et plus tu gagnes d'argent. Mais je ne pense pas qu'elles font ça pour l'argent... Enfin au bout d'un moment si, mais [pas de prime abord], pas quand elles ont commencé le foot en tout cas, car tu ne sais pas si au final tu vas tout gagner ou pas. 

Il y a une séance que j'aime beaucoup dans mon film, c'est quand Sarah [Bouhaddi] va voir les enfants et elle leur rappelle que s'ils choisissent le foot, c'est d'abord parce qu'ils aiment ça, et pas que pour l'argent. Et toutes dans le film, elles parlent toujours du plaisir de jouer, l'adrénaline que procure le terrain, le fait de s'accomplir par le foot, pour remplir leur envie de dépassement.

 

CDF - Le Film "Comme des garçons" est sorti en 2018, c'est l'un des premiers sur le foot féminin, et Vanessa Guide disait qu'elle aimerait "voir plus de films sur le foot féminin". Aviez-vous vu ce film ? 

S. G. - Oui oui je l'ai vu. Je connaissais un petit peu l'histoire de Reims, et c'était super que ça mette en lumière cette histoire-là. De ce que j'ai compris, ça a été un peu simplifiée par rapport à la réalité, ça reste toujours le problème de mettre en fiction, des histoires. Mais oui c'est sûr que c'est bien [d'avoir ce genre de films]. 

Il y a eu un autre film qui est sorti cette année, qui s'appelle "Une belle équipe", avec Corine Petit. Ce qui est intéressant c'est de montrer que les filles peuvent aussi faire du foot, et que ce n'est pas un sport réservé aux garçons. Et surtout en soit il n'y a pas de sport réservé aux garçons, que les filles peuvent faire le sport qu'elles veulent aussi, comme les garçons, et qu'elles n'ont pas à se justifier derrière, si elles choisissent tel ou tel sport.

 

CDF - Est-ce que vous attendez également plus de films sur le foot/sport féminin, des biopics peut-être ? Sur Wendie Renard par exemple, qui est l'une des premières à avoir sorti une biographie sur son parcours.

S. G. - Oui ça j'aimerai bien (sourire). Moi j'aime bien les films sur le sport en général, parce que je trouve que ça raconte plus, que juste des résultats sportifs. Le sport c'est souvent un reflet de la société, et du coup c'est un support pour raconter des histoires, mais qui ne racontent pas que les victoires ou les défaites, ça raconte aussi ce qui est autour, ce qui se passe dans la société. Donc forcément parler du foot féminin aujourd'hui, ça parle de la société. 

 

CDF - Vous parlez des inégalités salariales, de traitement aussi peut-être, des discriminations que peuvent vivre les joueuses ?

S. G. - Oui tout à fait, et puis la difficulté [de se faire respecter]... Plus simplement, du manque de respect. Je ne sais pas si tu as vu hier (jeudi 10 septembre 2020, ndlr), Sarah [Bouhaddi] a posté une photo d'elle (tout juste après l’annonce de la liste des Bleues pour le prochain rassemblement, pour affronter la Serbie et la Macédoine du Nord, ndlr) sur Twitter [parce qu'elle n'allait pas retrouver les Bleues], qui renvoie comme une forme de "libération" et il y a quand même un commentaire, sur le fait qu'elle doit faire la cuisine ("Cuisine j’ai faim", ndlr). A Sarah Bouhaddi ? C'est surréaliste !

 

CDF - Ça fait aussi partie du football malheureusement cet aspect de critiques acerbes, qui est souvent à l'origine de Trolls (individu ou comportement qui vise à générer des polémiques) ? 

S. G. - Oui mais si elle, elle lit ça [déjà ça peut faire mal], t'imagines une petite fille qui commence le foot et qui se prend ça, alors qu'elle joue au foot dans sa cour de récré, les critiques qu'elle peut se prendre ?

Dans le foot masculin, les garçons ne vont pas se prendre des remarques comme "Retournes à la cuisine", non. Donc ce n'est pas la même chose. ils peuvent se prendre des critiques, mais pas sur le fait qu'ils sont des garçons.

Les critiques doivent être sur leur jeu, pas sur leur sexe.

 

CDF - Est-ce qu'il y a dans votre film, une vraie démarche féministe ou c'est avant tout pour mettre en avant des sportives exceptionnelles, comme ça aurait pu être des sportifs ? 

S. G. - Moi on m'aurait donné l'équipe de France masculine, j'aurai dit oui aussi (sourire). Bien sûr.
En premier, ce qui m'anime c'est le plaisir un peu fan. Moi quand je suis derrière ma TV et que je regarde les JO ou une Coupe du Monde, je me dis : "J'aimerai trop vivre une telle compétition, en étant sur le banc, avec l'entraîneur, les athlètes, le voir de l'intérieur, et pas devant ma TV." 

Donc au départ, ce n'est pas une démarche féministe, mais parce que comme le dit Eugénie [Le Sommer] dans le film : "Une fille ou un garçon, c'est pareil". Et pour moi aussi, je suis comme elle, il n'y a pas de différence à faire.

Quand j'ai voulu faire ce film, avant de débuter, moi j'allais juste raconter [l'histoire sur] les grandes championnes [que sont les Lyonnaises]. Et effectivement, en me plongeant dans leur histoire et dans l'évolution du foot féminin, forcément ça m'a renvoyé à des questions féministes, auxquelles je n'avais pas pensé quand j'ai eu l'envie première de faire le film. C'est venu petit à petit.

 

CDF - Est-ce que vous pouvez préciser, ce que vous avez remarqué au fil de votre saison avec les Lyonnaises ? C'est au sujet des salaires peut-être, qui est un sujet central dans le foot féminin aussi, [tout comme les conditions de travail] ou il y a plus que cela même ? Car c'est vrai que les Lyonnaises n'ont pas vraiment de soucis par rapport à cette question aujourd'hui.

S. G. - Non c'est plus que ça, pour moi ce n'est vraiment pas la question des salaires [qui m'a sauté aux yeux chez les Lyonnaises]. C'est vraiment la condition [des joueuses en général], et juste une question de pouvoir choisir de faire ce sport là, sans être dénigrée....

Les Lyonnaises sont passées par là [le manque d'argent] et elles ont conscience de cela [qu'il reste des joueuses qui ont des petits salaires dans l'élite], Wendie [Renard], Eugénie [Le Sommer], Amandine [Henry], Sarah [Bouhaddi], elles ont connu le foot amateur.
Wendie, elle me disait : "Au début, il fallait payer pour jouer". Donc elles savent d'où vient le foot féminin et avant les salaires, ce qu'elles veulent, c'est le respect pour toutes les joueuses, ou filles qui jouent au foot et d'avoir des bonnes conditions pour jouer, d'être traitées avec égard, jugées sur les qualités [du terrain]... Et que même si une petite fille veut jouer au foot, mais qu'elle est mauvaise, qu'elle puisse jouer, parce qu'elle a le droit !

 

CDF - Quelle Lyonnaise vous a le plus inspiré tout au long de cette année à leur côté ? Comment avez-vous trouvé les joueuses ? 

S. G. - Elles m'ont toutes inspiré sur des points différents, donc pour moi c'est très difficile d'en choisir une seule. Je me reconnais en chacune d'elles, chacune pour une raison différente. Et celle qui m'a le plus impressionnée, ça reste surement Wendie [Renard]. Sa sagesse m'a vraiment frappée. Parce que moi je ne suis pas sage, je suis un peu comme Selma Bacha, je suis brute, un peu folâtre, donc j'ai été scotchée par la sagesse de Wendie.
Mais après c'est vrai que je me reconnais en toute, chacune pour une raison bien distincte. Ça serait trop long à détailler là (sourire). Chez Amel [Majri] je me reconnais dans son côté à la fois timide et en même temps assez déconneuse, bizarrement, à la fois un peu garçon manqué et en même temps très féminine. Eugénie [Le Sommer], elle a un côté très fermé au début, mais je pense qu'elle attend de voir les gens comme ils sont, d'analyser, pour leur faire confiance ou pas, Wendie [Renard] aussi à un peu ce côté-là. Moi je suis un peu pareille. Sarah [Bouhaddi] aussi, sa manière d'être parfois assez cash, ça peut cacher une certaine sensibilité. Et en fait elle est magnifique, elle est super.

 

CDF - Comment avez-vous trouvé les joueuses ? Timides, discrètes, à l'aise, rigolote. Est-ce qu'elles ont pris plus confiance au fil de la saison avec vous, elles se sont décoincées ? 

S. G. - Ça dépend. Ce n'est pas qu'elles se sont décoincées, c'est qu'au bout d'un moment elles ne me voyaient plus (sourire), comme j'étais-là tous les jours. Chacune à sa personnalité, y'en a qui sont plus discrètes que d'autres, plus blagueuses pour certaines, mais ça c'est en voyant le film qu'on le découvrira (sourire).

 

CDF - Et justement, c'est ma dernière question. Pensez-vous qu'elles ont un rôle à jouer pour développer la pratique également ?

S. G. - Oui, car elles servent de modèles. La plupart des anciennes joueuses le disent, elles n'ont eu que des modèles masculins, donc elles se rendent compte qu'elles peuvent donner aux petites filles et petits garçons, des modèles féminins et c'est bien de changer cela. C'est ça qui était intéressant dans cette équipe. C'est qu'il y avait à la fois, les Wendie, Eugénie, Amandine, Sarah, qui ont connu le foot amateur, et puis des Selma [Bacha] et Melvine [Malard], qui signent un contrat pro à 16 ans. Donc forcément entre ces deux générations-là, il allait se passer quelque chose, et ça allait raconter toute l'évolution du foot féminin et c'est sûr que Selma et Melvine, elles avaient des modèles aussi, des footballeuses, ceux que les autres n'ont pas eu. Le film en est un des grand moyen aussi, je pense [de populariser la pratique].

 

Dounia MESLI