De la Picardie à l’Héraut en passant par la Lorraine, la jeune internationale française Marie-Charlotte Léger a pu aussi s’aguerrir par ses 46 sélections cumulées en équipe de France. Portrait d’une joueuse discrète au premier abord, avec des qualités certaines devant le but.

 

Son parcours en club

Avant de signer à Montpellier pour quatre ans (jusqu'en juin 2019), tu as été repérée par Metz lors de leur montée (juste après leur fusion avec Algrange), et tu inscris 8 buts sur les 20 de Metz, en participant activement au jeu de ton équipe. Comment tu vois avec le recul ce passage de Metz à Montpellier ?

Quand je suis sortie d'Hénin-Beaumont [pour Metz], j'étais encore jeune. J'ai fait deux ans dans ce club, un an en D2 pour la montée et un an en D1. Ensuite Metz m'a contacté, il n'y avait pas encore de gros clubs sur moi, et je voulais continuer ma progression dans un petit club qui venait de monter en D1. Donc j'ai saisi mon opportunité. Avec Metz on avait fait une assez bonne saison, mais on est passés à travers quelques matches. On méritait pas de descendre, parce qu'on a fait une super saison. Juste après ça je suis allée à Montpellier.

 

Lors de cette saison avec Metz, vous aviez fait match nul contre Montpellier (2-2). Est-ce que tu penses que c'est à ce moment là qu'ils ont eu des vues sur toi ?

(elle hésite) Je sais pas, mais j'avais eu plusieurs propositions de clubs de D1. Donc je sais pas si c'est à partir du match, ou c'est sur des matches précédents, je ne pourrais pas te dire.

 

La vie c'est des choix, des décisions, des regrets... Est-ce que tu regrettes certaines choses ?

En club ? Non, je suis partie à Metz, où j'avais fait une bonne saison. Quand je suis arrivée à Montpellier, dès ma première saison, j'ai marqué beaucoup de buts, donc oui c'était plutôt pas mal [mes débuts avec Montpellier].

 

Tu n'avais pas peur d'être beaucoup trop confrontée à la concurrence, parce que tu étais jeune en plus, quand tu as rejoint Montpellier ?

(elle réfléchit) Non je ne me suis pas vraiment posée de questions, mais je savais que c'était les meilleures [joueuses] qui allaient jouer. Je savais à quoi m'attendre en rejoignant Montpellier et je ne me suis pas fait des plans etc.. Je savais que je devais gagner ma place dans l'équipe [de départ pour les matches].
Mon premier souhait c'était de progresser. Après je ne sais pas si Metz serait resté en D1, si je n'étais pas restée dans le club pour continuer ma progression [en jouant plus de matches en équipe première] avant de rejoindre un gros club... Mais quand Montpellier m'a appelé pour me proposer leur projet, j'étais vraiment ravie, en plus c'est un club assez familial et aujourd'hui je regrette pas mon choix.

 

A Metz tu étais vraiment la vedette de l'équipe...

Bah je suis arrivée à Metz, j'étais une personne comme une autre. En plus, je ne connaissais que Juliane [Gathrat] et Héloïse [Mansuy].

 

Ton passage à Hénin-Beaumont, est-ce que c'est le moment qui t'a le plus appris mentalement ?

Oui. Quand j'étais à Hénin-Beaumont, je devais trouver un club qui n'était pas trop loin du pôle [Liévin] pour ne pas faire trop de déplacement et je crois qu'on devait rester dans la région en plus [au niveau du club].

 

De ce que j'ai vu lors de tes matches, je trouve que tu as une vraie intelligence de jeu. Tu es très jeune mais comme beaucoup de joueuses, tu as mûri très vite. Est-ce que tu le ressens de ton côté? 

Oui forcément, on est jeune un certain temps, mais faut mûrir rapidement dans son jeu. Ma deuxième année avec Montpellier avait quand même été assez compliquée parce que j'ai fait la Coupe du Monde U20, entre novembre et décembre (du 13 au 3), et même au niveau du temps de jeu...

 

Tu jouais en DH à un moment avec Montpellier. Ma question peut être "naïve" entre guillemet, mais dans le football le plus important c'est quand même de jouer et face à la concurrence, quand tu joues en DH tu as tout de même ce plaisir de marquer ? Même si ce n'est pas la même sensation que de marquer en D1...

Oui c'est sûr [y'a le plaisir de marquer] mais c'est frustrant, parce qu'on gagnait avec des scores lourds, 17-0. Après quand je suis en DH, je joue mon jeu normal et c'est pas parce que je suis en DH que je ne vais pas jouer.

 

J'ai lu dans certaines de tes interviews que tu dis que tu peux jouer sur les côtés, mais je t'ai plus souvent vu jouer axiale. Comment tu vois ton jeu ? (elle me demande de préciser) Tu aimes faire les déplacements, revenir plus bas récupérer le ballon, être dans la surface de réparation, avoir le ballon et aller vers le but... Quel est ton poste de prédilection ?

En fait à Hénin-Beaumont j'étais sur un côté, en sélection jeune je jouais en pointe, alors qu'à Metz j'étais plutôt avant-centre mais aussi milieu offensive.
A Montpellier, c'est plus ma puissance de jeu et mes dribbles qui sont mis à profit au service de l'équipe, je le travaille beaucoup dans ce sens [mon jeu].
Je peux jouer soit milieu, sur les côtés ou avant-centre je pense.

 

Lors de ta signature avec Montpellier, pour ton interview avec le club tu disais que tu es une joueuse de percussion, rapide. Je pense que tu es aussi une joueuse qui analyse bien les situations.

Oui après moi je ne me prends pas la tête [sur le terrain]. J'aime bien percuter vers le but, être rapide, puissante.

 

Cette saison tu as trois défis en même temps, tu joues la Champions League, la Coupe de France et le championnat peut être avec la deuxième place notamment en ligne de mire plus que le trophée (derrière Lyon) ?

Oui c'est la première année où je joue sur les trois tableaux donc j'aimerais bien en remporter au moins un, même si le championnat ça risque d'être un peu compliqué avec Lyon, c'est vrai. On joue les matches pour les gagner, après on y va match par match.
Oui il y a aussi la 2e place face à Paris, synonyme de qualification directe pour la Champions League. C'est une grosse saison où je dois faire mes preuves, en plus il y a la Coupe du Monde 2019 qui arrive.

 

L'équipe de France

Pour en parler, Corinne Diacre fait beaucoup de tests depuis son arrivée à la tête de l'équipe de France, et toi tu m'as dit que tu n'avais pas de poste favori... On sent qu'il y a peut être un manque offensif ces derniers temps en équipe de France (défaite 0-4 contre l'Allemagne, matches nuls contre la Suède 0-0 et l'Italie 1-1). Est-ce que tu te diriges plus vers ce poste dans ta tête ?

Je travaille sur tout, mais jamais sur un aspect en particulier dans mon jeu. Maintenant il faut être très polyvalente [dans le football], il n'y a plus vraiment de poste "attitré". On a des postes, mais par rapport à nos positions sur le terrain on peut bouger, suppléer ou remplacer une joueuse sur son poste et tout le monde peut marquer. C'est un moyen aussi d'essayer de contre carrer une équipe. Et il faut toujours faire les efforts pour ses coéquipières.

 

Là il y a la She Believes Cup (en mars) qui arrive, ça doit être un de tes objectifs d'y aller ?

Oui ça reste un de mes objectifs, forcément, après on verra ce qui arrivera. Déjà on se concentre sur Lyon et on fera chaque match, l'un après l'autre [avant la sélection].

 

Lyon ca va être un gros challenge, surtout après le match aller (défaite 5-0) ?

Oui ça a été très compliqué à l'aller (blanc). Nous on y va pour faire un résultat, c'est pas parce que c'est Lyon qu'on ne va pas jouer notre jeu.

 

Pour reparler de la sélection, face à l'Italie tu es entrée en cours de jeu mais je t'ai sentie très à l'aise sur cette rencontre.

Oui enfin déjà rentrer en cours de match, qui était un peu compliqué, c'était pas évident. J'étais avant-centre [face à l'Italie], quand je suis rentrée il y avait un peu de stress mais une fois sur le terrain, il est parti. Quand tu es à l'échauffement et que la coach t'appelle, tu as un peu le stress qui monte et l'excitation de jouer (sourire). J'ai eu une frappe qui n'est pas passée loin du but, c'est dommage.

 

Dans ce match justement contre l'Italie, tu as fait les efforts, tu as fait des appels aussi, tu avais même peut-être une possibilité de marquer mais tu n'as pas reçu le ballon à ce moment, pourtant tu t'étais rendue disponible. Est-ce que ce point-là, vous l'analysez un peu quand vous revoyez le match peut-être ? Est-ce qu'on se dit pas parfois, "pourquoi je me suis pas placée là, pourquoi j'ai pas fait ce choix là"...

(elle réfléchit) Qu'on se rend pas assez disponible dans les matches ? Oui en fait c'est ça, c'est la vidéo qui nous permet de progresser parce que quand on est dans le match nous, on est dans le match, on ne se rend pas compte. Mais quand on regarde la vidéo, on se dit "on aurait dû faire ça, on aurait dû se mettre là, peut être que si on s'était mis là, on aurait peut-être eu le ballon et marqué". Y'a pleins de trucs qui entrent en jeu [dans le match en lui-même].

 

Ta première "sélection" en A, c'était contre le Brésil et il y avait eu une victoire là pour le coup, et je voyais que tu étais vraiment fière de rejoindre "la cour des grandes".

Oui contre le Brésil, je suis rentrée deux minutes et j'ai pas touché un ballon pour ma première sélection (rires). J'avais 19 ans cette année-là, je ne pensais pas être appelée à 19 ans, mais c'est toujours bien de le faire à cet âge là.

 

On peut dire que tu as eu la confiance de plusieurs coachs dont Gilles Eyquem en jeune par exemple. Mais comment tu expliques que tu sois en club "un joker" si on peut dire ? Cette situation tu la vis comment qu'on compte pas assez sur toi ?

Oui je me suis toujours bien entendue avec les coachs que j'ai eu en jeunes. A Montpellier, la première saison je jouais beaucoup comme je t'ai dit, la deuxième saison c'était un peu plus compliquée, comme ce début de saison mais là je reviens un peu plus en tant que titulaire. Pour moi, jouer 90 minutes ou 30 minutes, il faut les jouer à fond.
(elle réfléchit) Si je pense que Montpellier a toujours compté sur moi. Après je n'ai pas eu beaucoup de temps de jeu en début de saison, mais j'ai continué à travailler, j'ai rien lâché et maintenant je vois que mes efforts ont payé parce que je suis de plus en plus titulaire, je marque des buts et j'ai été rappelée en sélection.

 

Pourquoi selon toi tu n'es pas une titulaire en club et en équipe de France ? C'est peut être ta discrétion, qui est une qualité mais aussi un défaut ?

Je ne sais pas, c'est une bonne question. C'est difficile d'y répondre parce que je fais mes matches, je me donne à fond. Après ce sont les choix du coachs, je dois m'y tenir.
Oui je suis discrète avec certaines personnes, pas tout le monde (rires). Mais franchement je ne pourrais pas te dire. Ce sont les décisions du coach, c'est la concurrence et il faut l'accepter. Un jour ou l'autre on verra bien [si j'ai ma chance].

 

Tu as connu toutes les sélections jeunes, le pôle Liévin, ton parcours il était tracé dans ta tête ?

Non même pas, c'est juste que j'ai commencé le foot très jeune (à 5 ans) et au fur et à mesure, j'ai pris des décisions, je suis allée dans un club puis un autre et voilà.

 

Au-delà de ton mental à toute épreuve on a l'impression. (elle me demande une nouvelle fois d'expliquer ce que je pense par là) C'est à dire que tu te laisses pas dépasser par tes émotions, quand y'a des moments difficiles tu les laisses pas paraître et tu passes au-dessus surtout... C'est dur à faire de ne rien laisser percevoir.

(elle me coupe) Ah c'est ça exactement. 
Même quand il y a des moments difficiles, parfois c'est chiant mais je me confie pas trop, je garde tout pour moi en fait.

 

Le capitanat

Tu as été capitaine des U19, je pense que c'est un événement à double visage, où tu devais être fière mais avec des grosses responsabilités, et puis avec ce match perdu contre l'Espagne aux tirs au but, ça a dû un peu jouer sur ton moral ?

Oui la demi-finale oui (elle se remémore l'évènement et m'évoque son penalty raté). Je pense que si... Après je pense qu'on va en louper des choses dans la vie, mais sur le moment c'est...ça met un coup au moral. 

 

"Globalement il faut jamais rien lâcher."

 

Deux mois après cela, tu es appelée en A. C'était un apprentissage un peu dans la douleur, mais ça t'a plutôt bien servi dans la suite de ta carrière ces compétitions jeunes, malgré cette déception à l'Euro U19 ?

Oui c'est ça... Globalement il faut jamais rien lâcher.

 

Et quand on est capitaine on s'aguerrit plus rapidement. Tu l'as été. Qu'est-ce que ça t'a appris sur toi-même, sur le football, sur tes responsabilités, sur tes coéquipières ?

Je ne m'attendais pas du tout à être capitaine. J'ai accepté le brassard mais après on est un groupe, c'est pas parce qu'on l'a, qu'on est la seule à parler, toutes les filles échangeaient sur le terrain, on s'encourageait entre nous. C'est l'esprit d'équipe qui nous a permis d'aller loin, en Coupe du Monde U20 l'année dernière par exemple.

 

Est-ce que quand on est capitaine, on se met pas un peu en porte à faux de ses propres performances d'un côté ? C'est à dire que vous vous concentrez plus sur le jeu de l'équipe entière que du vôtre. Est-ce que tu le ressentais toi quand tu l'avais ?

J'ai pas vraiment "un profil de capitaine" de par mon poste on va dire déjà, je ne suis pas le genre de joueuse à donner des consignes, je préfère qu'on me dirige plutôt.
Oui c'est exactement ça en fait. Quand tu as le brassard tu te dis qu'il ne faut pas jouer que pour soi, qu'il ne faut pas se focaliser sur son jeu à soi, qu'il faut être plus à l'écoute des autres joueuses. Tu as quand même plus de responsabilités [avec le brassard]. Tu te focalises plus sur l'équipe, que sur toi. 
Moi déjà j'étais presque avec les mêmes filles des U16 au U20, donc on se battait toute l'une pour l'autre, il n'y en a pas une qui jouait pour elle.

 

Et est-ce que certaines de tes coéquipières venaient te voir pour te demander les consignes tactiques ?

Bah on se parlait toutes avant le match, à la mi-temps et on réglait les problèmes qu'il fallait régler. Moi s'il y avait une fille qui voulait me dire quelque chose, elle me le disait, y'avait aucune peur à ce sujet. C'est pas parce qu'on a le brassard, qu'on peut rien nous dire, au contraire. En plus j'étais attaquante donc je ne voyais pas forcément toute l'équipe. Quand tu es attaquante, tu vois vers l'avant, pas l'arrière.

 

Photo : Fred LG Photo

Dounia MESLI