C'est l'une des chevilles ouvrières, aussi bien en club qu'en sélection. Un rôle dont elle veut aujourd’hui s'émanciper, et pouvoir faire trembler plus régulièrement les filets adverses. Joueuse polyvalente, il faudra probablement du temps pour s'habituer à la nouvelle Amel Majri, tant elle a impressionné ces dernières années. Un défi qu'elle est prête à relever pour continuer à progresser et surtout s'amuser sur le terrain.

 

Coeurs de Foot – Ce début de saison pour vous Amel, c'est notamment votre changement de positionnement sur le terrain. Une évolution à l'OL et qui devrait se répercuter en sélection. C'était aussi une demande de votre part. Comment ça s'est passé ?

Amel Majri – J'ai fait savoir mon envie d'évoluer plus haut, j'ai dit à mon coach [Gérard Prêcheur] qu'il fasse jouer la concurrence, et me compter parmi les offensifs. Après, à l'heure d'aujourd'hui, il a différents systèmes, donc je sais pas comment il joue. Je sais qu'en 3-5-2, je suis plus sur les côtés. En 4-3-3, c'est là où j'ai demandé à être quelqu'un de plus offensif. Et voilà, il fait jouer la concurrence. Après, c'est à moi de prouver dans les matches où il me lance. Pour l'instant c'est pas trop le cas, mais j'espère que ça va venir avec les matches où j'aurai peut-être du temps de jeu devant.

« Je prenais plus forcément de plaisir »

CDF – Qu'est-ce qui vous manquait en évoluant au poste de latérale gauche ?

A.M – Ça fait trois ans que je joue derrière. Je suis arrivée à un stade où je prenais plus forcément de plaisir. Et même s'il faut se mettre au service du collectif, après, au bout d'un moment il y a aussi le plaisir personnel. C'est pour ça que j'ai demandé cette évolution, jouer plus haut et me prouver à moi-même [que j'en étais capable]. Et quand j'aurai ma chance, d'exploiter ce poste.

CDF – Ce changement interpelle aussi parce que vous êtes devenue l'une des meilleures joueuses à votre poste aussi bien en France qu'au niveau international. Un rôle qui a participé à votre reconnaissance avec aussi des titres, de distinctions individuelles. Est-ce que tout ça aurait pu vous retenir sachant que de l'extérieur, on voit surtout une joueuse exceptionnelle ?

A.M – Oui, je sais. Pour vous, vous êtes de l'extérieur, vous voyez [d'une certaine manière], mais en interne pour moi personnellement, je le fais mais... On va pas dire que j'étais dégoûtée d'être sur le terrain. Après voilà, il y a des entraînements, moi j'aime bien être devant le but. Et puis comme je l'ai dit, ça fait trois ans que je suis derrière. Même si, entre guillemets, [« jouer latérale »] c'est ce qui m'a lancé, à l'OL quand j'ai signé en tant que pro, c'était en tant qu'offensif. Après ma première sélection en équipe de France, je l'ai faite, mais c'était en tant que milieu droit. Donc, c'est vrai que après voilà, il y avait du temps de jeu à prendre derrière.

Maintenant, à l'heure d'aujourd'hui, ce que je veux, c'est montrer que même s'il n'y a pas forcément du temps de jeu devant pour moi, c'est que, quand j'aurais ce temps de jeu, je puisse m'exprimer et montrer aussi mes qualités offensives. Je sais qu'au niveau de l'effectif... Enfin, il faut prendre en compte l'effectif mais comme j'ai dit, ça fait trois ans que je suis derrière. Après, l'altruisme c'est bien, mais il faut aussi penser à son intérêt perso. Et justement si ça peut aider l'équipe, et d'avoir ce plus devant, je suis là. Mais, ça m'empêche pas de jouer derrière quand [le coach] en a besoin.

CDF – C'est vrai aussi que ces derniers temps on a pu voir, qu'en plus de vos qualités athlétiques, d'endurance, vous avez aussi de la qualité technique, avec quelques gestes qui ont circulé sur les réseaux sociaux. Est-ce que vous que les efforts de replacement que vous devez faire en tant que latérale, vous empêche parfois de vous exprimez complètement de ce côté-là ?

A.M – Oui voilà, c'est ça. on me dit souvent : « A l'OL, ça va. Tu es quand même assez haut en tant que latérale. Tu te retrouve carrément devant». Après, moi je leur fait comprendre, les allers-retours, quand tu arrives tu as plus trop de lucidité et tu as pas forcément envie de prendre ce risque en tant que joueuse de derrière. Alors qu'une joueuse de devant dans les trente derniers mètres, elle peut prendre des risques.

« On s'entraide à notre façon »

CDF – Autre question. Quand on parle des Majri, il y a vous-même et votre sœur jumelle Rachida qui est entraîneure. Quelle relation vous avez, sachant qu'entre une joueuse et une entraîneure vous devez avoir des choses à vous dire ?

A.M – Oui. Des fois, par exemple, elle va m'appeler ou elle va me parler, elle va me faire un retour de mon match. Elle va me donner son retour en tant qu'entraîneure, comme un entraîneur qui regarde un match. Des choses que forcément moi je vois pas et qu'elle voit. Elle va me dire « là, à ce moment-là, tu aurais pu faire ça, c'est mieux pour toi que tu fasses ça ». C'est bien, moi j'aime bien avoir cet échange-là avec elle parce déjà d'une, on s'intéresse [au travail l'une de l'autre]. Quand elle a entraînement ou quand elle a match avec ses jeunes, si j'ai la possibilité d'aller et donner mon expérience dans le sens, « il faut travailler », les valeurs et tout, bah j'y vais et naturellement on s'entraide à notre façon.

CDF – Quel exemple de conseil elle a pu vous donner qui vous a été utile sur le terrain ?

A.M – De se faire plaisir (rires)

CDF – Parce que parfois c'est pas forcément le cas ?

A.M – Des fois, on se casse un peu la tête quand on est sur le terrain. Mais c'est vrai que quand on est sur terrain, qu'on se fait plaisir, et qu'on pense pas trop, c'est là où on se fait vraiment plaisir et ça aide vraiment le collectif. Quand on se casse trop la tête, on est bloquée de partout et voilà...

CDF – Sur un tout autre sujet. Il y a une assez grande différence entre Amel Majri sur et en dehors du terrain. Sur le terrain, on vous voit partout, vous faites beaucoup d'efforts, alors qu'en dehors vous êtes assez discrètes, vous aimez pas forcément parler devant les caméras...

A.M – Oui (sourire) c'est pas la même sur le terrain, qu'en dehors.

CDF – Comment vous apprivoisez cette partie du travail pour une joueuse professionnelle, au haut niveau ?

A.M – J'apprends un peu à la faire en dehors. J'ai des gens qui me conseillent et qui me disent : « en interview, faut faire ça, il faut aller vers les gens... Il faut être disponible, même si je sais qu'ils me disent que tu es réservée... Il faut faire le pas ». Voilà, ça y est, maintenant justement vu que j'ai passé ce cap, c'est à moi d'y aller, de plus faire la petite jeune.

CDF – En plus si vous jouez plus haut sur le terrain. Plus de buts, ça veut aussi dire plus de sollicitations de la part des médias...

A.M – Oui voilà, c'est ça (rire). Plus tu marques, plus t'es vue, plus tu vas être interviewée.

« On repart de zéro »

CDF – Pour parler de l'Euro qui arrive, même si c'est encore loin. La Suisse vous connaissez un peu avec Lara Dickenmann, votre ancienne coéquipière à Lyon. Mais sinon, au premier tour vous allez plutôt jouer des équipes peu connues en France. Comment vous voyez ces équipes et ce tirage ?

A.M – Moi, après j'ai jamais joué contre ces équipes. Je les connais pas forcément. Je connais la Suisse par rapport à Lara. Je sais que c'est une bonne équipe, avec un bon parcours en Coupe du Monde. Il faudra prendre les adversaires un par un. Après on va rentrer dans cette compétition et voilà...

CDF – Pour vous est-ce que c'est forcément un avantage de jouer contre des équipes qu'on connaît déjà ?

A.M – Quand on les connaît, par exemple, soit qu'on s'est fait éliminées, soit qu'on les a éliminé, donc il y a cet esprit de revanche. Après quand on connaît pas, on appréhende un peu, mais on sait qu'on va être d'avantage concentrées et on va avoir la même motivation que si elles nous avaient gagné. Dans cet état d'esprit-là.

CDF – En discutant avec d'autres joueuses, notamment les plus « anciennes », on a le sentiment qu'il y a beaucoup d'attentes autour de cet Euro, arriver à gagner quelque chose, notamment pour celles qui vont jouer leur dernière grande compétition. Comment vous voyez ça de votre côté ?

A.M – C'est sur qu'on est tristes par rapport à nos anciens parcours qu'on a pu faire et on a peut-être l'impression que ça se répète. Mais voilà, justement dire ça, ça va peut-être pas nous aider en fait. Je pense que tu as peut-être cette frustration que ça va se répéter. C'est une nouvelle compétition, on repart de zéro et on voit ce qui se passe. Faut pas à chaque fois qu'on se dise : «ouais, là cette fois-ci c'est pour nous ». C'est sûr qu'on a cette envie-là avant de commencer, mais faut pas qu'on se serve des événements d'avant pour se propulser, on en a pas besoin. C'est fait, le mal est fait. C'est un nouveau tournoi.

CDF – Après la Coupe du Monde et les J.O, ce sera votre premier Euro. Est-ce que vous avez encore l'impression d'être dans la découverte des ces grands tournois ?

A.M – Quand on fait des grandes compétitions, on sait que ça se joue aux détails. Après le nom de la compétition, l'Euro, c'est vrai que je l'ai jamais connu. Ça reste une grosse compétition donc... On va dire qu'on se prépare de la même manière, en fait c'est pareil.

Hichem Djemai