Le tremblement de terre ne fait que commencer dans la société américaine, au lendemain de la décision de la Cour suprême des États-Unis d’annuler l’arrêt Roe v. Wade. Cette décision de la Cour suprême américaine, remontant à 1973, garantissait le droit à l’avortement au niveau fédéral. Depuis hier, l’avortement n’est plus considéré comme un droit constitutionnel, et il revient donc aux différents états de déterminer s’ils souhaitent ou non l’autoriser, et sous quelles conditions.

 

Vent debout

Cette décision a provoqué de nombreuses réactions et notamment dans le monde sportif. En NWSL, l’ensemble des douze équipes du championnat féminin américain ont publié un communiqué pour dénoncer la décision de la Cour suprême. La direction de la ligue a également publié un communiqué, considérant que cette décision « privait des personnes de la liberté pleine et entière et de l’égalité qui sont les fondations d’une société juste ».

Dans cette communication, le choix de prendre position est également justifié par le fait que « la NWSL est plus qu’une ligue de football (soccer) » avec une volonté affichée de « s’investir au quotidien pour défendre ce qui est juste ». Dans l’univers du sport américain, la NBA et la WNBA, les ligues masculine et féminine de basket-ball, ont également publié un communiqué commun indiquant notamment que « les femmes devraient pouvoir prendre leurs propres décisions concernant leur santé et leur avenir [personnel] » et que « cette liberté doit être protégée ».

Dans le cas de la NWSL, cette prise de position unanime inclut notamment des franchises basées dans des états où l’avortement pourrait être interdit ou voir son accès considérablement restreint. C’est le cas du Houston Dash au Texas et du Racing Louisville au Kentucky. Le club de Louisville en fait mention dans son communiqué, précisant que des « habitantes du Kentucky souhaitant recourir à un avortement seront contraintes de parcourir une distance moyenne de 394 kilomètres (245 miles) pour accéder à des soins (healthcare) adéquats ».

 

Garder le contrôle

Avec des nuances selon les franchises, la NWSL s’est donc exprimée explicitement en opposition à une décision de la Cour suprême des États-Unis, l’une des institutions les plus puissantes dans le système constitutionnel américain. Cette opposition renvoie aussi à des enjeux forts dans le sport, et en particulier pour les femmes athlètes, celui du contrôle exercé sur son propre corps.

Un enjeu que l’on retrouve dans les nombreuses affaires de violences sexuelles révélées ces dernières années dans le monde sportif, et notamment aux États-Unis. Des scandales qui interrogent notamment sur l’emprise exercée par certains entraîneurs ou dirigeants sur de jeunes athlètes, et les nombreux abus et violences qui peuvent en découler. Spécifiquement en NWSL, des mesures « anti-harcèlement » ont été mises en place depuis la saison dernière, entraînant par la suite le limogeage de plusieurs entraîneurs en l'espace de quelques mois, et participant même à provoquer un changement de propriétaire pour la franchise du Washington Spirit. 

La question des « droits reproductifs » mentionnée dans la plupart des communiqués des clubs de NWSL est également liée à cet enjeu, notamment dans l’optique d’une professionnalisation des championnats féminins aux États-Unis et en Europe. Des avancées ont été obtenues ces dernières années, avec des droits garantis pour les joueuses qui font le choix d’avoir un enfant au cours de leur carrière.

Des dispositions ont par exemple été incluses dans les conventions collectives de la NWSL ou celle négociée en Espagne pour la future ligue professionnelle. Elles sont également appuyées désormais par la FIFA, qui depuis décembre 2020 a fixé des « standards minimums » pour garantir notamment l’existence de congés maternité pour les joueuses et entraîneures et interdire les ruptures de contrat lorsque une joueuse ou une entraîneure est en période de maternité.

 

Choix au pluriel

De la même manière, la question du droit à l’avortement interroge sur la possibilité de choisir, au cours d’une carrière, entre le fait de fonder une famille et celui de repousser cette éventualité à plus tard. Plus généralement, cela pose également question sur la maîtrise de chacune sur son corps et sur son avenir personnel, pour paraphraser le communiqué de la NWSL.

Des éléments repris par la NWSLPA, l’association représentantes des joueuses de NWSL, qui, dans un communiqué, appelle également à l’action pour contrecarrer les effets de cette « désastreuse décision ». Pourtant, les différentes prises de position contre cet arrêt de la Cour suprême l’évoquent bien comme un enjeu global de société plus que par le prisme de ces effets potentiels sur les sportives. 

Une position politique plus générale qui se ressent en particulier dans la longue prise de parole en conférence de presse de Megan Rapinoe, devenue l’une des figures emblématiques de la sélection américaine. Son propos a été notamment diffusé via le compte Twitter de l’équipe nationale des États-Unis, signe de la profondeur de la crise provoquée par la décision de la Cour suprême.

Cela renouvelle aussi le constat que les sportifs et sportives du haut niveau sont devenus plus que jamais parties prenantes dans les débats qui traversent la société américaine. Hier sur le racisme ou la question du port d’armes, aujourd’hui sur le droit à l’avortement, des acteurs du monde sportif sont amenés à prendre position, une nouvelle donne que l’on retrouve depuis hier, de l’autre côté de l’Atlantique.

 

Photo : Getty Images

Hichem Djemai