A l’occasion de notre live Facebook, qui s’est déroulé vendredi en la présence de Annie Fortems et Sam Ammor, l’ancien coach de l’Olympique Lyonnais et actuel sélectionneur de l’équipe nationale du Maroc, Reynald Pedros, est revenu avec nous sur plusieurs sujets, dont la nouvelle réforme du football féminin en France et l’équipe de France, tout en évoquant le travail réalisé par le Maroc pour faire briller sa sélection féminine !

 

Coeurs de Foot - Quel est votre avis sur les premiers matches et les premiers mois de Hervé Renard à la tête de l'équipe de France féminine ?

R.P : Je suis très content que ce soit lui qui soit le sélectionneur de l'équipe nationale féminine. C'est quelqu'un qui a beaucoup d'expériences et qui s'est vraiment positionné pour obtenir ce poste. 

En ce qui concerne ses premières prestations, c'est toujours compliqué. Il a pris la sélection très tard et a dû composer avec une sélection je pense qu'il n'a pas totalement choisi. On l'a certainement guidé sur certaines joueuses aussi, ce qui est normal. 

Il a eu très peu de temps, seulement dix jours de rassemblement, on ne peut absolument pas mettre en place son travail et sa façon de jouer complètement par rapport aux joueuses dont on dispose. Ce sont des bonnes prestations, car il y a eu victoire et c'était important, plus que la manière je dirais. 

Il aura le temps de travailler et de façonner son équipe, il va suivre la fin du championnat. Dans la globalité je pense que c'est une très bonne chose que ce soit lui, c'est un vent de renouveau dont le football féminin, beaucoup d'enthousiasme, dont on avait besoin en équipe de France. 

 

CDF - Avez-vous été convaincu par ses deux premiers matches, même si comme vous nous l'avez dit c’était difficile de mettre en place son jeu, vu le peu de temps de préparation ?

R.P : Ce n'est pas facile de travailler dans cette période de dix jours de dates FIFA. Quand on connaît bien les joueuses déjà [c'est difficile], il faut travailler en amont les matches, et lui [Hervé Renard] il n'a vraiment pas eu le temps. Il a pris l'équipe tardivement, il a mis une équipe en place. Je pense qu'il avait besoin lors de ce stage, d'amener un autre état d'esprit, une autre atmosphère en fait. Il y a eu une atmosphère très pesante pendant des années, il fallait une bouffée d'oxygène, d'un management un peu différent, et que les filles retrouvent le sourire et une autre manière de travailler. 

L'équipe de France a des joueuses de qualité, mais ce n'est pas sur ces deux matches-là qu'on allait le juger, ce sera à la Coupe du Monde déjà. C'était important d'avoir une prise de contact avec l'effectif, avec les joueuses, avec le staff, avec l'environnement de l'équipe de France. Il a obtenu deux bons résultats, et derrière, le travail commence vraiment pour réaliser une performance à la Coupe du Monde.

 

CDF - Qu'avez-vous pensé de la "prise de position" des joueuses, comment le changement de coach s'est déroulé notamment ?

R.P : Je suis l'équipe de France depuis très longtemps et j'ai été très surpris par la prise de position de certaines joueuses, quand Wendie [Renard] à décidé de quitter l'équipe de France, je me suis demandé pourquoi elles n'ont pas pris une telle position lorsque Amandine l'a fait quelques mois auparavant. Cela a soulevé de nombreuses interrogations par rapport à tout cela. 

Nous savions qu'il y avait un contexte pesant, difficile depuis quelques mois voire plus. A ce moment très proche de la Coupe du Monde, des joueuses qui ont pris position, qui n'étaient plus sélectionnées en équipe de France, qui étaient blessées... (blanc) C'est courageux, mais j'aurais peut-être aimé que ces prises de position - de toutes ces joueuses - soient faites plus tôt, lorsque Amandine a aussi sonné cette sonnette d'alarme, comme l'a fait Wendie [Renard]. 

La Fédération a bougé rapidement derrière. Mais c'est vrai qu'aujourd'hui on sentait qu'il y avait besoin d'un nouveau souffle en équipe de France, de renouveau. Maintenant, les joueuses ont été entendues, et le plus dur commence pour elles. Elles devront confirmer toutes les doléances qu'elles ont exprimé, et il faudra maintenant qu'elles se montrent performantes et de tout faire pour gagner cette Coupe du Monde, ce qui sera difficile car il y a de belles équipes en face.

 

CDF - Que pensez-vous de la nouvelle réforme du foot féminin français, avec une seule poule de D2 et une D3 avec deux groupes de 12 équipes ?

R.P : Mieux vaut tard que jamais (léger sourire). Depuis plusieurs années, nous demandons que le football féminin soit professionnel, que la D2 devienne professionnelle et qu'il y ait une considération pour les équipes réserves des clubs ayant des équipes en D1, comme Lyon, Montpellier et Paris. Ces réserves doivent faire jouer leurs jeunes joueuses. Au lieu de les faire jouer en U19 on aurait aimé les faire jouer dans une troisième division qui va être créée ou en deuxième division à ce moment-là (lorsqu'il était coach de Lyon, ndlr) et cela nous avait été refusé. Quand j'étais à Lyon, cette demande avait été refusée. 

Maintenant, il est temps de le faire. Une chose qui me réjouit, c'est que ça soit [Jean–Michel] Aulas qui s'en occupe. C'est quelqu'un qui sera à 1000% [engagé] pour faire avancer les choses, peut-être plus rapidement que ce que l'on pense, à condition qu'on ne lui mette pas des bâtons dans les roues. Il a à cœur de faire ce qu'il faut pour que le football féminin français retrouve une place au sommet de l'Europe, que ce soit au niveau de la formation ou de l'équipe de France. J'espère que ça sera lui qui sera aux manettes. Nous avons un bel avenir dans le football féminin français.

 

CDF - Quand vous alliez jouer vos matches dans certains stades, aviez-vous une petite appréhension, notamment sur l'état du terrain ? 

R.P : Une des exigences c'est de jouer sur des terrains homologués, des terrains en herbe. Qu'est-ce qui empêche certains clubs, qui ont déjà une équipe en première division masculine, de mettre en place des terrains avec des tribunes, comme c'est le cas à Lyon ? On ne joue pas toujours au Groupama, Montpellier ne joue pas à la Mosson, mais sur des stades qui ressemblent à des stades de football et peuvent accueillir entre 2000 et 3000 personnes. Pour le football féminin, c'est déjà un progrès. Quant aux matchs de gala, ils les jouent dans les grands stades des équipes masculines. 

Il faut des stades convenables, avec de grands terrains et de grandes tribunes pour attirer les spectateurs, et que les matches puissent être diffusés dans de bonnes conditions, car la plupart du temps, on pointe du doigt les diffuseurs. Quand j'étais consultant à Canal+, nous avons filmés lors d'un match à Dijon, où nous étions sur une nacelle, sur un échafaudage, et une tempête est arrivée, on était pas très bien en haut, ce qui rendaient les choses très compliquées. Les joueuses doivent jouer dans des stades adaptés afin de donner une bonne image, une bonne retransmission et cela fait aussi partie du cahier des charges des clubs, qui doivent être mis en place pour améliorer les conditions du foot féminin.

 

Que pensez vous du faite que pour la prochaine saison, il n'y a toujours aucun diffuseur pour la D1, je ne parle pas encore du mondial, mais trouvez-vous cela inquiétant ?

R.P : Oui c'est dur, ont dit vouloir promouvoir le football féminin (rires) et il n'y a toujours aucun diffuseur. Je pense il faut trouver un juste-milieu, je ne connais pas les discussions entre la fédération et les diffuseurs, mais il faut que les matches soient diffusés dans des bonnes conditions, peut-être que la D2 sera ensuite diffusée, mais il faut trouver un diffuseur pour la D1 féminine cela est une certitude !

 

CDF - La semaine dernière, il y a eu les trophées de la D1, qui ont récompensé la meilleure joueuse de D2 également, malgré le fait que ce championnat ne soit pas diffusé, trouvez-vous cela normal ?

R.P. : Je ne sais pas comment cela s'est passé. Parfois les coachs doivent marquer sur un papier, la meilleure joueuse adverse par exemple, meilleure gardienne adverse sur chaque match... 

En effet, lorsque les matches ne sont pas diffusés, il est difficile de savoir comment cela s'est déroulé et de s'identifier à cela. C'est un premier pas. Ils ont peut-être fait cela pour montrer qu'une deuxième division existe, qu'il va y avoir une réforme avec une deuxième et une troisième division. Mais oui il faudra que ça soit un petit peu plus visible pour le monde du football féminin, pour qu'on puisse juger un petit peu.

 

CDF - L'attractivité du foot féminin à augmenté partout dans les grands championnats européens, sauf en D1 on a l'impression, où cela stagne depuis quelque temps. Au Maroc vous avez une vraie ambition autour du football féminin ?

R.P : En tant que sélectionneur des féminines au Maroc, je constate une différence totale avec le football féminin français. Il y a deux ans et demi, le football féminin marocain était amateur et l'équipe nationale était là pour passer du bon temps. 

A partir du moment où le Roi Mohamed VI, a décidé d'investir dans le sport et football féminin ici au Maroc, afin de le structurer et de donner une reconnaissance aux femmes, qu'il a mis en place le Président, Faouzi Lekjaa, il avait cela pour mission et c'est ce qu'il a fait. 

Lorsque je suis arrivé ici, on m'a dit que dans deux ans il y aurait la Coupe d'Afrique des Nations et que nous pouvions nous qualifier pour la Coupe du Monde, c'était notre objectif. Les infrastructures ici sont exceptionnelles et le président a mis tous les moyens nécessaires pour réussir cette mission. Nous avons atteint notre objectif en nous qualifiant pour la Coupe du Monde, mais cela a nécessité beaucoup de travail et d'investissements. Cependant, ceci n'est que le début, il reste encore beaucoup de travail à faire. Le championnat marocain est professionnel depuis deux ans. Nous avons mis en place de nombreux moyens pour travailler dans les meilleures conditions, nous qualifier dans toutes les compétitions possibles, pour la CAN, pour se qualifier au mondial et pour les Jeux Olympiques. C'est un travail de longue haleine, mais tout est mis en œuvre pour réussir.

 

CDF - Vous avez surtout réussi à faire prendre conscience à vos joueuses de leur potentiel et de les intégrer dans un vrai projet ? Votre passage à Lyon a aussi joué là-dessus j'imagine ?

Je sortais de Lyon, c'est le haut du panier européen, mondial, ce sont de très grandes joueuses. Là j'arrivais dans un contexte où il fallait construire, à court/moyen terme. Je me suis entouré d'un staff et de mon adjoint, qui avaient le profil pour m'aider, on a très vite fait un bilan, un audit du championnat, des joueuses, de ce qu'il nous manquait. Le foot féminin africain est différent du foot féminin européen, donc il fallait vraiment s'imprégner de cela, car on préparait la CAN [à domicile]. Il fallait travailler vite, mais bien travailler, sur des points bien précis pour réussir à rendre les joueuses compétitives deux ans après.

J'ai réussi à faire prendre conscience à mes joueuses de l'importance d'être rigoureuses et professionnelles, de prendre en charge leur développement et d'exiger l'excellence sur et en dehors du terrain. Lorsque nous avons commencé la Coupe d'Afrique des Nations, les gens venaient principalement par curiosité, mais au fil des matches, nous avons attiré plus de 50 000 personnes dans le stade, et lors de la finale, nous étions 50 000 dans le stade avec plus de 20 000 personnes à l'extérieur qui voulaient entrer. 

C'est phénoménal de constater ce que nous avons accompli en seulement deux ans. Il est essentiel de continuer à travailler et d'encourager une prise de conscience au sein de la fédération. Cette expérience a été fantastique.

 

CDF - Il y a une petite polémique autour de la FIFA qui ne voudrait pas libérer les joueuses trop tôt avant le mondial, que pensez vous de cela ?

R.P : Bien sûr, je comprends les clubs. Dans notre cas, nous avons suivi de près toutes les fins de championnats pour observer quelles joueuses nous pourrions sélectionner. Nous avons constaté que les championnats se terminaient généralement entre le 20 et le 27 mai. Nous leur avons accordé une période de vacances de 2 à 3 semaines, et le stage devait commencer le 12 juin. Nous avions seulement une équipe qui avait une fin de championnat le 2 juin, mais nous avons appris que nous ne récupérerions les joueuses que le 19 juin, ce qui est gênant car nous avions prévu de mener une préparation en trois étapes, comprenant des tests médicaux et des entraînements physique.

Nous allions ensuite sélectionner trente joueuses pour en renvoyer six à l'issue des tests. Les dix jours sont importants pour nous afin de vérifier la forme des joueuses. 

Ensuite, nous devons nous rendre en Autriche pour finalement partir à la Coupe du Monde avec vingt-deux joueuses. Nous avons réellement besoin de ces trois étapes pour former notre groupe, car nous ne pouvons pas faire comme les grandes sélections. Nous aurions souhaité avoir nos joueuses le 12 juin, mais les clubs les conservent jusqu'au 19 pour qu'elles puissent se reposer. Nous n'avons pas le choix et nous devrons nous adapter à cette situation.

 

CDF - Que pensez-vous des chances de l'équipe de France, ont elles des chances d'aller au bout de cette compétition ? Et qu'en sera-t-il du Maroc pour vous ? Pensez-vous que vos joueuses pourront se transcender grâce notamment aux résultats de l'équipe masculine au Qatar ?

R.P : C'est vrai qu'on parlait tout à l'heure de se transcender, en terme d'équipe, c'est ce qu'a fait l'équipe masculine du Maroc à la Coupe du monde. Je suis en relation permanent avec Walid Regragui par rapport à la Coupe du Monde, ce n'est que cela en fait [se transcender]. Les joueurs ont ressenti qu'ils avaient une mission, qu'ils avaient une bonne équipe, et avec des choses simples, des joueurs de talent, ils ont fait des exploits et on doit regarder tout ça, pour refaire la même chose avec nos armes a nous, nous on y va avec l'ambition les huitièmes de final [pour le Maroc]. On n'est pas les favoris, mais on saura prendre les occasions et les opportunités.

Concernant la France, bien sûr qu'on attend qu'elle gagne. Il y a tellement de talents. On est tellement frustré de ne pas voir cette équipe réussir. Je suis bien sûr extrêmement déçu par la perte de Delphine [Cascarino], qui ne participera pas à cette Coupe du Monde, qui est pour moi la meilleure joueuse mondiale offensive. Et Katoto est un coup dur, Diani dans quelles conditions avec sa clavicule ? Mais le sélectionneur aura les bons mots pour mobiliser son effectif. 

J'espère que les supporters marocains seront du déplacement, même si il n'y aura qu'un seul qui fait le déplacement, on va tout faire pour le rendre fier pendant cette Coupe du Monde. Il y a toujours des surprises à la Coupe du Monde, j’espère que le Maroc en sera une bonne. Si je joue la France en huitièmes de finale, je suis content !