De Lyon à Saint-Etienne en passant par l'équipe de France U19 et U20, Maelle Garbino n'a pas eu le parcours facile, mais a su aiguiser son jeu d'année en année. Un jeu propre qui fait d'elle une joueuse atypique. Écartée des terrains bien malgré elle depuis avril, après une grosse blessure, la Stéphanoise - qui revient petit à petit sur les terrains après une rupture des ligaments croisés - sait qu'il lui reste encore du chemin, mais espère refouler les terrains en seconde partie de saison avec l'ASSE. Elle a accordé une interview à Coeurs de Foot.

 

 

Coeurs de Foot - Alors je voudrais revenir déjà sur ce geste technique face à l'Allemagne en Coupe du Monde U20, où tu ne regardes que le ballon, tu ne te concentres que sur ça. Tu passes une joueuse allemande même deux, dont une qui était tombée donc sur une jambe et avec l'autre pied tu fais passer le ballon au-dessus d'elle. C'est vraiment le moment que je garde en tête avec le but de Delphine Cascarino. Tu l'as peut être revu ton geste ? On avait l'impression que tu étais programmée pour ce match, que tu étais la bête noire de l'Allemagne ? 
Maelle Garbino - Oui je vois le geste dont vous me parlez (léger sourire). Non je ne pense pas, je pense qu'on était toute à fond. On était tellement motivées que lors de ce match on savait qu'on allait gagner, tant on était toute vraiment à fond. Après pour parler de mon geste, il y a un peu de chance. 

 

Coeurs de Foot - J'ai remarqué aussi dans ton jeu, que tu es très hargneuse, je pense que de toutes les Bleuettes et même avec Saint-Etienne tu aimes bien montrer que tu as du caractère ou je me trompe ? On a l'impression que tu n'es pas là pour rigoler ? D'où tu tiens ça d'avoir ce caractère bien trempé on va dire? 
M.G. - Oui, en fait j'aime pas perdre moi. Je suis une compétitrice, je me donne à fond. C'est ce que j'aime [le football]. 
Ah bah non [je ne suis pas là pour rigoler], jamais et surtout dans une compétition comme ça [la Coupe du Monde]. Tu dois tout donner sur le terrain. On avait l'objectif de gagner donc il fallait être à fond. 
Je l'ai toujours eu [ce caractère], je pense que je le tiens plus de ma mère. Ma mère a un fort caractère et je pense que c'est d'elle que je le tiens. 

 

"S'il faut finir le match à bout de jambes, je le ferais."

 

Coeurs de Foot - Mais je vois que sur tes photos tu es très souriante quand même. 
M.G. - (sourire) Oui il faut faire la part des choses. Je sais que sur le terrain il faut que je me batte à fond, que je me donne à fond et s'il faut finir le match à bout de jambes, je le ferais. Après en dehors, je suis une fille qui rigole tout le temps, je me prends pas la tête en fait. 

 

Coeurs de Foot - Alors je sais que tu viens de Lyon (née à Vienne), on vous apprend à ne pas vous faire marcher dessus, mais chez toi c'était encore plus marqué on a l'impression ? 
M.G. - Oui, déjà Lyon c'est le plus grand club d'Europe donc c'est sûr que quand tu sors de là bas, ils t'apprennent que c'est la victoire qui compte. On joue pour gagner. Je sais pas si c'est plus marquée chez moi (rires) mais je sais que moi je me donne à fond. 

 

"Je pense que c'est la pire blessure pour un joueur."

 

Coeurs de Foot - Tu as été blessée justement face à ton ancien club en avril dernier ? Tu n'avais pas joué le match contre Montpellier en Coupe de France (gagné 1-0 par l'ASSE). Je sais que dans ces moments là c'est difficile de garder le moral, qu'on broie du noir, est-ce qu'il a eu des coéquipières qui t'ont soutenu pendant cette période ? Je pense que ta famille, ton papa et ta maman t'ont aussi tenu la tête hors de l'eau à ce moment. C'est une vraie force pour toi ? 
M.G. - Je n'ai pas joué le match contre Montpellier en Coupe de France (le 12/03/2017), parce que j'avais eu une entorse à ce moment là. Je suis revenue face à Bordeaux (0-0 le 19/03) puis j'ai joué contre Juvisy (3-0 le 26/03) avant de me blesser contre Lyon. 
Toute mon équipe à été là, toutes mes coéquipières ont été là pour moi si j'avais besoin. Je pense que c'est la pire blessure pour un joueur. Surtout que moi c'est la deuxième fois que je me faisais ça donc c'est sur que ce n'est pas facile à vivre. Mes coéquipières ont toujours été là et je reviens à peine sur les terrains et elles le sont encore... 
Y'a beaucoup de filles qui m'ont envoyées des messages, de Lyon, toutes celles de Sainté et des coéquipières de l'équipe de France. 
Oui heureusement qu'ils étaient là [mes parents] parce que c'est dur quand tu te sens bien dans ton corps et que tu vois que fais des bonnes choses et qu'il t'arrive une blessure comme ça. C'est pas facile de revenir après correctement sur les terrains. 
 

Coeurs de Foot - Alors on va revenir un peu en arrière, le moment où tu rejoins Saint-EtienneÇa a été dur quand même de te dire de passer de ton club de cœur à un club où tu devais continuer à avoir le moral, le mental et de faire tes preuves justement ? Comment ça se passe dans ta tête à ce moment là ? Tu es bien ou tu appréhendes un peu ? 
M.G. - Lyon c'est mon club de cœur, j'ai toujours été pour l'OL et je le serais toujours. J'ai eu d'autres opportunités, mais Saint-Etienne m'avait proposé un bon projet et c'est ce qui m'a attiré donc j'ai signé et puis c'est un club familial donc ils sont toujours là, pour la blessure ils ont toujours été là. Et ils m'ont proposés une prolongation. Ça prouve qu'il me porte de l'importance quand même. Quand tu n'as pas le moral, ça te pousse à avoir le sourire, à continuer et à ne pas lâcher. 
Non je connaissais déjà des filles de Saint-Etienne, j'avais des amies qui jouaient à Saint-Etienne donc je n'avais pas de soucis sur ce point-, je savais que c'étaient des filles super gentilles et que mon intégration se passerait bien. Si j'ai pris la décision de partir à Saint-Etienne, c'est que j'en avais envie un petit peu, même si je reste Lyonnaise et que je suis pour l'OL (sourire) mais ça ne m'a pas gênée plus que ça. 
 

 

"J'avais compris à ce moment- que c'était mort et que j'étais partie pour neuf mois d'arrêts."
 

 

Coeurs de Foot - J'imagine bien que ça n'a pas dû être évident pour toi personnellement, surtout qu'on voyait que tu commençais à te mettre en place, et d'être une titulaire indiscutable. Qu'est-ce qui s'est passé ce jour-là quand tu as eu ta blessure ? 
M.G. - Ça a été difficile oui (blanc). C'est ça en fait, c'est quand tu vois que tu es bien, physiquement et mentalement et que tu joues bien, c'est là qu'il t'arrive une grosse blessure et après c'est dur de remonter. 
Déjà on perdait (contre Lyon) et je ne sais plus ce qui s'est passé. Je ne sais pas si c'était un contact mais je sais que j'étais en duel avec Jessica [Houara] parce que je voulais lui récupérer le ballon et j'ai dû prendre un mauvais appui et mon genou, je l'ai senti craquer et je l'ai senti tourner... Au début je n'avais pas réalisé, je ne pensais pas que c'était les croisés. Il y avait les docs et les kinés de l'OL et comme je les connaissais un peu, ils ont tout de suite testé mon genou et ils ont remarqué tout de suite que mon croisé ne tenait plus (silence). J'avais compris à ce moment- que c'était mort et que j'étais partie pour neuf mois d'arrêts. 
 

Coeurs de Foot - Dans ton jeu ou dans ta posture, j'ai vu que tu aimes bien avoir les épaules solides, mais qu'au niveau de la poitrine et du bassin si je peux dire, tu restes assez souple et c'est ce qui te rend agile sur le terrain avec justement cette technique qu'on connaît bien chez toi. Est-ce que ça décrit bien ta façon de jouer ?
M.G. - C’est totalement ça, je suis basse sur mes appuis et agile et ce qui fait que techniquement je suis à l’aise. J'ai un centre de gravité bas, qui me permet d'être techniqueC’est à l'Olympique Lyonnais qu’on m’a appris tout ça étant jeune. 
 

Coeurs de Foot - Tu as vécu des gros matches quand même d'entrée avec Saint-Etienne, tu voulais faire tes preuves rapidement ?
M.G. - Oui mon but c'était de me montrer, les objectifs c'étaient de monter le plus haut et forcément je me donnais à fond, pour faire gagner l'équipe. 
 

 

"J'ai passé des moments de fous, j'ai vécu des trucs de fous"

 

Coeurs de Foot - Alors je vais revenir sur tes sélections en équipe de France jeune. Tu participes aux qualifications pour l'Euro U19 en 2015, auquel tu joues jusqu'à cette demi-finale contre l'Espagne perdue aux tirs au but. Est-ce que ce genre de déception, ça t'a changée dans ton tempérament ? Qu'est-ce qu'on se dit quand on vit ce genre de moment ? Comment on se réconforte après cette déception ? C'est une plus grande envie de progresser, d'améliorer son jeu ? 
M.G. - Oui c'est ça (elle a du mal à réagir à cause de la déception du résultat). En fait, je n'avais jamais fait de sélection avant ma première en U19 et franchement j'ai passé des moments de fous, j'ai vécu des trucs de fous et c'est en jouant des grandes compétitions comme ça que tu réalises ce qu'est le haut niveau. Et jouer une compétition comme ça, malgré la défaite, pour moi franchement ça ne reste que des bons souvenirs. 
Je me suis dit qu'il fallait que je profite un max. Mon but c'était que ça soit des souvenirs qui restent gravés à vie dans ma mémoire. Je ne garde que le positif. 
On s'est dit déjà qu'on avait fait une belle compétition. Maintenant c'est sûr qu'on repense toujours à la même chose et si on avait fait ça et si ça se serait passé comme ça sauf que voilà... Faut pas penser comme ça, faut aller de l'avant, on a d'autres compétitions à jouer. Après c'est sûr que sur le moment c'est dur, on peut pas s'empêcher de penser à ce qu'on aurait pu faire pour gagner. 
Exactement, c'est ça [on a envie de continuer à progresser, de perfectionner son jeu]. 
 

Coeurs de Foot - Tu es rappelée par Gilles Eyquem pour participer à la Coupe du Monde U20 un an et demi après et on peut dire que tu es une "ancienne" par rapport à celles qui ont été appelées directement après l'Euro 2016. Comment ça s'est passée alors cette "cohabitation" entre vous entre celle de 2015 et 2016 ? 
M.G. - Super bien. On savait qu'elles venaient tout juste de gagner la Coupe d'Europe déjà. Y'avait aucune gêne, ni mauvaise concurrence, c'était vraiment un groupe sain, tout le monde rigolait avec tout le monde. On a passé que des bons moments ensemble, c'était un vrai groupe et c'est ce qui nous a emmené jusqu'à la finale de la Coupe du Monde. On était soudées. 

 

Coeurs de Foot - En plus par rapport à d'autres joueuses comme Thea Greboval, Clara Mateo ou Laura Condon entre autres tu n'as pas eu la possibilité de retenter ta chance à l'Euro. 
Tu t'es retrouvée dans la même situation que Sakina Karchaoui, Marion Romanelli ou encore Juliane Gathrat à être trop "âgée" entre guillemet pour refaire l'Euro l'année d'après. C'était frustrant quand même ? 
M.G. - Oui c'est sûr mais ce sont les catégories d'âge et c'est comme ça. On ne peut rien y faire. Maintenant malgré la différence d'âge entre certaines, il n'y avait aucune mésentente, tout le monde s'entendait avec tout le monde donc on a passé de supers bons moments ensemble. 

 

Coeurs de Foot - Pour parler justement de cette Coupe du Monde U20. Est-ce que c'était un moment plus fort que l'Euro pour toi ? Comment tu l'as vécu cette compétition personnellement ?  
M.G. - La Coupe du Monde ça a été l'un des meilleurs moments que j'ai passé pour l'instant. Ça s'est déroulée dans un pays déjà extraordinaire, les personnes -bas elles étaient simples. Les stades étaient pleins. On a vite compris que c'était du haut niveau et en plus on va en finale. Ca reste le meilleur parcours qu'on ait fait dans notre catégorie d'âge. 
On savait qu'il fallait être sérieuse sur le terrain, qu'on devait profiter et prendre plaisir à être là. On voulait gagner cette compétition parce qu'on avait les joueuses pour. Maintenant bien sûr on est jeunes et on est aussi là pour passer de bons moments parce que ce sont peut-être des moments qu'on revivra jamais. 
Oui c'est sur on tape les meilleures équipes de la compétition (USA, Allemagne et Japon, avec les deux derniers qui étaient largement plus favoris et que la Corée du Nord n'a pas affronté). Pour moi le Japon ça a été la meilleure équipe du tournoi. En finale on était trop fatiguées. 

 

Coeurs de Foot - Le match contre l'Allemagne, c'est toi (avec Gathrat sur la passe pour D. Cascarino) qui apporte ce mouvement dans la surface de réparation des Allemandes, qui les décale aussi du devant le but, pour laisser un meilleur espace de frappe pour la réalisation de Delphine Cascarino. Vous aviez un groupe magique quand même ? 
M.G. - (moment d'hésitation, elle est un peu gênée) Oui peut être mais je pense que tout le monde a apporté à l'équipe sur les matches comme ça, c'est pas une joueuse qui fera la différence. Après certes c'est Delphine qui a marqué un but extraordinaire, mais je pense que toute l'équipe a gagné ensemble. 
Ah bah oui, toutes les filles je pense sont devenues des amies vraiment. 
 

Coeurs de Foot - En plus tu arrives à un meilleur pallier finalement après la demi-finale de l'Euro, alors on se dit que la prochaine fois c'est le trophée ? 
M.G. - (sourire) Ah bah on espère (s'esclaffe). Je pense que là on était bien parti pour parce qu'on marque le premier but (Grace Geyoro) en finale. Malheureusement [juste après] on a plus de force et la Corée (qui a affronté la Suède, le Brésil et la Papouasie puis les USA en demie), ce sont des joueuses infatigables. Techniquement on est peut être plus fortes qu'elles mais elles sont vraiment endurantes, c'est ce qui nous a fait défaut. 
 

Coeurs de Foot - On sent que les briques se posent de plus en plus autour du football féminin et vous en êtes la vitrine la plus élogieuse jusqu'à l'heure actuelle. 
M.G. - On sait qu'il y a de bonnes jeunes joueuses qui peuvent atteindre je pense l'équipe de France A, avec le niveau qui est de plus en plus élevé j'ai l'impression. C'est une très bonne chose pour le football féminin. 

 

Coeurs de Foot - Tu es une joueuse très discrète, on a du mal à avoir des nouvelles de toi. 
M.G. - Oui [je suis] assez [discrète] moi. Là je suis plus concentrée sur mon foot, sur ma rééducation là surtout, qui a été difficile pour moi (blanc). Donc voilà je ne suis pas trop sur les réseaux...

 

Coeurs de Foot - Est-ce toi en tant que joueuse "professionnelle" tu te prépares mentalement à jouer au football, à tes matches ?  
M.G. - Oui je me prépare mentalement, mais je ne fais rien de particulier, je n'ai pas de rituels bien précis. Mon but c'est de faire le meilleur match possible, donc je me prépare mentalement à ça. Sur un match tout peut arriver. [La blessure] ça a été dur mentalement parce que j'étais bien à ce moment-, je me sentais bien, je jouais bien, mais malheureusement après il m'arrive ça, c'est comme ça, c'est le destin. S'il m'arrive ça c'est pour me rendre plus forte, c'est ce que je me dis donc j'ai pas lâché, j'ai continué. Ça a été dur mais je suis restée forte. 

 

Coeurs de Foot - Alors j'ai trouvé une phrase qui selon moi te caractérise le mieux : "Le chemin de la victoire comprend des moments difficiles. Vous devez les utiliser à votre avantage." (René Lacoste) Est-ce ça te parle un peu cette phrase ? Ça te rend encore plus complète finalement de vivre ce genre de moments, même s'ils sont difficiles ? Ça t'aide à mûrir et à grandir et ça te rend plus forte ? 
M.G. - Ça c'est une bonne phrase. Oui ça me parle. C'est une bonne phrase. Ça me représente un peu moi. Parce que malgré les blessures qui me sont arrivées, je me suis fait deux fois les ligaments croisés, une fois à Lyon (en 2013) et une fois à Saint-Etienne là, mais malgré ça je ne lâcherais pas. Aujourd'hui je commence à reprendre les entraînements, c'est sûr que ça me fait du bien mais il reste encore du chemin. J'espère revenir à mon niveau, je travaille tous les jours dur pour y arriver, mais c'est sûr que j'ai l'objectif d'atteindre l'équipe de France A et si j'y arrive pas, j'aurai pas atteint mes objectifs et... 
Ce sont des épreuves qui te fond grandir. 

 

Coeurs de Foot - Dernière question, on m'a dit que tu revenais en janvier normalement, c'est bien ça, ? Qu'est-ce que qu'on peut te souhaiter aujourd'hui ? 
M.G. - C'est ça, je reprends je l'espère en janvier. Me souhaiter que je revienne à mon niveau le plus rapidement possible et que mon équipe remonte en D1 (Saint-Etienne est actuellement 3e avec trois points de moins que Dijon ou encore Grenoble, dans le groupe B de la D2). 

 

Photo : Pascal Souchon
 

Dounia MESLI