Après avoir évolué à l'ASPTT Albi et au Toulouse FC, Anaïs Arcambal avait discrètement quitté les terrains l'an dernier. Une nouvelle blessure a provoqué l'arrêt du parcours footballistique de la défenseure tarnaise, qui a joué en D1 et en D2, portant notamment le brassard de capitaine dans les deux clubs où elle a évolué.

Aujourd'hui, à 27 ans, Anaïs Arcambal est proche de conclure ses études de médecine et dans cette période d'épidémie de COVID-19, elle travaille comme interne à l'hôpital de Montauban. L'occasion idéale d'évoquer son parcours, les actualités sportives et sanitaires qui se sont télescopées avec l'arrêt de la saison pour l'ensemble des compétitions, et dans le football en particulier.

 

Cœurs de Foot – Pour commencer, est-ce que vous pouvez nous décrire votre quotidien à l'hôpital ?

Anaïs Arcambal En ce moment, je travaille à l'hôpital de Montauban. Je suis dans un service de gériatrie [pour les personnes âgées, et les maladies liées au vieillissement, ndlr] la plupart du temps, et en plus, les week-ends, je fais des gardes de nuit aux urgences.

 

CDF – Pour préciser, le fait que vous travaillez à l'hôpital de Montauban correspond au dernier cycle de vos études de médecine ?

A.A Oui, [actuellement] je fais mon internat, je suis interne. Il me reste un an et demi avant d'être thésée [soutenance de la thèse avant d'obtenir le titre de docteur en médecine, ndlr]. Normalement, j'ai un tout petit peu de cours à côté, mais ils sont annulés ou en visio, donc je ne fais que de l'hôpital.

 

CDF – Concernant l'épidémie de coronavirus, votre région a, jusqu'à présent, été peu touchée par l'épidémie. Comment cela se traduit pour vous sur le terrain ?

A.A C'est vrai qu'on a eu peu de cas. Après aux urgences, on teste pas mal de personnes qui sont susceptibles, au vu de la symptomatologie, d'être atteintes du virus. Dans les services [de l'hôpital], il y a peu de patients, mais il y a des services dédiés aux patients porteurs. Dans mon service de gériatrie, on fait en sorte qu'il n'y ait pas de patients porteurs, ils sont dans des services dédiés.

 

« De l'entraide collective »

 

CDF – Avec l'épidémie en cours, est-ce que vous êtes mobilisée plus que d'habitude au niveau de l'hôpital ?

A.A Les horaires sont un peu plus larges, et le rythme un peu plus soutenu. On a repoussé nos vacances pour ne pas prendre de jours en période d'épidémie. On des horaires qui sont plus importants. Au niveau des urgences, il y a eu un moment où c'était plus calme en terme de passage de patients, parce que les gens ne venaient plus trop. Et là, c'est vrai que ça reprend de façon plus importante.

À Montauban, on n'a pas été trop confrontés à [l'épidémie], donc quand on s'est préparés, l'administration avait fait en sorte que tout soit prêt. Tout ce qui était chirurgie préparée avait été annulée. Les services ont été remodulés pour que ce soit adapté, donc c'est vrai qu'on était bien préparés. Du coup on a passé sans trop de difficultés l'épidémie.

 

CDF – Et pour la suite, vous êtes plutôt optimiste ou est-ce qu'il reste une crainte de voir l'épidémie toucher plus fortement la région ?

A.A Je pense qu'il y a une crainte encore. On n'a pas beaucoup de recul sur le déconfinement. C'est vrai qu'on ne sait pas trop à quoi s'attendre. Dans la région, on a été assez peu touchés, la population est finalement assez peu protégée puisque très peu ont été atteints. Donc, on craint qu'à la suite du déconfinement, il y ait de nouveaux cas qui arrivent, et que ce soit plus important cette fois-ci dans la région.

 

CDF – Dans les médias, on a beaucoup parlé du manque de matériel pour les personnels soignants pour faire face à l'épidémie. Comment cela s'est passé sur Montauban ?

A.A Personne n'était préparé à ce genre de situation. Au début, c'est vrai qu'on a eu un peu peur au niveau des stocks, mais très rapidement on a vu que tout le monde avait été réactif, que ce soit au niveau de l'hôpital mais aussi des gens à l'extérieur. Et finalement, on se rend compte qu'on a assez de tenues et de masques pour faire face actuellement. Après, on ne sait pas ce qui va se passer.

[Il y a eu] surtout de l'entraide collective, avec des dons qui font que pour l'instant, on n'est pas en difficulté, en tout cas dans notre région. [Cela pouvait être] des masques, des charlottes, des surblouses qui ont été récupérés au niveau de cantines et de restaurants. C'est comme les gens qui, parfois, nous offre des repas, des dessins d'enfants pour soutenir les soignants, il y a une certaine solidarité qui peut sortir de tout ça.

 

« Cette blessure m'a un petit peu aidé à dire stop au haut niveau »

 

CDF – Cette épidémie, elle intervient à un moment où vous avez arrêté le football de haut-niveau et vous concentrer uniquement sur la médecine et la fin de vos études. Comment avez-vous pris cette décision et est-ce que vous jouez toujours au football ?

A.A Pour moi, c'est particulier. J'ai arrêté la saison dernière un peu de manière forcée puisque je me suis blessée. J'ai eu une rupture des ligaments croisés en mars. J'ai dû être opérée, après avoir eu une rééducation assez importante et j'ai choisi de ne pas reprendre en début de saison, malgré le fait que je pouvais reprendre au niveau médical.

La médecine, ça me prend beaucoup de temps, de travail. Associer les deux, ça faisait quand même beaucoup de sacrifices sur ma vie personnelle aussi, et je pense que cette blessure m'a un petit peu aidé à dire stop au haut niveau. Ça ne m'empêche pas de jouer pour mon plaisir avec des amis, même si je ne joue plus en club. Je fais plein d'autres sports pour le plaisir à côté et je reste quelqu'un de très attachée au sport.

Je pense que j'ai vécu ce que j'avais à vivre avec le football de haut niveau. Maintenant, je vis à fond ma vie de médecin, et ça me plaît bien.

 

CDF – On imagine que dès le départ, vous saviez que la possibilité de jouer à haut niveau serait conditionnée par l'état d'avancement de vos études de médecine...

A.A C'est sûr. Quand j'ai eu ma première année de médecine, j'ai dû faire un choix. En parallèle, des clubs assez importants me proposait de signer pro au niveau du foot. Moi j'avais fait le choix de privilégier la médecine, et d'essayer de faire le football de haut niveau à côté et le plus longtemps possible. C'est vrai que sur les dernières saisons, j'arrivais à concilier les deux mais c'était au détriment de ma vie personnelle. Physiquement, c'était très fatiguant, [avec] un rythme très important mais la blessure m'a peut-être aidé à prendre la décision et de me consacrer pleinement à la vie professionnelle que j'ai choisie.

 

CDF – Est-ce que cela a été un choix difficile de ne pas signer pro quand l'occasion s'est présentée à vous ?

A.A C'est sûr qu'on y réfléchit à deux fois, parce que devenir footballeur professionnel, c'est le rêve de beaucoup d'enfants. Pour moi, ce n'était pas difficile. J'étais vraiment passionnée par la médecine, et le football féminin n'était pas encore très professionnalisée, ce qui était un peu un frein. Je voulais aussi que le football reste un plaisir, donc je voulais dissocier le football de ma pratique professionnelle. Pour moi, ça s'est fait d'instinct et ça n'a pas été un choix difficile pour moi.

 

« Le football féminin professionnel, ce serait une grande avancée si tous les clubs pouvaient se professionnaliser »

 

CDF – Votre mère travaille également dans le secteur de la santé, comme infirmière. Est-ce qu'elle a eu un rôle particulier dans vos choix, entre football et médecine, au fur et à mesure de votre parcours ?

A.A Pas forcément. Mes parents, ma famille en général m'ont toujours soutenue dans l'ensemble des choix que j'ai faits. Quand il a fallu me laisser partir à 14 ans à Clairefontaine, ils l'ont fait. Ils m'ont encouragée, ils ont fait ce qu'il fallait pour que cela se passe bien pour moi.

Après, à la fin du lycée, quand j'ai voulu rentrer en fac de médecine, je me suis retrouvée aux journées portes ouvertes avec ma mère. On me dit que je ne pourrais jamais concilier le football avec les études de médecine, et que la plupart des gens arrêtaient le sport pour se consacrer à leur première année de médecine.

On y réfléchit à deux fois, ma mère et les autres me disent : « Il va peut-être falloir lever le pied au niveau du foot ». Et moi qui me connais et qui suis un peu bornée et qui sais ce que je veux, je me dis : « Non, je réussirai à faire les deux à la fois ».

Peut-être que si j'avais choisi de devenir footballeuse professionnelle, ils m'auraient peut-être mise plus en garde sur le fait que c'était difficile à l'époque, avec peu de clubs qui signaient pro, la difficulté de rester au bon niveau, et puis une blessure est vite arrivée. Et puis l'après-carrière, souvent des filles qui se retrouvent sans bagages, c'est ça aussi qui est difficile, à 35 ans quand le football de haut niveau s'arrête, de faire autre chose. Donc peut-être qu'ils m'auraient mis en plus en garde si j'avais pris ce chemin-là.

 

CDF – Aujourd'hui, on parle d'une D1 qui pourrait devenir professionnelle. Ce serait une avancée majeure pour le football féminin, mais en même temps, des profils comme le vôtre, avec des études longues en parallèle, risquent de disparaître progressivement du paysage

A.A On le voit de plus en plus. Déjà en D1, de plus en plus de clubs se professionnalisent et les joueuses sont sous contrat. On voit vite la différence entre une joueuse qui ne fait que du foot et une joueuse qui a un double-projet, à la fois professionnel, scolaire et footballistique. J'ai pas forcément d'avis tranché là-dessus. Le football féminin professionnel, ce serait une grande avancée si tous les clubs pouvaient se professionnaliser.

Après, il faut que les joueuses aient envie de faire ça de leur vie, mais on voit qu'il y en a qui prennent vraiment du plaisir. Pour suivre le double-projet, c'est sûr qu'à très haut niveau, ça risque de devenir compliqué, sauf si les clubs jouent un rôle là-dedans en facilitant l'accès à du travail ou à une scolarité aménagée.

 

CDF – Dans votre cas personnel, à Albi et Toulouse, est-ce que ce type d’aménagements existait ?

A.A Non, il n'y avait pas d'aménagements. On s'entraînait le soir parce qu'on était de toute façon pour la plupart étudiantes ou on travaillait. Donc c'est vrai que les entraînements n'étaient pas avant 19h. On avait des encadrants qui étaient compréhensifs, et qui parfois nous soulageaient un peu, par exemple en période d'examens, ou si on avait un peu plus de travail scolaire.

Quand j'étais en période de garde, je ne pouvais pas aller aux entraînements. Tout le monde doit s'adapter au rythme de la joueuse, et au rythme qu'elle a à côté. Après, quand les staffs sont compréhensifs, il n'y a pas de problème.

 

CDF – À côté de votre parcours en club, vous avez aussi joué avec l'équipe de votre université à Toulouse. Est-ce que le sport universitaire (avec forcément l'exemple des États-Unis) peut permettre dans le futur à des joueuses qui ne souhaitent pas passer pro, d'évoluer dans un championnat de bon niveau tout en continuant leurs études ?

A.A Honnêtement, je ne sais pas. Je pense que c'est difficile de faire des équipes de haut-niveau avec des filles qui sont en université. À Toulouse, le TFC n'est pas professionnel, les clubs aux alentours comme Rodez et Albi non plus, donc la plupart des filles [qui jouent dans ces clubs] sont forcément à la fac quand elles en ont l'âge. Donc, on a une équipe [universitaire] qui est correcte, d'un très bon niveau.

Après quand on voit le championnat de France, il y a peu d'équipes qui sont capables de fournir des joueuses de niveau national pour faire un onze. Il y a des disparités très importantes entre les universités et donc pour l'instant faire un championnat de haut niveau.... Nous la fac, c'est vraiment un endroit où on prend du plaisir, se retrouver entre copines. Il y a beaucoup moins de pression, c'est pas du tout la même chose, même si on est très compétitrices et qu'on veut toujours gagner !

C'est vraiment pour le plaisir, les encadrants ce n'est pas pareil, la gestion de l'équipe... On est vraiment un groupe de potes qui jouons pour le plaisir et je ne suis pas sûre qu'on soit prêtes en France à faire du football universitaire comme aux États-Unis.

 

« Je pense qu'il faut aussi tenter de vivre autrement, faire de nouvelles choses »

 

CDF – Pour revenir aux questions de santé, les dernières semaines ont été marquées par l'arrêt de toutes les compétitions sportives, des saisons définitivement interrompues notamment dans le football. Quel regard vous avez sur ces décisions ?

A.A Personnellement, je pense que la santé des gens est plus importante que le sport et les autorités ont raison de ne pas prendre de risques pour le sport. Après, financièrement, je comprends que ce soit difficile pour beaucoup de clubs. En plus, le fait que les classements soient arrêtés dès maintenant, c'est vrai que cela change beaucoup de choses. Tout le monde attend de voir les décisions concernant une éventuelle reprise ou autre. C'est du sport, je pense qu'il ne faut pas prendre de risques de ce côté-là.

=> D1 : Clap de fin pour la saison 2019/20 !

Quand on voit que les restaurants [et les bars] ne sont pas encore ouverts*, je ne comprends pas pourquoi on pourrait rassembler 30 joueuses ou joueurs, sur un terrain ou dans des vestiaires. Toute la population essaie au mieux de respecter les règles-barrières, de sortir le moins possible, d'éviter au maximum la propagation de ce virus, donc je pense que c'est un risque surajouté de reprendre les sports collectifs en particulier dès maintenant.

* L'interview a été réalisée le lundi 25 mai, soit avant les annonces gouvernementales de réouverture progressive des bars et restaurants à partir du 2 juin.

 

CDF – On parle de plusieurs semaines, jusqu'à un an de sport sans public. Comment vous envisagez cette période qui s'ouvre avec durablement qui pourraient durablement se jouer à huis-clos ?

A.A C'est sûr que c'est inédit, après c'est comme se demander comment on voit une année sans restaurants ou sans cinéma. Je pense que l'important c'est de protéger la population, et tant qu'on n'aura pas trouvé de solutions alternatives et meilleures, cela passe par la distanciation sociale et la limitation des regroupements de population.

 

CDF – Et comment vous vivez le fait de ne pas pouvoir jouer en ce moment. Est ce que cela vous manque ?

A.A Non, ce n'est pas un manque. Je fais beaucoup de choses à côté, j'ai repris le tennis, on peut aller courir. Je pense qu'il faut aussi tenter de vivre autrement, faire de nouvelles choses qui sont autorisées. Après, ça ne remplace pas le football, parce que rien ne remplace le football ! Mais ce qui est important pour moi actuellement, ce n'est pas de jouer au football, c'est que ma famille aille bien, que personne autour de moi ne soit malade, et que les gens respectent un maximum les choses pour que ça dure le moins longtemps possible.

Après, le football ne me manque pas plus que de pouvoir aller boire des bières avec des amis. La vie continue sans tout ça, on apprend à vivre autrement et à retourner à des choses de base.

 

Photo: NicolasR Photography Toulouse Football Club (Anaïs Arcambal en septembre 2018 avec le TFC sur la pelouse d'Yzeure, pour le début de ce qui sera sa dernière saison)

Hichem Djemai