Après un an passé en Suisse au FC Bâle, Lindsey Thomas a marqué dès son retour en D1, trois buts sur ce début de saison avec Montpellier, au sein d'une équipe où le secteur offensif est extrêmement dense. Rencontre avec une joueuse qui à 21 ans, a déjà fait beaucoup de chemin au sens propre comme au figuré...

 

Coeurs de Foot : Fin octobre, Montpellier s'est incliné face à Paris (1-0). Vous avez vécu ce match depuis le banc. Quel a été votre ressenti sur ce match, j'imagine qu'il doit y avoir de la déception...

Lindsey Thomas : Oui, il y a un peu de déception parce qu'on a pas réussi à mettre en place ce qu'on avait fait de bien en début de saison. Du banc, c'est sur qu'on est toujours un peu frustrée parce qu'on a envie de rentrer et d'apporter. Néanmoins, ce sont des expériences qui servent et qui nous serviront pour les prochains matches qu'on aura à jouer d'ici la trêve hivernale.

CDF : L'an dernier, Montpellier avait accroché Paris et Lyon pendant la phase aller. Est-ce que vous pensez que ce sera possible d'aller chercher des points face à Lyon ?

L.T : Bien sûr. De toute façon, sur un match de 90 minutes, tout reste possible, il suffit d'être toutes ensemble, concentrées. On sait très bien que dans les matches comme ça, ce sont des petites erreurs qui font la différence. On sait que Lyon, elles sont justement capables d'exploiter les petites erreurs qu'on pourra faire contre elles.

Le tout c'est de toujours rester concentrées, savoir ce qu'on a à faire. [C'est] jouer aussi notre chance parce que généralement quand on tombe contre une équipe qui est plus forte techniquement que nous, c'est pas évident d'avoir la maîtrise du ballon. Là, ça va être quand même d'essayer de produire du jeu et ne pas s'en priver si on a l'occasion d'avoir des contres et d'essayer d'être les plus efficaces possibles.

CDF : Le week-end dernier, votre match de championnat face à Albi a été reporté. Comment ça s'est passé, vous repos ou vous allez vous avoir des entraînements à la place ?

L.T : Le week-end dernier, on a eu la chance d'avoir deux jours pour souffler un petit peu. Néanmoins, le vendredi on a eu un match d'entraînement contre Albi. [C'est] toujours pareil, on a essayé d'être dans l'optique du jeu. Le résultat a été positif même si ça reste un match d’entraînement, nous avons consolider les automatismes dans la mise en place de notre jeu.

 

« Toujours être décisive »

CDF : Justement sur ce début de saison, vous aviez fait un très bon début de saison, collectivement et individuellement, avec 3 buts en 4 matches. Quel rôle vous donne Jean-Louis Saez dans cette équipe ?

L.T : Je ne sais pas si j'ai un rôle bien précis. Le tout c'est quand l’entraîneur me fait confiance, c'est de lui rendre le maximum sur le terrain. C'est ce qui se passait en début de saison, ça a plutôt bien marché. Après il y a eu une petite période où je me sentais moins bien physiquement. Mais petit à petit ça revient.

Je me concentre d'abord sur bien travailler à l'entraînement. Si ça se passe bien à l'entraînement, y'a pas de raison que ça se passe bien en match. Le tout c'est d'être efficace pour et avec l'équipe, faire jouer les autres, marquer si possible et toujours être décisive, le plus possible en tout cas.

CDF : Vous êtes dans une équipe avec un secteur offensif très dense avec six attaquantes qui ont déjà marqué au moins une fois depuis le début de saison. Comment vous vivez cette situation, avec beaucoup de concurrence sur les postes offensifs ?

L.T : Je le vis plutôt bien. Après avec mon année passée en Suisse, je vois les choses différemment. Du coup, je me sers de cette concurrence, du gros potentiel offensif qu'on a pour apprendre tous les jours à l’entraînement auprès des filles expérimentées comme [Sofia] Jakobsson ou encore [Laëtitia] Tonazzi.

Bien évidemment ça nous oblige nous, en étant jeunes à se mettre à leur niveau. Si on veut avoir du temps de jeu ou gratter des bouts de matches, justement il faut être à leur niveau et faire valoir nos qualités car lorsqu'on est jeunes on réfléchit un peu moins et on joue plus sur la spontanéité. Mais c'est vrai qu'avec l'âge on devient plus mature, plus sereine dans certaines situations, dans certains matches. c'est ce qu'elles nous apprennent, nous apportent, et à nous de s'en servir pour pouvoir faire des différence au cours des saisons à venir.

 

« J'ai profité de cette année pour m'épanouir »

CDF : Vous avez parlé de votre expérience en Suisse, comment s'est décidé votre départ en Suisse ?

L.T : Comme chaque année, on a un entretien en fin de saison et j'ai eu mon entretien. J'avais pas beaucoup joué, ça a été une année plus ou moins difficile. Du coup, ils m'ont proposé de me faire prêter pour gagner du temps de jeu, pour m'aguerrir, prendre confiance en moi et dans mes dans mes qualités, gagner de l'expérience dans les matches, et avoir avoir le rythme d'une saison entière dans les jambes.

J'ai accepté ce challenge. Dans un premier temps, c'était peut-être pour rester en France, après je me suis dit : « rester en France, je connais déjà le championnat, je sais comment ça se passe », donc j'ai voulu aller voir un peu ailleurs. J'ai failli partir en Espagne et finalement ça a été en Suisse, au FC Bâle. Et ils m'ont accueillie à bras ouverts.

J'ai été vite mis dans les meilleures conditions possibles. Le club était très accueillant, toutes les filles m'ont facilité mon adaptation au sein de l'équipe. Mon intégration s'est très bien passée et justement, j'ai profité de cette année pour m'épanouir, pour marquer des buts, pour avoir du temps de jeu, pour m'aguerrir aussi. Du coup, je reviens que grandie de cette expérience

CDF : Le football féminin en Suisse est en pleine progression. A quoi ressemble le championnat là-bas ?

L.T : C'est comme un peu partout, c'est un championnat à deux vitesses. Il y a cinq/six équipes qui se tiennent un peu après le reste est un peu plus décroché. Quand je prend le cas du FC Zurich, c'est un peu le Lyon de notre championnat en France. Elles sont un peu au-dessus. C'est toujours pareil, il faut essayer de gagner des points contre elles.

Après Bâle, l'équipe dans laquelle j'étais, si je dois faire une comparaison avec le championnat français, je les situerais plus dans le milieu de tableau dans notre championnat à nous. Après ça reste une équipe très correcte pour avoir du temps de jeu, pour évoluer quand on est jeune, pour s'aguerrir. Même si je pense que le championnat suisse, ça reste un ton en dessous de notre championnat français.

 

« Ça a été le foot avant tout »

CDF : Vous avez voyagé en Suisse avec le foot. Mais déjà votre arrivée en Montpellier et en métropole a été un voyage. Puisque vous êtes partie à 15 ans de Guadeloupe, c'est bien ça ?

L.T : Oui à 15 ans, j'ai fait une année à Bordeaux, en section féminines à Mérignac. Je jouais en même temps à Blanquefort et par chance on va dire, il y avait Hoda Lattaf qui était venue marrainer notre section à Mérignac. Elle avait entendu parler de moi comme la « petite métisse » qui était en section sportive à Mérignac. Elle a parlé à l'ancien coach des U19 de Montpellier, c'était Nicolas Delépine à l'époque.

Je suis venue faire un tournoi avec elles, c'était sur deux jours, c'était à Yzeure, je m'en rappelle. A la suite de ce tournoi, j'ai eu un entretien avec Delépine et il m'a laissé une semaine pour prendre ma décision, parce qu'il voulait que je vienne à Montpellier. Donc j'ai pas hésité une seule seconde et je suis venue.

CDF : Votre expérience en U19 à Montpellier a été couronnée de succès avec beaucoup de buts et deux titres nationaux. J'imagine que pour vous c'était deux superbes années ?

L.T : Oui, la première année, ça a été un peu compliquée parce que c'était la première fois que j'arrivais dans une structure aussi cadrée, après en U19 il y avait pas mal de jeunes et de très bonnes joueuses comme [Viviane] Asseyi, [Faustine] Robert, [Charlène] Farrugia qui jouaient dans le secteur offensif. C'était pas évident, j'avais un peu le rôle de joker. Et puis en deuxième année, c'est vrai, j'ai eu plus un rôle de titulaire, j'ai marqué pas mal de buts. Ça m'a fait du bien dans ma progression et effet nous avons été couronnées deux fois de suite.

CDF : Quand vous décidez de partir de Guadeloupe, à quel moment vous sentez que c'est la bonne décision ?

L.T : En fait, j'ai toujours joué au foot en Guadeloupe, plus précisément sur l'archipel des Saintes avec les garçons. Bien évidemment j'étais la seule fille qui jouait au foot sur ma petite île. À 15 ans et demi j'ai du faire un choix, c'était soit je jouais avec les filles soit j'arrêtais définitivement le foot. Et comme je voulais pas du tout arrêter le foot...

Mon ancien entraîneur à l'époque, Peter Samuel, était venu faire un tournoi à Bordeaux, la Birdy Cup avec les benjamins de mon club, et en fait ça s'est fait comme ça. J'ai d'abord du valider mon brevet, puis je suis venue une semaine en détection à Mérignac et à la suite de ça j'ai eu un avis favorable pour venir là-bas.

Du coup, j'ai même pas réfléchi une seule seconde. Dès que j'ai eu l'opportunité de pouvoir partir, ça a été oui direct sans penser forcément à partir là-bas, en étant seule ou quoi. Ça a été le foot avant tout certes mais en continuant à concilier les études avec. C'était une condition très importante pour mes parents. Néanmoins, je suis partie sans hésiter.

 

« Ces sélections m'ont beaucoup servie »

CDF : En 2013, vous faites partie des championnes d'Europe U19 avec les Bleuettes. Vous aviez dit que votre sélection à l'époque avait été une surprise. Quand on regarde vos statistiques de l'époque (21 buts et championne de France U19), on se dit que c'était plutôt logique...

L.T : C'était une surprise parce que je suis une joueuse qui a pas forcément beaucoup de confiance en soi. Du coup, même avec de bons résultats, je me focalise toujours sur ce que je fais de moins bien, au lieu de me focaliser sur ce que je fais de bien. Toujours cette perpétuelle remise en question. Et quand il y a la récompense qui vient au bout, je ne m'y attends pas forcément.

En étant jeune, j'ai toujours eu ce manque de confiance en moi et je ne voulais pas forcément voir ce que je faisais de bien. Cela restait des sujets avec lesquels je n'étais pas toujours à l'aise et des effets de surprises pour moi alors que ça pouvait paraître normal.

CDF : Et justement ce titre en U19 puis la troisième place à la Coupe du Monde U20 en 2014, j'imagine que pour la confiance, cela a dû vous aider ?

L.T : Oui bien, sur ça m'a aidé, parce que faire des sélections, ça apporte toujours quelque chose. Bien évidemment j'ai appris et du coup on voit les choses différemment. Cela nous sert pour la suite et c'est sur qu'après ces sélections, on se sent mieux quand on revient en club, [avec] plus de confiance, on ose faire plus de choses. C'est vrai que ces sélections m'ont beaucoup servie pour la continuité de mon développement.

CDF : Dans votre équipe de Montpellier, il y a quatre joueuses qui viennent de partir pour la Coupe du Monde U20. Est-ce que vous en avez parlé ces derniers jours ?

L.T : Non, pas spécialement. On savait qu'elles partaient à la Coupe du Monde. On en a parlé un petit peu mais sans plus, parce qu'on était toujours focalisées sur le championnat et ce gros match à Paris qu'on avait à disputer donc non ça a pas été forcément un sujet de discussion. Ça le sera peut-être au retour au vu du parcours qu'elles feront.

CDF : Et est-ce que vous gardez un souvenir en particulier de cette Coupe du Monde U20 il y a deux ans ?

L.T : Je dirai peut-être la demi-finale [face à l'Allemagne] où j'ai été titulaire. Ça m'a marqué, mais au final, on perd de très peu [2-1] alors qu'on aurait pu espérer autre chose avec toutes les occasions qu'on a eu. Si on avait eu plus d'efficacité, je pense qu'on aurait pu aller au bout de cette compétition et décrocher l'or.

 

« À tout moment on peut aller toquer à la porte des A »

CDF : Vous avez également remporté la Coupe du Monde universitaire en 2015 en Corée du Sud. J'ai vu que vous faisiez des études de STAPS, vous comptez rester dans le sport après votre carrière sur le terrain ?

L.T : En fait, je faisais des études de STAPS avant de partir en Suisse. J'ai dû arrêter là-bas parce que malheureusement ce n'est pas le même cursus scolaire. Mais là je reprends mes études et je suis partie sur un BTS diététique parce que je veux devenir diététicienne sportive. Rester au contact du sportif, ça m'intéresse grandement, sachant que la diététique, ça m'intéresse aussi. Les compétences à acquérir, les programmes à faire, suivre des patients plus ou moins à long terme, ça m'intéresse beaucoup donc oui rester au contact du sport et des sportifs.

CDF : Vous avez été récemment convoquée en équipe de France B, avec un stage fin octobre à Clairefontaine. Comment on vit ce genre de sélection sachant que c'est l'équipe de France « B » et que j'imagine l'objectif c'est de pouvoir intégrer les A ?

L.T : Ça se passe un peu comme dans les sélections jeunes sauf que c'est l'équipe de France B, avec le même état d'esprit, et pour représenter la France bien évidemment. Quand on y va, on sait qu'on a des points à marquer, que dans le foot ça va très vite dans un sens comme dans l'autre, et pour démontrer qu' on a pas été appelée pour rien.

Le sélectionneur nous fait passer comme message que certes, ça reste l'équipe de France B mais qu'à tout moment on peut aller toquer à la porte des A. Retrouver des émotions de base prendre du plaisir, être rigoureuse, travailler. Ça passera d'abord par les bonnes performances en club et une fois que tout ça est réuni, il n'y a pas de complexe à avoir.

Et bien évidemment, la plupart des filles qui sont en A sont passées par les B voire par les Universitaires. Donc voilà, c'est toujours rester dans cette optique, l'équipe de France B, ça peut être une porte pour aller vers les A si les bonnes performances suivent.

 

Après relecture de l'entretien, Lindsey tenait à ajouter un message personnel pour conclure cette interview:

« Le foot féminin est en développement sur les cinq dernières années, une médiatisation beaucoup plus importante, notamment par les prestations de l'équipe de France féminine alors faisons en sorte de continuer à promouvoir ce sport.

Pour que les petites filles qui rêvent un jour d'être à notre place, à leur place en équipe de France féminine et qui seront sûrement l'avenir du foot féminin aient les moyens et les conditions adéquates pour montrer leurs qualités et avoir la reconnaissance qu'elles méritent.

Je voulais aussi remercier mes parents, tous mes proches, mes amis qui m'ont toujours soutenu. Également les personnes que j'ai rencontré lors de mon prêt en Suisse. Je me donnerai les moyens d'atteindre mes objectifs et de les rendre fiers. »

Hichem Djemai