D'un caractère affirmé et déterminé, Océane Deslandes a su repartir de l'avant après une grosse déception en sélection jeune, avec comme seul objectif de gagner sa place chez les A, pour aller décrocher un premier titre pour l'équipe de France en senior. Entretien avec la défenseure et capitaine du Stade de Reims, actuel 7e de D1 Arkema.

 

 

Coeurs de Foot - Tu débutes à un âge où être footballeuse c’est plus une passion, qu’un « métier ». Est-ce qu’aujourd’hui les deux se marient selon toi ?

Océane Deslandes - Oui bien sûr. Au début évidemment [quand] j'ai commencé c'était vraiment une pure passion, du pur plaisir, encore aujourd'hui, mais c'est différent. C'est mon métier à présent, parce que je ne peux pas me permettre de faire autre chose à côté, ce n'est pas possible, ça me prend énormément de temps [le football].

Si on veut être performante, si on veut être la meilleure, il faut énormément travailler, on a deux entraînements par jour, on est trop occupées. On est aussi payées pour ça aujourd'hui, et heureusement parce que quand on ne peut pas faire autre chose à côté, on ne pourrait pas vivre. Donc aujourd'hui c'est mon métier et je suis fière d'avoir ce métier. Je sais que c'est une chance aussi de faire ce métier.

 

CDF - Tu joues ta 4e saison à Reims, tu participes d’ailleurs à la montée du club avec entre autres Melissa GomesNaomie Feller ou encore Melissa Herrera, ça a marqué un vrai tournant pour toi aussi cette montée en D1 à l’âge de seulement 18 ans ? As-tu toujours été défenseure centrale ?  

O. D. - Oui j'avais 18ans, forcément c'était un peu un tournant dans ma carrière. Je suis venue à Reims pour ça, pour monter en D1, pour participer à la montée, et en venant à Reims c'était vraiment mon objectif.

En D2 j'étais latérale gauche, et ensuite défenseure centrale lorsqu'on est monté en D1.

 

CDF - Entre ta première saison et la deuxième c’est tout de même le jour et la nuit pour toi ? Tu joues beaucoup plus de matches. Comment l'expliques-tu ? 

O. D. - Oui bien sûr, déjà ma première saison en D1 a été un peu difficile et sur ma deuxième saison, j'ai su devenir un peu plus importante dans l'équipe, avoir la confiance de la coach (Amandine Miquelndlr) et du staff, et c'est ce qui m'a aidé aussi à devenir la joueuse que je suis aujourd'hui, et j'ai beaucoup travaillé pour ça.

Par le travail [je joue beaucoup plus], je pense que j'avais aussi un temps d'adaptation à la D1 qui n'était pas facile au début. Il faut s'acclimater, j'étais une jeune joueuse, j'avais 19 ans [je venais du Mans], donc forcément c'était difficile pour moi. Après quand on arrive dans le grand bain, tu n'as pas le choix de te mesurer aux autres, donc c'est ce que j'ai essayé de faire et après j'ai pris ma place petit à petit.

 

"Je veux être une joueuse moderne [...] 

c'est-à-dire la première attaquante"

 

CDF - Quelles sont selon toi tes caractéristiques premières de ton jeu sur le terrain ? (La hargne, ne lâche rien, une bonne vision du jeu…) Comment est-ce que tu échanges avec ta gardienne ? 

O. D. - Je dirais ma hargne, toujours dans les duels, les uns contre uns, je veux 100% de réussite dans mes duels dans un match, pour moi c'est primordial pour un défenseur. Après je sais que mon pied gauche, c'est une arme pour moi, parce qu'il y a beaucoup moins de gauchères dans le monde du foot, ce sont des statistiques, donc je pense que c'est aussi ma force. 

Pour moi je pense que je suis et je veux être une joueuse moderne - défenseur central à l'époque c'était le libéraux, c'était le dernier défenseur - c'est-à-dire la première attaquante, et on le voit, il y a beaucoup de défenseurs qui marquent aujourd'hui ou qui font beaucoup de passe décisives. On peut avoir cette passe qui casse des lignes, ou cette dernière passe en étant dans notre partie de terrain. C'est vraiment quelque chose que je veux développer, et je ne veux pas être la défenseure derrière, qui coupe juste les ballons, qui défend, je veux avoir ce double rôle d'attaquer aussi en même temps.

Emily [Alvarado] prend des cours de français, elle m'a surpris d'ailleurs car elle a très vite appris, de base elle avait les mots basiques du football, et aujourd'hui franchement elle parle bien français, elle sait beaucoup amélioré et on arrive aussi à échanger en anglais, mais forcément c'est plus difficile pour se comprendre sur le terrain, car on n'a moins le temps de réfléchir. Elle a fait énormément d'efforts et on arrive à se comprendre.

 

CDF - Comment tu juges son adaptation justement à Reims ?

O. D. - Son adaptation s'est faite très vite, elle savait qu'avant on avait une gardienne de très haut niveau, avec Phallon [Tullis-Joyce], on sait que c'était quelqu'un qu'il faut réussir à remplacer, très vite, parce qu'une gardienne ça fait gagner nos matches aujourd'hui. Donc elle s'est très bien adaptée que ça soit en dehors ou dans le groupe.

Franchement aujourd'hui les étrangères ce n'est plus comme avant, maintenant elles arrivent à se mélanger à tout le monde, on essaye aussi de les intégrer au mieux, parce que ce n'est pas facile, on se met à leur place. On sait que si nous demain on va à l'étranger, déjà ce n'est pas la même langue, ce n'est pas le même football, tout est différent. On a essayé de l'accompagner au mieux et elle s'est très bien adaptée.

 

CDF - Tu hérites dès la 3e saison - avec le départ aussi peut-être de Giorgia Spinelli - du brassard de capitaine, et tu entres dans une autre dimension à seulement 21 ans ?

O. D. - Oui bien sûr, à partir du moment où on a la possibilité d'avoir le brassard, c'est quelque chose d'important pour une joueuse. Après le brassard ne fait pas tout, il y a plusieurs leaders dans une équipe, il peut y avoir des leaders qui mettent de la voix dans le vestiaire ou sur le terrain ou alors des leaders techniques. 

C'est ce que j'aime être, donc avec ou sans brassard j'aime bien apporter un plus à l'équipe, et le brassard ça montre que la coach a confiance en moi et ça aide forcément sur le terrain.

 

CDF - Justement, tu as un poste stratégique pour voir le jeu et avoir ces responsabilités également ?

O. D. - Oui bien sûr, on sait que les défenseures en général, en plus les défenseures centrales, on a un poste où on voit tout le jeu, on a le jeu qui est devant nous, donc c'est un poste qui est important pour la communication.

Après c'est en moi aussi, j'aime bien être leader que ça soit dans ma vie privée ou dans ma vie professionnelle, j'aime bien diriger et aider, j'aime bien partager aussi ce que je sais, et ce que je sais faire, c'est quelque chose qui est innée en moi, et j'aime le transmettre sur le terrain.

 

CDF - Qu’est ce qui explique cette nouvelle responsabilité de ton côté ? Beaucoup de responsabilités, très jeune, c’est quelque chose que tu voulais en débutant ton parcours et en étant passée par Le Mans ?

O. D. - Oui bien sûr [c'est beaucoup de responsabilités très jeune], j'ai toujours voulu un jour diriger mon équipe, mais comme je l'ai toujours dit, c'est plus facile d'être leader quand on est bien dans ses baskets, quand on arrive aussi à être au niveau parce que sinon on ne peut pas se permettre de parler ou de dire les choses, on se sent moins concernée. Et moi j'essaye de faire le travail, ensuite quand je sens que ça se passe bien, forcément il faut avoir l'écoute de l'équipe et je pense l'avoir ici. 

C'est ce qui me plaît, et c'est ce que j'ai toujours voulu être, que je sois jeune ou pas, j'ai quand même un minimum d'expérience des sélections [en ayant été capitaine en équipe de France jeune] et aussi de mes 3 ans en D1 aujourd'hui à 21 ans. Donc je pense que l'âge aujourd'hui il est peu important, il faut juste être consciente de ce qu'on est et moi je suis contente quand je peux aider l'équipe en étant leader, ça me fait plaisir.

 

"Forcément ça a été comme un 

échec dans ma tête"

 

CDF - Comment tu analyses tes sélections en jeune ? Est-ce que tu fais plus attention pour éviter les blessures, des exercices spécifiques ?

O. D. - J'ai participé à toutes les sélections jeunes, des U16 aux U19, puis les U20 et les U23. J'ai eu un moment de flottement en U19, lors de ma blessure - je touche du bois car je me blesse très rarement - et c'est une année où j'avais eu une entorse à la cheville, qui avait duré plus longtemps que prévu, du coup j'ai loupé le championnat d'Europe, lors duquel les filles avaient été championnes (en 2019, ndlr), donc forcément ça a été comme un échec dans ma tête... Et c'est là que je me rends compte que c'est dans l'échec que moi j'apprends et que j'arrive à me relever, parce que c'est après ça que je me suis mise à travailler et je me suis dit que je ne peux pas vivre sur mes acquis, ça ne passera plus à un moment donné et je m'en suis rendue compte. C'est à ce moment-là que j'ai continué à travailler et je suis revenue en U20 et ensuite en U23.

Oui après j'ai toujours fait attention, que ça soit dans mon hygiène de vie, en dehors du terrain, j'ai toujours fait ultra attention, avec beaucoup de prévention, beaucoup d'exercices. Après je pense que j'ai une morphologie qui - je touche du bois encore une fois - ne se blesse pas, donc je pense que c'est un tout chez moi. C'est ce qui me permet de faire des saisons complètes et c'est important surtout en étant jeune, et en étant défenseure.

 

CDF - Cette saison vous avez eu de belles performances et des moments d’absence on va dire, qu’est-ce qui explique selon toi le fait de ne pas enchaîner sur de belles performances ou face à des adversaires plus à votre portée ?

O. D. - Déjà le haut niveau c'est sur que c'est être régulière, et c'est ce qui est important on l'a vu dans notre saison aujourd'hui. On a eu de la chance aussi que les équipes devant nous fassent quelques faux-pas, ce qui peut nous permettre aujourd'hui de pouvoir être 5e ou 6e en fin de saison. 

Après je pense aussi que c'est le fait qu'on soit jeunes, qu'on soit toutes jeunes, donc forcément c'est un atout sur le terrain et en dehors. On est un groupe qui s'entend très bien, sur le terrain ça se ressent, mais forcément des fois quand ça ne va pas, on n'a pas trop d'expériences, on n'a pas cette "leader plus âgée", qui va dire les choses et qui va un peu aplatir tout ça quand sur le terrain c'est un peu compliqué, et c'est ça qui fait notre irrégularité parfois. 

Je pense qu'on travaille de mieux en mieux et je pense que cette année ça va, même si on aurait pu gagner certains matches, mais après ça reste le foot, c'est comme ça. Quand on perd les plus petits matches, il faut savoir batailler face aux plus grands - on a fait match nul contre Guingamp, mais on a su l'emporter face à Montpellier par exemple - et c'est ce qu'on sait faire, c'est ce qui fait notre force.

 

"Tout le monde rêve de la jouer et de la 

gagner cette Ligue des Champions" 

 

CDF - Est-ce que le Graal pour une équipe comme Reims c’est de tenir tête à des équipes comme Lyon ou Paris, quitte à créer la surprise ? Et de viser la Champions League peut-être à titre personnel ou en club ?

O. D. - Oui bien sûr, on a toujours été une équipe, qui n'a jamais eu peur des plus grands que nous, on se dit tout le temps finalement qu'on a rien à perdre. Depuis qu'on est monté en D1 on sait que notre moyenne d'âge est de moins de 23 ans et encore ce sont les plus anciennes qui font monter la moyenne. On est tellement ambitieuses, on est tellement des travailleuses en étant jeune parce qu'on est des internationales, que ça soit U19, U20, U23, certaines en A, on joue notre jeu, on ne suit pas trop l'adversaire, ça n'a jamais été notre philosophie. On l'a déjà vu, on est déjà allé chercher Lyon très haut, il y a deux ans à Delaune, elles ne nous attendaient pas, et on a réussi à leur mettre deux buts et c'est quelque chose qui est dans notre philosophie, on joue notre jeu et le résultat on verra à la fin.

(sourire gêné) Forcément c'est un objectif pour toutes joueuses ambitieuses. Déjà individuellement tout le monde rêve de la jouer et de la gagner cette Ligue des Champions. Après avec le Stade de Reims je sais que c'est un projet de faire mieux d'année en année. L'exercice précédent on a terminé 6e, cette saison on aimerait finir 5e, donc pourquoi pas dans quelques années finir 4e, voir attraper le podium, c'est un objectif. Après il faut assumer d'avoir des objectifs aussi hauts. J'espère que le Stade de Reims ira le plus haut possible un jour, mais ça on ne peut pas le savoir à l'avance.

 

"C'est beaucoup d'émotions,

beaucoup de fierté"

 

CDF - Grâce à tes bonnes performances et celle de ton club, tu es appelée en A et en U23. Qu’est-ce que ça fait de rejoindre la cour des grandes ? 

O. D. - Beaucoup d'émotions. Honnêtement, j'ai été appelée trois fois [en A], deux fois en remplacement et une fois officiellement, c'est beaucoup d'émotions, beaucoup de fierté, parce que je sais le travail que je donne sur la saison, et je pense que c'est une récompense pour moi. 

Après j'y suis allée en mode plus découverte, j'ai appris beaucoup de choses, énormément de choses, ça a été quelque chose d'énorme pour moi. Ça m'est tombée un peu dessus du jour au lendemain [la sélection A], c'est vrai, mais j'ai été prête. Aujourd'hui je suis appelée en U23, c'est bien aussi, mais je ne vais pas me le cacher, mon but c'est de retourner là-haut et en y retournant, en étant prête et en étant plus la jeune qui découvre, mais la joueuse qui est déjà venue trois fois, et la joueuse qui veut maintenant s'installer, parce que c'est bien d'être là, mais être en figuration ça ne m'intéresse pas, je veux jouer et être performante pour l'équipe.

 

CDF - Sur la sélection, on sent que tu es encore en apprentissage, en découverte, comment on fait justement à cet âge-là pour s’intégrer à un groupe presque déjà bien formé ?

O. D. - Oui ce n'est pas facile, ce n'est pas facile (elle se répète), après c'est sûr qu'il y a des grandes joueuses, que quand j'étais plus jeune je regardais à la TV avec des étoiles dans les yeux... Mais il faut rapidement switcher, il faut vite se dire que maintenant ce sont nos coéquipières et qu'il faut jouer avec et ne pas les regarder comme je le faisais à mes 10 ans. Maintenant ce sont mes coéquipières, il faut s'adapter, il faut avoir leur niveau, parce que si on est là, c'est pas pour être un peu en-dessous, c'est pour avoir leur niveau, quoiqu'il arrive, malgré que j'ai 10 ans de moins que Wendie Renard, mais aujourd'hui c'est mon but d'arriver à leur niveau. 

J'ai beaucoup échangé avec elles, et elles sont beaucoup dans le partage de leur expérience, elles nous ont très bien intégré en étant jeune, franchement ça s'est super bien passé.

 

Interview réalisée jeudi 14 avril 2022 par téléphone

 

Photo : Stade de Reims

Dounia MESLI