Footballeuse depuis l’âge de 10 ans, Sarah Boudaoud a chaussé ses premiers crampons au sein de l'Olympique Lyonnais, où elle a pu parfaire sa formation des U19, jusqu'en D1 à 18 ans, avant d'être appelée en sélection algérienne cette année. Elle n’a jamais quitté le chemin de l’école pour autant, puisqu'elle vient tout juste d'obtenir son Master en Management et Affaires Publiques, à Sciences-Po Paris. Cinq ans après avoir quitté la D1, la latérale droit revient à Issy, avec la ferme intention d'y rester. Entretien.

 

Coeurs de Foot - Cinq ans après tu retrouves la D1, toujours avec le FF Issy devenu GPSO 92 Issy, tu joues au poste de latérale droit, c’est ton poste de prédilection ? 

Sarah Boudaoud - Oui, mais cela dépend du système de jeu. Je suis beaucoup amenée à dédoubler et aller vers l'avant, donc sur un système en 3-5-2/3-4-3, c'est mon poste de prédilection. A droite sur la ligne du milieu, pour être plus précise.

 

CDF - Beaucoup de joueuses qui évoluent aujourd'hui à ce poste, jouaient milieu de terrain à la base. Est-ce que c'est aussi ton cas ?

S. B. - (rires) Non pas vraiment. De base j'étais 6 à Lyon, je l'ai été pendant longtemps, et j'ai été victime d'une rupture des ligaments à 15 ans. Avec la rééducation, plus la reprise, et comme je rentrais en pôle espoir [de Vaulx-en-Velin], on m'a fait reprendre à droite, et à Lyon aussi.

Ensuite j'ai évolué à ce poste, parce que j'ai un cardio, qui permet de jouer sur les côtés, de répéter les efforts etc Ça s'est fait comme ça. Mais aujourd'hui je ne me reverrais pas jouer 6, j'ai perdu un peu les repères à ce poste, donc ça serait compliqué. 

J'ai beaucoup appris avec les U19 nationaux de Lyon (entre 2011 et 2014), j'ai fait 3 ans et j'ai gagné le championnat lors de ma dernière année avec l'équipe contre Paris, au MMArena. C'était vraiment de bons souvenirs pour moi.

 

"A partir du moment où j'ai quitté Lyon,

je faisais le choix des études."

 

CDF - Qu’as-tu fait entre temps, depuis que tu as "quitté la D1" stp ? 

S. B. - A partir du moment où j'ai quitté Lyon, je faisais le choix des études. Tout en me disant, "le double projet" - même si je ne l'appelais pas comme ça à l'époque - que c'était possible [que je pouvais faire mes études et le sport en même temps], puisque tout me permettait de jouer [avec le FF Issy] et d'aller à l'école, à Sciences Po. 

Le FF Issy montait en D1 et ce n'était pas encore une structure professionnelle, donc elles s'entraînaient le soir. Je pouvais optimiser mon temps, de sorte à aller la journée à l'école et le soir au foot. Le fait que ça ne soit pas encore professionnelle, me permettait de maintenir les deux.

Donc j'ai fait une année en D1 (en 2014-2015, ndlr), et ça m'a beaucoup changé, parce que concrètement je suis passée des U19 de Lyon au poste de latérale - où je n'ai pas beaucoup défendu (sourire), j'ai beaucoup plus attaqué - au FF Issy en D1, qui était le petit poucet de la saison, où j'ai dû beaucoup plus défendre. On jouait en D1 contre des équipes qui y étaient depuis un moment. C'était un gros changement pour moi, mais ça m'a permis aussi de durcir un petit peu mon jeu. Mon année au FF Issy, ça a été l'année de l'expérience. Ça n'a pas suffi à nous maintenir, on est redescendu en D2.

De mon côté j’ai dû me projeter assez vite sur ma troisième année de licence qui devait se faire à l’étranger, avec les obligations de scolarité de Sciences Po. Je voulais absolument aller aux États-Unis, parce que c'était un peu mon regret de me dire que j'ai eu pas mal de copines, qui après le lycée, ont passé les tests à Clairefontaine pour aller directement étudier aux États-Unis, en obtenant une bourse pour faire 4 ans complets là-bas. J'avais vraiment envie de le faire, donc j'avais un compromis parfait avec Sciences Po. J'ai postulé pour aller en Floride, et j'ai donc fait un an avec l'équipe universitaire (Florida Gators, ndlr) où j'ai validé ma dernière année de licence (bachelor aux Etats-Unis, ndlr).

Quand je suis rentrée, j'ai rappelé Christine [Aubère (Présidente du GPSO Issy 92, ndlr)], les filles jouaient alors les barrages pour remonter en D2. Je savais que le coach avait changé, mais je connaissais certaines filles, et il n'y a pas beaucoup de clubs de D1 à Paris [intra-muros], à part le PSG, qui est beaucoup trop professionnaliser et qui ne me permettrait pas de reprendre mon Master [à Sciences Po]. Donc j'ai rejoint le FF Issy pour une nouvelle saison, et sur le premier match de championnat D2 malheureusement je me suis blessée, avec une rupture du LGA. J’ai fait mon opération en septembre, donc saison blanche pour moi. Je reprends en mars, mais je suis sur un rythme où moi j'ai envie d'avancer plus vite et mars-avril nous sommes quasi en fin de saison, nous étions sures de nous maintenir, donc nous n’avons pas pris de risques avec ma reprise et j'ai attendu la saison suivante pour véritablement jouer un match. 

Cette saison-là, je joue tous les matches, on finit 5e, et la saison suivante (2019-2020, ndlr) on remonte en D1. Coronavirus ou pas, on savait qu'on allait monter, parce qu'on a su creuser l'écart avec le deuxième (Rodez AF, ndlr), même si on a eu beaucoup de matches compliqués quand même. Ça a soudé le groupe. 


CDF - Tu as été formée à Lyon. Tu es une joueuse assez technique style Amel Majri, Selma Bacha etc c’est quelque chose que tu aimes dans ton jeu, que tu as peaufiné ou c'est quelque chose qui était obligatoire dans ta formation personnelle, et à ton poste ? 

S. B. - Alors je ne suis pas aussi technique. Si je prends du recul sur mon jeu, je suis une joueuse qui joue en une/deux touches de balle maximum, sauf quand je me projette [vers l'avant] et que là je vais dribbler un peu plus. J'essaye vraiment d'accélérer le jeu par des passes rapides, excepté quand j'arrive dans la zone offensive, où là je peux porter [dribbler] pour aller centrer.


"On a moins de liberté [dans le foot féminin,

par rapport au foot masculin]"


CDF - Dans le foot féminin on a l'impression que le "côté technique" sert moins que dans le foot masculin, le foot féminin est un jeu plus direct et bloqué par le pressing adverse, donc c'est vrai que faire un grand pont, une roulette, un sombrero etc c'est plus compliqué ?

S. B. – C’est vrai. Pour moi ce n'est pas frustrant [de ne pas pouvoir faire des dribbles etc, comme dans le foot masculin], je ne suis pas une joueuse qui aime faire des dribbles, pour faire des dribbles. J'aime avoir le ballon pendant le match, je vais le demander tout le temps (sourire), mais pour le remettre en une-deux touche de balle. 

Après je suis d'accord sur le fait qu'on a moins de liberté [dans le foot féminin, par rapport au foot masculin], mais parce que c'est peut-être la D1 qui veut ça et les équipes aussi, les consignes des coachs également. Il faut aller presser vite, presser haut, pour bloquer les espaces, et puis physiquement on a des capacités différentes que les garçons ; ils peuvent avoir la capacité de porter sur 50 mètres [le ballon] tout seul, faire la différence sur un exploit individuel, chez les filles, c'est un peu plus compliqué de faire ça.

Il vaut mieux favoriser le jeu en équipe où tu as une maîtrise globale. Après c'est bien d'avoir des joueuses qui savent faire la différence, mais tu sais qu'elles ne pourront pas le faire tout dans le match.


CDF - Avec tes études, après la D2, tu avais l'objectif de revenir quand même en D1 ?

S. B. - Oui dans un coin de ma tête. Ce qui était bien avec Issy, c'est que je pouvais me projeter plus facilement, parce que l'année où je fais mes croisés, les filles ont des difficultés mais se maintiennent [en D2], l'année suivante on finit 5e et à chaque saison on renforce l'équipe, et cette année, on était persuadés de monter. Notre objectif initial dès la préparation c'était : "On monte !". 

C'était ma dernière année d'études, cette année, donc je n'avais pas besoin de chercher un club de D1, parce que j'avais toujours ma tête au club.


CDF - Tu as déjà joué au FF Issy quand ils étaient en D1 (10 matches au total, source : footofeminin), c’était une saison très compliquée. Peux-tu revenir un peu dessus avec nous stp ? 

S. B. - J'ai joué les premiers matches [de la 1re à la 5e journée], et je me suis blessée contre Guingamp à domicile, je me suis fait une entorse du genou. Ça m'a mis HS plusieurs semaines et j'ai rejoué en fin de saison (10e/17e/19e/20e/21e/22e journée, ndlr).

 

"Ça remet un peu les pieds

sur terres."


CDF - Est-ce que c'était difficile justement de ne vivre que des désillusions (18 défaites, 3 nuls et 1 seule victoire contre Saint-Etienne) pour ta première saison dans l'élite, à seulement 18 ans ?

S. B. - Oui (blanc) c'est très compliqué... Pour deux choses, la première c'est que tu passes de plusieurs saisons [avec Lyon] et d'une formation complète [en pôle], depuis que tu as 10 ans, à jouer avec une équipe qui a la possession du ballon et c'est l'adversaire qui court après le ballon, à la position opposée [quand j'ai rejoint Issy]. 

C'était hyper intéressant comme je l'ai dit en termes d'expérience, c'est une des années qui m'a le plus appris, parce que je me suis complètement remise en question. Et deuxièmement, je suis arrivée avec la conviction que tu viens d'un grand club, et tu te rends compte qu'en fonction de l'équipe et de l'environnement tu n'es pas si forte que ça. Ça remet un peu les pieds sur terres. Et ça m'a montré aussi qu'il y avait une marche, qui était assez haute entre les U19 et la D1. Pas tellement en termes technique, parce que techniquement, tu ne progresses pas plus que ça, entre tes 19 ans et tes 22/23 ans. C'est à peu près similaire. 

Mais en termes physique, car l'impact physique n'est pas le même, l'intensité des matches n'est pas la même. Et on arrive quand même avec l'image "petit poucet". Quand tu joues avec l’étiquette OL, les clubs en face appréhendaient de nous jouer, ils ne venaient pas nous chercher.

 

"Il y a aussi une culture de la gagne à Lyon,

qui est impressionnante"


CDF - On a clairement ressenti la philosophie de jeu de Lyon dès qu’on t’a vu lors de ta première année de D1. C’est une philosophie de jeu bien distincte d’autres clubs, et bien ancrée en toi ? 

S. B. - Oui je pense que dès la formation c'était : jouer vite et simple, et c'est ce qui perdure dans mon jeu, car je joue toujours comme ça. C’est ce que j'ai appris à Lyon, et ce sont les consignes qu'on nous donne. Après quand tu es dans un onze, [ton jeu] ça dépend aussi du jeu de tes coéquipières.

En ce qui concerne la philosophie de jeu, on ne nous dit pas de jouer de telle ou telle façon, ça se fait naturellement, instinctivement et quand tu es dans la structure, ce sont les exercices, les entraînements, qui font que tu joues d'une certaine façon. Après il y a aussi une culture de la gagne à Lyon, qui est impressionnante, et que je n'ai retrouvé nulle part ailleurs. Tu dois avoir envie de gagner tout le temps [à Lyon].


CDF - Qu’est-ce qui change pour cette deuxième année dans l'élite avec Issy, devenu le GPSO 92 Issy ? 

S. B. - On a repris que depuis quelques semaines. Ça change dans le sens où dans nos têtes, ça ne devrait pas entrer en compte pour nous les joueuses, mais on sait que le club va avoir plus de financements, donc pourra peut-être rendre sa structure plus pérenne. Il y a un projet sur quatre ans, qui est soutenu par les collectivités locales, avec beaucoup d'envie, ce qui fait que tu sens que le club n'est pas tout seul, mais suivi et soutenu. 

En termes de motivation, nous savons aussi que nous représentons une zone géographique [le 92], que des gens ont misé sur le club, et c'est un vrai apport, par rapport à il y a 5 ans. 

Ce qui change au regard de la dernière saison en D1 [en 2014-2015], c’est qu’aujourd’hui on a quand même une vraie volonté de se professionnaliser, de donner de meilleures conditions aux joueuses et au staff. On a un centre de soin, de cryothérapie à dispo, un suivi médical renforcé. Le préparateur physique est là 3/4 fois par semaine, il y a quand même tous les ingrédients pour être en pleine forme. Et pour le reste on verra quand la saison commencera. C'est l'année où on doit se maintenir ! Tout le monde en est conscient.


CDF - Penses-tu que l'accompagnement des joueuses dans le football dans l'après-carrière est suffisante, même si tu n'as pas encore terminé ton parcours de ton côté ? Qu'est-ce qu’il faut faire de plus et comment ? 

S. B. - A titre personnel, je ne pense. En tout cas je pense qu'on pourrait faire beaucoup mieux et que ça serait utile à la fois pour les joueuses, mais aussi de manière plus générale pour le football féminin, pour le développer.

Je pense que l'accompagnement doit se faire très tôt. Certes tout le monde n'est pas en capacité de continuer ses études, jusqu'à une licence ou un master, chacun à son chemin de vie et ses envies. Mais je trouve dommage qu’il y ait plein de branches professionnelles qui ne sont même pas envisagées par les filles, parce qu'elles n'en ont pas la connaissance, ou qu'on ne leur en parle pas. C’est vraiment dommage parce qu’une carrière de footballeuse professionnelle, on la termine aux alentours de 30/35 ans au mieux, mais il reste peut-être la moitié de sa vie à devoir s'occuper, et c’est à ça qu’il faut aussi réfléchir assez tôt.


CDF - Est-ce que cette période de covid a remis en question ton avenir personnel/professionnel en tant que joueuse ou professionnellement hors du terrain avec les études et un boulot plus commun on va dire ? 

S. B. - En tant que joueuse non, parce que dans ma tête, c'était : "Championnes de D2, on va maintenant jouer en D1 donc c’est une motivation sans faille, tout en sachant que j'ai été sélectionnée avec l'équipe [nationale] d'Algérie récemment, donc je ne peux que me projeter positivement dans le foot". Donc effectivement tout allait bien dans mon esprit avant et pendant cette période de crise sanitaire. Je voyais à la fois la compétition internationale qui était possible et le fait que j'allais être diplômée, donc j'allais avoir plus de temps pour m'y consacrer. Tout commençait à bien se relancer, donc de ce côté-là pas de soucis. 

Après du point de vue professionnel, j'ai continué de travailler en tant qu'assistante parlementaire pour un député, et ce à mi-temps. 

Je me suis posée la question de savoir si je continuais ou pas mes études post-diplôme. Initialement je ne voulais pas, mais en ayant réfléchi, en me posant certaines questions, en me demandant comment faire si je veux lancer une entreprise à l’avenir, j’ai décidé de débuter un second master à la rentrée. 

 

"Je veux absolument qu'on se

maintienne cette saison"


CDF - Aujourd’hui tu t’es engagée une nouvelle saison avec Issy. Comment tu vois ton avenir ? Ton but est d'être titulaire sur chaque match cette saison, mais est-ce que tu vas continuer à Issy, changer de club, de pays ? Parce qu'on sent que ta carrière de joueuse, ça te tient à cœur.

S. B. - Oui absolument ! Dans la meilleure des options j'aimerais bien sûr être titulaire sur tous les matches, parce que j'ai envie d'aider mon équipe, apporter offensivement, par des passes décisives, par une solidité défensive. Ça c'est tout ce qui est objectif personnel. Mais l'objectif d'équipe, que je puisse aider mon équipe à se maintenir et se pérenniser au niveau D1. Je veux absolument qu'on se maintienne cette saison. Ça serait un échec, et un véritable échec personnel de descendre cette année. 

Après, le coronavirus a mis pas mal de choses entre parenthèses, on avait la CAN à jouer [avec l'Algérie] et c'est vrai que je ne sais pas trop comment ça va repartir. Mais dès qu'il y a un rassemblement avec l'équipe d'Algérie, j'aimerais bien évidemment repartir et montrer de quoi je suis capable au niveau international aussi. Ca c'est un vrai objectif et puis porter fièrement les couleurs de l'Algérie aussi, parce que jouer au niveau international c'est une fierté.

Ensuite, advienne que pourra. Je suis à Paris pour encore au moins un an et demi, je parle par rapport à mes études, mais je suis ouverte pour partir à l'étranger dans quelques années.

 

Photo : Patrick Vielcanet

Dounia MESLI