Pour son entrée en lice dans cet Euro 2025, l’équipe de France a dominé l’Angleterre (2-1) dans une rencontre tactiquement maîtrisée. Une performance saluée par l’ancien coach de l’OL et du PSG, Gérard Prêcheur. Pour lui, cette performance n’a rien d’une surprise. Fin connaisseur du haut niveau, le technicien français décrypte à chaud cette victoire aboutie. Entre justesse tactique, qualité technique et promesses individuelles, ce succès pourrait bien installer les Bleues parmi les favorites du tournoi.
« Pourquoi inattendue ? »
Dès les premiers mots, Gérard Prêcheur coupe court à toute idée de surprise. « Pourquoi inattendue ? Pourquoi ? » interroge-t-il, presque piqué. Car au-delà du statut de tenantes du titre des Anglaises, l’équipe de France a démontré qu’elle avait les armes pour rivaliser. Et plus encore.
Certes, le début de match fut compliqué. « Les Anglaises avaient un bon collectif, elles nous ont mis en difficulté, elles avaient un peu plus la maîtrise du ballon », reconnaît Prêcheur. Mais les Bleues ont tenu. « On n’a pas pris de but, on a bien défendu. » Mieux : elles ont su faire basculer la dynamique.
Deux faits de jeu vont faire pencher le rapport de force. Un contre mal conclu de Sakina Karchaoui – mais dont le choix technique est « pertinent » – puis un but anglais refusé par la VAR en plein temps fort. « Est-ce que ça les a perturbées ? Je ne peux pas le dire, mais derrière on a repris la maîtrise du ballon. »
Supériorité technique et gestion collective
La bascule s’opère alors sur un terrain cher à Gérard Prêcheur : la technique et l’intelligence tactique. L’Angleterre, selon lui, a voulu s’appuyer sur une nouvelle orientation du jeu, plus axiale, plus en possession. « Ce que j’apprécie beaucoup, mais je sais l’exigence que ça demande. Et là, elles ne l’ont pas eue. »
La faute à une France bien organisée, notamment au milieu. « Oriane [Jean-François] et Grace [Geyoro] ont été très performantes. Leur intelligence dans le jeu, leur capacité à rester à distance d’intervention, à intercepter les ballons… ça a beaucoup perturbé les Anglaises. »
Le match bascule aussi sur le plan offensif. « On a une ligne d’attaque qui leur a posé beaucoup de problèmes. » Le premier but, superbe, en est le reflet : une interception de De Almeida, une projection de Cascarino et une finition clinique de Katoto. « C’est un but d’école », confirme Prêcheur. Et un exemple frappant de l’inefficacité anglaise. « Le nombre de fautes directes des Anglaises quand elles ont joué dans l’axe, c’est impressionnant à ce niveau-là. »
Une victoire qui résonne
Au-delà du terrain, cette victoire revêt une "symbolique" forte. « C’est un signal fort pour la suite de la compétition », insiste Prêcheur. Battre l’Angleterre, championne d’Europe en titre, dès le match d’ouverture, c’est s’imposer comme une candidate crédible au titre. « C’est une nation qui est en avance sur beaucoup de choses, en matière d’investissements, de structures, de professionnalisation du football féminin. Les battre, c’est envoyer un message. »
C’est aussi une revanche douce, après des années de rendez-vous manqués face à cette adversaire. « Elles nous ont souvent battus ces dernières années, parfois en compétition, parfois en amical… Là, on a montré qu’on avait non seulement le niveau, mais aussi la capacité de les faire déjouer. »
Changement de rythme et gestion pragmatique
Après une première période intense, la France a géré. « On a compris qu’on n’allait prendre aucun risque. On a joué simple, sur les côtés. » L’intensité baisse, la fatigue se fait sentir, et les Bleues temporisent avec une certaine maturité. « Plus de fautes, plus de temps au sol pour casser le rythme… mais on a bien géré. »
Une gestion que Prêcheur salue, tout en pointant un choix audacieux du sélectionneur : faire sortir plusieurs cadres à 2-0. « Moi je ne l’aurais pas fait. Pas contre l’Angleterre. » Mais le risque a payé. « C’est bien de l’avoir tenté, surtout si ça fonctionne. »
Les limites anglaises, les promesses françaises
Alors, faillite anglaise ou supériorité française ? Prêcheur refuse le manichéisme. « C’est les deux. L’Angleterre a tenté quelque chose qu’elle ne maîtrise pas encore, et nous, on a très bien contré ça. »
Il note aussi le manque d’efficacité des Anglaises dans la récupération après perte. « Là où nous, avec des joueuses comme Oriane ou Grace, on a été très forts dans les duels. »
Sombath, symbole d’un avenir serein
Le consultant a été frappé par la prestation d’Alice Sombath. Titularisée dans un match aussi exposé, la défenseure a répondu présente. « Beaucoup de sérénité. Des interventions décisives, un placement toujours juste. » Même si Prêcheur reste fidèle à son approche : « Je ne fais pas d’analyse individuelle à chaud. Je préfère me concentrer sur le collectif. »
Mais il reconnaît le potentiel énorme de la Lyonnaise. « On la connaît bien. C’est une joueuse qu’on suivait déjà au PSG. Elle a un gros potentiel pour exploser. »
L’exigence de la durée
À ce niveau, rien ne se gagne sur un match. Et Gérard Prêcheur le sait mieux que quiconque. Le technicien insiste sur la gestion d’un tournoi et rappelle l’importance de gérer un effectif sur la durée. « Il faut penser récupération, bien aborder le match contre le pays de Galles, et ensuite se projeter sur les Pays-Bas. »
Il met en garde contre tout excès d’euphorie :
« Le pays de Galles, c’est un autre type d’équipe, plus regroupée, plus défensive. Il ne faudra pas tomber dans le piège de la facilité. »
Et gérer intelligemment la suite :
« Ensuite, contre les Pays-Bas, ce sera peut-être le match le plus dur du groupe. Il faudra arriver prêts. »
Et ne pas céder à la tentation des changements systématiques. « Moi, je suis contre les cinq changements. Il faut être sûr que la joueuse qui entre apporte une vraie valeur ajoutée. »
D’ailleurs, la réduction du score anglaise – sur corner – l’illustre. « On voit que l’absence de Wendie Renard se fait sentir dans le jeu aérien. On sauve un ballon sur la ligne. C’est le football. »
Un rendez-vous avec l’histoire ?
Enfin, au-delà du terrain, Prêcheur salue la médiatisation croissante du foot féminin. « C’est super d’être diffusé en prime time sur TF1. Vous, les médias, vous jouez un rôle essentiel. » Et il note avec lucidité que la France n’a pas toujours su capitaliser sur ses temps forts. « Après 2019, on n’en a pas profité. Les Anglaises, elles, ont gagné leur Euro chez elles. »
Mais aujourd’hui, un nouveau cycle s’ouvre peut-être. Et Gérard Prêcheur veut y croire. « On a un potentiel énorme. Des joueuses dans le top 50 mondial, sans problème. Oui, on peut aller au bout. »
Photo : Ryszard Dreger