De retour en équipe de France depuis la SheBelieves Cup le mois dernier, nous avons rencontré la milieu de terrain francilienne à Clairefontaine. Une « longue entrevue » dont la capitaine du Paris FC avoue « n’en avoir plus fait depuis longtemps ». L’occasion de revenir avec elle sur son histoire plus ou moins mouvementée avec la sélection, et une interview sans filtre où la joueuse de 32 ans nous livre sa motivation, toujours plus grande, de faire briller ce maillot bleu.

 

On a remarqué que sur cette liste, Corinne Diacre vous a mis en « attaquante ». Est-ce que vous savez si c’est une volonté de vous faire jouer plus haut ? Comme ça a souvent été votre cas en équipe de France. 

Gaëtane Thiney : Non je ne pense pas qu’il y ait une incidence particulière. Je suis milieu offensive, 9 et demie, 10. Faudra demander à la coach pourquoi mais je n’ai pas fait attention à ça. 

 

Après de nombreuses années pleines en équipe de France, depuis l’après-Coupe du monde 2015 vous vivez un parcours plus ou moins controversé en équipe de France. Comment avez-vous géré cette période ?

G. T : Comme j’ai pu. J’ai géré comme j’ai pu. Ce n’était pas simple du tout. Beaucoup de sentiments d’injustice. Ça fait partie un petit peu de mon histoire de vie et de mon histoire de joueuse. Le tout c’est de le transformer en positif et que ça me rende plus forte. 

Donc je l’ai géré comment ? J’ai beaucoup discuté, j’ai un peu construit un « staff » autour de moi. J’ai mis plein de choses en place pour être performante physiquement et surtout mentalement où j’ai vraiment eu un soutien important. J’ai pris beaucoup de conseils auprès d’experts du mental, et je continue encore aujourd’hui. 

 

Oui, mentalement ça devait être dur de quitter l’équipe de France à une période où vous étiez l’une des joueuses les plus utilisées ? (Elle compte le plus grand temps de jeu sur les qualifications de la coupe du monde 2015, après Louis Necib, Sabrina Delannoy et Sarah Bouhaddi, et termine en tête du classement des buteuses des éliminatoires avec 13 réalisations.)

G. T : Oui c’est difficile. Mais encore une fois, ça fait partie de moi. Le tout, c’est pas d’être tout en haut. Enfin si, on a envie d’être tout en haut, mais il faut aussi savoir que comme dans la vie il y a parfois des épreuves, des embûches. J’ai vécu différentes épreuves, et j’ai réussi à toujours ressortir la tête de l’eau, à être heureuse et à progresser. J’espère que ça va continuer. 

 

« J’ai chanté la Marseillaise 144 fois, et à chaque match c’est toujours la même émotion »

 

Après la non-sélection pour les Jeux Olympiques de Rio. Vous postez sur les réseaux sociaux une photo avec le #Objectif2019. C’est vraiment un objectif que vous avez coché et pour lequel vous travaillez depuis longtemps ? D’autant plus qu’en 2016 il parait loin cette objectif…

G. T : Oui en 2016 c’était loin, mais je voulais montrer qu’il ne fallait pas s’effondrer aussi. Quand on est sportif de haut niveau on a besoin d’objectifs. Pour moi 2019 en était un. Je n’avais même pas mis 2017 [avec l'Euro] d’ailleurs, j’avais mis 2019 parce que 2017 pour moi fait partie de la progression et de l’avancée vers 2019. Maintenant il reste encore beaucoup d’étapes, et j’essaie d’avoir une progression positive sur le terrain et en dehors. 

 

Avec Corinne Diacre c’est un peu un deuxième retour. Lors de la SheBelieves Cup vous entrez face à l’Angleterre et provoquez le but. Sur le terrain qu’est-ce que ça représentait de se retrouver dans cette équipe ?

G. T : Toujours beaucoup de fierté. Représenter les Bleues c’est toujours magnifique. La différence par rapport à avant, c’est qu’avant émotionnellement j’étais très très impliquée. Et je pense qu’avec toutes les épreuves que j’ai vécues, j’ai réussi à me protéger un petit peu plus. Maintenant je pense que je me lâcherai le jour où j’aurai la Coupe du monde peut-être. 

Mais, j’ai 144 sélections, j’ai chanté la Marseillaise 144 fois, et à chaque match c’est toujours la même émotion qui était extraordinaire. Là j’essaie qu’elle soit juste ordinaire. C’est pas péjoratif c’est beaucoup d’émotions. Mais quand on est hypersensible, il ne faut pas aller trop trop haut, sinon on descend très très bas. Mon objectif il est clair et net : la Coupe du monde 2019, la remporter et être performante. Je vais tout mettre en oeuvre pour. 

 

« Si je mets un triplé en finale j’irais peut être jusqu’aux JO. »

 

Ça sera votre dernière compétition ?

G. T : Si je suis très performante à la Coupe du monde et qu’on la gagne… Je dis souvent en rigolant « Si je mets un triplé en finale, j’irai peut être jusqu’aux JO. » Mais non je ne me pose pas cette question. 

J’essaie de vivre à chaque fois le moment présent, en me fixant des étapes supplémentaires pour progresser sur tous les domaines de la performance. Que ce soit sur le terrain, technique, tactique, physique, à la vidéo, au mental. On progresse à tout âge, puis j’ai beaucoup d’expérience, il faut que je m’en serve pour avancer.

 

Avec Olivier Echouafni,  vous étiez surtout cantonnée à un rôle de « super sub ». Est-ce que vous avez l’impression que vous concernant Corinne Diacre est un peu dans le même schéma ?

G. T : Je ne pense pas non. Encore une fois l’Euro c’était aussi une phase de transition. Après le coach a fait ses choix. Il avait la possibilité de me faire jouer en 10, il ne m’a pas mis. Que j’ai 25 ans, 32, que je revienne, que je revienne pas, c’est des choix je pense de profil de joueuses. 

Mon profil est un peu atypique. Je n'ai pas été formée dans les pôles de formation qu’on fait en France. De 14 à 17 ans j’étais avec des garçons seniors et j’ai développé autre chose. J’ai certaines lacunes et j’ai certaines forces. Maintenant, mon objectif c’est d’apporter à cette équipe. Je n’ai pas envie d’être à la Coupe du monde, [numéro] 23, et de porter les ballons. C’est pas péjoratif mais je pense que dans une carrière, il y a des étapes et la mienne c’est d’être performante. Je dis pas qu’il faut que je sois dans les onze, parce que le jeu le dira et le football ça va très vite. Mais mon but, c’est qu’on compte sur moi pour que l’équipe soit plus performante. 

 

Sur ce stage précédent et donc la SheBelieves Cup, quel était le discours de la sélectionneur vous concernant ?

G. T : Je savais que je n’allais pas débuter l’Angleterre et que derrière j’allais jouer. L’objectif c’était de prouver que j’avais ma place dans cette équipe. Le tout c'est de le faire au bon moment, au bon endroit. L’objectif c’était aussi pour moi de me situer et de voir si j’étais capable face à de grosses nations du football féminin, de m’exprimer. Parce que parfois on doute quand même. C’est un stage qui m’a mis en confiance, maintenant le plus dur reste à faire. Le montrer une fois c’est bien, mais le plus difficile c’est de montrer que ce niveau d’exigence on se le met à chaque match. 

 

« On était heureuses toutes les deux de se retrouver et de recréer des automatismes »

Sur le match face à l’Allemagne notamment, on a senti que votre capacité à trouver de l’influence dans le jeu était toujours là. On le voit avec cette passe décisive pour Eugénie Le Sommer et deux hockey assist (l’avant dernière passe sur un but). On sentait aussi un retour d’une certaine familiarité.

G. T : Oui je l’ai ressenti un peu comme vous. Ce que je retiens de ces matches, au-delà de la performance sportive, c’est le partage qu’on a eu. J’aime faire marquer les joueuses, j’aime créer les décalages et j’aime marquer aussi. Ces trois choses que je devrais faire à chaque match. 

Le partage après les buts, de ressentir une vraie complicité, c’était une marque forte pour moi. Quand Eugénie [Le Sommer] vient dans mes bras, on était heureuses toutes les deux de se retrouver et de recréer des automatismes qui sont, à haut niveau, toujours difficiles à créer. 

C’est vrai qu’on en parlait après toutes les deux, sur le troisième but quand je lui mets la balle en une touche où elle part après en profondeur pour Valérie [Gauvin]. En fait, je savais qu’elle allait y aller et elle savait que j’allais lui mettre, avant même que j’ai le ballon. Ce sont des choses qui font plaisir. Finalement, si on se retire un peu tout le contexte, l’environnement, l’enjeu, on joue un peu pour ça. 

 

On sait que vous connaissiez Corinne Diacre du temps où elle était adjointe de Bruno Bini. Une période où vous étiez une joueuse clé de l’équipe de France. Ne pas vous voir dans les premières listes était donc une réelle surprise. Pour vous aussi ? Ou alors elle vous avait appelé en amont pour vous expliquer ce choix ?

G. T : Non je n’étais pas du tout au courant. J’étais un peu surprise. Ça n’a pas été une période si simple que ça. Je me posais évidemment beaucoup de questions. Mais j’étais toujours très attentive à son discours qui était que la porte était ouverte. Donc je suis restée accrochée à ça, en essayant d’éliminer au maximum ma frustration et continuer à rester concentrée sur mes performances. Et en me disant que, à un moment ou un autre, j’aurais ma chance. Et puis, ça a été le cas. Mais oui ce n’est pas simple, surtout que j’ai déjà eu des antécédents donc on se pose beaucoup de questions. 

 

Dans ces premières listes, une autre joueuse qu’on avait l’habitude de voir en Bleue n’y était pas non plus : Maire-Laure Delie. Elle a depuis eu sa chance, mais n’a pas été rappelée par la suite. Même si sa situation, notamment en club n’est pas la même que la votre. Est-ce que quand votre chance est venue vous vous êtes dit « maintenant c’est quitte ou double » ?

G. T : Non pas vraiment. J’étais dans l’optique de profiter de cette chance de pouvoir jouer les trois meilleures nations pour me jauger. J’étais dans le moment présent. A la fin du match je me disais « j’aurais du faire çi, faire ça » parce que je suis perfectionniste, mais j’étais heureuse. Et encore une fois, j’ai quand même ce filtre qui dit de ne pas s’enflammer et garder beaucoup d’humilité. Collectivement et individuellement, pour pouvoir avancer. 

La liste d’après j’ai regardé (elle mime du coin de l’oeil). Et comme j’étais dans les attaquantes, j’étais la dernière (rires). Mais il y a toujours ce petit grain là et c’est ce qui est beau aussi.

 

« Je n’ai jamais été aussi prête qu’aujourd’hui »

 

Vous qui avez souvent fait partie des « seules joueuses » non-professionnelles de l’équipe de France. Comment voyez-vous ce changement radical depuis l’arrivée de Corine Diacre, qui voit émerger une équipe de France avec des joueuses de tous clubs de D1 : Guingamp, Fleury, OM… ?

G. T : Dans ma tête, je suis professionnelle depuis 10 ans. Être professionnelle pour moi c’est mettre toutes les choses de son côté pour être performante. Mon choix de vie, qui est de travailler à côté, c’est un choix professionnel pour le football puisque c’est mon équilibre. Ce n’est pas une contrainte que je m’impose en fait, puisque sinon je serais dans un autre club et je ferais autre chose.

De voir d’autres joueuses [dans ce cas] tant mieux, tant mieux pour elles. Si elles sont là c’est que Corinne Diacre détermine qu’elles ont le niveau d’être ici. Quel que soit le club dans lequel elles sont. Puis, les clubs ça va les faire évoluer aussi puisqu’il va falloir qu’ils se mettent dans les meilleures dispositions pour pouvoir accueillir les joueuses, les faire s’entraîner dans de bonnes conditions, avoir des suivis médicaux de haut niveau… C’est tout ça qui s’accompagne. 

 

Est-ce que le double projet, pour vous c’est plus simple à gérer parce que ce qu’il y a en dehors du foot c’est encore du foot ? (en référence à son poste à la FFF)

G. T : Non je ne pense pas. Ça reste du foot mais ce que j’aime dans mon travail c’est mener des projets. Avoir une équipe de dix cadres techniques qui viennent, d’organiser leur travail, de faire des rétros-planning, des objectifs à atteindre… C’est plus le mode projet qui me plait. Dedans c’est du foot, oui c’est top. Mais si demain je devais être dans une entreprise, je serais dans une entreprise. 

Ce qui est plus facile pour moi c’est que du fait que j’ai une mission à l’année, je peux organiser mon temps de travail comme je veux. Donc finalement j’ai un emploi du temps qui est complètement compatible avec la pratique d’un sport à haut niveau. Puisque je n’ai aucune contrainte horaire. L’objectif il est simple, c’est qu’à la fin ma mission, elle soit remplie. Donc finalement ça me rend autonome, responsable et ça me fait prendre des initiatives. Et, peut-être que c’est transversal aussi avec le terrain où je suis plutôt autonome, responsable et où je prends des initiatives. 

 

On dit souvent que pour un joueur ou une joueuse la maturité est autour de 30 ans. Mais on voit notamment en France beaucoup de joueuses s’arrêter avant. Est-ce que cela met une pression supplémentaire sur des joueuses comme vous ?

G. T : Non, j’ai pas de soucis avec l’âge ! Je pense qu’il y a besoin de joueuses d’expérience. Je pense qu’à 32 ans on est en pleine forme, du moins j’ai jamais été aussi bien physiquement. Mentalement, j’ai une psychologue du sport qui me suit, qui suit Teddy Riner, qui suit de grands champions donc finalement je n’ai jamais été aussi prête qu’aujourd’hui, avec une expérience à rallonge. J’aime le foot, j’adore ça, et je pense performance du matin au soir. Le jour où je ne serai plus performante ou le jour où je ne prendrai plus de plaisir je ne serai plus là. Aujourd’hui les deux sont réunis. Mais la performance il faut toujours l’élever donc voilà, on va voir ce que ça donne sur les prochains mois, les prochaines années.

Morgane Huguen