Photo: Renaud Joubert/Charente Libre

 

Il y a parfois des situations paradoxales, celle de l’ASJ Soyaux en fait peut-être partie. Alors que le club s’apprête à fêter ses 50 ans, une longévité remarquable dans le football féminin français, c’est une sombre affaire qui pourrait venir gâcher la fête sur cette fin de saison.

 

Une histoire de contrats, découverte à travers le cas d’Allison Blais qui, après deux saisons et une cinquantaine de matches disputés avec le club de Charente, a rejoint cet hiver le club de Dijon en D2. Un départ qui est intervenu alors que sa situation à Soyaux devenait intenable, aussi bien sur le plan contractuel que humain.

 

Une histoire de contrat(s)

 

Tout commence l’été dernier lorsque Allison signe un CDD (Contrat à Durée Déterminée) avec le club. Un CDD d’un mois (du 1er au 31 août) avec un statut de « Joueuse Non Professionnelle », mais où l’essentiel de ses activités auprès du club consiste à prendre part aux entraînements et aux matches de l’équipe le week-end, c'est d'ailleurs la seule fonction qui est explicitement mentionnée dans son contrat. En dehors de son emploi de footballeuse ''non professionnelle'', sa seule véritable activité consistait à encadrer des jeunes le lundi après-midi.

 

Un contrat à temps partiel et une rémunération qui dépasse le millier d’euros, mais pour l’ex-Sojaldicienne, elle ne se voyait pas comme une « joueuse pro » même si ses revenus (modestes) de l’époque étaient exclusivement liés à ce contrat passé avec le club. Un contrat qu’elle vit à l’époque comme un « arrangement » avec l’ASJ Soyaux, proposé par Sébastien Joseph, entraîneur de l’équipe première depuis cette saison, et qu’Allison Blais considère comme le principal dirigeant de Soyaux. Pour elle, « c’est le coach qui dirige [aujourd'hui] le club ».

Un arrangement alors qu’Allison n’a à l’époque plus d’emploi. A son arrivée à l’ASJ Soyaux en 2015, elle trouve un emploi à Schneider Electric par l’intermédiaire du club. Un emploi qu’elle perd avant d’en trouver un autre en « usine ». La présidente de Soyaux, Marylin Fort, évoque également un « service civique » auprès du club et qu'Allison « n'a pas honoré » jusqu'au bout. Un manque de sérieux qui aurait amené la dirigeante à mettre un « point d'interrogation », lorsque Sébastien Joseph proposait de conserver Allison Blais dans l'effectif à l'été dernier.

Des écarts de conduite que l'attaquante reconnaît sans détour. Elle nous parle notamment du rôle joué par Jean Paredes, entraîneur de l'équipe première lors de son arrivée à Soyaux, et qui a été « comme un père » pour elle au sein du club, se montrant patient avec elle à des moments où elle avait pu « déconner ».

 

Un impératif sportif qui balaye le reste

 

A l’été 2017, sans emploi à Soyaux, elle se pose aussi la question de partir du club avec des pistes sérieuses en D1. Cette proposition du nouveau coach est donc aussi un argument et un moyen de la faire rester au club. Une situation dans laquelle c'est le sportif qui a primé. Comme nous l'expliquait Marylin Fort, Sébastien Joseph, le nouveau coach « voulait absolument » conserver Allison dans l'effectif.

L'arrangement prévu au départ et proposé par le club était qu'Allison disposerait d'un contrat pour la saison, qui débuterait au mois de septembre, après un premier CDD au mois d'août. Ce contrat serait en deux ''morceaux'' : un contrat à temps partiel avec le club pour la partie foot, et un autre, également à temps partiel, avec l'un des partenaires du club. Pourtant, Allison s'est retrouvée dans une situation où son seul contrat était celui qui le liait avec le club pour son activité de footballeuse.

Techniquement, cette situation transforme donc Allison en joueuse professionnelle. Dans les règlements de la FFF, une joueuse sous statut amateur ne touche que « des revenus complémentaires » de sa pratique du football (Article 47 – Règlements Généraux). D'un point de vue légal, le statut de sportive professionnelle renvoie lui à « toute personne ayant pour activité rémunérée l'exercice d'une activité sportive dans un lien de subordination juridique [ici un contrat ndlr] » (article 222-2, Code du Sport). D'ailleurs, les fiches de paye d'Allison Blais sur cette période mentionne bien qu'elle serait une « joueuse professionnelle », une situation qui n'a jamais été homologuée par la FFF, d'autant qu'Allison disposait à Soyaux d'une licence joueuse ''amateur''.

 

La direction du club a-t-elle pêché par naïveté ?

 

Des contrats fédéraux, Allison Blais en a signé par le passé à Guingamp et au PSG. A Soyaux, elle sait que ce contrat n’en est pas un, d’autant qu’elle a toujours eu le statut amateur depuis son arrivée au club. Mais au départ, elle imagine que cet accord traduit un cadre de confiance en interne. Allison estime d'ailleurs aujourd'hui que si les choses s'étaient mieux passées, elle n'aurait probablement pas « ouvert sa bouche ».

Cette logique « d'arrangement » est aussi avancée par Marylin Fort, qui estime que cette solution a été proposée en toute « bonne foi » et peut-être avec une certaine « naïveté ». Pour elle, à Soyaux, le club se veut « proche de nos joueuses » et les choses se font toujours avec « bienveillance ». Pour elle, la présence d'agents, désormais incontournables dans l'entourage des joueuses, a participé à envenimer les choses et tenter de « gagner de l'argent » en profitant de cette situation.

Mais au fil du temps, l’ambiance se détériore et le conflit culmine après que son contrat ait été prolongé pour trois mois jusqu’au 30 novembre. A la fin du mois, elle nous rapporte avoir été convoquée par Marylin Fort, la présidente du club qui lui signale qu’elle a un mois pour préparer ses affaires et quitter le club à l’issue du mois de décembre. A cet effet, un nouvel avenant au contrat est signé jusqu'au 31 décembre.

 

Les questions du vestiaire

 

Une mise en demeure qui va avec la baisse du temps de jeu d’Allison, qui dispute son dernier match avec Soyaux face à Guingamp, début novembre. Depuis, elle n’a plus joué une seule minute, alors qu’elle avait pris part à toutes les rencontres depuis le début de saison.

La cause de ce changement serait en partie liée avec le fait qu'Allison n'accepte plus la situation. Tout d'abord de part la précarité dans laquelle elle se retrouve avec des avenants signés au fur et à mesure, sans garanties, plutôt qu'un contrat qui couvre toute la saison, comme cela est prévu par la loi.

Elle nous rapporte s'être progressivement rendu compte que son contrat n'était pas déclaré auprès de la FFF et que quelque chose semble clocher. Une prise de conscience et des revendications qui tendent les relations avec la direction de l'ASJ Soyaux et avec son entraîneur. L’ambiance ne cesse de se détériorer, avec des remarques récurrentes pour l’inciter à ne pas faire de vagues.

Mais dans cette histoire, Allison Blais n’est pas seule. À différents moments, elle estime avoir pu compter sur le soutien de ses coéquipières, à la fois pour comprendre la nature douteuse de son contrat mais aussi pour monter au créneau quand elles prennent conscience qu’Allison a été mise sur la sellette par la direction du club. C'est d'ailleurs en discutant avec certaines de ses coéquipières qu'elle découvre qu'elle ne serait pas la seule dans cette situation au sein de l'effectif sojaldicien.

 

Un cas isolé ?

 

Elle quitte finalement l’ASJ au mois de janvier, même si elle aurait reçu un courrier début 2018 de la direction de Soyaux qui ne comprend pas son absence à l’entraînement. Une manière de lui dire que c'est elle qui a pris l'initiative de rompre son contrat avec le club.

Pourtant, Allison Blais disposait d’une licence de joueuse amatrice. Selon les règlements de la FFF, sa situation n’est donc pas possible. Malgré tout, dans les clubs, des contrats avec des joueuses/joueurs sous statut amateur seraient aujourd'hui une pratique répandue. Théoriquement seules les joueuses de D1 (et de D2) sous contrat fédéral sont liées à leur club par un contrat. Un accord qui doit avoir obligatoirement pour date de fin le 30 juin de l’année où se termine le contrat en question (comme précisé dans le statut de la joueuse fédérale). Des contrats qui doivent aussi obligatoirement être homologués par la FFF.

Le cas d’Allison Blais aurait finalement servi de révélateur et d’autres joueuses pourraient être concernées au sein de l’effectif de Soyaux. Selon Allison, elles étaient « au moins 5 filles » dont elle-même à avoir ce type de contrat. Des situations mises en lumière par exemple par l’impossibilité d’effectuer un prêt dans un autre club de D1, comme pour Allison Blais qui a finalement rejoint Dijon en D2. C’est aussi, autre exemple, un transfert vers l’étranger qui aurait été empêché au dernier moment. Des situations qui seraient en bonne partie liées avec l’existence de ces contrats signés avec des joueuses de Soyaux.

 

Les moyens du bord ?

 

Aujourd'hui, Marylin Fort nous assure que tous les contrats des joueuses actuellement au club ont été prolongés jusqu'au 30 juin. Lorsque l'on interroge la présidente de Soyaux, elle ajoute que tous les contrats sont en « bonne et due forme » et en accord avec les lois en vigueur, et notamment celle du « 27 novembre 2015 ». Une loi qui dans son intitulé vise à « préserver l'éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs. »

Cette loi renforce les droits des sportifs et sportives de haut niveau, tout en rappelant que le CDD est la norme en terme de contrat dans le milieu du sport (à l'inverse de beaucoup de secteurs où c'est le CDI). Dans le cas du contrat d'Allison Blais, plusieurs dispositions introduites par la loi du 27 novembre n'auraient pas été respectées dans son contrat, aussi bien sur le fond (le football est sa principale source de revenus tout en considérant qu'elle n'est pas professionnelle) que sur des aspects plus formels.

Le fait qu'un club comme l'ASJ Soyaux se retrouve dans cette situation, dépasse la simple question des responsabilités des uns et des autres dans cette affaire. Une situation pour laquelle la FFF comme la justice pourrait être saisie. Dans la pratique, le club semble avoir cherché des moyens pour conserver ses meilleures joueuses même si les outils à sa disposition ne lui permettaient pas de le faire en toute légalité.

Flirter avec la ligne rouge quitte à la traverser par moments, une tentation alors que la D1 se veut plus compétitive et donc impose aux clubs de s'adapter ou de devoir s'effacer face à des structures qui disposent de plus de moyens. C'est aussi des facteurs plus conjoncturels comme la diminution du nombre de contrats aidés prévue par le nouveau gouvernement en 2017 et qui a limité un peu plus la possibilité pour le club de trouver du travail pour les joueuses qui ne disposaient pas d'emploi à côté du football.

 

Des conséquences difficiles à évaluer pour Soyaux

 

Ironiquement, cette problématique avait pu être soulignée par Siga Tandia, la capitaine de l'ASJ Soyaux, lors de la présentation de la D1 en début de saison, mettant en exergue les écarts importants de moyens entre ''les locomotives'' du championnat et des clubs plus modestes, comme Soyaux, qui n'ont pas la possibilité de s'aligner.

Aujourd'hui, si comme nous l'expliquait Allison Blais, d'autres joueuses de l'effectif seraient concernées par ces contrats, Soyaux pourrait effectivement subir des sanctions aussi bien financières que sportives, même si une éventuelle rétrogradation administrative n'est a priori pas sur le tapis.

Le principal risque est que Soyaux se voit retirer des points si des clubs déposent des réserves au moment des matches face au club de Charente, en mettant en doute le statut amateur des joueuses aujourd'hui sous contrat rémunéré avec le club. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé le week-end dernier avec une réserve déposée par le club de Fleury lors de la réception de Soyaux dans l'Essonne à l'occasion de la 14e journée de championnat.

Un ou plusieurs retraits de points qui pourraient au final coûter cher à Soyaux. Une décision qui appartient à la FFF et à laquelle pourrait s'ajouter des sanctions financières, des suspensions ou encore un refus d'homologation pour les nouveaux contrats fédéraux signés par le club.

Alors que la saison est encore longue, la balle est aujourd'hui dans le camp de Soyaux, qui devra trouver les moyens de sortir de cette situation par le haut. Une nécessité notamment parce que le club vit une année symboliquement forte de son histoire et de celle du football féminin en France dans laquelle l'équipe charentaise a une place particulière. C'est aussi, pour les joueuses qui composent l'effectif sojaldicien, savoir de quelle manière aborder cette fin de saison à risque, mais aussi le jour d'après, qui semble sur le moment un peu plus incertain.

 

Dounia Mesli & Hichem Djemaï

. La rédaction