Malgré les mauvais résultats récents de l'Allemagne, le limogeage de Steffi Jones sonne comme un coup de tonnerre. D'abord parce que c'est désormais le passage le plus court à la tête de l'équipe d'Allemagne et de très loin. Sa prédécesseure et ancienne coéquipière en sélection allemande, Silvia Neid, était restée onze ans à la tête de la Nationalmannschaft entre 2005 et 2016. Auparavant les deux précédents coachs avaient dirigé la sélection, respectivement neuf et quatorze ans.

 

À contre-courant

Un peu plus d'un an et demi après son accession au poste, Steffi Jones doit abandonner son rôle de sélectionneuse. Un court mandat qui avait suivi une lente transition. En effet, avant de reprendre le poste, elle avait été de longs mois assistante de Silvia Neid alors à la tête de la sélection. À ce titre, elle avait notamment pris part à la victoire de l'Allemagne aux Jeux Olympiques de Rio.

Avec son départ, et la nomination provisoire de Hrost Hrubesch, c'est également la première fois depuis les Jeux d'Atlanta en 1996 que l'équipe d'Allemagne sera dirigée par un homme. Un changement paradoxal, alors que plusieurs sélections de premier plan ont récemment nommé des femmes à leur tête.

C'était d'ailleurs une tendance lourde, puisqu'en septembre 2017, six des équipes du top 10 au classement FIFA étaient dirigées par des femmes, sans compter l'Angleterre où l'intérim, après le limogeage de Mark Sampson, était également assuré par Mo Marley, sélectionneuse des U19 anglaises.

Une évolution qui pourrait être battue en brèche, au moins partiellement, sous la pression des résultats, avec nombre d'équipes qui vont jouer dans les prochaines semaines des matches décisifs pour leur qualification vers le prochain Mondial.

 

Steffi Jones était déjà en sursis

Pour Steffi Jones, l'aventure s'arrête d'abord pour des raisons sportives. A l'issue de l'élimination de l'Allemagne en quart-de-finale du dernier Euro, Jones aurait pu, à l'instar d'Olivier Echouafni en France, prendre la porte. À l'époque, le président de la fédération allemande Rheinard Grindel, avait renoncé à un changement de coach constatant notamment que « l'équipe était derrière elle ». Un soutien des joueuses qui aurait donc assuré un sursis à la sélectionneuse et ancienne internationale allemande.

Les mois qui ont suivi ont conforté les dirigeants de la fédération allemande dans leur volonté de tourner la page. La défaite historique face à l'Islande en éliminatoires de la Coupe du monde puis la quatrième place de l'Allemagne lors de la SheBelieves Cup 2018 ont scellé le sort de Steffi Jones.

Un tournoi américain où le bilan est pourtant plus contrasté, avec des blessures qui ont miné le secteur défensif allemand : Babett Peter blessée lors du premier match face aux États-Unis, Leonie Maier laissée sur le banc face à l'Angleterre et la France, deux joueuses habituellement titulaires. On peut ajouter les absences de Kristin Demann, Carolin Simon ou encore Simone Laudehr qui peut jouer au milieu et en défense.

Pour le dernier match face à la France, Steffi Jones avait semblé vouloir préserver son effectif à la fois de par le contenu du match avec une Allemagne plus ''timide'' qu'à l'accoutumée mais aussi avec le choix de faire évoluer des joueuses comme Johanna Elsig, Sara Doorsoun, Léa Schüller ou Jacqueline Klasen entrée à la mi-temps. Le meilleur match de l'Allemagne dans ce tournoi avait été signé face à l'Angleterre au niveau du contenu (nul 2-2), malgré une faiblesse évidente en défense face au jeu direct anglais.
 

Un management en question

Steffi Jones a-t-elle joué à fond le match suivant face à la France ? Ces choix lui ont en tout cas coûté sa place. Ironie du sort, Corinne Diacre apparaissait dans une position inconfortable après la défaite 4-1 face à l'Angleterre, un match où elle avait de nouveau fait des ''essais'' dans la composition et l'animation proposée par son équipe. Face aux États-Unis et à l'Allemagne, on était plus proche d'une ''équipe-type'' avec surtout un onze stable entre les deux matches. Un choix qui a notamment permis aux Bleues de faire oublier leur entrée en matière compliquée.

Au-delà de ses choix, Steffi Jones a peut-être aussi payé les polémiques hors du terrain et notamment celle provoquée par la non-sélection de Lena Goessling en novembre dernier. Au-delà des responsabilités, cette épisode a participé à fragiliser la sélectionneuse allemande, contestée ouvertement par Goessling avec le relais des médias allemands.

A l'époque, Jones était perçue comme fautive de ne pas sélectionner la milieu de terrain de Wolfsburg pour jouer face aux Bleues dans sa ville natale de Bielefeld. Sportivement, la suite a donné raison à Steffi Jones (victoire 4-0 face à la France), mais cet épisode est venu alimenter le procès en incompétence de la technicienne allemande.

 

Gagner et/ou faire des essais

Une capacité à manager son effectif et contenir les conflits à l'intérieur du vestiaire qui font partie des éléments essentiels pour un/une bonne sélectionneuse. Ce serait d'ailleurs l'une des forces de Jill Ellis. Elle est parvenue à se maintenir à la tête de la sélection US malgré un procès en incompétence similaire, qui l'avait mise sur la sellette après la défaite 3-0 des États-Unis face à la France lors de la SheBelieves Cup 2017. Ça et un titre de Championne du Monde conquis en 2015.

Un soutien et une capacité à ''tenir le vestiaire'' qui n'est pas suffisante, et Jill Ellis sait probablement que sa victoire lors de la récente SheBelieves Cup avec un dernier match sérieux face à l'Angleterre lui a offert un répit et permet de justifier ses très nombreux essais en sélection. Au total, une soixantaine de joueuses ont été utilisées par Ellis depuis l'élimination prématurée des USA lors des derniers JO.

Emily Lima, débarquée après moins d'un an à la tête de la sélection auriverde en sait quelque chose. Soutenue jusqu'au bout par le vestiaire, elle a pourtant été ''remerciée'' par la fédération brésilienne. En cause, des résultats alarmants en 2017 et notamment une série de trois défaites face à l'Australie dont un cinglant 6-1 au mois d'août lors du Tournoi des Nations.

Chargée d'assurer la transition vers la nouvelle génération des joueuses brésiliennes, son (court) mandat a mis en lumière le fossé qui se creuse entre le Brésil et les meilleures nations. Le retour de Vadao à la tête de la Seleçao est allé avec le rappel des anciennes, à commencer par Formiga qui avait pris sa retraite internationale fin 2016. Une manière après coup de reconnaître que le problème ne venait pas forcément de la sélectionneuse...

 

La crainte d'un déclin pour l'Allemagne

Comme beaucoup de sélections de premier plan, l'Allemagne vit une transition générationnelle et plus spécifiquement voit son leadership remis en cause sur la scène européenne. Une tendance lourde perceptible depuis au moins la Coupe du Monde 2015, et en partie masquée par le titre olympique obtenu en 2016. Un tournoi où l'Allemagne était pourtant loin d'apparaître comme l'équipe la plus séduisante.

L'Euro 2017 a été un brusque rappel de cette réalité et l'Allemagne n'est aujourd'hui pas assurée de disputer la prochaine Coupe du Monde. Dans cette optique, c'est un authentique match piège qui se profile pour la Nationalmannschaft début avril avec la réception de la République Tchèque. En amont de ce rendez-vous, la fédération allemande a donc estimé qu'une qualification pour 2019 serait plus probable et mieux préparée sans Steffi Jones plutôt qu'avec elle.

 

Comme Steffi Jones, Asako Takakura et le Japon sous pression ?

C'est une course de vitesse vers la Coupe du Monde et les Jeux de Tokyo de 2020 qui se joue, avec une élite du football féminin de plus en plus ouverte. Parmi ces nations majeures en transition, le Japon va faire face à un premier juge de paix dans les semaines à venir. Les Nadeshiko remettent leur titre continental en jeu lors de la Coupe d'Asie des Nations 2018 (4-22 avril) avec un premier duel attendu face à l'Australie dès la phase de groupes.

Pour Asako Takakura, sélectionneuse et première femme à diriger l'équipe du Japon, une contre-performance pourrait créer quelques remous du côté de la fédération nippone, après des résultats contrastés en matches amicaux. Élue entraîneure de l'année par l'AFC (Confédération Asiatique de Football) en 2017, elle pourrait donc jouer son place en 2018, même si sa légitimité à ce poste semble aujourd'hui incontestable...

Hichem Djemai