Du Toulouse FC, au Paris FC en passant par l'INSEP et les équipes de France, Mathilde Bourdieu n'a jamais lâché son rêve et son objectif de faire de sa passion son métier, malgré de graves blessures. Deuxième meilleure buteuse de son club cette année avec 6 réalisations en D1 (11 avec la Coupe de France), l'internationale française revient chargée à bloc depuis cette saison, avec un état d'esprit irréprochable et revanchard. Entretien avec l'attaquante du Paris FC, qui a récemment fêté ses 23 ans.

 

Coeurs de Foot - Tu es Parisienne de base, avant d'avoir déménagé à Toulouse avec ta famille. Comment as-tu intégré le TFC ? Tu as intégré le Pôle de l'INSEP à côté, comment gérais-tu les deux ?

Mathilde Bourdieu - Oui je suis née à Paris, je suis restée un an et ensuite mes parents sont descendus dans le sud, et j'ai grandi à Toulouse, donc je suis demi-Parisienne (sourire).

J'ai intégré le club du TFC (Toulouse Football Club) à 7 ans, j'y ai fait toute ma formation. J'étais à l'INSEP durant le lycée, je suis la génération où c'était la première année à l'INSEP, donc on n'a pas fait/vécu Clairefontaine. Ensuite j'ai signé à Juvisy lors de ma dernière année de Pôle, et j'étais à Toulouse en D2 en même temps. C'est aussi à ce moment-là que j'ai goûté à l'équipe de France et un peu le haut niveau.

J'ai été prise avec la Coupe nationale, c'était comme ça à mon époque, quand j'étais en 4e/3e, lors de cette dernière année de collège, j'ai fait les concours pour intégrer les Pôles, et j'ai été prise à l'INSEP.

 

CDF - Comment s’est passée ton arrivée depuis Toulouse, à Juvisy ?

M. B. - Comme j'étais déjà sur Paris avec le Pôle, j'ai commencé un peu à m'habituer à la vie parisienne. Et lorsque j'ai intégré Juvisy, ça s'est fait un peu naturellement. C'était un peu la suite logique de ce que je faisais au Pôle, avec les équipes de France [jeunes] et ça c'est plutôt bien passé, parce que ma première année hors Pôle j'ai intégré le groupe D1. Et puis c'est là où j'ai commencé vraiment à goûter au niveau du championnat élite, même si je n'avais fait qu'un match pendant ma dernière année de Pôle...

 

"Ça a été un choix fort pour

eux et pour moi"

 

CDF - Tu feras face à une blessure dès ton arrivée à Juvisy ?

M. B. - J'ai été prise au club avec ma blessure. J'ai eu ma blessure entre ma 2e et ma 3e année de Pôle, et quand ils sont venus me chercher, j'étais encore apte, mais entre temps je me suis blessée, et ils ont quand même voulu me prendre. Je pense que ça aussi ça a été un choix fort pour eux et pour moi, et c'est aussi pour ça que j'ai signé je pense [en décembre 2017] (c'était son premier contrat professionnel, et depuis l'attaquante a prolongé jusqu'en juin 2023, ndlr). 

Ma dernière année de Pôle j'étais encore en U19, il me restait deux ans en U19, j'avais ma rééducation à faire, donc je n'étais pas encore trop dans le club. Quand je suis revenue de ma blessure, c'est là où j'ai intégré le groupe D1, l'effectif "pro" entre guillemets.

 

CDF - Tu as eu deux grosses blessures lors de ton "arrivée" et la saison dernière, qui a été une saison blanche. Comment as-tu fait pour gérer cet aspect hors du terrain ? J'imagine que c'est compliqué de se dire qu'on est dans un club, et qu'on ne peut pas l'aider, qu'on ne peut pas jouer, et pas se faire plaisir sur le terrain ?

M. B. - Oui celle-là et celle de l'année dernière où j'ai eu aussi les croisés. Oui c'était une saison blanche...

Oui c'est sur que c'est frustrant. Après tout ça c'est un peu derrière moi maintenant, et je pense que je leur rends bien un peu ce qu'ils m'ont donné, en tout cas j'essaye, puis ça m'a permis de grandir. Eux ils ont été là dans les moments difficiles, et dans les bons moments.

 

CDF - Aujourd'hui tu reviens en force après ta blessure en plus ?

M. B. - Oui oui bah je suis contente, il fallait bien de toute façon (légers rires nerveux).

Oui je me lance un peu, là depuis janvier je me sens bien et puis je laisse tout ça [les blessures] derrière vraiment.

 

CDF - Comment décrirais-tu ton jeu sur le terrain ?

M. B. - (elle réfléchit) Je dirais que je suis une 9 un peu polyvalente dans mon jeu, parce que je suis capable de garder des ballons, je peux prendre la profondeur... Après il faut que je progresse dans mes un contre un, dans mon efficacité. J'essaye de me mettre dans le rôle qu'on attend de moi par rapport à la tactique et au jeu de l'équipe.

 

"On se donne les moyens pour sortir

de la mauvaise dynamique"

 

CDF - C'est rare de voir des joueuses comme toi, qui ne lâchent rien malgré des grosses blessures dès le début de leur carrière, qui vivent une saison blanche en plein milieu, et qui reviennent avec un état d'esprit de guerrière. Quelle est ta philosophie de jeu à ce sujet ? 

M. B. - J'ai eu tout cela jeune, donc entre guillemets "c'est un peu plus facile" on va dire de "s'en remettre", et ça fait un peu partie de la phase de progression, même si on s'en passerait.

Quand on aime le foot, et qu'on aime ce qu'on fait, que notre métier c'est notre passion, on se donne les moyens pour sortir de la mauvaise dynamique [des blessures et de l'éloignement du terrain], parce qu'on a envie de vivre de belles émotions avec nos coéquipières, avec le club, c'est surtout cela qui nous tient.

 

CDF - Tu as débuté très tôt le football, dans un club assez professionnel, dans ta tête c'était sur que tu ferais footballeuse ?

M. B. - Ça s'est fait un peu de fil en aiguille, lorsque j'étais petite c'était plus un rêve, qu'un objectif. Après plus les années passées et plus le niveau augmenté, et plus ça devenait un objectif, mais oui c'était plus un rêve au départ, ça en est un toujours, mais c'est un peu plus différent.

 

CDF - Est-ce que ta philosophie a un peu changé depuis que tu as débuté le foot, à cause des blessures ? Tu essayes de prendre plus de recul peut-être ? Mentalement tu te sens plus forte ?

M. B. - Peut-être pas ma philosophie, mais ça a forcément impacté mon jeu [les blessures], positivement, négativement aussi peut-être, mais je pense plus positivement dans ma manière de penser. Après je pense que ça n'a pas changé drastiquement non plus je dirais. Dans ma tête ça fait plus partie de mon évolution, de mon apprentissage et là j'ai encore à évoluer, je le ferais avec peu de situations [lors des matches]. Je suis contente d'être revenue à ce niveau-là, parce que je pense que je suis quand même à un niveau au-dessus de quand je m'étais blessée, donc je suis contente.

Oui mentalement, après physiquement aussi, parce qu'on a vraiment fait un gros travail avec le club sur cet aspect-là et au final je me suis sentie progresser et donc c'est pour ça que je peux me dire que c'est derrière [les blessures] et que je peux continuer à avancer. Si j'avais eu encore du mal physiquement, ou si je ne me sentais pas bien dans mon jeu, ça serait encore dans ma tête [les blessures] et ça ne serait pas une expérience qui m'a appris, alors que là j'ai appris, puisque j'ai progressé.

 

"On le sent en tout cas qu'on est au

coeur du projet [du club]"

 

CDF - Justement tu parles du club, c'est vrai que Juvisy/Paris FC a beaucoup évolué, beaucoup changé aussi depuis la fusion entre autres, est-ce que c'est l'ambiance dans le club, l'atmosphère autour, ou l'encadrement peut-être aussi qui s'est plus professionnalisé ou qui a changé d'état d'esprit pour atteindre cette 3e place aujourd'hui ?

M. B. - Je pense que l'état d'esprit a toujours été le même depuis le départ. Moi je suis là depuis la dernière année de Juvisy [avant la fusion], car je n'ai pas trop connu le club à ce moment-là. Et la première année du Paris FC, on a senti que le club évoluait, que ça soit chez les garçons, ou chez les filles, que ça soit le club de manière générale, donc l'état d'esprit est le même, il est familial, c'est bienveillant, et ça c'est à la base de tout le projet.

On sent qu'on est importantes dans le projet du club pour les dirigeants, on leur montre aussi qu'on est là et qu'on veut faire avancer le club, aller chercher des gros objectifs et c'est encore entrain de grandir. Je pense que ça va grandir encore pendant longtemps. Mais on le sent en tout cas qu'on est au coeur du projet [du club], qu'il y a des moyens qui sont mis en place, on le voit déjà avec les infrastructures et même financièrement de par ce qu'ils proposent. C'est un bon club, structuré, qui continue de grandir.

 

"On est plus sereines dans

notre jeu"

 

CDF - Tu évoquais l'aspect mental, est-ce que cela a changé depuis que tu es au club ? Avez-vous un coach mental peut-être, quelqu'un qui vous a encadré sur l'aspect mental du football ou plus poussé vers vos objectifs ?

M. B. - Non non pas du tout. On a toutes grandi individuellement et collectivement, parce que quand on regarde l'effectif, il n'y a pas eu beaucoup de changements, l'ossature est quand même là depuis de nombreuses années et on a toutes grandi au travers de ça.

Même le staff ça fait un moment maintenant qu'il est là, même s'ils sont jeunes au niveau de l'expérience, on a tous grandi ensemble et je pense que c'est ça aussi qui fait que maintenant on est plus sereines dans notre jeu, en tout cas on le sent. Les expériences passées qu'on a eu les autres saisons, où on craquait un petit peu facilement dans les moments difficiles, on a appris de ça et maintenant ce n'est plus du tout le cas [on ne craque plus], donc il faut continuer sur cette lancée.

 

"Cette 3e place et d'être qualifiés [en Champions League], 

ça c'est vraiment indescriptible"

 

CDF - Tu es actuellement la deuxième meilleure buteuse du club et tu as inscrit deux buts décisifs face à Issy et Reims dernièrement, qui offrent la victoire et 6 points importants pour le Paris FC, sans oublier le match nul 0-0 contre le PSG. Ça montre que le Paris FC a vraiment évolué ? Être décisive c’est quelque chose de puissant pour une joueuse ? 

M. B. - Oui on voit dans nos performances collectives qu'on a passé un, voir plusieurs caps et ça montre aussi quand nos offensives sont décisives dans les moments importants [qu'on a évolué] comme Clara [Matéo], Ouleye [Sarr], Coumba [Sow], comme moi à certains moments. On a toute été là à un moment et le groupe derrière suivait, donc tout le monde fait sa partition je dirais et ça s'est vu sur les résultats. Quand on fait un 0-0 contre le PSG avec le match qu'on fait, on sort même frustrées du résultat parce qu'on aurait presque dû gagner, c'est que vraiment on voit qu'on a évolué.

Ah oui quand on a touché le fond et que maintenant (sourire) on marque des buts importants, c'est sûr que - surtout en étant attaquante - c'est un peu ce qu'on cherche, donc c'est des émotions fortes et je suis contente de ça. 

Après l'émotion quand même la plus importante c'est d'avoir atteint cette 3e place et d'être qualifiés [en Champions League], ça c'est vraiment indescriptible, quand on voit d'où on vient toutes, parce qu'on a chacune notre passé, et notre carrière.

 

CDF - Justement le Paris FC s'est qualifié en Champions League pour la première fois de son histoire (depuis la fusion avec Juvisy). Comment as-tu vécu ce moment personnellement et collectivement ?

M. B. - Je pense qu'on ne réalise pas encore (rires). C'est un objectif qu'on s'est fixé depuis quand même deux/trois saisons, et de l'avoir atteint, on est contentes.

Après on sait qu'on a rien gagné et que "c'est qu'un barrage" entre guillemets, c'est une grosse marche, mais l'objectif ultime c'est d'aller dans les poules de Ligue des Champions et il reste encore de beaux matches et du bon travail [à achever]. Mais c'est déjà une super étape, on est vraiment fières d'être arrivées là. Après le championnat n'est pas finit, on va essayer d'aller titiller la deuxième place (sourire), même si ça va être compliqué, mais on a rien à perdre.

 

CDF - On a le sentiment que vous avez insufflé un nouvel élan de l’arrière au Paris FC avec Clara Mateo. Est-ce que tu le ressens aussi un peu avec le recul ? Est-ce que c’était le rôle que tu attendais ou dont on t’avait chargé en arrivant (en 2017, ndlr) ? Que tu fasses des différences seules, ou que tu insuffles un nouvel élan au club ?

M. B. - (elle réfléchit brièvement) Je pense que Clara et moi, on a aussi un peu grandi en âge et en expériences également. Je pense que oui, déjà Clara ça a commencé l'année dernière, avec la saison qu'elle a faite ça a été un peu [une année charnière], elle a un peu explosé et là elle confirme cette dynamique cette année. Et oui quand on a une joueuse comme ça, qui fait des différences, et qui nous pousse devant, nous on ne peut que suivre son élan et je pense que oui ça a un peu aidé forcément. On est là pour ça devant, pour faire les différences, mais ça part aussi [de toute l'équipe], parce qu'il y a de la sérénité derrière, le milieu de terrain. Je pense que tout le monde joue son rôle, et en fait on est sereines, donc on peut qu'être en confiance individuellement et jouer [libérées].

Après oui quand j'ai signé, j'étais une jeune joueuse, je le suis toujours, et je suis offensive, donc forcément c'est ce qu'on attend [de marquer]. Après ma blessure l'année dernière, je ne pensais pas que j'allais avoir un rôle aussi "important" entre guillemets [dans les résultats] rapidement. Mais on ne m'a pas dit : "Tu vas avoir ce rôle là et on attend cela de toi". C'est plus, je me suis sentie bien sur le terrain, et ça s'est fait tout seul, et la confiance de Sandrine [Soubeyrand] derrière [m'a aidé], donc je pense que ça s'est fait naturellement. Maintenant il faut continuer à confirmer et l'année prochaine d'autant plus. 

 

CDF - Comment tu expliques le fait de ne pas avoir réussi à être appelée en A ? Tu fais une bonne saison, tu es décisive, tu reviens d'une grosse blessure donc ça prouve que tu as du mental...

M. B. - (sourire) Honnêtement les A c'est un peu une marche au-dessus pour moi encore. Je suis déjà contente d'être retournée en U23 et j'avoue que les A c'est un objectif forcément. Mais c'est normal encore que je n'y sois pas, parce que je n'ai pas prouvé assez de choses je pense. J'aspire à avoir le niveau pour y aller et j'espère que j'y serais.

 

 

Photo : Paris FC

Dounia MESLI