Après avoir débuté en équipe senior à seulement 16 ans, Emily Alvarado a relevé un gros défi en rejoignant le Stade de Reims l’été dernier. La gardienne aujourd’hui âgée de 23 ans poursuit l’objectif de progresser et de s'affirmer en sélection, un maillot mexicain qui représente pour elle un amour indescriptible ! Ce qui ne l’empêche pas d’avoir un regard acéré sur la société de son pays d’origine.

 

 

Coeurs de Foot - Océane Deslandes nous évoquait votre intégration au sein du Stade de Reims. Vous faites notamment des efforts pour apprendre la langue. Comment jugez-vous votre intégration ?  

Emily Alvarado - Je tente de faire de mon mieux. Arriver dans un autre pays, avec une nouvelle langue a apprendre, ce n'est pas une chose facile à faire. Donc, j’essaye juste d’effectuer les efforts nécessaires, de la meilleure manière possible. Je prends ainsi des cours de français et j'essaye également d'apprendre avec les filles et toutes les personnes avec qui je peux progresser. Je pense que je fais du bon boulot de ce côté-là [au vu des circonstances]. 

 

CDF - Vous êtes arrivée des États-Unis. C’était un grand défi pour vous et en même temps l’occasion de vous confronter à ce qui se fait de mieux dans le monde, avec Lyon et le PSG, avec un style de jeu plus polyvalent entre stratégie, technique et physique ? 

E. A. - Oui absolument. Tout s’enchaîne de la meilleure des façons. Venir ici représentait un rêve. Je voulais jouer en Europe pour affronter les plus grands clubs dans le monde. Donc oui, c'est un style totalement différent [des États-Unis] où j’avais l’habitude de jouer un peu le même football, même quand j’étais à l'université aux États-Unis.

Quand je regarde en arrière, l'équipe nationale du Mexique m'a un petit peu aidé, mais je savais qu'il faudrait que je m'adapte aussi en arrivant ici [à Reims], avec une culture footballistique différente. Je suis vraiment contente d'avoir cette opportunité, c'est vraiment beaucoup de bons moments, des moments d'apprentissages, beaucoup de nouvelles choses [acquises].

 

CDF - Vous avez fait quasiment toute votre formation aux États-Unis. Pouvez-vous nous parler de votre parcours ? 

E. A. - Je suis née aux États-Unis, au Texas, j'y ai passé toute ma vie, proche de la frontière avec le Mexique. Mes deux parents sont Mexicains. A 14 ans, j'ai été sélectionnée avec l'équipe nationale. C’était une satisfaction car j'ai toujours eu l'envie de jouer avec le Mexique.  

Ça fait maintenant neuf ans, presque dix. Je fais partie de l’équipe depuis un certain temps. J’ai toujours voulu me former et jouer aux États-Unis, pour une université [américaine]. J'ai de la chance d’avoir été capable de faire tout ça. Après avoir été diplômée, mon désir était de partir à l’étranger.  

 

"C'est un sport qui rassemble

le pays entier"

 

CDF - Comment est perçu le football au Mexique ? 

E. A. - Au Mexique [le football] c'est dans la vie de tous les jours, c'est comme une religion, c'est un sport qui rassemble le pays entier. Jouer pour l'équipe nationale, pour une nation aussi fervente pour ce sport, c'est à la fois tellement excitant, mais c’est aussi une grosse responsabilité. On ressent un sentiment magnifique, c'est tellement incroyable de jouer devant autant de fans passionnés.

Mon père jouait au football quand il était jeune. Ma maman également a joué un petit peu, ma grand-mère, mes cousins aussi. Je viens d'une famille qui a toujours joué au football. 

 

CDF - Vous avez débuté avec l’équipe première très jeune, en étant dans le groupe pour la Coupe du Monde 2015 à l’âge de seulement 16 ans. Que gardez-vous de ce moment ?  

E. A. - Oui j'ai participé à la Coupe du Monde au Canada. C'était pour moi un énorme honneur. Avoir la possibilité de représenter le Mexique dans un si grand tournoi, et à un si jeune âge aussi, c’était magnifique. A 16 ans, vous ne pensez pas à être dans cette position. J’en suis extrêmement reconnaissante. J’ai essayé de saisir ma chance et d'apprendre au maximum avec les joueuses autour de moi.  

Je suis rentrée chez moi et j’étais plus motivée que jamais pour continuer à travailler, et un jour participer de nouveau à une Coupe du Monde, pas seulement comme une remplaçante mais comme une titulaire qui peut faire une différence.  

 

CDF - On gagne énormément d’expérience et de temps avec une telle étape, un si grand tournoi ?  

E. A. - Oui bien sûr, je pense que le fait de l’avoir vécu, de voir les autres joueuses, dans un tel environnement, ça vous apporte un grand avantage, spécialement quand vous êtes jeune. Vous savez ce qu’il faut préparer, vous savez le travail qu’il faut faire et ça vous permet de savoir plus rapidement ce que l'on attend de vous au plus haut niveau. Vraiment je pense que c'est un gros atout ! 

 

"Cette détermination,

je l'ai toujours eu"

 

CDF - Ça démontre aussi un gros mental et une envie de rapidement s’installer dans le haut niveau ? 

E. A. - Oui absolument. Pour moi, le fait de pouvoir intégrer l'équipe senior, à un si jeune âge, de jouer avec d'autres joueuses, ça a toujours été une motivation d'aller plus loin et d'être meilleure de jour en jour, de ne jamais s’en contenter. Cette détermination, je l'ai toujours eu, elle est toujours avec moi. Elle le restera, pas seulement pour ma carrière, mais pour ma vie entière. C’est le genre de leçons que vous gardez pour toujours. Cela doit vous motiver, et ça vous fait appuyer sur un bouton. Vous vous dîtes : “Je ne peux pas me reposer, je ne peux pas arrêter de travailler jusqu'à réussir ce que je voulais réussir.”  

 

"Si vous n'êtes pas nerveux avant un match,

c'est qu'il y a quelque chose qui cloche"

 

CDF - Comment vous sentez-vous avant un match en tant que gardienne ? Vous êtes un dernier rempart très discipliné, comment gardez-vous votre sang froid sur le terrain ?  

E. A. - (elle réfléchit brièvement) Le rôle de gardienne est un poste très important, très difficile. Avant chaque match, je suis nerveuse, mais dans le bon sens du terme. C'est très différent de la peur bien sûr, il ne faut pas confondre. D'ailleurs si vous n'êtes pas nerveux avant un match, c'est qu'il y a quelque chose qui cloche (sourire).  

Je suis toujours nerveuse avant le coup de sifflet de l'arbitre, et jusqu'à ce que le match se termine. Au fil des minutes, cela disparaît, mais je suis capable avec mon état d'esprit de rester concentrée sur le match. J'ai toujours été une personne disciplinée en général, déterminée, combative et concentrée. Cela renvoie une attitude assez déterminée et appliquée. Si on perd son calme et qu'on va trop vite (mettre la charrue avant les bœufs, ndlr), c’est parce qu’on manque de concentration. J’essaye donc de me concentrer sur ma respiration, la tâche à accomplir, en étant présente à chaque moment. 

 

CDF - Avez-vous un rituel ? 

E. A. - J’ai un rituel mais ça change de temps en temps. Je fais en premier lieu un peu de méditation, c'est le plus gros aspect de mon rituel avant match. Je médite ainsi cinq ou sept minutes, en me recentrant [sur moi-même] et en me concentrant sur ce que je dois faire dans le match et comment la rencontre doit se dérouler. 

 

CDF - L’adrénaline en tant que gardienne est-elle plus forte selon vous ? 

E. A. - Ouhhh ! C'est une bonne question (rires). Je ne sais pas si l'adrénaline est plus forte, je ne sais pas ce que ressentent les joueuses sur le terrain, mais je pense que c'est légèrement différent. En tant que gardienne, vous vous sentez infranchissable, aucun ballon ne peut passer la ligne de but. C’est la même chose que pour un joueur de champ. Vous vous sentez invincible, personne ne peut vous toucher. Je pense donc que gardienne ou joueuse de champ, ce sont des sensations similaires. 

 

CDF - Comment êtes-vous devenue gardienne ?

E. A. - (elle réfléchit brièvement, puis s'esclaffe de rire). Mon papa a été mon entraîneur dans ma jeunesse, et j’étais une joueuse de champ quand j’étais petite.  

Un jour notre gardienne n’était pas présente, elle était malade, personne ne voulait jouer à ce poste, et bien sûr mon père, en tant que coach, m'a dit : "Tu dois aller aux cages ». Je ne pouvais pas dire non (sourire), donc j'y suis allée, et j'ai adoré évoluer à ce poste. J’y ai pris tellement de plaisir. Je me suis beaucoup amusée. 

Ma maman par contre n'a pas aimé du tout, elle a dit : "Non” (sourire). Ce n’est plus le cas maintenant mais, quand vous êtes jeune, ceux qui vont dans le but sont ceux qui ne sont pas sportifs, ne courent pas, ou sont fatigués. Elle a dit : "Non, tu es sportive. Je veux que tu marques des buts" (rires). Mais mon père lui a dit que j'étais vraiment bonne en tant que gardienne, et qu'on pouvait sûrement faire quelque chose à ce poste. C’est ainsi que tout à commencé. 

 

CDF - Vous verriez-vous jouer à un autre poste ?  

E. A. - (Rires) C'est très drôle [à y réfléchir]. Durant les entraînements, je jouais parfois ailière droite. C’était ma position quand j’étais jeune, mais seulement si ma présence à ce poste était obligatoire. Ce n’était pas un choix de ma part.

 

"Ça a toujours été le Mexique depuis

que j'étais toute jeune."

 

CDF - Vous remportez le deuxième titre de la sélection en CONCACAF en U17 et le premier en U20 de la CONCACAF face aux USA. Votre formation dans ce pays d’adoption a été très enrichissante et déterminante pour vous ? 

E. A. - Oui nous avons remporté la CONCACAF pour la première fois avec les U20. 

C'est une histoire intéressante, mais pour moi, grandir aux États-Unis n'a jamais été une opportunité de jouer avec l'équipe nationale. Ça a toujours été le Mexique depuis que j'étais toute jeune. Ma famille m'a toujours poussé, m'a amené dans les programmes. Elle m'a aidée à me développer, à grandir, pas seulement en tant que joueuse, mais aussi en tant que personne. Pour moi, ça ne pouvait être que l’équipe nationale du Mexique que je pouvais intégrer. J’aime la sélection, j'aime le pays, même si je n’y suis pas née. Je suis fidèle, et j’adore ce pays, surtout pour mes grands-parents...

J'ai grandi entre les États-Unis et le Mexique, deux pays très proches, dans les traditions mexicaines, avec un mode de vie mexicain. Donc le fait de pouvoir représenter la sélection mexicaine, c'est un véritable honneur pour moi. Pouvoir représenter des millions de Mexicains et Mexico-Américains, avoir ce mélange de cultures est une chose très spéciale aussi, et tout autant un honneur de le représenter.

 

"Tout ce qu'on peut faire, c’est

espérer un changement."

 

CDF - Vous avez 23 ans, vous êtes à un âge où les faits sociétaux peuvent aussi vous impacter, comme le nombre de féminicides au Mexique, qui compte parmi les plus hauts dans le monde. Quel est votre sentiment à ce sujet ? 

E. A. - Je pense que c'est un sujet difficile à évoquer, un moment compliqué avec tout ce qui se passe au Mexique. Les filles vivent avec. Dans mon cas, j’avais de la chance que cela n'a pas eu d'impact direct sur moi. J'ai grandi à la frontière. Mais les nouvelles, les infos distillées dans les médias rendaient très difficile le fait de voir tout ce qui se passait dans mon pays d’origine.

Tout ce qu'on peut faire, c’est espérer un changement. Pour cela, il faut voter, faire les choses justes pour provoquer un changement. Il s’agit d’un moment difficile. Ce n'est vraiment pas une chose qu'on aime savoir ou connaître. Ce n’est pas un sujet pour lequel on aime être pointé du doigt, mais nous faisons notre maximum pour provoquer un changement, pour aller vers un futur plus radieux. 

 

CDF - D’un autre côté, le championnat mexicain - qui est composé de 18 équipes - a pu attirer de grandes foules, avec un record enregistré lors de la finale du championnat mexicain féminin entre Monterrey et Tigres en 2018 (51 211 spectateurs). Comment expliquer ces deux mentalités totalement à l’opposée et qui cohabitent pourtant ensemble ?  

E. A. - Oui c'est vrai, c'est une bonne question. Ce sont deux mentalités totalement à l'opposé, mais comme je l'ai dit, il s’agit de voter, d’utiliser sa voix dans l’isoloir, continuer à renforcer l’autonomie des femmes, et mettre ces dernières dans des positions de pouvoir. Il faut continuer à pousser les filles, en leur donnant plus de places dans la société.

Je pense que la Ligue mexicaine effectue un travail magnifique. Elle donne aux femmes un espace sécurisé pour se développer, s'éduquer, apprendre, entre autres, donc ouaw (elle s’exclame), ce qui se passe au Mexique, c'est vraiment une bonne chose. Ils mettent les filles dans la lumière, avec un vrai espace pour s’exprimer, se battre pour les bonnes causes [que sont la féminisation du sport et une meilleure place des femmes dans la société]. 

 

"Les États-Unis ne sont pas un lieu parfait

quand il s’agit des questions sociales."

 

CDF - La proximité avec les USA est-elle un avantage justement pour tendre à une meilleure visibilité du football féminin et de la place de la femme mexicaine dans la société ? 

E. A. - Je pense que les États-Unis possèdent la meilleure équipe féminine de football, donc les avoir comme voisins, et avoir l’occasion de jouer contre eux souvent, c’est un grand défi pour nous. Cela ne peut que nous permettre de nous améliorer. C’est toujours une bonne chose et nous pouvons regarder en avant et voir ce qu’on aspire à être. 

Les États-Unis ne sont pas un lieu parfait quand il s’agit des questions sociales. Je pense que les deux pays peuvent apprendre l’un de l’autre. En tant que femmes, nous pouvons continuer à apprendre les unes des autres et partager nos histoires, nos faiblesses, nos vécus, afin de grandir, continuer à avancer et se battre pour l'égalité et de meilleurs droits [pour les femmes]. 

 

CDF - Quels sont aujourd’hui vos motivations et objectifs pour la suite ? 

E. A. - Se qualifier pour la Coupe du Monde l'année prochaine [en Australie et Nouvelle-Zélande], et aller aux Jeux Olympiques de Paris en 2024, ce sont les deux choses que j'ai en tête. Quand je me lève et que je vais à l’entraînement, j’y pense. A long terme je souhaite être la meilleure joueuse possible, continuer à grandir en tant que joueuse et en tant que personne. Je veux aussi être capable de jouer pour les plus grands clubs, Barcelone ou Lyon, remporter la Champions League, une Coupe du Monde, avoir une médaille d'Or aux Jeux Olympiques.  

J'adore jouer au foot, j’ai le meilleur métier du monde et je veux jouer autant que possible, continuer à me perfectionner et, avec un peu de chance, j'espère inspirer les autres à continuer à jouer. 

C'est assurément une tâche énorme de remporter un titre en sélection, mais rien n'est jamais impossible. Nous devons grandir avec la sélection et à titre personnel, je veux continuer à progresser, à travailler. C’est quelque chose que l'on peut réaliser avec le temps. 

 

Photo : Hector Vivas/Getty Images

Dounia MESLI