Le ton est monté, ces derniers jours, entre la fédération canadienne et ses deux équipes nationales, féminine et masculine. Réunies en stage préparatoire en Floride aux États-Unis, en amont de la SheBelieves Cup prévue du 16 au 22 février, les internationales canadiennes ont annoncé vendredi qu’elles se mettaient en grève, avant de devoir cesser provisoirement leur mouvement au cours du week-end.

Des communiqués offensifs en anglais et en français, pour exprimer d’abord une « indignation » et une « préoccupation » face aux « coupures importantes » dans le budget 2023 de l’équipe féminine. Ces coupes budgétaires se traduiraient notamment par une réduction de la durée des camps d’entraînements, ou leur annulation dans certains cas. C’est aussi une limitation du nombre de joueuses présentes, et du « personnel » associé pour l’encadrement des joueuses lors de ses stages ou encore l’absence de match amical au Canada avant le départ pour la Coupe du monde.

 

Double-standard

Ces coupes budgétaires concerneraient également les équipes de jeunes et l’équipe masculine, mais pour les joueuses, ces restrictions financières ont une conséquence immédiate, celle de discriminer la sélection féminine canadienne. En effet, elle impose aux coéquipières de Christine Sinclair de préparer la Coupe du monde 2023 dans des conditions dégradées. La compétition se profile du 20 juillet à 20 août en Australie et en Nouvelle-Zélande.

La conséquence est donc que la sélection féminine canadienne, championne olympique en 2021 à Tokyo, ne disposera du « même niveau de soutien, donné à l’équipe nationale masculine en 2022 » pour préparer la Coupe du monde au Qatar, pour laquelle le Canada était qualifié, pour la première fois de son histoire.

Les joueuses dénoncent donc les coupes budgétaires d’une manière générale, mais également le fait que les décisions de la fédération canadienne illustre à nouveau « l’absence de traitement juste et équitable » envers la sélection féminine. Cette dernière constitue pourtant la vitrine du soccer dans le pays, et l’un des emblèmes du sport canadien en général.

 

Une fédération sous le feu des critiques

Le syndicat représentant les joueurs de l’équipe nationale canadienne a également publié un communiqué notamment pour apporter un « soutien à la prise de position des joueuses de l’équipe nationale » canadienne, tout en appuyant sur ses propres revendications en matière de transparence, sur la gestion et l’utilisation des ressources financières de la fédération.

Ces questions de transparence financière concernent en particulier un accord passé avec une société nommée Canada Soccer Business, qui gère notamment les « partenariats commerciaux » et les « droits de diffusion » des équipes nationales canadiennes, mais aussi l’organisation de la CPL (Canadian Premier League), le championnat masculin canadien, lancé en 2019. En échange, la fédération perçoit une somme fixe, de l’ordre de 3 millions de dollars canadiens (2,1 millions d’euros).

Ce contrat, dont les détails ont été dévoilés dans les médias canadiens cet été, prive la fédération de nouveaux revenus liés au sponsoring ou à des partenariats commerciaux noués dans la lignée des succès de la sélection féminine aux J.O de Tokyo ou de la qualification historique des garçons en Coupe du monde.

Dans un communiqué commun, publié en juillet dernier, les internationaux canadiens, femmes et hommes, avaient demandé la mise en place d’une politique des « livres ouverts » (open books), afin de faire la lumière sur les choix de gestion de la fédération canadienne et des conséquences sur le plan financier. Du côté des joueuses, cela a aussi pour objectif d’éclairer les disparités de financement entre les sélections masculine et féminine, comme souligné par la capitaine canadienne Christine Sinclair.

 

Des négociations qui s’éternisent

Comme on peut le voir, différents griefs se conjuguent et 2023 s’inscrit dans la lignée d’une année 2022 déjà agitée pour la fédération canadienne. Les joueurs de l’équipe nationale avaient lancé un mouvement similaire au mois de juin 2022, avec des désaccords concernant notamment la répartition des primes FIFA versées pour la participation du Canada à la Coupe du monde au Qatar.

Le 6 juin, un match amical de la sélection masculine face au Panama avait été annulé, en raison de ce conflit. Une séquence au cours de laquelle la fédération canadienne s'était retrouvée particulièrement en difficulté. En effet, dans un premier temps, le Canada devait rencontrer l'Iran lors de cette fenêtre internationale de juin 2022. Le choix de l’adversaire avait provoqué une polémique et une levée de boucliers au sein de la société et de la classe politique canadienne. 

La fédération canadienne est également confrontée à la nécessité de respecter ses propres engagements. Suite à l’accord trouvé l’an dernier aux États-Unis, et qui établit une répartition égale des primes de Coupe du monde entre les sélections féminine et masculine, la fédération canadienne avait indiqué vouloir s’engager dans la même voie.

Pourtant, les négociations sont toujours en cours depuis plus d’un an, et aucun accord n’a pour le moment été signé. Pour atteindre son objectif, la fédération canadienne doit signer un accord collectif (CBA, collective bargaining agreement) avec les deux sélections, masculine et féminine, puisque les dispositions financières ont vocation à être cohérentes, et à placer les deux équipes sur un pied d’égalité en matière de moyens et de compensations financières.

 

Une grève qui devra attendre

Cette politique du « à travail égal, salaire égal » (pay equity) avait été confirmée à plusieurs reprises par Nick Bontis, le président de la fédération canadienne, assurant en novembre dernier qu’il s’agissait d’une mesure « très importante » et « fondamentale » sur laquelle il s’engageait à agir. Si la fédération canadienne espérait signer un accord en novembre dernier, avant la Coupe du monde masculine au Qatar, les discussions n’ont donc toujours pas abouti.

C’est dans ce contexte que le mouvement de grève a été initié par les internationales canadiennes, en l’absence d’un accord collectif (le précédent CBA a expiré fin 2021) et face à l’annonce de coupes budgétaires pour l’année 2023. Pourtant, depuis vendredi, elles ont été contraintes de revenir en arrière, alors que la fédération canadienne menaçait d’engager des procédures devant les tribunaux.

En effet, la loi canadienne impose le respect de certaines procédures avant de pouvoir se déclarer en grève, avec notamment des démarches et des délais à respecter avant de pouvoir se déclarer en grève. Dans la pratique, cela signifie que les joueuses de l’équipe nationale canadienne pourront se déclarer uniquement à partir du mois d’avril, lors de la prochaine trêve internationale.

 

Un match amical face à la France qui pourrait être annulé

Selon les médias canadiens, les joueuses nord-américaines sont censées disputer un match amical le 11 avril prochain en France, face aux Bleues de Corinne Diacre. Une information pas encore confirmée par la FFF, mais le match pourrait donc être annulé, si les joueuses canadiennes souhaitent poursuivre leur action.

Des éléments précisés par la fédération canadienne, dans un communiqué publié ce dimanche. Tout en s’engageant à « conclure […] un accord historique », qui garantisse une « égalité de revenus », la fédération indique également qu’une grève serait, à ce stade, illégale et qu’elle n’est pas prête à « compromettre » la participation du Canada à la SheBelieves Cup.

Ce tournoi réunit les États-Unis, le Canada, le Brésil et le Japon du 16 au 22 février. Alors que plusieurs joueuses étasuniennes ont d’ores et déjà exprimé leur solidarité envers leurs homologues canadiennes, nul doute que le tournoi à venir, et notamment le match entre les États-Unis et le Canada, le 16 février à Orlando, devrait donner lieu à de nouvelles démonstrations de soutien.

 

Photo : Canada Soccer

Hichem Djemai