Avec ces 176 sélections en équipe de France et son palmarès en club, Camille Abily a déjà marqué le Football féminin français. En marge du match contre les Pays-Bas, on a échangé avec cette ténor des Bleues, au sujet de son parcours, de l'évolution du Football et de son envie de remporter enfin un titre avec les Bleues.

 

Coeurs de Foot : On a l'impression que vous êtes une joueuse qui a trés vite compris les codes du football, tout en se construisant une carapace autour de vous aussi ?

Camille Abily - Oui ça fait longtemps que je suis dans le milieu. J'ai la chance d'avoir pu vivre aussi toute l'évolution du football féminin, en passant par être complètement amateur, en galèrant un peu pour se faire accepter par certains clubs et puis là maintenant avec la reconnaissance, que ça soit au sein de la Fédération et au club. Moi j'ai de la chance d'être à l'Olympique Lyonnais et d'avoir un Président qui croit beaucoup en son équipe féminine. Voilà j'ai pu voir toute l'évolution et c'est génial ce qui s'est passé ces quinze dernières années.

 

CDF - Plus encore depuis 2011, qui revient à chaque fois comme le tournant du Football féminin en France ?
CA - Oui vraiment on a senti que c'est le tremplin pour le Football féminin. L'épopée qu'on a pu faire avec l'équipe de France à la Coupe du Monde 2011 (en Allemagne). Le fait de gagner la même année, la Ligue des Champions avec l'OL (le premier trophée européen, d'un club français) je pense que ça a vraiment permis de faire connaître le Football féminin...français et puis de commencer à changer les mentalités.

 

CDF - En parlant d'évolution, on sait aussi que depuis le départ de Louisa Nécib, du milieu de terrain, ça vous a quelque peu forcé à jouer un peu plus sur les côtés. Je ne sais pas si vous le voyez comme ça, vous aussi de votre côté ?

CA - Oui c'est sûr que Louisa faisait partie des pièces maîtresses de l'équipe de France. C'est une trés grande joueuse. C'est forcément difficile le départ [à la retraite] d'une telle joueuse, il faut s'adapter, il faut que d'autres jeunes prennent le relais aussi. Il a fallu un petit temps d'adaptation mais je pense aussi que maintenant c'est le cas, on arrive de mieux en mieux à se trouver et j'espère qu'on sera performantes dans les matchs à venir.

 

CDF - Des jeunes comme Grace Geyoro, Eve Perisset ou encore Aissatou Tounkara, ont rejoint le groupe récemment on va dire. Ce sont des joueuses qui commencent à prendre leur marque ?
CA - Bien sûr... Oui c'est génial, les jeunes générations arrivent, avec beaucoup de talent, de fraîcheur et d'envie. Et qu'elles continuent comme ça, parce que ce qu'elles font c'est bien, mais maintenant faut rester dans la durée. Mais en tous cas ce sont des bosseuses et elles ont un très bon état d'esprit.

 

CDF - Ca a apporté une nouvelle dynamique au sein du groupe français, avec la She Believes Cup également ?
CA - C'est vrai qu'au début elles faisaient un petit peu les timides, elles osaient pas et au fur et à mesure, elles ont eu du temps de jeu, elles ce sentent de mieux en mieux dans le groupe. Chaque joueuse à une place importante pour le bien être du groupe et elles y contribuent vraiment.

 

CDF - L'exercice devant les médias c'est parfois difficile d'y passer. Aujourd'hui à l'heure des réseaux sociaux, on a l'impression que petit à petit les joueuses n'ont même plus besoin des médias ? 
CA - C'est vrai que sur les réseaux sociaux y'a beaucoup de choses qui sont dîtes. Est-ce qu'elles sont toujours vraies ? Je sais pas. Etre journaliste c'est un métier quand même et si tout le monde était journaliste ça se saurait. Mais c'est vrai qu'il y a beaucoup de choses qui sont dîtes et qui sont pas forcément justes ou bien interprétées. Mais ce qui est bien [avec les réseaux sociaux] c'est que nous ça peut nous permettre aussi de communiquer, parce qu'il y a des gens qui connaissent pas encore le Football féminin français, l'équipe de France féminine. Donc se faire connaître via les réseaux sociaux, c'est toujours important.

 

CDF - Vous êtes assez présente de votre côté sur les réseaux sociaux, en essayant de partager votre quotidien du club notamment.

CA - J'essaye (rires). C'est vrai que moi je suis un petit peu sur les réseaux sociaux, surtout sur Twitter et pour moi c'est vraiment être en contact, donner des infos aux supporters qui nous suivent. Des fois on essaye de mettre un peu des choses persos avec la vie de groupe, parce que je peux comprendre que c'est ce que les gens attendent, de voir avec qui on est en chambre, la vie avec l'équipe de France ou avec l'OL.

 

CDF - Vous avez dit aussi que vous n'enviez pas les garçons justement pour cet aspect, le revers de la médaille peut être d'être surmédiatisé ? "ils ont des dizaines de journalistes qui leur sautent dessus à la sortie d'un match" (So Foot)
CA - Non après nous on est contentes quand il y a des médias parce qu'il faut faire parler de nous et de notre sport c'est sûr. Après nous ce qu'on aime surtout c'est parler foot, c'est ça le plus important et c'est ça qui nous interesse le plus. Des fois on nous demande des comparaisons entre certains coachs, entre ça, c'est pas toujours évident parce qu'on est au milieu et c'est pas à nous de juger ou du moins de l'exprimer publiquement. Mais par contre pour tout ce qui est parler de foot, moi je suis la première à vouloir en discuter, avec plaisir, pour débriefer après les matchs, ça me dérange pas du tout.

 

CDF - Pour revenir un peu sur vous, vous avez un parcours assez atypique, avec neuf clubs depuis votre début de carrière. Comment vous voyez tout ça avec du recul ?
CA - Ah 9, je savais pas (rires). Oui bien sûr. Je pense que j'ai franchi à chaque fois des paliers en changeant de clubs. Ca a été un peu mon objectif. J'ai commencé par des plus petits clubs de D1, proche de ma famille et ils m'ont vraiment aidé parce que ça m'a permis de connaître un peu le milieu [du football], à prendre de l'expérience aussi et apprendre pleins de choses au contact quand même de très bonnes joueuses. Au fur et à mesure je pense que j'ai grimpé des échelons en allant dans des clubs avec un standing un peu plus important, avec plus d'ambitions, d'objectifs. Et maintenant je suis vraiment contente d'avoir pu vivre cette expérience aux Etats-Unis, qui m'a vraiment apporté d'un point de vue footballistique mais aussi personnel. C'était très enrichissant pour moi de pouvoir voir une nouvelle culture, mais maintenant je m'épanouie complètement à l'Olympique Lyonnais.

 

CDF - Le palier pour vous il a été passé à Montpellier ?
CA - Oui j'ai eu la chance de découvrir la D1 à la Roche-Sur-Yon, Saint-Brieuc et Clairefontaine, où j'ai eu énormément de temps de jeu alors que j'étais une jeune joueuse. J'avais 15ans mais j'étais titulaire. C'était fantastique pour moi d'avoir du temps de jeu. J'ai cotoyé des [joueuses comme] Françoise Jezequel, qui a l'époque était internationale A, l'une des meilleures joueuses françaises, donc ça m'a permis d'apprendre beaucoup auprès de ces joueuses là. Après c'est vrai que quand j'ai eu la chance de pouvoir jouer dans des plus grands clubs, j'ai réussi à la saisir et je suis satisfaite par rapport à ça.

 

CDF - Est-ce que vous avez aiguillé Amandine Henry, sur le fait d'être partie jouer aux Etats-Unis ou son choix il était réfléchi depuis un moment déjà ?
CA - Non je pense que son choix, il avait été fait auparavant. Mais on en avait discuté déjà, avant qu'elle en ait l'opportunité. Moi j'en avais discuté avec Marinette Pichon à l'époque, qui m'avait dit un peu comment ça se passait là-bas et ça faisait rêver. Je pense qu'Amandine ça a été le cas aussi, même sans lui en parler, parce que moi je voulais qu'elle reste à l'OL donc je lui en avais pas forcément parlé. Mais en tous cas pour elle c'est sûr que c'est une belle expérience et elle a l'air d'être très bien là-bas et de s'y épanouir donc c'est le plus important.

 

CDF - On sait qu'en Bretagne il y a un réel engouement pour le Football féminin, c'est un peu l'âme du football, y'a un esprit fort dans cette région autour de la pratique ? C'est une fierté aussi pour vous, en sachant que la finale de Coupe de France va avoir lieu à Vannes, ou encore la Coupe du Monde U20 ?
CA - De mes racines, bien sûr. J'espère qu'on y sera [en finale de Coupe de France] (sourire). Bah y'a le record mine de rien, plus de 24000 spectateurs pour un France/Grèce alors qu'on était déjà qualifiée, donc ça montre vraiment l'engouement qu'il peut y avoir en Bretagne [autour du Football féminin]. On a de la chance aussi d'avoir un Président à la Fédération, qui est Breton et je pense que ça y contribue beaucoup. C'est vrai que pour connaître les personnes qui travaillent au sein des ligues et des districts, ils font beaucoup de travail pour le Football féminin et à chaque fois qu'on se déplace avec l'équipe de France ou avec l'Olympique Lyonnais, y'a une vraie ferveur et je peux être que satisfaite. Ca me fait toujours plaisir de retourner sur mes terres.

 

CDF - Comme vous êtes passée aux Etats-Unis, vous pensez que c'est un schéma à suivre pour la France, d'avoir ce côté professionnel dans chaque club et de privatiser justement la ligue ? 
CA - Alors ce que j'apprécie le moins aux Etats-Unis, c'est que le championnat ne dure que six mois, donc ça déjà c'est très délicat même pour une fille comme Amandine qui a dû revenir en France [avec le PSG] c'était assez compliqué. Donc pour ça, en France je veux vraiment pas qu'on s'appuie là-dessus. Après le fait d'avoir une ligue fermée pour moi, c'est pas l'esprit qu'on a en Europe, avec les montées et les descentes, qui permettent aux plus petits clubs d'espérer un jour de monter en D1 et d'y être. Par contre le fait que tous les clubs soient professionnels et que toutes les joueuses puissent être professionnelles, je pense que ça permet d'avoir un niveau plus homogène et c'est ce qui nous manque en France. Même si on voit l'évolution de certains clubs, ça progresse, c'est génial. Mais pour l'instant y'a encore des résultats un peu fleuve et ça arrive quelques fois, mais c'est rare qu'une équipe de bas tableau arrive à gagner contre une [équipe] haut de tableau. Ca arrive mais c'est encore trop peu fréquent. Alors qu'aux Etats-Unis, à l'époque où j'y étais, le dernier pouvait gagner contre le premier, mais sans problème quoi. Donc je pense que c'est ça qui manque au championnat de France, pour qu'il soit plus attractif.

 

CDF - Parce que comme vous le dîtes, Jean-Michel Aulas est peut être l'un des seuls Président de club à être aussi présent pour son équipe féminine, d'où les bons résultats de Lyon?
CA - Je rajouterai aussi quand même Louis Nicollin. Pour moi, c'est vraiment le premier à avoir investi chez les féminines. Après, c'est vrai que Montpellier à un peu moins de budget que l'Olympique Lyonnais mais ce qu'ils font à l'heure actuelle, c'est déjà super [au MHSC]. C'est un club où j'ai passé trois belles saisons. Après c'est sur que Jean-Michel Aulas, pour tout ce qu'il fait pour le Football féminin c'est formidable, pour son développement, aussi bien à Lyon qu'en équipe de France, il fait beaucoup.

 

CDF - Y'a beaucoup de rumeurs sur votre potentiel départ à la retraite après l'Euro. Est-ce que ce sont des rumeurs avérées aujourd'hui ?
CA - (rires) Non non c'est vrai que c'est difficile pour moi parce que j'arrive à un certain âge, j'ai 32ans et j'ai quand même pas mal de questions par rapport à mon avenir. Donc pour l'instant dans ma tête, je me dis que c'est ma dernière compétition parce que je veux la vivre pleinement et gagner quelque chose enfin avec l'équipe de France. Normalement, j'espère faire partie de ce groupe [pour l'Euro 2017] et qu'on arrive à faire quelque chose, parce que 2019 c'est très loin. Après on peut jamais dire jamais, je rêverais de faire la Coupe du Monde [en France] mais je sais que c'est très très loin et je peux pas me projetter si loin, malheureusement c'est pas possible. 

 

CDF - Donc on peut espérer vous voir jusqu'à la Coupe du Monde 2019 ?
CA - Ca dépendra aussi de mon état physique, mon niveau parce que y'a des jeunes qui poussent et c'est vrai que si la forme ne suit plus j'ai pas envie de faire des années de trop, donc j'essaye de prendre année par année. Cette saison ça pouvait aussi être ma dernière, je pense en faire une autre encore en club, on va en discuter avec mon Président. Mais c'est sûr en tous cas que je vais y aller étape par étape, et on verra. Mais j'aimerai la faire (sourire) tout le monde aimerait la faire, c'est quelque chose de merveilleux.

 

CDF - Parce que pour l'instant c'est vrai qu'on ressent qu'au milieu de terrain, vous continuez à avoir le niveau que ça soit en équipe de France ou à Lyon. On en parlait justement sur le départ de Louisa Nécib, vous avez un rôle important aujourd'hui dans l'animation du jeu.

CA - Ah j'essaye. Après c'est vrai que quand j'ai de la chance de jouer aussi bien avec Lyon qu'en équipe de France, je prend beaucoup de plaisir sur le terrain. Peut être aussi que quand c'est nos dernières années, on a envie de profiter et on se lâche plus. C'est vrai que moi j'ai moins de pression, je me dis c'est que du bonheur tout ce qui arrive. On verra, mais en tous cas ce qui est sûr c'est que pour l'instant physiquement je me sens bien, lorsqu'on fait les tests, j'ai pas perdu en physique, j'ai pas perdu en vitesse, c'est que pour l'instant mon corps n'est pas trop fatigué. Bien sûr je met un peu plus de temps à récupérer que quand j'avais 20ans, (sourire) mais en tous cas j'essaye de donner le maximum à chaque fois sur le terrain.

 

CDF - Pour parler de ce match contre les Pays-Bas, on sait que votre dernière confrontation avait été compliquée avec une défaite (1-2 à Jean Bouin). Comment vous voyez ce duel vendredi chez elles ?

CA - Oui bien sûr parce que c'est quand même une équipe qui progresse mais la France est censée être meilleure. Après c'est facile sur le papier (rires) [de spéculer]... Ca avait été une défaite difficile [à Jean Bouin]. Mais on sait que c'est une équipe qui a vraiment évolué. Là on va jouer chez elles. Elles vont être très difficile à battre. Même pendant l'Euro, parce qu'on sait que quand c'est un pays qui accueille comme ça une telle compétition, l'engouement qu'il peut y avoir autour de cette équipe... Je pense que ça peut être un bon test, parce que tout le monde nous voit un peu fortes après les Etats-Unis, mais c'est qu'un match où on a été performantes. Il faut réussir à perdurer on va dire au niveau des performances, et être très très fortes sur tous les matchs.

Dounia MESLI