A l'approche de la 13e édition de la Coupe du Monde militaire 2022, qui se déroule aux États-Unis (Colorado Springs) du 11 au 22 juillet, nous avons échangé avec le sélectionneur de la sélection Marc Maufroy. Ancien joueur professionnel, le coach avait déjà entraîné la section féminine du Tours FC et espère que l'équipe militaire pourra trouver une place plus importante dans les sélections françaises. Entretien.

 

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Coeurs de Foot - L’équipe de France a été champion du monde militaire en 2016 (depuis les États-Unis en 2018 et la Chine en 2019 ont remporté le trophée, ndlr), l’organisation ayant été décalée à cause du covid entre temps. Comment appréhendez vous cette compétition ?

Marc Maufroy - Pour nous ça va être une découverte parce qu'on est un nouveau staff, nous sommes sept à encadrer cette équipe, dont six qui vont être présent aux États-Unis et une personne qui est responsable des sélections militaires, qui va rester malheureusement sur place, qui ne nous accompagne pas. On abordera cette compétition avec curiosité, mais plein d'enthousiasme.

 

CDF - Pour vous l'objectif est le podium ou récupérer le titre, acquis en 2016 ?

M. M. - (sourire) On va tenter de récupérer le titre du mieux possible. Maintenant nous on découvre, on ne connaît pas la valeur des adversaires, on n'a pas du tout la même équipe, on a qu'une seule joueuse qui a participé au titre de 2016 (Melissa Godart), on a un effectif plutôt jeune, deux filles de D1 et principalement des joueuses de D2 haut de tableau. 

En pratiquement six ans les équipes, comme nous, ont du évoluer. En 2016, je sais qu'il y avait beaucoup plus de joueuses de D1, qui composaient cette équipe. Il y a des équipes qui s’entraînent à longueur d'années ensemble, nous on a que quelques stages, mais c'est déjà bien, on remercie l'armée de mettre à disposition des moyens pour faire des stages. Nous on connaît notre poule, on sait qu'on doit réussir à être le mieux classé possible.

 

CDF - Comment êtes-vous arrivé à la tête des féminines de la sélection militaire ?

M. M. - C'est un DTN qui m'a sollicité, et j'ai accepté, il n'y a pas plus simple (rires). J'ai débuté en tant qu'éducateur avec une équipe féminine, quand j'ai arrêté de jouer, c'est à dire après Tours. Pendant que je jouais encore les deux dernières saisons, on m'a sollicité parce que j'avais le diplôme pour m'occuper de l'équipe réserve du Tours FC féminin, donc ce n'est pas ma première expérience avec les filles. 

Depuis vingt ans [les mentalités et les problématiques] sont pratiquement toujours les mêmes, malgré qu'aujourd'hui le niveau de jeu des joueuses n'est pas comparable à celui de l'époque.

J'ai été agréablement surpris par le niveau technique [des joueuses] et puis aussi sur l'aspect athlétique chez les filles, qui sont maintenant des athlètes. Elles ont une préparation, elles ont un suivi, on commence à rattraper [dans] le football féminin, tout ce qui est préparation d'une compétition, donc je dirais que c'est plutôt très agréable. Moi je ne le cache pas, gérer des filles c'est tellement plus intéressant pour un coach, d'avoir des personnes à l'écoute et qui comprennent vite... Ce n'est pas critiquer les garçons, mais parfois c'est plus compliqué avec les garçons.

 

CDF - On sait que le côté mental dans le sport est primordial au-delà de l’aspect physique qui doit être irréprochable pour aller le plus haut possible. Est-ce que c’est un aspect dont vous voulez mettre l’accent sur ce tournoi international ?

M. M. - Bien sûr ! De toute façon, nous avons préparé le groupe dans un état d'esprit bien spécifique. On veut prendre du plaisir, sans se prendre la tête. On estime que si les filles prennent du plaisir dans le jeu, le résultat c'est que la conséquence. Bien sûr prendre du plaisir, ce n'est pas faire n'importe quoi, c'est être organisé, savoir ce qu'on fait à l'avance, donc on a mis quelques petites choses au point, parce qu'on a fait plusieurs stages, qui nous permettront d'être un peu plus rassuré à l'abord de la compétition.

On veut mettre de la pression positive et non négative aux joueuses, parce que nous n'avons pas d'objectif en soi. Bien sûr on veut finir le plus haut possible, maintenant ce qu'on veut c'est faire honneur au maillot parce que même si on n'est pas très connus, un petit peu oublié [du public], ce n'est pas grave, porter le maillot de l'équipe de France c'est un honneur et il faut lui faire honneur.

 

CDF - Etait-ce difficile de recruter des joueuses pour cette compétition et comment avez-vous fait vos choix ?

M. M. - Alors ça n'a pas été simple, parce que découvrant un petit peu cette sélection, donc j'ai d'abord rencontré les militaires pour savoir si j'acceptais de prendre en charge la sélection, voir comment ça se passait. 

Ensuite j'ai pris contact avec l'ensemble des clubs de D1 et D2, principalement les clubs de D1 à partir de la 6e place, parce que au-dessus on sait qu'il y a beaucoup d'internationales et de joueuses étrangères, puis ensuite toutes les équipes de deuxième division ont été contactées. Certains coachs m'ont ouvert les bras tout de suite, et on était très contents d'envoyer les filles, et puis certains ont été complètement réfractaires à l'idée d'envoyer les filles en sélection militaire. Pour des raisons que je peux entendre, la peur qu'il y a des joueuses qui se blessent avec des effectifs réduits, donc tout se défend, mais c'est toujours dommageable de ne pas envoyer une jeune fille profiter d'une expérience quand c'est une équipe nationale.

Je suis content de l'équipe des 21 qu'on a aujourd'hui, qu'on a retenu. On a eu en tout plus d'une quarantaine de filles qui sont venues participer à nos stages, ça nous permet de voir un petit peu le niveau. Bien sûr on a des clubs qui sont fortement représentés, je pense qu'on a une bonne équipe.

 

CDF - Vous avez eu une longue carrière en tant que footballeur, saviez-vous dès le départ que vous seriez coach ?

M. M. - Je pense que oui (rires). Oui parce que quand j'étais joueur j'ai eu la chance d'avoir des coachs plutôt inspirants, surtout Alain Perrin que j'ai eu pendant une année à Troyes et quand je revenais des séances, je les notais. Donc quelque part dans ma tête effectivement je me voyais arriver coach.

Après j'ai eu une autre destinée, j'ai coaché l'équipe réserve [du Tours FC] en DH puis en CFA 2. Ensuite dans le milieu du foot on se retrouve au chômage des fois et puis j'ai basculé sur autre chose. Je suis passé conseiller technique dans le département du Loiret, mais j'ai gardé quand même le lien avec le terrain, c'était primordial pour moi. 

 

CDF - Comment étiez-vous en tant que joueur ?

M. M. - (rires) C'est toujours difficile de s'apprécier ou de faire une auto-critique. Je pense que j'étais un joueur élégant, après j'avais mon caractère, mais j'étais un joueur respectueux. On ne peut pas vivre de regrets, mais je pense que si j'avais fait d'autres choix dans ma carrière, elle aurait pu être autre. Maintenant je n'ai pas de regrets, j'ai vécu de ma passion, encore aujourd'hui, donc je préfère prendre les choses comme elles arrivent et dire qu'aujourd'hui c'est une chance de m'occuper de l'équipe de France militaire. A chaque fois que je retrouve les filles en stage c'est que du bonheur.

Si elles ont besoin de conseils je suis là [pour les joueuses]. Mais j'ai appris que beaucoup de filles avaient des agents maintenant, tout ce qui a gangréné le foot masculin et je pense que le foot féminin va suivre le même chemin. Je pense que ça va amener des filles sur des erreurs de carrière, sur des mauvais conseils, qui feront pas des choix forcément adaptés, qui voudront aller trop vite et qui se casseront la figure, qui auront du mal à se relever. J'avais peur que ça arrive et ça arrive plus vite que prévu finalement. Moi pendant ma carrière je n'ai pas eu d'agent, mais il y avait toujours des clubs autour, le tout c'est de savoir se débrouiller, d'être convaincant. Après c'est un choix... 

L'équipe de France militaire je connais, puisque j'ai fait partie du bataillon de Joinville il y a plus de 30 ans, malheureusement je n'ai pas été champion du monde, parce que 2 mois avant la compétition, j'ai eu une rupture des ligaments de la cheville, donc j'aimerai si possible aller au bout cette fois, ça serait une revanche un petit peu sur le passé, les choses reviennent d'une manière ou d'une autre. Avant tout pour les filles, parce que pour moi, ça serait une satisfaction mais ce sont les filles qui le mériteront.

 

CDF - Est-ce qu’il vous arrivait d’être en désaccord avec le coaching de votre entraineur ?

M. M. - Je regardais surtout ce que j'étais à même de faire ou pas, ce que j'avais bien ou mal fait et je n'étais pas du style à regarder le coach. Après il y a des coachs que je n'ai pas du tout apprécié, mais pas par rapport à leur manière de coacher, c'est surtout par rapport à ce qu'il m'apportait en tant que joueur, ce qui me nourrissait, et je n'ai pas apprécié certains coachs parce que certains avaient une feuille d'entrainement pour toute l'année, ça veut dire qu'on faisait toutes les semaines, la même chose. Il faut nourrir les joueurs/joueuses, c'est important, il faut leur apporter quelque chose. Certains coachs, c'était marche ou crève, il n'y a pas de discussions, pas d'échanges, pas de moyens de faire performer le joueur, un peu à l'ancienne...

Mais je n'étais pas du style à critiquer l'entraineur, parfois je n'étais pas d'accord, je me suis retrouvé remplaçant, donc j'allais m'entrainer avec la réserve, parce que j'avais juste l'envie de jouer.

Chaque coach m'a apporté une part du coach que je peux être aujourd'hui, que ça soit dans le négatif ou dans le positif. Bien sûr je n'appliquerais pas (sourire) tout ce qui a fait que certains mois, certaines années, avec certains coachs, j'ai pris mon sac et il pesait deux tonnes.

Moi je vais essayer de m'arranger pour que les joueuses si elles viennent avec nous aux États-Unis, que l'avion il soit léger et que leur sac le soit aussi, et qu'elles aient envie de bien faire, qu'elles soient contentes d'être elles. C'est essentiel pour moi. On peut être mécontente de sa performance, mais il y a une manière de l'exprimer autrement, je ne veux pas d'une joueuse qui nuit au groupe dans sa globalité.

Mon message est très clair, je veux des filles qui ont le sourire. Elles ont la chance d'être là, parce qu'il y a des filles qu'on n'a pas pris, donc elles doivent être à 150% prêtes et avec l'envie de bien faire. Je sais qu'il y a des joueuses qui ont trouvé un autre club, grâce à leur sélection avec les militaires, donc les clubs s'intéressent aussi à ce qui se passe chez nous.

 

CDF - Est-ce que c’est difficile d’être coach ? Comment on gère les critiques ?

M. M. - Coach non, sélectionneur oui. Il y a une énorme différence, coacher on peut toujours durant une saison, quand on a un groupe à l'année, faire en sorte que son groupe vit bien, en faisant tourner un petit peu etc Sur une sélection, on a vu 40 joueuses et personne ne nous a déçu, dans la mentalité, l'envie de bien faire... Après il y a des choix, qui sont difficiles [à faire]. Pour moi, humainement c'est ce qu'il y a de plus difficile.

Je pense qu'en vieillissant on prend cela [les critiques] avec un peu plus de recul. Autant plus jeune j'aurai eu une réaction assez vive tout de suite, autant maintenant je pense que l'expérience, le fait d'être un peu plus vieux (rires), me fait prendre du recul et analyser, parce que les critiques font avancer aussi. Si ce sont des critiques constructives, pour faire avancer, je les prends volontiers, si ce sont des critiques juste pour critiquer, ça vous passe au-dessus de la tête.

 

CDF - Est-ce qu’il y avait moins de critiques par le passé, avec l’absence des réseaux sociaux, mais peut-être moins de prévention et de sanction pour les critiques virulentes du moins ?

M. M. - Je vais être clair là-dessus, j'ai prévenu les filles déjà, moi les réseaux sociaux je n'y mets pas les pieds (rires). Je pense que les réseaux peuvent avoir un intérêt peut-être, mais pas pour raconter sa vie, raconter ses états d'âmes. Je fonctionne peut-être de ce côté là à l'ancienne, parce que j'estime que quand j'ai quelque chose à dire à quelqu'un, je lui dis en face et on s'explique gentiment.

 

CDF - Selon vous est-ce que la défaite est tout le temps de la faute des coachs ?

M. M. - Moi je vais soulager les filles, si elles gagnent, elles auront gagné, si on perd, j'aurai perdu. Je pense que le coach à sa part de responsabilité, tout le temps.

Maintenant si on joue contre une équipe, on a 20/25 occasions franches, on en met 4 au fond, mais sur les 5 occasions qu'on concède, on en prend 3, imaginons qu'on en loupe 2 ou 3 de plus de notre côté, donc j'ai perdu, je l'assume mais par contre on n'a pas été efficace. Alors pourquoi on n'a pas été efficace, offensivement et défensivement ? Moi ce qui m'intéresse c'est ça. Peut-être qu'on n'a pas assez travaillé devant le but, ou sur l'animation offensive et la finition, et [on devra] insister sur le fait que sur des matches de haut niveau, il faut être efficace. Là le dernier stage on a insisté là-dessus, on s'est aperçu que notre transition défense-attaque n'était pas bonne, on a travaillé dessus toute la semaine.

Comme j'étais un joueur offensif, je préfère un 4-3, qu'un 1-0 à l'arrache ou qu'on joue défensivement et qu'on attend que les choses se passent. Si on prend des risques offensifs, effectivement à un moment on sera en déséquilibre et si on n'est pas efficace, il faudra être très très solide derrière. Il faut être plus efficace que son adversaire, mais il y a une notion de risque, si vous voulez déséquilibrer votre adversaire, à part si vous avez un phénomène qui est capable de dribbler tout le monde Gnéralement il faut apporter une supériorité numérique. Mais ça nous met aussi en infériorité numérique en défense, si jamais il y a une contre-attaque, donc il faut savoir comment on freine un adversaire pour retrouver cet équilibre derrière déjà.

 

CDF - Corinne Diacre est quelque peu décriée en équipe de France A, avez-vous déjà échangé avec elle ? Quel est votre avis sur l'éviction des deux joueuses cadres, Amandine Henry et Eugénie Le Sommer ?

M. M. - Pas du tout. Je sais qu'elle vient à Orléans pour jouer contre le Vietnam, donc j'irais voir le match et si j'ai l'occasion de la croiser, j'échangerais peut-être deux mots avec elle, si elle a du temps à m'accorder.

Je vais surtout laisser passer le championnat d'Europe, s'il y a peut-être moyen d'entrer en contact, parce que j'aimerai que cette équipe de France militaire ait vraiment un but, et une meilleure place dans les sélections.

J'aspire à ce que cette équipe de France [militaire] soit un peu plus connue, pour les joueuses, parce que je n'ai plus rien à gagner à mon âge. J'ai envie que cette équipe sert à quelque chose pour les filles.

Je ne suis pas à la place de Corinne Diacre, chacun gère sa sélection comme bon lui semble. Elle respecte sa ligne directrice (sourire), qu'elle s'est fixée. De toute façon il y a une chose que je ne supporte pas, c'est l'état d'esprit qui ne correspond pas à ce que j'attends. Je n'ai pas eu le cas, toutes les filles qu'on n'a pas retenu, sont des filles supers, je n'ai pas peur de le dire. Je n'ai que des filles souriantes, investies, de qualité en plus, parce que le choix a été difficile.

Pour moi l'élément indispensable c'est l'aspect mental, donc une fille qui ne correspond pas à l'état d'esprit du groupe, donc pas capable de vivre en groupe, et qui vit que pour elle-même, ça ne me va pas. Il faut des filles pour marquer, des filles pour défendre, au milieu et au but, chacun son rôle, il n'y a pas de stars.

On a un petit problème dans le foot féminin, c'est le manque de gardiennes, mais nous on a deux gardiennes qui sont très biens, avec un très bon état d'esprit, qu'on a relancé un petit peu. Ca leur fait très plaisir d'être là et nous ça nous fait très plaisir de les avoir avec nous.

 

Entretien réalisé le 27 juin 2022

Dounia MESLI