Après deux saisons aux États-Unis, et un titre de championne NWSL remporté avec Portland, Amandine Henry s'apprête à retrouver le maillot lyonnais dans quelques jours. Elle nous a accordé cet entretien à l'occasion de son retour en France et à l'approche d'une Coupe du Monde à domicile, où elle sera attendue et suivie. Une échéance majeure que la capitaine des Bleues veut aborder avec cet esprit positif, qu'elle a ramené d'Amérique avec elle.

 

 

Coeurs de Foot - Première question, comment se passe ton retour à Lyon, avec ce maillot de l'OL que tu vas de nouveau porter à partir de janvier ?

Amandine Henry - Ça se passe plutôt bien, je fais des entraînements. C'est vrai que je découvre quelques filles, presque la moitié du groupe qui a changé en un an et demi. Après, c'est facile de revenir parce que c'est un bon groupe, qui vit bien, et puis je suis entourée de bonnes joueuses sur le terrain, tout est plus facile.

Je n'ai pas voulu trop couper parce qu'après, c'est très dur de revenir. En plus je vais prendre la saison en cours donc j'avais envie de connaître l'effectif avant, de prendre quelques automatismes même si ça reste que des entraînements. C'est toujours mieux de s'entraîner avant de reprendre vraiment le championnat en janvier.

 

CDF - Ce retour à Lyon après tes deux saisons aux États-Unis avec Portland conclues par ce titre de championne NWSL. Qu'est-ce que tu retiens de ce titre et de tes deux ans là-bas ?

A.H. - Le titre en lui-même, c'était vraiment un aboutissement sur une merveilleuse expérience. Je pense que c'était peut-être la plus belle expérience de ma vie. Que ce soit sur le terrain ou en dehors, j'ai vécu des choses inoubliables, j'ai rencontré de très belles personnes, j'ai découvert une nouvelle langue, une nouvelle culture, même une autre façon de jouer et de travailler. Donc oui, le titre, c'était vraiment un aboutissement et la cerise sur le gâteau.

 

CDF - Dans le staff de Portland, vous aviez Nadine Angerer. J'imagine qu'elle a dû apporter beaucoup au groupe. Quel rôle jouait-elle auprès de vous et peut-être pour toi en particulier ?

A.H. - En tant que joueuse déjà, c'était vraiment un symbole fort dans une équipe. Et là, qu'elle soit coach, oui, c'était vraiment un relais pour nous. En plus, elle est européenne, donc elle savait comment nous on jouait en Europe, voire en France. Et aux États-Unis, il faut forcément un temps d'adaptation parce que c'est du jeu direct. Donc j'étais contente de l'avoir et c'était un soutien pour moi. »

 

CDF - Comment s'organisait la vie du groupe, le quotidien en dehors des matches ?

A.H. - C'était un management complètement différent. On est un peu plus responsables [de nous-même]. On s'habille comme on veut, on mange comme on veut, on voit qui on veut, on sort quand on veut. Tandis qu'en France, on est un peu plus dans notre bulle, on est souvent en groupe, on doit presque tout le temps être ensemble. [Aux États-Unis], c'est comme tu veux. Pour eux, la finalité c'est sur le terrain, mais la façon dont tu te prépares, il s'en fiche complètement.

 

CDF - On a l'impression que l'un des domaines dans lequel tu as progressé c'est au niveau de l'état d'esprit...

A.H. - Oui, cette expérience m'a permis de mûrir et de positiver. Là-bas, ils sont toujours positifs. Au début, j'ai eu du mal parce que même quand je faisais des mauvais matches, on me dit : « Non, tu as très bien joué » et je leur dis : « Non, j'ai mal joué ! (rires) Il faut me le dire quand même ». C'est toujours basé sur le positif. Et c'est vrai que quand on pense positif, je me suis rendue compte qu'on est mieux et je trouve que le groupe vit mieux. Je vais essayer de le garder parce que c'est important.

Je sais quand j'ai mal fait. Maintenant, j'ai assez de maturité pour dire : « Oui, j'ai mal joué. Oui, il faut que je progresse sur ça ». J'ai besoin qu'on me dise : « Allez, ça va aller ! T'inquiète pas » plutôt que : « Attention ! T'es pas très bonne, qu'est-ce qui t'arrive ? ».

 

CDF - Et c'est important pour toi en tant que joueuse d'avoir un environnement « positif », sans pression ? En incluant là-dedans les critiques qui peuvent venir de l'extérieur et notamment des médias...

A.H. - Après chacun est différent, mais personnellement, j'ai besoin de bons soutiens plutôt que de la critique. Et je pense que pour beaucoup de joueuses, c'est pareil. Pour l'instant, les journalistes ont plutôt été gentils avec moi (rires). Après, le dernier Euro avec l'équipe de France n'a pas été facile. On a pris beaucoup sur nous, et j'étais super contente de repartir après cet Euro parce que c'était un échec. Et [donc] j'étais super contente de repartir et de pouvoir retrouver mon petit cocon.

Ils attendaient beaucoup mieux de nous, et parfois quand on remet notre état d'esprit en jeu, c'est là que ça fait le plus mal parce qu'on a vraiment l'impression de se donner à 100 %, d'être à fond. Parfois, on ne va pas y arriver, mais ce n'est pas notre état d'esprit qui ne va pas être bon, c'est peut-être la manière ou l'image qu'on va dégager qui va donner cette impression.

C'était surtout après [l'Euro] que ça fait mal. Déjà nous, on avait notre déception personnelle parce qu'on avait pas été performantes. On avait été éliminées prématurément. Donc déjà tu as cette déception-là. Et en plus quand tu vois des critiques et tout ça, c'est pas facile. Mais en même temps, c'est notre job, on est exposées aux médias et on se doit d'accepter. Mais c'est pas facile.

 

CDF - Ton expérience aux États-Unis, et surtout partir de Lyon alors que le club gagne tout en ce moment, c'était une prise de risque...

A.H. - Oui, mais c'est ce qu'il faut dans une carrière. J'aurais pu rester à Lyon, jouer dans un fauteuil, dans les meilleures conditions mais j'avais besoin d'un petit challenge. Et puis, je pense qu'une carrière de footballeuse, c'est assez court et que cela aurait été dommage de me priver d'une belle expérience comme ça. J'ai eu une chance et une belle opportunité [et] oui, j'ai pris un risque mais j'en suis contente maintenant.

 

CDF - Est-ce que pour toi, d'autres joueuses françaises devraient justement tenter ce type d'expérience à l'étranger ?

A.H. - Je sais pas si elles doivent, mais en tout cas, je leur souhaite. Même si je n'avais pas gagné le titre, personnellement, humainement, [cette expérience] m'a apportée énormément. Après, au niveau du foot, je ne sais pas si je vais retenir que du positif parce que voilà c'est du jeu direct. Moi, j'ai été presque formée à l'OL et à Clairefontaine avec un jeu en possession [et] il m'a fallu un temps d'adaptation. Mais en tout cas, je le souhaite à n'importe qui, parce que ça permet d'obtenir une certaine maturité.

 

CDF - Portland et Lyon, ce sont deux clubs phares dans le football féminin. Qu'est-ce que tu retiendrais si tu devais les comparer ?

A.H. - C'est deux clubs ambitieux [chacun] à leur façon. Portland, c'est vraiment un club familial, [et] je pense que c'est aussi la culture américaine qui est comme ça. A l'OL, c'est vraiment professionnel, il y a beaucoup de concurrence. Tu sens plus la perfection à l'OL, tandis qu'à Portland, c'est plutôt familial, comme je le disais tout à l'heure, tu loupes un match on va te dire : « C'est pas grave », tandis qu'ici, il y a du monde derrière et tu n'as pas le droit à plusieurs chances.

 

CDF - Au milieu avec Portland tu formais un binôme avec Lindsey Horan. Lindsey est une joueuse qui s'illustrait dans l'impact, être agressive, et toi plus dans un rôle de « régulatrice »...

A.H. - Oui, c'était ça. Lindsey, elle a un gabarit un peu plus important que moi du coup je la laissais un peu plus sur les duels. Après, je pense que Portland m'avait recruté aussi pour ça. Ils voulaient que j'amène aussi cette petite touche de possession et de technique. Du coup, le coach me disait souvent : « Prends le ballon et c'est toi qui gère. Tu vois un peu s'il faut temporiser, s'il faut aller de l'avant ». C'est ce qu'on me demandait aussi. Après Lindsey, j'étais contente de l'avoir à côté de moi de temps en temps (rires).

 

CDF - Aujourd'hui, avec les retraites internationales de Louisa Nécib et de Camille Abily, l'équipe de France a justement perdu des joueuses avec ce type de qualités, et avec ce rôle de « numéro 10 ». Est-ce que tu te vois prendre ce rôle avec les Bleues ?

A.H. - Non, je reste vraiment dans mon élément. J'ai été formée numéro 6. Après, j'essaye d'apporter aussi offensivement mais je sais que je serai pas la numéro 10 de la future équipe de France. Je connais mes qualités et mes défauts. Après, c'est sûr que Camille et Louisa laissent un grand vide, mais je pense qu'il y a quelques jeunes qui progressent. Il faut leur laisser un peu de temps. On a du travail à faire, mais il reste un an et demi et je pense qu'en un an et demi, il peut se passer beaucoup de choses.

 

CDF - On a l'impression que Corinne Diacre essaye justement beaucoup de choses pour justement trouver des solutions dans ce domaine. Mais c'est difficile pour l'instant...

A.H. - Oui, elle essaye beaucoup de choses. Après, on a joué l'Allemagne, la Suède, l'Angleterre, l'Espagne, c'est pas des petites nations non plus. Et je pense que sur les résultats, on s'en sort pas trop mal. Si on m'avait dit, tu changes pratiquement toute l'équipe et puis tu fais ces résultats, je signe direct, à part l'Allemagne (rires).

 

CDF - Aujourd'hui, tu es une joueuse importante en Équipe de France, un long chemin depuis ta première sélection en 2009. Est-ce qu'il y a un moment où tu as eu le sentiment de t'être installée, d'avoir gagné ta place avec les Bleues ?

A.H. - On est jamais vraiment installée. Parfois avec certains coachs, ça va aller, d'autres non, et ça peut aller très vite. On loupe une compétition, un match ou deux, et puis derrière ça pousse et il y a de la concurrence. Donc on se dit, il faut toujours prouver. Après je sais que maintenant, j'ai un rôle de cadre, de capitaine, c'est à moi de montrer l'exemple. Après, un moment... Dès qu'on te donne ta chance, tu as des responsabilités, et il faut y aller. Mais il y a pas un moment dans ma carrière où je me suis dit, là je suis indispensable.

 

CDF - La Coupe du Monde 2019 en France approche. Est-ce que vous pensez que l'équipe de France sera attendue, à la fois pour la victoire finale et avec le fait que ça se déroule à domicile ?

A.H. - On sait qu'on est attendues ! De toute façon, on sait qu'on est attendues à toute les compétitions et alors le fait que ce soit en France, ça va être décuplé. Après, je pense que notre motivation sera la même. Le fait que ce soit en France, il y aura peut-être nos proches à côté de nous et ça va nous permettre aussi peut-être de passer un cap et de remporter ce premier titre, je l'espère.

 

Photo : Ryszard Dreger

Dounia MESLI