C’était un 30 septembre 2006, Marinette Pichon raccrochait ces crampons non sans émotion, après avoir tant donné et reçu du football. A presque un an du Mondial en France, nous l’avons rencontrée pour évoquer sa carrière, alors qu'elle a récemment publié son livre "Ne rien lâcher". Une maxime qui lui a permis de s’accrocher et de vivre sa vie pleinement. Dans cette troisième partie, on évoque son expérience personnelle en équipe de France et sa vision des Bleues aujourd'hui, avant l'échéance de la Coupe du Monde 2019.

 


Rencontre avec Marinette Pichon (1/3) : "Aux entraînements, on n'était pas très d'accord avec les coachs"

Rencontre avec Marinette Pichon (2/3) : "Ce championnat de France mériterait à être développé"

 

CDF –  Pour évoquer l'équipe de France, il y a eu beaucoup de déceptions à répétitions et l'Euro en dernière date. Comment vous voyez l'équipe aujourd'hui ?

M.P – Oui l'Euro a été un peu poussif, on manque de ressortir contre la Suisse quand même, sur le dernier match [de poule]. Faut pas l'oublier. On n'a pas proposé un jeu de qualité alors qu'on a des individualités et un collectif à faire pâlir n'importe quelle nation. Sauf que par moment, on n'arrive pas à jouer ensemble, on n'arrive pas à jouer ensemble (elle répète). Après oui, les médias se font leurs opinions.

Maintenant il y a des jeunes U20 qui peuvent intégrer la A pour suppléer sur certains postes. Après, c'est une question aussi de ne pas les griller trop tôt. Mais quand tu prends individuellement l'équipe de France A, il y a un gros potentiel. Moi en tous cas, je trouve que le potentiel il est là, il est existant et il doit être opérationnel. Il l'est par moment, on l'a encore vu sur certaines matches amicaux, on l'a vu face à des grandes nations du top 5...

Il faut s'opposer, se confronter, être en capacité de montrer toutes les qualités qui constituent cette équipe. Maintenant il se passe un truc sur les compétitions officielles. [Il] faut qu'elles prennent plus conscience de leur potentiel, où elles sont, d'être conscientes qu'elles peuvent battre n'importe quelle équipe.

 

CDF – Si on parle de votre expérience personnelle en équipe de France, il y a eu des hauts et des bas...

M.P – Oui oui il y a eu des hauts et des bas (sourire) mais je ne retiendrais que les hauts parce que je suis positive et que l'équipe de France m'a permis de découvrir le monde, de me trouver une place dans la société, de m'épanouir, de rencontrer des gens géniaux, de vivre des moments sportifs exceptionnels... Quand tu portes le maillot de l'équipe de France frappé du coq, ce petit coq qui est brodé sur ta poitrine, c'est pas rien quoi, c'est ta nation. Quand tu entends retentir la Marseillaise, tu dis: "Wouah quoi, la Marseillaise".

Toi tu es là, tu joues face aux meilleures joueuses des nations adverses, au sein de l'équipe de France et ça c'est incomparable. Moi, j'ai eu la chance de vivre ce moment là sur le terrain à 112 reprises, j'ai savouré chaque instant. C'est fabuleux. De s'entraîner et d'avoir cette angoisse, cette inquiétude de se dire: "Est-ce que je vais être dans la liste ?" parce que même si tu performes, tu regardes si ton nom sort dans la liste. Avant, c'était au minitel (rires) mais bon. Oui, j'ai connu les convocations au minitel quand même (sourire).

 

CDF – Au-delà de la performance donc, il faut aussi l'état d'esprit ?

M.P – Il y a les deux, il y a les deux, il y a quand même la performance à la base. Pour moi, quand un sélectionneur doit consolider son équipe, il doit s'appuyer sur la forme actuelle des joueuses. Si un(e) joueur/joueuse est meilleur(e) qu'un(e) tel(le) ou une tel(le), il doit le/la prendre, c'est comme ça que je fonctionne.

Après il y a les aspects de gestion de groupe et c'est aussi être en capacité de discerner des personnes qui peuvent être négatives pour un rassemblement ou lors d'un grand championnat d'Europe ou d'une Coupe du Monde pour avoir un groupe sain.

On a chacun sa vision des choses, mais lorsque l'on met des gens compétents en place à des postes à responsabilités, [il faut les laisser faire]. Quand on vous met à la tête d'une sélection nationale, on vous nomme à la tête d'une sélection nationale, ce n'est pas rien, quoi.

 

CDF – Pensez-vous avoir laissé une marque au football en France ?

M.P – Avant je ne m'en rendais pas forcément compte. Je pense qu'avec la sortie du livre, ça y a fait beaucoup. La promo qui a été extrêmement importante, longue, presque cinq semaines à faire tous les médias. Et puis, quand il y a la FIFA qui vous appelle et vous dit: "On veut vous inviter pour participer à un tournoi des Légendes en marge de la Coupe du Monde 2018" et bien on prend la mesure de l'invitation : "Légendes", "Marinette Pichon", "Équipe de France". Et là j'ai pris la mesure des choses. Mais je pense qu'on ne se rend pas compte peut être [de ce qu'on peut représenter aux yeux des autres.]

 

CDF – Ressentez-vous une reconnaissance de votre parcours ?

M.P – Après, il y a aussi les anciennes, les moins anciennes et la génération actuelle. Je pense qu'on peut vivre avec le passé, mais on doit aussi vivre avec le présent et l'avenir. Parler des noms [qui ont fait l'histoire], moi je n'ai pas d'égo par rapport à cela. J'ai été à l'INSEP récemment où j'ai vu la Ministre [des Sports] Laura [Flessel], sur le colloque contre l'homophobie, comment lutter contre cela et je suis passée saluer Émilie Trimoreau [avec qui elle a joué à Juvisy, ndlr}, qui est la responsable du Pole de l'INSEP et elle m'a présentée un groupe de jeunes filles et elles me connaissaient, elles connaissaient ma carrière. Après quand les gens t'appellent, ils te présentent comme l'ancienne capitaine, l'ancienne star, la Légende, bon bah voilà, j'ai pas besoin de ça. Mon équilibre je ne le trouve pas là dedans, je le trouve ailleurs, dans ma famille, dans ce qui va m'accompagner jusqu'au bout de ma vie.

 

CDF – Pour parler de votre expérience en sélection, vous avez été capitaine, quel est votre sentiment sur cette responsabilité en équipe de France ?

M.P – Les quelques fois où j'ai porté le brassard, c'était une vraie fierté. Parce que c'est toi qui est à la tête de ton équipe de France et qui doit impulser la dynamique, les valeurs, les convictions, la gagne, la rigueur, tout ça. Après être capitaine de l'équipe de France, c'est quelque chose, comme Amandine [Henry] qui l'est [aujourd'hui]. Elle véhicule des valeurs, des valeurs de partage, d'expérience, d'écoute, de conseils et un capitaine ça doit être le relais du staff de l'équipe de France, ça doit faire émerger les problématiques, en endiguer d'autres... Voilà, c'est ça le rôle d'un capitaine sur le terrain et en dehors.

Après chacun analyse la performance [de l'équipe de France] à sa façon, avec son regard. Je sais que quand on ne gagnait pas, ou qu'on faisait match nul, je portais aussi la responsabilité. Et chacun doit s'approprier la responsabilité du résultat, parce que chacun oeuvre [pour le résultat]. Alors, quand tu gagnes ça va, même si tu n'as pas tout réalisé à la perfection, mais quand tu réussis, il faut avoir le recul de se poser les bonnes questions. Après il faut être en capacité de ne pas trop noircir le tableau, et de tout bien analyser.

 

CDF – Comment avez-vous ressenti la popularisation du football féminin en France ?

M.P – Bien, bien parce que ça voulait dire qu'il y a un vrai intérêt, un vrai regard et une vraie volonté de le développer, donc très bien. Après ça manque d'équité, d'équilibre et du coup ça crée de vraies disparités entre la tête de peloton, le milieu et puis ça amène un peu moins d'attractivité. Mais je le vis bien parce qu'on a de plus en plus de monde dans les stades pour l'équipe de France, donc je suis super contente. Aujourd'hui de voir tout ce qui se passe, c'est fabuleux. Maintenant j'attend qu'une chose, et j'espère que ça arrivera en 2019, c'est que la France décroche un titre.

 

CDF – Le Mondial 2019 peut-il faire changer les mentalités ?

M.P – Ça peut entériner le développement du football féminin surtout. Ça voudra dire qu'on aura réussi à faire un événement, on aura réussi à fédérer avant les matches, pendant et après, sensibiliser la population et la réunir autour d'un événement comme on a été capable de le faire en 98. On est très balaises dans nos matches amicaux, mais dans nos matches officiels on a parfois du mal. Pourtant on est capables de sortir des prestations fabuleuses. 

 

CDF – Qu'est-ce qui fait la réussite des autres équipes comme les États-Unis​ par exemple, par rapport à la France ? 

M.P – Oui, on est en retard dans le développement. Après, au moment où  [les États-Unis] ont décidé d'injecter de l'argent, ils l'ont fait. Et ils ont décidé de le faire à tous les postes, pour développer la pratique, pour avoir un vrai championnat, qui soit attractif ,où il y a des françaises qui partent, et des étrangères qui viennent aussi, c'est ce qui fait la différence. Tout est réfléchi, le marketing, le technique, le sportif, l'utilisation des stades... Il y a un objectif principal, une mission générale et ensuite des points à atteindre et eux ils les ont développé sur le cahier des charges.

C'est dans l'air [du temps], il faut avancer comme ça. Chacun essaye de trouver sa place et le sport féminin en général a du mal à trouver sa place. Je pense que la place de la femme dans le sport n'est pas si évidente que ça.

Dounia MESLI