Comme beaucoup, Anna Clérac a nourri sa passion pour le football dans une cour de récré. Depuis ses premiers dribbles, la joueuse de Soyaux a fait du chemin, même si à 19 ans son aventure ne fait finalement que commencer. Une interview où l'on parle notamment de son début de saison avec Soyaux, de l'équipe de France avec son titre de championne d'Europe en U19 cet été avant un départ d'ici quelques jours vers l'Océanie où Anna et les Bleutettes vont disputer la Coupe du Monde des moins de 20 ans.

 

Coeurs de Foot : Pour commencer, on peut voir que Soyaux fait plutôt un bon début de saison, malgré la lourde défaite en ouverture face à l'OL. Quel regard vous portez sur vos premiers matches ?

Anna Clérac : Déjà, on n'a pas un calendrier très facile [avec] Lyon pour commencer le championnat. On a pris 9-0 et puis après on a enchaîné contre Rodez, où on a fait 1-1. Ce match nous a un peu lancé et puis il y a eu la victoire contre Marseille [2-1] et on a eu Juvisy [défaite 2-1 à Juvisy]. Donc ce n'est pas très facile, mais on a une bonne équipe cette année pour faire un bon classement.

CDF : En plus contre Saint-Étienne et Rodez, à chaque fois vous prenez un point à l'extérieur contre des équipes « du même niveau », donc ça doit vous donner confiance ?

A.C : Oui, pour nous, c'est un bon point. Parce que Rodez nous menait au score, Saint-Étienne aussi, et on revient au score à chaque fois. Après, on a mené contre Saint-Étienne, mais pas très longtemps donc c'est dommage. Mais oui, on a pris un point qui est plutôt satisfaisant.

CDF : Et pour vous personnellement, le fait d'arriver à marquer un but rapidement dans la saison, c'était important ou c'est plutôt un détail ?

A.C : Non, pour moi c'est un but comme un autre. Pour l'équipe c'est super et ça nous fait gagner le point. Sinon, oui, j'aimerais marquer plus.

CDF : Dans ce début de saison, vous avez joué contre l'Olympique de Marseille qui, de ce qu'on peut lire dans plusieurs de vos interviews, est votre équipe préférée. Qu'est ce que ça vous a fait de jouer contre Marseille et de gagner contre cette équipe ?

A.C : Ce n'est pas un rêve qui se réalise, mais pour moi c'était un grand match parce que Marseille c'est l'équipe que je supporte depuis que je suis toute petite, avec mes frères. Du coup, me retrouver face à l'équipe de l'Olympique de Marseille, oui ça fait quelque chose. J'étais contente d'avoir gagné.

CDF : Et vous avez récupéré un maillot à la fin du match ?

A.C : Un drapeau

«Le foot c'est ce qui me canalisait le plus »

CDF : Pour parler de vos débuts, dans votre enfance... Quand on parle avec des joueuses nées à la fin des années 1980, début des années 1990, l’événement qui est souvent évoqué dans leur envie de jouer au foot, c'est la victoire de la France à la Coupe du Monde 1998 chez les garçons. Pour vous [Anna est née en 1997], est-ce qu'il y a eu un événement, une équipe ou un/e joueur/se qui vous a particulièrement donné envie de jouer au foot ?

A.C : Non, je suis le foot depuis toute petite, donc j'ai toujours eu envie de faire du foot et de réussir. Après oui, j'adore Cristiano Ronaldo, tous ses dribbles et sa vitesse. J'adore ce joueur mais sinon, non, il n' y a pas eu un déclic particulier qui m'a donné envie d'aller encore plus haut. C'est moi qui me lance des défis.

CDF : Et vous étiez dans une famille de footeux ou c'est toute seule que vous avez commencer à jouer ?

A.C : Mon père faisait du foot quand il était plus jeune. [Après] c'est plutôt moi dans la cour de récré à l'école. Je jouais toujours au foot et c'est ce qui me canalisait le plus. Quand je jouais au foot, après j'étais calme en classe. Ma mère ne voulait pas que je fasse du foot. Au bout d'un moment, mon père a fini par dire oui et du coup j'ai pu faire du foot.

CDF : Dans les cours de récré, c'est souvent les garçons qui jouent au foot. Est-ce que ça a été difficile...Vous n'étiez pas impressionnée ?

A.C : Non, justement, je me « battais » sur le terrain. Il y avait peut-être quelques filles, deux ou trois mais on n'était pas beaucoup. Après oui, je jouais toujours avec les garçons dans la cour de récré.

CDF : Par la suite, vous êtes arrivée à Soyaux en 2011. A quel moment vous avez commencé à penser à la D1, au haut niveau, à vous dire que votre passion pouvait aussi devenir une ambition quelque part ?

A.C : Quand j'étais au pôle de Tours je pense. [A l'époque où] je jouais avec les garçons l'objectif c'était de jouer et de marquer des buts. C'était un rêve d'aller en équipe en France mais c'était plutôt comme on dit, on voit loin mais ça ne va jamais arriver. Et puis, quand je suis arrivée à Soyaux et que je voyais la D1... ça donne envie. Quand finalement j'ai eu ma chance, je me suis dit que je voulais y être plus tard.

CDF : Sur quel aspect de votre jeu vous avez l'impression d'avoir progressé avec votre passage au Pôle espoir à Tours ?

A.C : Sur la vision du jeu, la tactique, [savoir] quand il faut percuter ou alors revenir en arrière et redonner la balle pour faire tourner...

CDF : Le fait d'avoir comme directrice à Tours Emilie Dos Santos, qui une ancienne joueuse de Soyaux et qui a connu des sélections en équipe de France, est-ce que ça aide d'avoir quelqu'un qui connaît un peu déjà le chemin à suivre ?

A.C : Émilie, ce n'est pas quelqu'un qui parlait de son passé. Elle nous parlait de Soyaux et des joueuses qu'elle connaissait mais elle ne parlait pas trop de comment elle était en équipe de France. Si, elle nous disait que quand elle jouait, elle avait « la haine » sur le terrain. Mais sinon, elle ne parlait jamais de ses exploits, elle ne se vantait jamais. On prenait exemple sur elle, on avait envie de la suivre un peu. Tout ce qu'elle disait, on l'écoutait sérieusement pour progresser et passer le cap.

CDF : Et là, vous êtes sortie du pôle l'année dernière, donc vous avez aussi votre bac...

A.C : C'est ma deuxième année où je ne suis plus au pôle. C'était en 2015 que j'ai passé le bac.

CDF : Et là maintenant vous continuez les études à côté du foot ?

A.C : Je passe un CAP Petite Enfance à distance parce qu'en même temps j'ai un travail à côté. Je travaille dans l'animation avec des enfants de 3 à 10 ans dans un centre où il y a plusieurs écoles dedans et pendant les vacances aussi, c'est un centre de loisirs.

CDF : Et dans votre centre, il y a des petites filles qui jouent au foot ?

A.C : Oui, il y en a une qui joue au foot et qui est à Soyaux

« Quand on a gagné l'Euro, c'était magnifique »

CDF : La saison dernière, vous avez eu beaucoup plus de temps de jeu (19 matches, dont 11 titularisations). Est-ce que c'est le fait d'avoir quitté le Pôle Espoirs qui vous a permis quelque part de mieux vous intégrez à l'équipe ?

A.C : Déjà au pôle, j'étais un peu plus jeune donc ce n'était pas facile de faire sa place dans l'équipe. Et puis, il [Juan Paredes, l'entraîneur de Soyaux] ne me voyait sur aucun entraînement à part pendant les vacances où il me voyait pendant une semaine. Quand j'ai quitté le pôle, il me voyait tous les jours et il savait de quoi j'étais capable et qu'elles étaient mes faiblesses. Donc il savait qu'il pouvait me faire progresser [pendant] la semaine. Donc, il m'a laissé ma chance, et puis après il m'a laissé [dans l'équipe] et je suis contente.

CDF : Cette année sur le début de saison, vous faites partie des titulaires et vous évoluez au poste de milieu gauche. C'est un poste auquel vous avez toujours joué ou est-ce qu'il y a eu des évolutions avec le temps ?

A.C : J'ai toujours joué à un poste offensif. Quand j'étais avec les garçons, je jouais soit milieu gauche soit en attaque. À Soyaux c'est pareil, je joue milieu gauche mais en plein match, je peux changer avec Laura Bourgouin ou Allison Blais. Je peux passer milieu gauche, aller milieu droite, passer en attaque. On tourne, ça nous permet de déstabiliser la défense. Mais oui, je préfère jouer milieu gauche comme je suis gauchère, c'est facile pour moi d'être sur mon pied gauche.

CDF : Et le fait d'évoluer dans un couloir, qui sont des postes particuliers et très exigeants en terme d'efforts, c'est quelque chose qui vous plaît ?

A.C : J'aime aussi jouer 10. Il n'y pas moins d'efforts [en 10] mais on distribue plus de ballons, on fait jouer l'équipe et j'aime ça. Après milieu gauche, il faut déborder, soit on déborde soit on rentre [dans l'axe]. Il faut revenir défendre, il y a plus de choses en milieu gauche. J'aime bien courir partout, mais à la fin c'est vrai que c'est dur.

CDF : La saison dernière, c'est aussi vos premières sélections en bleu avec les U19, avec rapidement des buts et pour finir le titre de championne d'Europe. Quel regard vous avez sur cette année ?

A.C : C'est vrai que c'est beau. Il y en a beaucoup qui rêvent d'être en équipe de France. Mais le niveau est très élevé. C'est très dur quand on est en sélection, c'est très exigeant, strict, sérieux. Après oui, c'est un plaisir quand on est sur le terrain. Quand on a gagné l'Euro, c'était magnifique. Après je suis vite revenue à Soyaux, et je suis redescendue de mon nuage assez rapidement et pour reprendre la saison directement.

CDF : La prochain étape c'est la Coupe du Monde U20 en Papouasie Nouvelle-Guinée. Vous avez un peu repéré la Papouasie ?

A.C : C'est à l'autre bout du monde. Oui c'est très loin

CDF : Vous vous êtes déjà préparée un peu à ce long voyage avec notamment le changement climatique ou pour l'instant vous êtes encore concentré sur le championnat ?

A.C : On verra bien quand je serai là-bas. Je ne me suis pas trop préparée. J'ai pris mes précautions, j'ai fait mes vaccins, j'ai pris les médicaments qu'il faut pour là-bas pour ne pas être malade. Mais sinon, non, je sais pas trop à quoi m'attendre.

CDF : Dans les déplacements que vous avez pu faire avec les U19 ou même avec Soyaux, est-ce qu'il y a déjà un voyage, un déplacement qui vous a particulièrement marqué ?

A.C : Ils sont tous différents les uns des autres... Le Portugal [pour le Tour Élite, qualificatif pour l'Euro U19], j'ai bien aimé parce que j'adore le Portugal.

 

« L'objectif c'est toujours de gagner »

CDF : Pour revenir à Soyaux, même si vous êtes encore au début de votre carrière, est-ce qu'il y a un match depuis vos débuts où vous avez eu particulièrement l'impression de rentrer dans le grand bain, dans le haut niveau ?

A.C : Oui. L'année dernière, contre Guingamp à domicile [victoire 4-1] où j'arrive à mettre deux buts. C'est là où je suis vraiment contente de participer à la victoire de Soyaux. On avait toutes fait un bon match, la victoire était au bout, on était toutes récompensées.

CDF : En vous posant la question, j'ai pensé que vous auriez aussi parlé de but que vous aviez mis à Rodez, en fin de match après être entrée en deuxième mi-temps. Votre premier but en D1 et qui en plus donne la victoire à Soyaux...

A.C : Oui, mais apparemment, il n'avait pas été validé pour moi. Je ne sais pas ce qu'a fait la fédération. L''arbitre avait dit que c'était la gardienne [Déborah Garcia] qui l'avait mis contre son camp. J'avais voulu centrer et j'ai totalement dévissé mon centre qui a atterri sur le poteau. Le ballon a tapé la tête de la gardienne et il est rentré dans le but.

CDF : Apparemment, le but vous a été attribué...

A.C : Je suis pas sûr que le but soit pour moi... Mais oui, on était très contentes d'avoir gagné.

CDF : Sur un autre sujet, votre coéquipière Amandine Guérin a dû arrêter sa carrière suite à des soucis de santé. Est-ce que vous avez eu l'occasion de la revoir avec l'équipe, et de partager un peu de ce moment difficile avec elle ?

A.C : Non, je n'en ai pas en parlé avec elle et je ne l'ai pas vu depuis que j'ai appris cette nouvelle. Je l'ai appris sur les réseaux sociaux et par l'équipe aussi. Mais on savait déjà qu'elle avait des problèmes de cœur depuis l'année dernière. On ne savait pas si elle allait reprendre ou non et malheureusement, elle n'a pas pu reprendre. Mais oui, c'est une déception parce que c'est une très bonne gardienne.

CDF : Pour finir, le prochain match c'est dimanche contre Bordeaux. Est-ce que vous voyez cette affiche comme un match particulier, deux villes assez proches, pas mal de joueuses qui se connaissent...

A.C : Bordeaux, c'est une équipe de D1 qui vient de monter, c'est une équipe comme une autre. C'est un match à gagner par contre.

CDF : Même si le match est à l'extérieur, l'objectif c'est de prendre les trois points ?

A.C : Toujours, l'objectif c'est toujours de gagner.

 

Photo en une: Nelson Fatagraf

Hichem Djemai