La plupart du temps, le parcours d'une joueuse débute dans un club proche de chez elle, qui n'est pas forcément à un niveau très élevé. Quand Adeline Janela a rejoint Algrange le club évoluait alors en D3 (DH aujourd'hui) et comme certains clubs ces derniers temps, il a finit par être approché par un club pro, celui du FC Metz en l’occurrence. Rencontre avec une joueuse qui à gravi les échelons pour jouer le maintien dans l'élite du Football féminin en France.
Tu as joué tout le match face à Guingamp hier, on t'a senti légèrement agacé sur l'issue du match ? (le match a eu lieu ce mercredi, en match en retard. Il s'est terminé sur un score nul 1-1).
Effectivement [j'ai joué tout le match]. Oui agacé parce que c'est un match où on avait une certaine maîtrise. C'était peut être l'un des plus beaux matchs qu'on a fait de la saison, avec le match contre Lyon. Ce qui est frustrant effectivement c'est qu'on sent qu'on a les occasions, qu'on arrive à se procurer ces occasions, qu'on les loupe, qu'on a un coup franc inexistant [tiré par Salma Amani pour le but de Guingamp], c'est moi qui fait la faute, c'est d'autant plus frustrant, donc oui agacé parce qu'il y avait la place pour plus et c'est toujours frustrant de terminer avec un nul alors qu'il y avait possibilité de plus. C'était un petit peu la même chose à Albi (défaite 1-0) donc là on reste sur deux échecs, même si ça m'embête d'utiliser ce terme, parce qu'on a tout de même nos premiers points de la saison mais on aurait pu espérer mieux.
"en trois ans je peux vous dire que le foot français a bien évolué"
Ça fait maintenant environ 10ans que tu évolues dans la même équipe, même après la fusion avec Metz. Tu débutes même à 15ans en D3, qui n'existe plus aujourd'hui, avant de faire six années en D2 et de monter en D1 avec le club messin. A ce moment-là pour toi c'est une vraie consécration ? C'était une fierté de passer de ce monde amateur au "professionnel" même si je sais que tu n'aimes pas trop ce mot ?
Oui forcément c'est super à vivre, d'autant plus pour moi parce que mon objectif c'est de concilier mon double projet travail/foot. Aujourd'hui je vois ça surtout comme une chance de pouvoir jouer en D1 et de pouvoir travailler à côté [comme cadre dans le recrutement et la formation]. Avoir pu passer par toutes les étapes au niveau des championnats, c'est intense à vivre. J'ai fait la première année de la montée en D1 et puis celle-ci et en trois ans je peux vous dire que le foot français a bien évolué, ça se ressent et c'est encore plus satisfaisant que d'avoir ma place dans un groupe qui est assez jeune et où il y a de nombreux talents.
Non j'aime pas du tout ce mot (rires) [professionnel] effectivement. Parce que pour moi le football ça reste vraiment une passion. Je joue pas au foot pour gagner de l'argent, je joue pas au foot pour être populaire en disant que je joue en D1. Le jour où je prendrais plus mon pied en jouant au foot, j'arrêterais.
Algrange c'était ton club de quartier on va dire ?
J'ai commencé dans un petit club à proximité de chez moi, où j'habitais et j'ai joué tout le long dans un club mixte et ensuite j'ai rejoint l'équipe de Woippy, qui était bien classée à l'époque et ensuite j'ai rejoint très rapidement le club d'Algrange, qui est devenu le FC Metz.
C'était un peu loin de chez moi effectivement, mais je n'avais pas le choix pour progresser que de devoir rejoindre un club de D3.
On a retenu une petite anecdote de ton ancien coach Gérome Henrionnet, qui a dit que tu lui en voulais peut être sans le lui dire forcément, de ne pas être titulaire au match lors de la première saison de Metz en D1, jusqu'à ce qu'il te fasse passer arrière latérale et que tu deviennes une valeur sûre à ce poste-là. C'était difficile de prendre du recul ou de comprendre pourquoi tu ne jouais pas ?
Oui à la base j'ai plus un profil offensif et du coup de reculer ça me faisait pas forcément plaisir parce que ce que j'adorai dans le poste de milieu gauche ou même meneur de jeu c'était de pouvoir faire la différence, d'être passeuse et en étant arrière j'avais pas cette vision d'un poste qui pouvait monter très haut sur le terrain. C'est vrai que ça m'embêtait fortement au début. Après j'ai appris à découvrir ce poste et je pense que c'est un des rôles les plus importants dans le football actuellement. Aujourd'hui un latéral il ne se contente plus simplement de défendre, il est aussi l'un des premiers acteurs offensifs et du coup c'est devenu un poste qui me plaît beaucoup et où je me sens à l'aise.
"si on prend les filles individuellement, y'avait de la qualité"
Malgré la difficulté de la première année en D1, est-ce que ce n'était pas précipitée selon toi la montée ?
Non en fait la montée, elle s'est faîte parce qu'on a été un groupe, quand on était à Algrange, de bonnes copines, on se prenait pas la tête, si on montait en D1 c'était tant mieux. C'était pas précipitée parce qu'on savait que si la montée arrivait, y'aurait des recrues conséquentes, un autre budget... Je pense que si on prend les filles individuellement, y'avait de la qualité et même aujourd'hui notre dernière place du championnat ne reflète pas forcément le talent qu'il y a dans le groupe.
Parce qu'on voit que des équipes comme Marseille était très prudente quant à cette montée dans l'élite tout comme le LOSC cette saison en D2. Même si vous avez changé de coach entre temps. Est-ce que vous n'y êtes pas allé tête baissée ?
Oui vraiment on y est allé tête baissée. Y'avait pas de calcul, on était un bon groupe de copines, on jouait ensemble, si on montait c'était mieux sinon tant pis. C'était une très très belle saison [en D2].
"C'est très compliqué, et très frustrant"
En 2014/2015 vous faîtes 5 V, 4 N et 13 défaites, là cette saison c'est plus costaud et vous n'arrivez pas à avoir de victoires. Vous inscrivez 27 buts aussi, là aujourd'hui vous n'en avez inscrit que 3. C'est compliqué à vivre, qu'est-ce que vous vous dîtes dans ces moments-là ? Ce sont les individualités qui manquent de compatibilité dans l'effectif ?
C'est très compliqué, et très frustrant parce que si on prend les filles de notre équipe individuellement, je pense pas qu'on soit inférieure aux autres équipes de D1.
Si je pense qu'elles le sont [compatibles, les individualités]. Aujourd'hui je vais vous dire sincèrement, ce qui nous a manqué c'est une attaquante, qui se prend pas la tête de savoir comment elle a joué, peu importe comment elle marque, de la cuisse ou de la poitrine c'est pareil. Au moins elle a marqué. Il faut un petit peu plus de folie et de mouvements. Ce qui est rassurant [en phase retour] c'est qu'on se procure des occasions, qu'on avait pas en première partie de saison.
Le départ de Marie-Charlotte Léger explique aussi un peu cela ? On sait que Guingamp a connu ça avec le départ de M'Bock. Il faut pas s'attacher ou compter sur une autre joueuse même si c'est notre coéquipière ? Pour éviter justement ces déconvenues ?
Concrètement oui, et Marie-Charlotte Léger, c'était typiquement l'attaquante, qui s'en fichait de comment elle allait marquer tant qu'elle y arrivait, c'était tout ce qui lui importait. C'était vraiment une personnalité de folie et c'était justement une joueuse clé lors de notre première saison de D1.
Dans le foot féminin, je pense que c'est difficile de retenir une joueuse donc il faut pas s'arrêter sur une simple fille. Après les individualités comme Marie-Charlotte Léger c'est sûr que c'est une fille qui est capable de faire la différence et c'est toujours important dans un groupe. Surtout quand on est une équipe comme Metz et qu'on est pas Lyon, quoi, c'est certain.
"c'est sûr que l'apprentissage de la D1, c'est quelque chose qui est assez compliquée"
En D1 Feminine on spécule assez rapidement quel club terminera dans la zone rouge (par rapport au budget notamment ou l'effectif). Malheureusement Metz est tombé à l'unanimité selon les "capitaines" des clubs qui se sont confiées à Eurosport. Est-ce que ça peut aussi expliquer que vous vous enlisez dans cette situation, d'avoir cette pression au-dessus de la tête ? C'est difficile de dire que c'est le mental ou la cohésion de groupe, mais d'un point de vue extérieur pour nous c'est ce qu'on ressent, malgré le fait d'être bien entourée par le club.
Non pas du tout parce que dès le début on savait que ça serait pas une saison facile. Pour l'avoir déjà vécu une fois, on le sait toujours parce que moi j'y crois encore, on sait que pour pouvoir se maintenir, il va falloir qu'on galère trois fois plus que les autres. Parce que déjà on manque d'expériences, on est un groupe assez jeune. Si on prend la première partie de saison, on a fait des erreurs d'équipe qui manque d'expériences et c'est sûr que l'apprentissage de la D1, c'est quelque chose qui est assez compliquée. On commence à prendre cette connaissance de la première partie de saison. Ça se ressent sur notre façon d'appréhender les matchs. Oui tout le monde nous voit descendre, tout le monde nous voyait [relégué] dès le début. C'est une pression qui est justement positive et on a rien à perdre. Nous on s'entraîne tous les jours, avec beaucoup d'exigence, comme les grandes équipes du championnat, on cravache comme les autres, on est un groupe de travailleuses, c'est l'une de nos principales qualités. Personnellement j'y crois jusqu'au dernier match parce que y'a de l'envie, y'a une âme dans cette équipe, y'a un désir collectif de réussir, c'est tout ce qu'il faut dans une équipe. Aujourd'hui on a pas eu de chance jusqu'ici, surtout sur les deux/trois dernières rencontres. Mais ça va venir et quand on aura ça, j'espère que ça engendrera d'autres victoires et ça sera plus que positif.
Nous-mêmes on a pas de réponses à savoir pourquoi on arrive pas à gagner. On les a pas parce qu'on fait notre maximum pour pouvoir gagner. Tous les ingrédients sont là, on a un staff qui est de qualité tout comme le groupe, on a le mental, on a du caractère, parce que pouvoir revenir à 1-1 contre Guingamp et contre Soyaux, ça prouve qu'on est toujours là.
C'est pesant comme situation, mais comment on fait pour continuer à prendre du plaisir à jouer ?
Déjà d'avoir un groupe uni ça nous permet déjà de tenir, avoir un staff et un club qui nous encouragent, ça aide également. Après je pense qu'on a conscience des choses, qu'on est capable de plus et on a aussi des jeunes joueuses qui ont du potentiel et qui peuvent avoir une belle carrière par la suite, y'a un travail collectif qui se fait, mais c'est aussi individuel. Quand on a des filles comme Juliane Gathrat ou Héloïse Mansuy, ce sont des filles de qualité, qui ont vraiment une carrière dans le football et d'un point de vue technique ce sont des filles qui poussent le groupe plus haut, parce qu'elles ont aussi des objectifs individuels.
Est-ce que dans un coin de sa tête on se fait à l'idée de redescendre, mais en même temps ça reste boostant quand on se dit qu'on va se battre à armes égales en D2 pour tenter de revenir dans cette D1 peut être un peu mieux préparée ?
Moi personnellement j'y pense pas du tout parce que je vis vraiment au jour le jour. J'y crois encore et je suis une grande battante. Aujourd'hui on a quand même des leaders qui ont de gros mental, je pense à Simone Jatoba, c'est une joueuse qui a du vécu, de l'expérience, qui arrive à pousser l'équipe vers le haut. On a pas envie d'y penser, parce qu'on y croit encore. On se battra pour pouvoir se maintenir même si ça sera très difficile. Pour y arriver faudra jouer à 200% maintenant. On est à l'image de notre coach [David Fanzel], on est des battants.
"on avait conscience qu'on avait besoin d'une attaquante"
On sait qu'une joueuse du Bayern est arrivée, Melike Pekel, on l'a bien remarqué hier, malheureusement elle n'a pas eu beaucoup d'occasions. Est-ce que le fait d'avoir des joueuses assez côté, ça booste ou ça créé un déséquilibre ?
Non pas de déséquilibre parce qu'on avait conscience qu'on avait besoin d'une attaquante comme Melike. C'est une joueuse qui ramène beaucoup de mouvements, de fraîcheur, qui est capable de mettre du rythme même si elle a toujours pas marqué, parce qu'elle s'est pas procurée beaucoup d'occasions. Elle permet d'avoir un peu plus d'occasions aux joueuses qui sont autour d'elle. C'est une joueuse qui joue très rapidement et qui va nous faire beaucoup de bien. On savait qu'on aurait une joueuse d'une grande renommée, donc aujourd'hui c'est plutôt une chance et un atout pour nous de l'avoir.
Alors dernière question c'est bien sûr au sujet du match qui vous attend ce dimanche, un match à élimination directe. On en a parlé avec Flavie Lemaître joueuse de Rodez, qui a dit qu'elles vont pas vous prendre à la légère. C'est quoi votre état d'esprit de votre côté ?
Nous aujourd'hui on s'était principalement concentrées sur ces deux matchs de championnat [Soyaux/Guingamp]. A savoir que là ça va être notre 3e match de la semaine dans les jambes donc on sait que ça va être compliqué. On sait que Rodez c'est une équipe qui met de l'impact, donc ça va y aller. On aime ça se faire bouger, mais on aime aussi rentrer dedans donc là-dessus y'a pas de crainte. On va tout donner et on va tout faire pour gagner parce qu'on sait que les victoires appellent les victoires. On est sur une belle lancée je pense donc terminer avec cette victoire qui nous manque en championnat, ça serait la récompense de tous ces mois de travail intense.
Photos : Nelson Fatagraf & Rene Bach