Une étude du CIES, rendue publique ce mercredi, pointe une « concentration » des moyens et des joueuses dans un nombre restreint de clubs. Évoquant une possible reproduction des dérives observées dans le football masculin, le rapport conclut sur la nécessité de réfléchir à « des mécanismes régulateurs »...

 

A l'approche du Mondial, le CIES (Centre International pour les Études sur le Sport) a publié son troisième rapport sur la composition des championnats féminins professionnels « les plus développés », à savoir la NWSL (États-Unis), la FA WSL anglaise, la Bundesliga (Allemagne), la Damallsvenskan (Suède) et la D1 française.

Le document conclut notamment que l'on observe une « concentration des meilleures footballeuses dans un nombre limité de clubs » avec la crainte d'une reproduction des « effets négatifs » liés aux « logiques de marché » déjà observés dans le football masculin.

 

Une professionnalisation qui se confirme

Une étude qui s'est notamment attachée à prendre en compte plusieurs critères, l'age moyen des effectifs, le nombre d'internationales, de joueuses expatriées et la proportion de ces deux catégories (internationales, expatriées) dans le temps de jeu global des différentes équipes.

La NWSL aux États-Unis est aujourd'hui le championnat où la moyenne d'âge est la plus élevée (27,5 ans), signe de la maturité de la Ligue américaine, stabilisée après plusieurs tentatives infructueuses dans les années 2000. Une moyenne plus élevée qui peut également s'expliquer par l'existence d'un championnat universitaire, qui retarde l'entrée des jeunes joueuses dans l'univers professionnel avec le système de la Draft.

En France, la moyenne s'est stabilisée autour de 25 ans (25,4) alors que le Bundesliga est le seul championnat à avoir connu une baisse sensible depuis 2017 (de 25,5 à 24,7 ans en moyenne). Une élévation de la moyenne d'âge censée traduire en partie la possibilité pour les joueuses de connaître des carrières plus longues avec des situations globalement plus stables et donc plus favorables pour s'investir pleinement dans le football.

 

Recruter les meilleures, ici ou ailleurs

En Angleterre, les auteurs observent une élévation spectaculaire de l'âge moyen des équipes depuis 2017 (de 23,9 à 26 ans).Un afflux de joueuses expérimentées en FA WSL et un plus grand nombre de joueuses étrangères, avec une proportion qui est passée de 33,3 à 40,8 % entre 2017 et 2019. Une ouverture qui intervient alors que le championnat anglais est devenu intégralement professionnel depuis cette saison, proposant des opportunités de plus en plus attractives pour des joueuses de premier plan.

L'exemple le plus frappant est peut-être celui d'Arsenal. Après avoir recruté Vivianne Miedema (internationale néerlandaise), venue du Bayern à l'été 2017, les Gunners ont continué de se fournir en Bundesliga. L'été dernier, Tabea Kemme (Allemagne), Lia Wälti (Suisse), et Viktoria Schnaderbeck (Autriche) sont arrivées en provenance d'Allemagne sans oublier Pauline Peyraud-Magnin, la gardienne tricolore venue de l'Olympique Lyonnais en France.

Arsenal, champion d'Angleterre cette saison, est le club parmi les 5 championnats étudiés à offrir le plus de temps de jeu à des joueuses venues de l'étranger (78,9%). Dans le top 5 de ce classement, on retrouve 4 clubs anglais, avec Bristol City (59,8%), West Ham (59,3%) et Chelsea (54,8%).

Plus que l'origine des joueuses et le nombre d'expatriées dans chaque club, ce qui semble déterminant, c'est la volonté des clubs de ses différents championnats de disposer des meilleures joueuses possibles, quitte justement à aller les chercher à l'étranger. Dans le cas d'Arsenal, on constate par exemple que 98,8 % du temps de jeu est donné à des internationales (anglaises ou expatriées), ce qui semble en faire le critère principal dans la construction de l'effectif. Un chiffre à rapprocher de ceux de l'Olympique Lyonnais avec plus 94% de temps de jeu donné à des internationales A, le tout "complété" par des joueuses régulièrement retenues en équipe de France jeunes (Selma Bacha, Melvine Malard, Eva Kouache et Lorena Azzaro).

 

Une mobilité accrue des joueuses

Le plus souvent, un championnat développé attire d'abord les talents des pays limitrophes, à l'image de la NWSL aux États-Unis avec le Canada (12 joueuses), la Bundesliga allemande avec l'Autriche (20 joueuses), ou encore l'Angleterre avec les pays britanniques (55 joueuses entre l’Écosse, l'Irlande et le Pays de Galles). Une proximité qui peut participer à booster les performances des équipes nationales concernées, comme on a pu le voir vu avec l'Autriche à l'Euro 2017, ou cette année avec la qualification de l'Écosse pour sa première Coupe du Monde. 

Mais ce ''bon voisinage'' ne suffit pas pas expliquer l'explosion du nombre de transferts au niveau international qui traduit d'abord une forme de ''course aux armements'' entre les meilleurs clubs en Europe et aux États-Unis. Fait à noter, l'étude du CIES indique que la D1 féminine est un championnat où le temps de jeu des joueuses expatriées est plus limitée qu'en FA WSL (40,8%) ou en Bundesliga (33,7%) contre 24,7 % en France (2019), après un pic à 27,5 % en 2018 (et quelques polémiques).

Si l'Espagne ne fait pas partie du champ l'étude, on y retrouve les mêmes tendances. Du côté du FC Barcelone, finaliste de la dernière Champions League et de l'Atlético de Madrid champion d'Espagne, plus de 90 % du temps de jeu en Liga est donné à des joueuses internationales, ici selon nos propres calculs. Pour les Blaugranas, on atteint le chiffre de 97,2 % sur la saison 2018/2019, le Barça étant le club qui compte le plus de joueuses de son effectif présentes à la Coupe du Monde en France (15).

Des chiffres dont se rapproche également la Juventus de Turin, double-championne d'Italie, avec 85,1 % (selon nos calculs) du temps de jeu donné à des internationales cette saison en Serie A. Les Bianconere opèrent depuis l'été dernier un recrutement qui semble plus tourné vers l'international (Aluko, Junge Pedersen, Ekroth) après avoir séduit quelques unes des meilleures joueuses transalpines depuis le lancement de la section féminine en 2017.

 

Comme les garçons ?

Des données qui alimentent le constat des auteurs de l'étude sur « le développement économique [en cours] au sommet de la pyramide du football féminin professionnel » avec une « concentration des meilleures footballeuses dans un nombre limité de clubs ».

Un tableau qui les amène à alerter sur une série de risques comme la « spéculation sur les jeunes joueuses », une trop forte « concentration des moyens ». Le risque d'un possible « déséquilibre compétitif » qui amène selon eux à la nécessité de mener une réflexion sur des « mécanismes régulateurs ».

 

Photo: UEFA (Finale 2019 de la Ligue des Championnes entre l'Olympique Lyonnais et le FC Barcelone)

Hichem Djemai