Son ascension en D1, ses moments de doutes, l'accompagnement des sportives de haut niveau, et son titre avec l'équipe de France U19, Maëlle Lakrar, défenseure du MHSC se livre sans détours pour Coeurs de Foot. Entretien.

 

Coeurs de Foot - Tu es originaire de Orange en Provence-Alpes-Côte d’Azur, comment as-tu été repérée par Marseille ? Comment as-tu géré les allers-retours au pôle à l’INSEP ? Était-ce fatigant pour toi, ou arrivais-tu à t'organiser ?

Maelle Lakrar - Je suis originaire d'Orange, mais j'ai habité à Salon-de-Provence, où j'ai joué avec les garçons jusqu'à l'âge de 15 ans. Ensuite j'ai évolué une seule année avec les filles, avant de jouer contre l'OM. C'est à ce moment que l'OM a voulu me mettre à l'essai lors d'une détection en D2.

Oui c'était compliqué la première année, car c'était la première fois que je partais loin de ma famille, et prendre l'avion deux fois par semaine, c'était dur. Mais avec l'INSEP tout était pris en charge, on avait le transport, et on avait de bons horaires, on n'arrivait jamais tard ni trop tôt, donc c'était facile à gérer. Après quand j'arrivais dans mon club, ce qui était dur c'est que je ne les voyais pas la semaine et que je ne venais que pour les matches, mais sinon ça allait.

Oui j'étais bien organisée. La première année c'était fatigant moralement, mais sinon les deux dernières années j'étais bien organisée.

 

"L'OM ne mettait pas le budget

pour les filles"

 

CDF - Tu as été championne de France de D2 avec Marseille, que gardes-tu de ton passage au sein du club phocéen ? Es-tu un peu frustrée par ton passage dans le club, avec la descente, malgré les bonnes prestations de la première saison suite à la montée ?

M. L. - J'en garde de très très bons souvenirs, car c'est le club qui m'a fait le plus progresser, Christophe Parra m'a donné sa confiance dès la première année, j'ai enchaîné les matches. Finir premières c'était un peu un rêve pour moi. Je venais d'un petit club, je ne connaissais pas encore [ce niveau], je passais sur un grand terrain, donc c'était tout nouveau et finir premières [de D2], j'étais fière.

Oui, les années qui se sont enchaînées c'était un peu frustrant, car on se disait que l'OM ne mettait pas le budget pour les filles et je trouvais ça regrettable.

 

CDF - Es-tu un peu déçue qu’un tel club ne soit plus en D1 aujourd'hui ? Selon toi faudrait-il plus de clubs en D1 ?

M. L. - Oui je suis très déçue. C'est un club qui ne mérite pas d'être en D2 et encore moins d'être dans le bas de tableau de D2, donc pour moi des erreurs ont été commises et j'espère qu'ils pourront rectifier, mettre de l'argent, et tout ce qu'il faut pour qu'ils puissent un jour atteindre la D1.

Je suis effectivement pour une augmentation des clubs en D1. Nous vivons des week-ends où ceux qui sont éliminés de la Coupe de France ou de la Champions League, ont des trous de 2/3 semaines et c'est compliqué mentalement.

 

CDF - De l’OM à Montpellier, comment s’est faite ton adaptation ?

M. L. - Très bien, parce que je connaissais déjà des joueuses, surtout Sakina Karchaoui qui m'a beaucoup aidée. Elle habitait là où je vivais quand j'étais petite et je connaissais sa petite soeur. Elle a représenté un vrai soutien, elle m'a intégrée et puis Jean-Louis Saez était un très bon coach, il m'a fait confiance dès la première année, donc ça m'a aidé à progresser, à me libérer, et grandir.

 

CDF - Tu as connu des hauts et des bas dans ton parcours, comment gère-t-on à un si jeune âge autant de fluctuations dans sa carrière, dans sa vie ? 

M. L. - (sourire) On gère déjà grâce à sa famille (rires nerveux) qui nous soutient. Elle est proche de moi, je n'habite pas loin. 

Moi je me suis toujours dit que le foot c'était du plaisir, qu'il fallait continuer à travailler et que ça n'arrivait pas qu'à moi [d'être seule]. Il ne fallait jamais lâcher.

 

a serait bien d'être plus suivies,

et d'être plus épaulées"

 

CDF - Justement aimerais-tu un meilleur accompagnement dans ce sens à l’avenir, comme par exemple la présence d'anciennes joueuses apportant leurs expériences aux jeunes pour vivre leurs carrières pleinement et dans de meilleures conditions notamment psychologiques, mentales ?

M. L. - Oui, ça serait bien d'être plus suivies, et d'être plus épaulées, ça nous aiderait un peu plus, surtout pour les jeunes. Après quand on a plus d'expériences ça va, mais quand on est jeune et qu'il y a plein de choses qui te tombent dessus, c'est compliqué, certaines ne s'en remettent pas et donc sortir la tête de l'eau des fois c'est compliqué.

Oui après je pense que dans la plupart des clubs, il y'en a qui le font [des joueuses expérimentées qui encadrent les plus jeunes]. Moi je sais que chez nous, Marion Torrent et d'autres joueuses, surtout étrangères, peuvent nous aider, sur ce point je suis bien formée et bien entourée à Montpellier.

 

CDF - Tu as débuté jeune le football et tu as dû quitter ta famille aussi, c’est quelque chose de difficile aussi à vivre ?

M. L. - J'ai quitté ma famille jeune, j'avais 14 ans et demi et oui j'ai commencé le foot à 5 ans, j'ai joué avec les garçons jusqu'à l'âge de 15 ans.

Oui c'est difficile [l'éloignement avec la famille], mais on s'y fait et comme il nous soutiennent et ils sont derrière nous, on prend plaisir.

 

"J'aime bien avoir

le ballon, fixer"

 

CDF - Préférerais-tu évoluer à un poste plus offensif ?

M. L. - Plus jeune j'étais 6, et on m'a descendu quand je suis allée en Ligue Méditerranée, avant d'arriver à l'INSEP. 

J'aime bien avoir le ballon, fixer, mais défenseure centrale j'aime aussi.

 

CDF - Tu es défenseure centrale avec tantôt Morgane Nicoli, Maelys Mpome ou encore Sarah Puntigam (partie depuis au FC Cologne, ndlr). Comment t'adaptes-tu à tous ces changements ?  Comment s’adapte-t-on aux différentes stratégies mises en place, et est-ce que c'est instinctif pour ta part, tu peux changer la tactique mise en place dans la semaine ou pas du tout ?

M. L. - On le travaille à l'entraînement, quand je sais que je n'ai pas le même duo, on a la semaine pour se préparer donc je m'adapte. Après ça fait des années que je connais ces joueuses donc je sais à peu près leurs points forts et leurs points faibles, donc on essaye de se gérer sur ça, mais oui c'est vrai que la défense a beaucoup changé cette année (sourire).

Oui mon jeu est instinctif. Après les mises en place souvent on les connaît, on a déjà joué dans ces systèmes-là et puis on fait énormément de vidéo.

Je m'adapte bien, après c'est des joueuses que je connais beaucoup et ça fait quelques années que je joue avec.

 

CDF - Personnellement, dans ton jeu, tu dois cadrer, marquer une joueuse spécifique ou essayer d’apporter aussi offensivement ? 

M. L. - J'apporte offensivement, de par mes qualités techniques c'est ce que je préfère, et tenter de marquer de la tête également.

 

"Je m'affirme de plus

en plus."

 

CDF - On a l’impression qu’il manque, ou qu’il n’y a pas assez de joueuses expérimentées avec qui apprendre le haut niveau autour de toi, qui ont énormément de matches de D1 ?

M. L. - Oui c'est vrai [il n'y a pas beaucoup de joueuses avec énormément de matches en D1], (rires) je commence à être l'une des plus expérimentées puisqu'on a beaucoup de jeunes dans notre équipe. Après on a perdu énormément de joueuses dans les 3 dernières années. Je me fais par moi-même et puis le coach me donne un rôle de cadre, donc j'essaye d'apporter des choses au plus jeunes, parce que je l'ai vécu, et puis ça se passe très bien et je m'affirme de plus en plus. 

 

CDF - En équipe de France jeune, tu as été capitaine (avec Carla Polito) et Championne d'Europe U19, grâce à ton but libérateur à la 73e minute. Quel sentiment gardes-tu de ce titre et de ce tournoi ? Était-ce beaucoup d’émotions pour toi en tant que défenseure de marquer ce but ultime pour le sacre ?

M. L. - Un très bon souvenir, c'était un rêve qui se réalise (rires enjoués) et on avait une très très belle équipe, on a fait un très bon tournoi et je pense qu'on méritait cette première place, dommage qu'il n'y a pas eu la Coupe du Monde [U20] qui suit, mais...

Oui c'était énorme (sourire).

 

"On était tous déçus de ne pas

jouer cette compétition"

 

CDF - Effectivement ta génération a été privée d’une Coupe du Monde U20, qui devait se jouer en août 2020, (décalée en janvier 2021, puis en août 2022, ndlr), ressens-tu une certaine frustration, injustice par rapport à cela ? Est-ce que tu penses qu’il faudrait prendre les joueuses comme toi qui avait l’âge pour y participer ?

M. L. - Oui totalement, on était tous déçus de ne pas jouer cette compétition, on était frustrés, puisqu'on s'est donné les moyens pour être qualifiés pour cette Coupe du Monde et de ne pas la jouer c'était décevant, surtout qu'on avait une belle équipe et une bonne génération. 

Mais après on est contentes d'être qualifiées, et de pouvoir donner la place aux plus jeunes et puis j'avais déjà vécu une Coupe du Monde et je sais que c'est exceptionnel à vivre.

(sourire) Ça serait bien, mais ça ne fonctionne pas comme ça [malheureusement].

 

CDF - Tu n’as pas eu l’opportunité de tirer ton épingle du jeu pour jouer avec les A, est-ce un peu une frustration aussi pour toi ?

M. L. - Oui c'est frustrant, une petite déception. Après je sais qu'il faut travailler pour aller à ce niveau-là, et je sais que je ne lâcherais pas. J'ai eu une année et demi compliquée [après l'Euro U19], où je n'avais pas beaucoup de temps de jeu, donc je peux comprendre pourquoi je n'ai pas été prise en sélection. 

Ce qui est bien c'est que je continue à être avec les U23 quand même, et d'avoir du temps de jeu c'était indispensable.

 

"Je sais que je n'ai rien lâché,

j'ai continué à travailler"

 

CDF - Pourquoi as-tu eu une année et demi difficile ?

M. L. - (Elle réfléchit brièvement) Je ne sais pas (sourire nerveux), je suis revenue de l'Euro [U19], c'était un nouvel entraîneur (Frédéric Mendy, ndlr), c'était compliqué, il ne m'a pas fait jouer, il ne m'a pas donné ma chance... Il avait ses idées en tête, je ne remets pas la faute sur le coach, mais après je sais que je n'ai rien lâché, j'ai continué à travailler, maintenant j'ai du temps de jeu donc c'est positif.

 

CDF - Clarisse Le Bihan a l’étranger ça démontre aussi une envie de voir ailleurs. Est-ce également ton cas ?

M. L. - Oui bien sûr. L'Espagne correspond à mon jeu, mais les États-Unis m'attirent aussi. J'ai déjà eu des propositions, que j'ai refusé car j'étais plus jeune, mais dans les années qui arrivent pourquoi pas.

 

 

Interview réalisée le mercredi 4 mai 2022

 

Photo : Fred LG Photographer

Dounia MESLI