Si la communication sur le terrain est l'un de ses plus gros atouts, au-delà de son talent, la gardienne du Dijon FCO, Mylène Chavas, n'en a pas la même "priorité" concernant celle sur ses réseaux sociaux. Éclatante sur le terrain, assez discrète en dehors, la championne d'Europe U19 et vice-championne du Monde U20 - après avoir éliminé les deux favoris de cette édition, l'Allemagne et le Japon dans des matches qui resteront gravés dans le coeur des français - rêve aujourd'hui d'être appelée et de remporter un titre avec l'équipe de France A.

 

Coeurs de Foot - Tu es titulaire sur ce début de saison avec Dijon, tu as joué tous les matches. On sent que la communication est très présente chez toi, tu communiques beaucoup avec tes coéquipières sur le terrain et souvent quand tu ne l’as pas fait, les buts sont arrivés. Est-ce que tu as remarqué cela aussi de ton côté ?

Mylène Chavas - C'est vrai que pour moi la communication [sur le terrain], c'est très important. Depuis que je suis jeune, c'est un de mes gros points forts, de par ma voix, ça me permet de vraiment communiquer fort et clairement avec mes coéquipières. Je m'appuie beaucoup dessus pour gérer tout ce qui va être gestion de profondeur, de centres etc

Et c'est vrai que c'est quelque chose avec lequel j'échange beaucoup avec mes coachs, également avec mes coéquipières directement, parce que je sens que c'est important pour elles, elles me le disent aussi. J'essaye de m'appuyer là-dessus pour être efficace et apporter un maximum à l'équipe.

 

"Notre concentration est un point vraiment essentiel"

 

CDF - Qu’est-ce qui est le plus important en tant que gardienne quand on est dans un match ? (Suivre le ballon, ses coéquipières, les adversaires, le jeu, se faire les scénarios des actions adverses...)

M. C. - Il va y avoir plusieurs choses, je pense que notre concentration est un point vraiment essentiel. Pendant 90 minutes voir plus, on va très peu avoir le ballon entre les mains ou dans les pieds, et pourtant on doit rester concentrées tout le long du match. Et c'est vrai que la communication permet aussi ça [de rester concentrées et impliquées] puisque ça nous permet de rester dans le match, de rester concentrées sur l'action, sur ce qui se passe autour de nous, et de ne pas s'éparpiller. 

Il va y avoir beaucoup de choses à gérer effectivement, bien sûr être focalisées dans le match, dans l'action. Après il faut arriver à analyser la lecture du jeu, c'est à dire arriver à anticiper ce qui va pouvoir se passer, sans être dans la spéculation non plus, parce que si on imagine quelque chose qui va se passer et que ça se passe autrement, on peut être en retard, on peut perdre le rythme de l'action et ce n'est pas bien pour nous. C'est plein de choses à prendre en compte et le tout fait qu'à la fin du match, on aura été performantes ou pas.

 

CDF - Les buts c’est avant tout un manque défensif de toutes tes coéquipières de l’attaque à la défense, ou une mauvaise analyse de la trajectoire du ballon selon toi ? Tous les ballons ne peuvent pas être arrêtés ? Sinon ça serait trop facile en tant que gardienne. Est-ce qu'il y a quand même une petite part de frustration sur ce point, quand on se prend un but et qu'on se le remémore à chaque fois ou est-ce qu'on passe vite à autre chose ?

M. C. - Je pense qu'à partir du moment où il y'a un but qui est encaissé, c'est au niveau collectif que ça a péché, il y a des manquements collectifs, sur certains points. Ca peut être le marquage, la fermeture des intervalles... Je pense que c'est plus un manquement collectif, qu'autre chose.

Oui et sinon il n'y aurait jamais de buts le week-end [si les gardiennes arrêtaient tout et c'est quasiment impossible].

Honnêtement pour moi il y a une énorme frustration à chaque but encaissé, même contre les plus grandes équipes et que c'est très difficile pour nous [défensivement ou offensivement]. On peut faire énormément d'arrêts et puis s'il y'a un but, ça va être très frustrant, parce que même si on a fait un bon match, il y a toujours ce sentiment de frustration qui est très présent, d'en avoir encaissé.

 

"On a un rôle qui est ultra décisif"

 

CDF - On dit souvent que le/la gardien(ne) est à l’origine de la victoire ou du nul, mais aussi de la défaite de son équipe, c’est aussi ton avis ou en tant que gardienne tu trouves que c’est un peu dur comme critique ?

M. C. - On a un rôle qui est ultra décisif, je pense que tous les gardiens en sont conscients et c'est vrai qu'on peut avoir un rôle à jouer. Après est-ce que vraiment il est à chaque match [ce rôle décisif] ? Je ne sais pas. Je pense que c'est aussi en fonction de l'adversaire, et de la forme de l'équipe du moment. 

 

CDF - As-tu des modèles sur lesquels tu t'inspires ? Je sais que ton frère jouait également gardien, quand tu étais petite.

M. C. - Oui j'ai un grand frère qui était gardien, quand j'étais petite, et qui m'a donné envie de jouer au foot et d'évoluer à ce poste-là. Donc je pense que ça a toujours été mon modèle. En grandissant j'ai appris aussi à reconnaitre les grands gardiens de niveau international et je m'en inspire presque au quotidien.

 

CDF - Tu as été formée à Saint-Étienne, tu y es restée assez longtemps dans ton parcours. On sait que c'est le club qui t'a donné ta chance, et malgré la relégation, tu es par loyauté. Mais est-ce que tu n'as pas perdu une année décisive en restant par loyauté, alors que le club était malheureusement descendu en D2, que le niveau est moindre, tout comme la visibilité pour être appelée en sélection.

M. C. - Oui j'ai été formée à Saint-Etienne. Disons qu'à ce moment-là, j'étais encore jeune, j'avais 20 ans (Mylène avait disputé l'Euro U19 et la Coupe du Monde U20 cette année 2016, où elle était également titulaire à l'ASSE, avant de descendre en D2, cette même saison 2016-2017, ndlr).

Effectivement la loyauté à été prise en compte de mon côté, c'était important pour moi de rester à Saint-Etienne pour pourquoi pas leur permettre de remonter, mais on l'a pas fait et c'est dommage... Mais je ne pense pas que ça soit une année de perdue non plus, puisque j'ai quand même appris au cours de cette année, j'ai continué de travailler et au final je suis allée au bout de mon aventure avec Saint-Eienne (2013-2018, ndlr), et le changement à été plus que bénéfique. J'ai pu me rendre compte de la limite de la D2 et puis ça m'a permis d'avoir un gros changement [en signant à Dijon en 2018] et de vraiment profiter de ce changement aussi [pour revenir en D1, progressivement].

La D2 je ne connaissais pas du tout et effectivement c'est un niveau qui est complètement différent, mais ça a été quand même enrichissant, au niveau de l'expérience. Maintenant je sais ce que c'est et j'ai plus de facilité à appréhender ce que ça pourrait être, et de la différence notamment avec les équipes qui montent (Le Havre, et le FF Issy sur cette saison, ndlr). Par exemple, je sais par quoi elles sont passées et je sais donc à quoi m'attendre.

 

CDF - Comment tu gères toute la pression et le stress liés à ton poste notamment, à l'élite du championnat de France ?

M. C. - Depuis l'année dernière je travaille avec un préparateur mental, qui m'aide à ce niveau-là. C'est un gros travail que je fais depuis l'année dernière, j'ai senti que j'en avais besoin et effectivement ça porte ses fruits depuis. C'est positif pour moi et je me sers de toutes les expériences que j'ai pu avoir, pour travailler à ce niveau là.

 

"On n'arrive pas à ce poste par hasard"

 

CDF - Est-ce qu’il y a des aptitudes spécifiques à avoir pour prétendre à être gardienne, qui est un poste assez solitaire par rapport aux joueuses de champ ?

M. C. - C'est très solitaire [comme poste]... On n'arrive pas à ce poste par hasard.

Après c'est un poste très particulier, qui demande je pense des aptitudes particulières aussi, notamment au niveau mental, au niveau de la concentration, au niveau de l'attention. C'est un travail en plus qu'il faut qu'on fasse à côté. Il faut appuyer sur ces points-là pour être performante.

 

CDF - Est-ce que le détail qui fait d'une gardienne une grande gardienne, c'est la réactivité, être réactive sur ces déplacements, sa gestuelle des bras pour les parades, et être parfois "plus rapide" que le ballon au final ?

M. C. - Oui la vitesse de réaction, la vitesse gestuelle, ce sont des éléments clés. Après il y a des joueurs, des joueuses qui sont très fort(e)s là-dedans et qui pourtant ne seraient pas à l'aise dans un but. Mais c'est différent, parce que nous on a aussi une vitesse gestuelle à trouver au niveau du haut du corps [avec les bras] que les joueuses n'ont pas. C'est très global comme poste, on va vraiment utiliser tout notre corps, et donc il faut arriver à tout coordonner et tout synchroniser.

La coordination c'est vraiment essentielle à notre poste et pour avoir coaché les petites gardiennes du club [de Dijon] l'année dernière, je me suis rendue compte que c'était vraiment l'élément à travailler dès le plus jeune âge. Et je pense que justement les petites gardiennes, qui jusqu'à présent ne profitaient pas d'entrainements spécifiques, parce que ce n'était pas très développé dans les clubs, je pense que c'est là-dessus qu'il faut le plus travailler, parce que quand on arrive au haut niveau, c'est vraiment primordial.

 

"Je pourrais continuer dans le foot, mais à un autre poste"

 

CDF - Sarah Bouhaddi a dit dans l'une de nos interviews qu’elle se verrait bien terminer joueuse de champ. Est-ce que c’est quelque chose auquel tu penses aussi ?

M. C. - (sourire) Pourquoi pas (rires). Après avec Sarah (la gardienne de l'Olympique Lyonnais a 34 ans) on n'a pas le même âge, donc ce n'est pas la même vision, mais pourquoi pas, franchement. Marquer des buts à la fin de ma carrière, j'aimerai bien aussi. Je pourrais continuer dans le foot, mais à un autre poste, ça pourrait être sympa.

On a la frustration d'encaisser des buts, quand on est gardien(ne)s, donc en marquer ça pourrait compenser un petit peu.

 

CDF - Le haut niveau si on n'y reste pas, c’est difficile de garder son niveau personnellement ? Ton plus grand objectif c'était de revenir en D1, quand tu es redescendue avec Saint-Etienne, après deux grosses compétitions en sélection (Euro U19 et Coupe du Monde Uéà, en 2016) ?

M. C. - Le changement de niveau je pense qu'au niveau collectif il est marqué, visible, mais c'est aussi à soi de vouloir rester au même niveau, voir de continuer à progresser malgré la relégation du club. Je pense que ça c'est vraiment personnel, et que ça ne dépend pas du niveau de l'équipe.

C'était mon objectif effectivement [de revenir en D1] et que ça soit collectif ou personnel.

 

CDF - Quand tu es arrivée à Dijon, il y avait une petite concurrence avec Emmeline Mainguy, aujourd'hui avec Maryne Gignoux. Comment tu vis le fait de devoir t'imposer peu importe le club où tu joues, plus qu'une joueuse de champ par ailleurs ?

M. C. - Oui les joueuses ont plus de chance de jouer sur un match, même si elles ne commencent pas, en tant que titulaires. Après nous on le sait [en tant que gardienne] la hiérarchie elle est établie, donc je pense que... On a toujours travaillé comme ça en fait, les joueuses ont tendance à nous dire : "Je comprends pas, je sais pas comment vous faites [pour prendre sur vous, de ne pas jouer] etc" mais nous on a toujours évolué comme ça, et donc ça fait partie de notre poste aussi.

Peut-être que du coup on pense plus collectif, si celle qui est devant nous est plus performante, tant mieux pour l'équipe et moi je vais m'en servir pour travailler encore plus dur, s'entraider et peut-être réussir à lui passer devant.

 

CDF - As-tu déjà réfléchi à l'après-football, ce que tu feras ?

M. C. - Cette année j'ai repris mes études à la FAC et pour la suite j'aimerai avoir ma licence en activités physiques adaptées, ça serait là dedans que je m'orienterais à la fin de mes études et pourquoi pas à la fin de ma carrière.

 

"[La communication hors terrain] je sais que c'est important"

 

CDF - Aujourd’hui la communication prend une part importante dans le foot, est-ce que c’est difficile quand même de "communiquer" avec ses fans ? Quand on sait que ça peut aussi renvoyer un manque d’humilité, de ce que nous disent la plupart des joueuses qu’on a interviewé à ce sujet. Quel est ton avis sur ce point ?

M. C. - Moi c'est pas forcément quelque chose avec lequel je suis très à l'aise. Je sais qu'il y a des filles dans mon équipe qui communiquent sur les réseaux sociaux, avec des photos ou des vidéos. Moi c'est pas mon fort du tout (rires). Après je sais que c'est important, donc pourquoi pas, d'ici quelques années m'y mettre un peu plus. Mais pour le moment ce n'est pas là-dedans que je veux me lancer et c'est pas forcément ma priorité.

Oui c'est vrai que le manque d'humilité, ça peut se ressentir comme ça, c'est aussi mon avis, ça me met mal à l'aise de devoir me mettre en avant pour ma part.

 

CDF - Ça fait quelques années que tu as quitté les U20, en étant sensationnelle, je sais que le maillot tricolore te tient particulièrement à cœur, surtout pour aller au bout encore une fois avec les Bleues, donc c’est l’objectif de ta carrière aujourd’hui malgré la forte concurrence à ton poste et un turn-over assez faible à ce poste ?

M. C. - Bien sûr, c'est évidemment mon objectif. Ca l'est depuis toujours. Encore plus depuis que j'ai quitté les U20 et que ma catégorie maintenant c'est l'équipe de France A ou B.

Porter le maillot bleu, c'est une immense fierté et pour moi c'est toujours un objectif et il est très présent, d'ailleurs dans mon quotidien. J'essaye vraiment de travailler tous les jours pour ça et j'espère être appelée bientôt.

 

"Remporter un titre avec l'équipe de France A, c'est un rêve."

 

CDF - La Coupe du Monde, l'Euro comme objectif ? Surtout que tu as remporté un titre avec l'équipe de France U19 de ton côté.

M. C. - Il y a forcément des objectifs de compétitions avec l'équipe de France et je pense que toutes les joueuses de France, espère gagner une compétition majeure avec leur sélection. Pour nous c'est le but ultime de notre carrière et remporter un titre avec l'équipe de France A, c'est un rêve.

Oui j'ai eu la chance de remporter l'Euro avec les U19, donc je sais ce que ça fait en U19, maintenant avec les A je pense que c'est encore plus grand.

 

CDF - Est-ce que tu envisages une aventure à l'étranger à court ou long termes ?

M. C. - Pourquoi pas. Honnêtement en Europe, il y a des championnats qui se développent très très vite et de façon très très belles. Après ça sera en fonction des opportunités.

J'ai déjà réussi à gagner ma place en D1 cette année, je vais déjà en profiter cette saison et puis on verra pour les prochaines années.

 

Photo : Patrick Vielcanet

Dounia MESLI