Avec la fin de saison, c'était l'occasion d'échanger avec Maéva Clemaron, arrivée l'été dernier dans l'Essonne après avoir longtemps porté le maillot des Vertes de l’AS Saint-Étienne. Formant une paire complémentaire avec Daphné Corboz dans le milieu de terrain de Fleury, elle fait partie des joueuses pour qui les portes de l'équipe de France se sont ouvertes avec l'arrivée de Corinne Diacre. Retour sur une saison riche entre course au maintien, maillot bleu et un peu d'architecture.

 

Coeurs de Foot – Pour commencer, est-ce qu'il y a un aspect que tu retiens en particulier dans cette saison avec Fleury ?

Maéva Clémaron – Déjà pour moi, ce n'était que des choses nouvelles, un nouveau club, un nouveau projet, un nouveau challenge, une nouvelle équipe, tout [était] nouveau. Je vais tout retenir, mais oui plus précisément, le fait de s'être maintenues et le parcours aussi pour se maintenir. C'est vrai que les 7 premiers matches, on a connu 7 défaites, et au final on a commencé la saison au bout de [ces] sept matches.

On a mis du temps à se mettre dedans, mais on s'est accrochées et on s'en sort très bien. On n'a pas lâché mentalement et on s'est construit tout au long de la saison. Au final, on décroche notre objectif qui est le maintien.

C'était le premier objectif de cette saison, pour moi en tout cas avec le club. Après, j'ai eu la chance d'avoir des récompenses en plus du travail qu'on a fourni toutes en club, une récompense un peu plus individuelle avec la sélection. J'en suis ravie, c'est une chance que j'ai eue et qu'on m'a donnée. C'est motivant et ça donne encore plus envie de travailler pour la suite.

 

« Il nous a fallu ce temps-là pour que tout se mette en place »

 

CDF – C'est vrai qu'il y a eu ce début de saison difficile avec 7 défaites, puis cette première victoire face à Marseille. Qu'est-ce qui a permis selon toi de sortir de cette spirale ?

M.C – [Je pense qu'il] faut déjà parler de ce qui a fait que c'était comme ça. Déjà pour commencer, on était une équipe où personne ne se connaissait, on avait des blessées, qui n'étaient pas encore sur le terrain et qui pouvaient prétendre à être titulaires. On avait des filles [qui manquaient], notamment Salma [Amani] qui purgeait encore son carton rouge.

On n'était pas encore calé au niveau du recrutement donc je pense que ça vient aussi du fait que l'équipe n'était pas encore au complet. Il fallait aussi un temps d'adaptation avec les filles déjà là. [Elles] ont fait monter le club de D2 à D1. Elles ont eu ce mérite, et pour elles-aussi, il fallait un temps d'adaptation pour se mettre « au niveau » de la D1 et des ingrédients qu'il faut mettre en D1.

Je pense que ce sont toutes ces petites choses, ces facteurs-là qui nous ont manqué et qu'on a réussi à avoir en gardant l'objectif de se maintenir et l'objectif collectif. Il nous a fallu ce temps-là pour que tout se mette en place et on a eu la chance de le mettre en place contre Marseille, et de réussir à se faire plaisir toutes ensembles.

Je pense que c'est une de nos qualités collectives. On ne fait pas tout bien, on n'est pas parfaites sur le jeu, mais on essaye de produire du jeu, on essaye d'avoir le ballon. Et quand c'est comme ça, et qu'on travaille avec un jeu en possession, on prend beaucoup de plaisir. Pour ma part, cette saison, j'ai réussi à reprendre du plaisir dans le foot [alors que] c'est quelque chose que j'avais perdu sur la fin de saison avec Saint-Étienne.

 

« On a réussi à récupérer les points

qu'on avait laissé sur les premiers matches »

 

CDF – Par la suite vous avez réussi à enchaîner les résultats, réaliser de bonnes prestations. On a l'impression, un peu comme Marseille la saison dernière, que vous avez réussi à enclencher la dynamique après les difficultés du début

M.C – Il a fallu du temps. Mais après, à partir de là, sur la deuxième partie de saison, on a joué 15 matches [à partir de la victoire à Marseille], et sur ces 15 matches, on est à quatre défaites, dont deux gros, Paris et Lyon et deux faux-pas, contre Albi et Rodez au match retour. Donc au niveau des stats, on a réussi à récupérer les points qu'on avait laissé sur les premiers matches et c'est qui a fait qu'on a pu s'en sortir, je pense.

C'est vrai qu'on a fait un peu le même parcours que Marseille la saison dernière mais bon, nous, on a pas eu la chance de finir quatrièmes donc on va pas s'emballer non plus.

 

CDF – Et, un peu cerise sur le gâteau, il y a eu ce nul contre Montpellier (1-1). Plus généralement, sur la phase retour vous n'avez pas été à la rue dans vos confrontations avec Lyon et le Paris Saint-Germain.

M.C – Oui, c'est vrai. Même s'il y a eu la défaite, on a essayé de proposer un contenu à peu près cohérent, je pense à Lyon surtout, parce que Paris je pense qu'on aurait peut-être pu un peu mieux faire [même] si on a fait une meilleure deuxième mi-temps [contre le PSG].

Dans le contenu, on a essayé de jouer. Contre Lyon, en tout cas, c'est ce qu'on a essayé de faire. Prendre du plaisir tout simplement.

 

« [Avec Daphné] on se complète pas mal et je pense que ça a dû porter ses fruits sur le terrain »

 

CDF – Sur cette idée de « retrouver du plaisir », est-ce que tu penses que ton association avec Daphné Corboz au milieu devant la défense, a participé justement à ce que tu retrouves du plaisir sur le terrain ?

M.C – Je pense qu'on est un binôme qui se complète, par rapport au jeu, à l'identité que veut avoir Fleury. On essaye de faire du mieux possible. Parfois on tente et on fait bien, parfois on se remet en question parce qu'on a l'impression qu'on aurait pu être meilleures mais en tout cas je pense qu'on se complète assez bien.

Elle a un rôle un peu plus de 8, relayeur entre Salma et moi avec la ligne arrière. Et moi, plutôt de 6 “sentinelle” derrière qui ferme un peu plus, qui reste un peu plus en place, qui garde un peu plus l'équilibre. Parfois, je me laisse aussi la possibilité de faire ce qu'elle fait, et elle de faire ce que je fais. Donc, même si on a plutôt une tendance toutes les deux, on se complète pas mal et je pense que ça a dû porter ses fruits sur le terrain. On a essayé de faire du mieux possible.

 

CDF – On a l'impression que votre binôme fait partie d'un secteur axial, de la défense jusqu'à l'attaque qui est l'une des forces de Fleury

M.C – C'est vrai qu'on a une colonne vertébrale assez calée, assez rodée et c'est vrai que c'est intéressant pour nous. Dans l'axe [en défense] que ce soit Tel et Léo [Teninsoun Sissoko et Léonie Multari], on a Marine Haupais qui peut aussi beaucoup apporter. Au milieu de terrain, on a Daphné et moi puis Salma, puis Claire. Et même quand Claire est un peu sur le côté, et qu'on a Sarah Palacin devant ou Foulie [Julie Rabanne] quelques fois, à chaque fois ça restait intéressant. Je le ressens aussi un peu comme ça en tant que joueuse.

 

CDF – J'en parle aussi parce qu'à l'inverse, tu avais évoqué pendant la saison le fait qu'il y avait besoin que le jeu passe peut-être plus sur les côtés. Est-ce que tu as le sentiment qu'il y a eu une évolution sur cet aspect-là au fil de la saison ?

M.C – C'est vrai qu'on l'avait déjà pointé du doigt, je crois après le match face à Albi. Après, il faut vraiment qu'on garde en tête que c'est une force, justement d'avoir une colonne vertébrale sur le terrain. Mais [aussi], ne pas oublier que le plan de jeu et l'idée de jouer en possession passe aussi par [le fait de] jouer par les côtés, que ce soit dans la construction, [sur les aspects] conservation/progression mais aussi la finition. C'est important de garder ça en tête.

Ça a été une des faiblesses, mais il faut que ce cas de figure arrive très rarement. Il faut qu'on le prenne en compte comme une force, et ça passe par le fait de passer par les côtés, travailler des séquences de jeu, des schémas préférentiels où on varie notre jeu et on retrouve ça.

 

« Il fallait se remettre en question tout de suite »

 

CDF – En fin de saison, il y a eu une alerte suite à cette défaite [3-1] à Rodez qui vous faisait retomber en position de relégable à deux journées de la fin. Est-ce qu'il y a eu une crainte de descendre à ce moment-là ?

M.C – Oui, il y a eu une crainte parce qu'on avait beaucoup créé. On avait réussi à prendre des points là où finalement on ne pensait pas forcément en prendre, même si c'était l'objectif. Ensuite contre un adversaire à qui on avait mis 2-0 au match aller, sur le match retour on trouve le moyen de perdre 3-1. Donc oui, il y a eu une crainte mais on s'est remises en question dès le lundi soir.

[J'ai] connu la descente l'année dernière avec Saint-Étienne, où il restait peu de matches pour faire les choses et se sauver. Et si on ne se dit pas les choses, si on ne sent pas que tout le monde, le club, le staff, les joueuses, tout le monde tire dans le même sens... S'il n'y a pas ça, pour moi, ça ne se passera pas très bien.

On a su toutes se sentir concernées, encore d'avantage après cette défaite, méritée, parce que clairement on ne méritait pas de gagner contre Rodez. Elles ont joué le match comme un match de maintien, nous on n'a pas su l'aborder [de cette manière]. Ce n'était plus un match de championnat, c'était un match de maintien, ça n'a rien à voir.

Rodez a l'expérience de ce genre de matches. Nous, on est toutes passées à travers, moi la première, sur ce match. Mais ce qui est bien, c'est qu'on a toutes su corriger ensembles collectivement après.

 

CDF – Pour les deux derniers matches (face à Guingamp et le Paris FC), est-ce que tu as justement pu mettre à profit ce vécu de la saison dernière avec Saint-Étienne ?

M.C – Clairement. Individuellement, ça m'a vraiment aidé. J'ai essayé aussi de le mettre un peu aussi au service du collectif donc de parler avec certaines joueuses, d'expliquer un peu qu'il fallait ne surtout pas se dire : « On verra au prochain match ». Il fallait se remettre en question tout de suite pour corriger la fois d'après.

C'est l'erreur qu'on a fait à Sainté l'année dernière. On se disait trop : « Il reste des matches, il reste des matches ». Sauf que les matches arrivent vite, que les résultats, au final, n'ont pas suivis et on s'est retrouvées en D2. Donc oui, j'ai essayé, déjà individuellement, de me servir de ce que j'avais vécu. On peut faire des erreurs, mais il y a toujours à apprendre de ses erreurs, et si on sait après utiliser ce qu'on a appris, c'est ce qui compte.

Certaines du groupe n'en avaient pas besoin, parce qu'elles connaissent aussi ça. Il faut que l'expérience serve. Elle sert toujours individuellement mais quand on peut faire profiter les autres, ou celles qui en ont besoin, il ne faut pas hésiter. C'est pour ça qu'on fait un sport collectif.

 

CDF – Finalement dans l'équipe, il y a beaucoup de joueuses qui ont déjà joué un rôle de leader dans leur équipe, qui ont porté le brassard dans leurs anciens clubs. J'imagine que ça doit se ressentir en particulier dans ces moments-là

M.C – C'est une chance d'avoir ces profils-là dans l'équipe. Beaucoup de filles ont l'expérience de la D1, ont connu ces situations-là, avec des rôles de capitaines ou de cadres dans l'équipe et je pense que c'est ce qui fait un peu notre force. Je pense qu'on a certains caractères, et il faut que ça nous serve sur le terrain avant tout.

Et sur la fin de championnat, je pense que ça nous a servi. Dans ces situations-là, si tu n'as qu'un groupe jeune, qui ne sait pas trop comment gérer... et c'était un peu le cas à Sainté parce que finalement on était un groupe assez jeune. On était peu à l'avoir déjà vécu donc c'était compliqué. Et au final [à Fleury], le fait d'avoir ces profils-là dans l'équipe, ça nous a servi.

 

«  Les minutes en sélection, je les prendrai toutes »

 

CDF – Pour aborder un autre sujet, cette saison a été l'occasion de tes premières convocations et ta première sélection avec l'équipe de France A. Est-ce que ta première convocation a été une surprise pour toi ?

M.C – C'était une surprise, mais c'était une très bonne surprise. Je l'ai pris comme quelque chose de positif, du plus, qui m'encourage à essayer d'être encore plus performante avec mon club et travailler pour progresser d'avantage, parce que j'ai forcément des axes de progression.

C'est quelque chose que j'ai pris un peu comme une récompense du début de saison, un plus, et j'en suis très heureuse. Ce n'est pas quelque chose que j'avais dans ma tête auparavant, ça c'est sûr. [Le fait que] Corinne Diacre m'ouvre les portes de la sélection, j'en suis ravie. Après, je continue à travailler, et on verra ce qui arrive.

 

CDF – Et cette première apparition en Bleue à Orlando pour la She Believes. Même si ce n'était que quelques minutes, comment est-ce que tu as vécu ce moment ?

M.C – Pour beaucoup de gens, ça aurait été court, cinq minutes, tout le monde dira que c'est rien. Mais moi j'ai trouvé que c'était déjà énorme parce que c'était ma première arrivée au sein du groupe France [Maéva avait connu sa première convocation en janvier, pour France-Italie. Blessée, elle avait dû attendre le rassemblement suivant pour pleinement intégrer le groupe, ndlr].

Même sans « jouer beaucoup », je n'ai fait qu'apprendre. Que ce soit avec le groupe, avec le staff, avec le quotidien de la sélection, les séances, avec l'exigence, avec le niveau, je n'ai fait que apprendre. Je l'ai aussi fait à la deuxième convocation [pour les matches amicaux face au Nigeria et le Canada en avril, ndlr], je pense que c'est ce que je ferai tout le temps, car c'est quand même de l’expérience du haut niveau que l'on engrange.

J'ai essayé de faire du mieux possible et me donner à fond pour le groupe. Les minutes en sélection, je les prendrai toutes, je travaillerai pour les prendre toutes, quelle qu'elles soient.

Déjà, faire partie du groupe, je pense qu'il y a beaucoup de joueuses qui aimeraient ne serait-ce qu'y aller une fois. C'est mon cas, j'ai eu cette chance. Tout le reste, ce sera du plus et je travaillerai pour faire du mieux possible. Les cinq minutes, c'était un super moment.

 

« Mon mémoire de Master en Architecture portait sur la fonction que peut avoir un stade au sein des villes »

 

CDF – Ton apparition dans le groupe France a été l'occasion de faire découvrir une autre facette de ta vie, l'architecture puisque c'est ton métier, après avoir obtenu ton diplôme l'année dernière. Est-ce que cela fait que tu as un regard différent quand tu rentres dans un stade, notamment pour les matches que tu joues pendant la saison ?

M.C – Oui, après je pense qu'il y en a d'autres qui ont peut-être ce regard. L'architecture, je la vois tous les jours autour de moi. C'est ce qui fabrique notre espace, de toute façon, on ne peut pas l'éviter. Même la nature, elle est architecturée, l'Homme a mis sa main partout.

Et c'est vrai que du coup quand on va dans des stades, en championnat ou en sélection où on a eu la chance de jouer dans des stades, à Rennes, au Mans... j'avais les yeux grands ouverts. C'est des choses auxquelles je fais attention.

En plus, mon mémoire de Master en Architecture portait sur la fonction que peut avoir un stade au sein des villes. Tout le travail, il était autour de l'équipement architectural qu'est le stade, donc c'est vrai que je fais pas mal attention.

Et je note des choses, que ce soit en terme de structure, comment sont organisés les vestiaires. Parce que finalement en tant que joueuse, je fais le parallèle : « Qu'est-ce qui nous manque ? De quoi on a besoin dans un vestiaire ? », des petites choses mais ça nourrit ma façon de penser l'architecture. Parfois j'en parle à mes coéquipières, il y en a [certaines] qui sont sensibles à ça et à qui je peux en parler.

 

« L'architecture, elle est là pour donner de bonnes émotions aux gens »

 

CDF – Est-ce que tu peux nous donner un exemple d'aspects qui te paraissent importants justement dans la conception d'un stade, aussi en partant de ta propre expérience de joueuse ?

M.C – En tant que joueuse, je dirai que c'est plus le ressenti du terrain qui compte. L'architecture, elle est là pour donner de bonnes émotions aux gens. Le but c'est que l'Homme soit bien dans un espace. Donc la question c'est : « qu'est-ce qui fait, en tant que joueuse, qu'on se sent bien dans un espace comme le stade ? ». Il y a la proximité du terrain, mais il y a aussi la proximité du public. Le fait que les tribunes soient plus ou moins loin, le fait qu'on entende les gens nous soutenir.

Un stade comme Geoffroy-Guichard, le stade de l'OL, beaucoup de stades maintenant sont construits comme ça, ou l'exemple des stades en Angleterre où le public, les supporters sont hyper proches du jeu. Et ça c'est cool, c'est une bonne sensation. Tu sens que tu es porté, que tu ne fais qu'un avec le stade.

 

CDF – Et au sein du club, avec le président, est-ce que c'est un sujet dont vous avez déjà parlé ? Notamment pour l'avenir, si le club veut construire par exemple des installations, ou éventuellement un nouveau stade.

M.C – On en a déjà un peu parlé. Éventuellement, il sait très bien que si demain, il veut monter un complexe sportif, des vestiaires, un stade, quoi que ce soit, il sait très bien qu'il peut me missionner. Je ne pourrais pas travailler toute seule, parce qu'aujourd'hui, je n'ai pas encore assez d'expérience pour mener ce genre de projets toute seule. Mais je travaille pour une agence qui pourrait le faire, et avec qui je pourrais le travailler.

J'espère qu'il pensera à moi. Il sait que ce serait même un plaisir. Si on parle travail, pour n'importe quel club, ce serait un plaisir, [et] si Pascal [Bovis] m'appelle demain [pour un projet], je décrocherai, pas de problème.

 

Photo : Maya Mans

Hichem Djemai