Les Bleues tombent encore en quart, les mêmes causes produisent les mêmes effets
Encore une fois, l’équipe de France féminine quitte une grande compétition sans atteindre le dernier carré. Éliminées en quart de finale de l’Euro 2025 par l’Allemagne (1-1, 5-6 aux tirs au but), les Bleues laissent derrière elles un goût d’inachevé, et plus grave encore, l’impression d’un projet sans direction. Si les joueuses ont tout donné, plusieurs voix internes au football français, très proches de la sélection, livrent un constat sans appel et tirent la sonnette d’alarme : cette élimination révèle surtout les limites profondes d’un projet bancal, mal préparé, mal encadré.
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Un projet de jeu introuvable
Selon une source proche du football féminin français, qui connaît intimement les rouages du football féminin tricolore, le problème dépasse largement le résultat d’un soir. L’analyse est implacable : « Il n’y a pas de projet de jeu, pas d’identité. On ne sait pas comment joue cette équipe. Depuis deux ans, on improvise au fil des matches. »
Cette personne dénonce un management instable, des décisions de dernière minute, des compositions expérimentales tentées en pleine phase finale. « On aligne une composition inédite en quart de finale d’un Euro… C’est irresponsable. On ne fait jamais ça. On n’est pas à un tournoi U19. »
Pour cette personne, les carences de l’équipe sont structurelles : absence de stabilité, bricolages tactiques à répétition, et une gestion incohérente du groupe.
La sélection aurait tourné à l’expérimentation permanente, avec un turnover constant et des repositionnements mal pensés. Le repositionnement de joueuses sur le flanc gauche face à l’Allemagne, sont vues comme « improvisées et sans logique collective. » « À gauche, certaines joueuses se sont gênées tout le match contre l’Allemagne (Diani alignée à la place de Baltimore et Bacha, ndlr). Ce sont des ajustements qu’on ne fait pas au plus haut niveau, et surtout pas à ce stade d’une compétition. »
L’écartement de cadres expérimentées : un choix lourd de conséquences
Parmi les décisions les plus discutées figure l’écartement pur et simple de certaines cadres de l’équipe, dont la défenseure centrale la plus expérimentée, qui aurait pu porter le brassard, Wendie Renard. Ce choix qui questionne, cristallise les incompréhensions. La source est formelle : « On s’est privés de la joueuse la plus capée et expérimentée de l’histoire. Résultat ? Deux buts encaissés sur corner. On ne les prend pas si elle est là. », déplore la source.
Ce choix, comme ceux concernant d’autres leaders techniques et mentales écartées avant l’Euro (Eugénie Le Sommer et Kenza Dali, ndlr), est vu comme une erreur stratégique majeure. Les choix du staff sont jugés comme relevant davantage du pari que de la stratégie. « On ne bâtit pas une campagne internationale sans piliers. On l’a payé sur le terrain, sur les coups de pied arrêtés, dans le leadership, dans la gestion des temps faibles. Ce n’est pas à ce niveau qu’on doit apprendre. Le sélectionneur n’a pas d’expérience internationale. Il apprend sur le tas, en pleine compétition. »
Dirigeants visés, décisions contestées
Au-delà du terrain, les critiques s’élargissent à la Fédération française de football et à sa gouvernance du football féminin. Certaines nominations à des postes-clés sont jugées « incompétentes », voire « déconnectées du haut niveau ». « On ne peut pas confier la stratégie technique nationale à des personnes qui n’ont jamais connu l’exigence du très haut niveau européen. »
Le constat est amer : malgré un vivier exceptionnel, la France n’exploite pas son potentiel. « On forme des joueuses depuis plusieurs années. On n’a pas besoin de reconstruire, on a juste besoin de les faire jouer ensemble. »
Un sélectionneur inexpérimenté et livré à lui-même ?
Autre point de crispation évoqué plus haut : le profil du sélectionneur, nommé quelques mois avant la compétition, et dont le CV en football féminin de haut niveau est quasi vierge. « Il apprend le métier en équipe nationale. Ce n’est pas le rôle d’une fédération de former un coach en pleine phase finale d’Euro. »
La source dénonce un manque de maîtrise tactique, un jeu direct « simpliste », basé sur la vitesse individuelle, et une incapacité à tirer le meilleur d’un groupe pourtant pétri de talent.
Un jeu brouillon et sans liant
Sur le terrain, l’analyse est tout aussi sévère : manque de jeu combiné, pressing désorganisé, bloc-équipe disloqué, inefficacité dans les 35 derniers mètres. « Même à 11 contre 10 [contre l’Allemagne], les Bleues ont rarement combiné. C’est du football individuel, pas collectif. »
Le sentiment dominant est que le staff mise uniquement sur les individualités, sans mettre en place un système capable de les faire briller. « Quand on a autant de joueuses de talent, c’est un gâchis de ne pas avoir d’identité de jeu. »
Des choix politiques plus que sportifs
En creux, c’est aussi le manque d’engagement sincère de certains acteurs masculins venus dans le football féminin pour des enjeux de notoriété ou d’opportunisme qui est pointé du doigt. Selon cette source, le football féminin a été instrumentalisé à des fins de communication, notamment autour des Jeux Olympiques. « L’ancien sélectionneur (Hervé Renard) était là pour redorer son image. Il est venu, a occupé l’espace médiatique, puis est reparti. Le football féminin n’était qu’un prétexte. Il s’en est servi comme d’un tremplin médiatique. »
Une logique qui se serait poursuivie avec le staff actuel, entre gestion politique, jeux d’alliances et absence de vision de long terme. « On n’a pas besoin de reconstruire. On a les joueuses, le vivier, la formation. Ce qu’il nous manque, c’est une stratégie et une exigence. »
Soupçons d’arrangements et dérive politique
Plus grave encore, des soupçons de proximité entre certaines joueuses et le sélectionneur sont évoqués. Des choix sportifs seraient influencés par des rapports extra-sportifs. Le choix du sélectionneur, mais aussi certaines décisions dans la gestion du groupe, seraient influencées par des jeux de pouvoir internes. « Le pouvoir a été donné à certaines. Ce n’est pas sain. Des joueuses proches du staff auraient eu un poids démesuré dans les choix. Ce n’est pas digne d’un collectif professionnel et du haut niveau. » » La critique est claire : la sélection serait devenue un terrain d’équilibres politiques et d’ambitions personnelles, au détriment de l’exigence technique.
La critique ne s’arrête pas là : la gouvernance du football féminin est aussi pointée du doigt. Certaines nominations à des postes techniques fédéraux sont jugées « hors-sol », avec des profils qui, selon la source, n'ont pas l'expertise du très haut niveau. « Ce n’est pas avec des figures parachutées qu’on construit une stratégie cohérente. »
Silence médiatique, peur de fâcher
La source regrette également l'absence de remise en question dans le débat public. « Certains médias refusent d’interroger les choix techniques. Ils préfèrent éviter les conflits avec la fédération ou ses dirigeants. C’est un non-dit permanent. » Un silence qui, selon elle, freine toute évolution.
Elle ajoute que « beaucoup de journalistes ne remettent jamais en cause les décisions, de peur de perdre l’accès ou de fâcher la Fédération. ». Cette frilosité, estime-t-elle, empêche toute forme de progression. Faute de débat contradictoire et d’exigence journalistique sur le jeu lui-même, les mêmes dysfonctionnements persistent.
Elle souligne cependant une exception : « Ce qui me fait plaisir avec vous, c’est que vous êtes la seule, avec Cœurs de Foot, à poser les vraies questions, à parler football, à parler terrain. » Un regard rare, qui tranche avec le silence ambiant – silence qui, selon elle, n’est pas anodin, mais participe activement au statu quo.
Conclusion : Un cri d’alerte pour l’avenir, un modèle à refonder
Cette élimination pourrait marquer un tournant. « Il faut arrêter de dire qu’on reconstruit. Cela fait des années qu’on le dit. Il est temps d’exploiter enfin notre potentiel. D’arrêter les choix de confort, les calculs politiques. Et d’avoir une exigence sur le jeu. »
Pour cette voix lucide mais amère, le football féminin français est arrivé à un carrefour : soit il s’émancipe des logiques de clan, soit il continuera à échouer, malgré ses talents.
L’élimination face à l’Allemagne, douloureuse et frustrante, semble surtout révéler un mal bien plus profond que l’échec sportif. Tant que les structures resteront les mêmes, tant que les joueuses ne seront pas servies par une vision claire, un cadre technique solide et une gouvernance éclairée, le talent brut du football féminin français risque de continuer à se heurter au plafond de verre qu’il s’est lui-même construit.