Acharnée de travail et exigeante du haut niveau, la coach de l’équipe de France U20, Sonia Haziraj a gravi les échelons dans le football avec énergie, persévérance et volonté. Avant le début de la compétition, nous avons longuement échangé avec la coach sur son parcours, son groupe U20 et sa philosophie du football. Entretien.
Coeurs de Foot - Vous avez disputé un match avec l’équipe de France (sauf erreur de ma part), comment expliquez-vous le fait de ne pas avoir fait plus de matches ?
Sonia Haziraj - La coach de l’époque était Elisabeth Loisel, donc peut-être que je ne répondais pas à ses attentes. J’ai senti très vite que j’avais peu d’opportunités de pouvoir aller en sélection A, malgré le fait que j’avais été en jeunes avec des responsabilités d’ailleurs sur certaines équipes. J’ai vite orienté ma carrière vers celle d’entraîneur, car je sentais que ça allait bloquer et que je n’aurais pas l’opportunité de pouvoir avoir des sélections et mener ma carrière de joueuse comme j’aurai souhaiter la mener, mais je n’ai aucune frustration par rapport à cela, dans le sens où je m’épanouis pleinement dans ce que je fais actuellement. Le fait d’entraîner à toujours guidé ma carrière [sportive].
CDF - Vous êtes née à Melun mais la plupart de vos clubs sont en Bretagne, pourquoi ces choix ?
S.H. - Je suis très fière d’où je viens, j’ai toujours ma maman à Livry-sur-Seine, je suis originaire du Mée. J’ai porté très jeune les couleurs du district 77 sud, à l’époque, maintenant c’est le département de Seine et Marne, ils ont regroupé les deux. Très fière d’avoir cette origine là parce que c’était un département où on n’avait pas forcément beaucoup de joueuses à l’époque, mais on sentait qu’il y avait un collectif assez fort, donc ça m’a donné aussi ses valeurs-là de collectif. Ensuite j’ai intégré Clairefontaine à son ouverture, de 1998 à 2001, même avant cela après ma mixité le club le plus proche pour aller jouer à haut niveau - parce que je prétendais à cela aussi - c’était le FCF Juvisy, qui était à 25-30 minutes de chez moi. C’est pour ça que j’y ai évolué. J’avais pensé aussi à un moment donné à Poissy qui était un club aussi en nationale 1A (ex-D1) mais ça faisait trop loin pour mes parents et moi-même et de pouvoir mener à bien ma scolarité. Après avoir intégré Clairefontaine, je suis restée à Juvisy, le temps à Clairefontaine ne se passait pas forcément très très bien, mais je suis très heureuse de mes années juvisiennes, surtout avant l’entrée au Pôle France, en ayant côtoyé des grandes joueuses comme Hélène Hillion, Stéphane Mugneret, etc j’ai pu côtoyer des joueuses de grandes qualités, c’était un des meilleurs clubs à l’époque. Après c’était un petit peu plus délicat parce que l’effectif a un petit peu changé aussi, le club avait changé et puis moi après Clairefontaine, j’ai voulu prendre aussi mon envol j’ai envie de dire. Plusieurs clubs m’ont contacté forcément pour jouer en Nationale 1. J’ai choisi Saint-Brieuc, car il y avait des joueuses de qualité comme Françoise Jezequel, Isabelle Le Boulch, Isabelle Le Denmat, des joueuses qui avaient aussi du caractère, de la personnalité, et je trouvais que ça me ressemblait assez bien. C’était une équipe aussi qui jouait au ballon, ça me correspondait aussi (sourire). J’y suis restée un moment, j’ai commencé aussi à encadrer là-bas, étant investie au niveau du département et surtout de la Ligue, auprès des jeunes, de l’encadrement des jeunes, j’ai fait beaucoup de national avec la Ligue de Bretagne. Ensuite j’y ai fait aussi ma vie, mes enfants y sont nés, j’y suis aussi restée pour ça et aussi parce que j’avais aussi un projet après Saint-Brieuc, avec le FC Lorient, pour monter une école de foot, et puis pour monter petit à petit en D3 avec des joueuses de qualité, sur de la mixité. C’était vraiment un projet intéressant, qu’on n’a pas pu mener à bien, car on a manqué de temps et après je suis retournée à Saint-Brieuc, car on m’a proposé d’entraîner en D1 féminine a 26 ans, et de jouer en même temps. J’estime que c’était assez formateur. J’ai passé mes formations assez rapidement dans ma carrière, du fait d’avoir fait le choix assez tôt dans ma tête de passer mes diplômes, j’ai eu mon BE1 a 21 ans, j’ai eu le BE2 à 24 ans, le formateur a 30 ans et le diplôme d’entraîneur professionnel à 40 ans. Je suis restée en Bretagne par la suite.
"J’ai un peu cette casquette-là qui me donne des opportunités, encore aujourd’hui. On verra après la Coupe du Monde pour la suite à donner dans ma carrière."
CDF - Que pouvez-vous nous dire de votre passage avec l’équipe nationale d’Algérie ?
S.H. - C’est une information qui n’est pas tout à fait vraie parce qu’on m’avait contacté - avant que j’intègre la Fédération Française en 2018-2019 - pour que j’intègre la sélection nationale A. J’ai été voir un match, voir les installations, vu les joueuses mais je n’ai jamais coaché un match, je n'ai jamais eu cette opportunité. Il y a eu des discussions, comme il y en a d’autres me concernant avec d’autres fédérations. C’est logique quand on est entraîneure, je suis une jeune entraîneure, j’ai 42 ans. Une jeune entraîneure mais avec beaucoup d’expérience, autant en jeunes qu’avec les plus grandes. J’ai le diplôme le plus haut pour pouvoir entraîner et certaines fédérations ont apprécié mon profil. De pouvoir être une « une femme de projet », d’emmener, de partir de la base pour aller vers le haut. J’ai un peu cette casquette-là qui me donne des opportunités, encore aujourd’hui. On verra après la Coupe du Monde pour la suite à donner dans ma carrière.
CDF - Qu’avez-vous pensé du parcours des Bleues à l’Euro 2022 ?
S.H. - L’objectif de la Fédération, sur une compétition internationale, est une demi-finale et l’objectif était atteint. Quand on prend le résultat comme ça, on se dit que c’est la première fois qu’on va en demi-finale d’un championnat d’Europe, du moins en senior, c’est du positif.
Quand on va plus loin, qu’on regarde la physionomie du match (face à l'Allemagne, défaite 2 buts à 1), on peut se dire qu’on aurait dû prétendre à plus.
Entre la Sud Ladies Cup et notre premier jour de rassemblement - on a mis des vidéos avec les joueuses pour les concerner sur notre objectif qu’est la Coupe du Monde. J’ai mis beaucoup de vidéos sur les Anglaises parce qu’il y a eu beaucoup d’engagement, d’intensité dans les passes et dans les centres. Pour moi, c’est du très haut niveau.
CDF - En 2018 la France U20 a terminé 4e en passant tout près d’aller en finale (défaite 1-0 contre l’Espagne en demi, ndlr), mais a chuté pour la 3e place face à l’Angleterre aux tirs au but, depuis on a l’impression que le niveau s’est encore élevé avec la médiatisation autour du football féminin entre autres et les formations des joueuses, qui se professionnalisent également. Comment vous sentez-vous à la veille du début de la compétition pour vous et comment sentez-vous votre équipe ?
S.H. - C’était assez difficile avec le décalage horaire, la chaleur humide. Depuis hier [mardi 9 août], on se sent un peu mieux, un peu plus dans le rythme des journées costariciennes, on a digéré la préparation athlétique. On est un peu plus dans la vivacité, des reprises d’appuis, des efforts un peu plus intenses, on sent qu’elles ont un peu plus les jambes. Sur les entraînements d’hier et de ce matin [mardi et mercredi], je les ai trouvé beaucoup plus affûtées. On sent qu’elles sont de plus en plus préparées ces dernières années, certaines ont des contrats professionnels. Dans leur état d’esprit, c’est beaucoup plus carré et discipliné.
CDF - En 2019 les Bleuettes ont su racheter l’équipe de France A, en remportant l’Euro U19. Aujourd’hui avec la déception et désillusion à cet Euro 2022 en Angleterre, vous pourriez faire de même avec les U20 ? Est-ce que ça met un peu plus de pression ? Peut-être justement emboîter le pas de l’équipe militaire emmenée par Marc Maufroy ?
S.H. - On le voit avec la Colombie qui bat l’Allemagne, il y a 3 joueuses qui ont joué la phase finale de la COMNEBOL, peut être plus mais qui sont titulaires avec les A. C’est des joueuses de grande qualité et en effet, le niveau s’est élevé. Quand j’ai été au tirage, je savais pertinemment qu’il n’y avait pas d’équipe faible, en dessous, dans le sens où ça travaille beaucoup dans les autres fédérations, dans les autres confédérations.
C’est à nous de faire en sorte de tendre vers la professionnalisation. On essaye de mettre en place des structures, d’accompagner nos jeunes joueuses le mieux possible. Il ne faut pas qu’on perde ce temps d’avance là, donc il faut vraiment aller vers une réelle professionnalisation des joueuses, avec un vrai statut et des compétitions adaptées.
On a envier d’impulser une dynamique au sein des sections de jeunes. La section U20 est aujourd’hui en vitrine même si, à mon sens, on n’en parle peu. On joue une Coupe du Monde demain et on en parle que très peu à mon goût. J’estime que les joueuses méritent que l’on parle d’elles, de cette compétition. On n’a pas forcément la pression, mais on espère guider nos U17 qui joueront une Coupe du Monde en octobre. On doit les aider à appréhender cette compétition et si nous, on y arrive, ça les aidera. Je me dis que ça pourrait aider les plus jeunes. On a également suivi la sélection militaire avec la finale contre le Cameroun et le beau parcours qu’elles ont eu durant leur Coupe du Monde. Forcément, ça met des ondes positives autour de nous, même si de loin, on ne parle pas de cette Coupe du Monde, c’est un petit regret actuel. Quand je vois le site ou les réseaux sociaux des autres fédérations, c’est assez pro actif, dynamique. En espérant de bons résultats futurs qui permettront d’avoir une visibilité médiatique.
CDF - En 2016 les Bleuettes se sont hissées en finale, c’est l’objectif premier ?
S.H. - L’objectif premier est d’accéder à la finale, je parle même de titre. On sait qu’on a un groupe difficile, on a observé cette équipe nigériane qui est une équipe avec beaucoup de qualité, plus homogène que ces dernières années. Elles ont été qualifiées sur toutes les phases finales de Coupe du Monde. Elles ont été une fois en finale, trois fois en quart de finale donc c’est une équipe qui est redoutable. Le Canada est une équipe difficile à manœuvrer parce que c’est le continent nord-américain, des athlètes avant d’être des footballeuses. Les Coréennes sont très disciplinées, ont battu l’Espagne en match de préparation donc ce n’est pas une équipe anodine. C’est une équipe disciplinée, qui arrive à fermer le jeu après avoir ouvert le score. On sait que ce sera difficile mais à partir des quarts de finale, on sait que ce sera « le groupe de la mort » avec le groupe D. Sur des phases finales de grandes compétitions, ce ne sera que des gros matches.
CDF - Vous l’aviez évoqué la dernière fois je crois. Est-ce qu’il y a un préparateur mental avec vous ? J’imagine que c’est un aspect qui vous tient particulièrement à cœur de votre côté ? De savoir entourer et encourager vos joueuses pour qu’elles soient les plus performantes et qu’elles donnent le meilleur d’elles-mêmes.
S.H. - On n’a pas de préparateur mental avec nous. On en a une mais qui est plus à distance, qui travaillait avec moi quand j’étais sur le pôle espoir à Rennes. Elle est aussi dans l’optimisation, dans la performance. Je sentais que certaines joueuses avaient un besoin précis d’accompagnement sur ce plan-là. On dit trop souvent que c’est mental, elles manquent de confiance, etc. Pour moi, c’est des mots fourre-tout mais qu’est-ce qu’on fait pour aider nos joueuses ? Mon objectif est d’aider nos joueuses à avoir un complément, une aide supplémentaire pour les accompagner. C’est un suivi qu’on va continuer tout au long de la compétition et sur l’aspect mental, c’est mon devoir que les joueuses soient le plus équilibré possible pour être à leur niveau optimal le jour J. Ça fait partie de mon job de les motiver, les transcender. C’est un peu le management mais c’est vrai que c’est un domaine où on est un peu en retard, on n’optimise pas assez le potentiel de nos joueuses parce que ça se fait au coup par coup. Je l’ai impulsé de mon côté parce que c’est un facteur important de la performance.
"Me concernant, la pression est plutôt avant, sur la préparation, ne pas se tromper dans l’organisation de l’équipe, sur l’observation de l’adversaire."
CDF - Comment gère-t-on la pression en tant que coach, est-ce qu’on a la boule au ventre avant chaque compétition, chaque match ?
S.H. - C’est une bonne question. C’est différent que quand on est joueuse car on a souvent la boule au ventre avant un match. Me concernant, la pression est plutôt avant, sur la préparation, ne pas se tromper dans l’organisation de l’équipe, sur l’observation de l’adversaire. Comment on peut les contrer, les gêner, faire en sorte de bien préparer nos joueuses à ça. C’est plutôt là où il y a un peu de pression à mon sens. Comme je le dis aux joueuses, on a compté les jours avant [la compétition] et me concernant, c’est plutôt du positif, de la transmission positive auprès des joueuses. Il faut être intransigeante avec ce qu’on leur demande, c’est des matches de Coupe du Monde. Il faut aussi essayer d’avoir de la fluidité parce qu’on transmet aussi de la pression aux joueuses et j’ai envie de les dédouaner de ça. Individuellement, elles en ont parce que c’est humain et c’est normal à leur âge. Pour moi, il faut plus les accompagner sur des détails pour qu’elles soient au maximum de leurs possibilités le jour J. C’est la seule pression que j’ai avant les matches et sur le jour de match, l’entraîneur ne doit pas en rajouter, il doit faire en sorte d’être serein et j’essaie d’être sereine, tranquille pour que les joueuses le soient aussi.
CDF - Quel est votre discours pour les joueuses, pour les préparer avant chaque match ? Toutes les équipes sont prenables, mais les détails comptent ? Il faudra gravir des montagnes ?
S.H. - J’essaie de faire des causeries en deux temps, en trois des fois pour les préparer au mieux. On fait beaucoup d’analyses vidéos de l’adversaire mais aussi sur nous, sur nos entraînements et aussi sur place avec nos deux observateurs. C’est là aussi où on peut régler pas mal de choses et c’est un point important, autant que la préparation mentale. Je fais des causeries un peu différentes, sur l’aspect tactique, ce que l’on va demander en général. Par contre, plus on se rapproche du match, plus j’impulse l’aspect motivationnel avec un discours basé sur la motivation, la cohésion et sur l’objectif que l’on doit aller chercher. Les équipes sont toutes prenables mais j’attends notre début de compétition. Je trouve qu’on est une équipe et notre adversaire c'est nous-mêmes. C’est pour ça que l’accompagnement mental est important pour moi, car j’aimerais bien qu’on sorte de cette zone là. D’être plus créatives sur le terrain et à partir du moment où on lâche toute la pression que l’on peut avoir [on peut aller loin]. Pour moi le groupe est assez difficile dans le sens où c’est des footballs qui sont complètement différent, mais on va prendre les matches les uns après les autres, on ne va pas s’affoler parce qu’on sait que le Nigeria est une équipe redoutable. Il faut qu’on reste tranquille, sereine.
CDF - Sur l’Absence de Louna Ribadeira, peut-être préjudiciable à vos yeux ? Comment on explique son absence ?
Louna est une joueuse que j’ai bien suivi cette année. Je n’ai pas eu la possibilité de la prendre en U20 car la priorité a été donnée à la section U19 donc je n’ai pas pu la voir. C’est compliqué de sélectionner une joueuse alors qu´on ne l'a pas eu dans son groupe. La seule fois que je l’ai eu c’était un jour et demi pendant un stage à Clairefontaine à cause d’une joueuse forfait. J’avais demandé l’autorisation mais c’était trop peu. Elle avait montré de très bonnes prédispositions mais la manager des sélections de jeunes avait décidé que si une joueuse était au championnat d’Europe U19, elle ne pouvait pas faire la Coupe du Monde U20 et comme je n’ai pas suffisamment vu Louna, je me suis appuyée sur des joueuses que j’avais vu le plus souvent, entre autres pour la vie de groupe. Je peux faire une analyse technique sans problème et je pense que c’est ma force. Si on ne l’a pas sur un stage complet, on ne peut pas le savoir. Il manquait des éléments avec Louna mais j’ai des joueuses qui sont là et j’ai sorti la liste qui était prioritaire sur la Coupe du Monde et je me voyais mal sélectionner Louna parce que je n’ai pas eu la possibilité de la voir avant. C’était un choix qui était au dessus de mon rôle.