​A la tête de l'équipe de France B, le travail de Jean-François Niemezcki est dans l'ombre de Corinne Diacre, mais primordial pour développer la pratique et le niveau chez les internationales françaises. On a échangé à ce sujet, sur les prochains défis de la B et de sa vision du football féminin.


 

Coeurs de Foot - Racontez-nous ce match contre le FC Fleury (mercredi 22 novembre et gagné 7-0) ?

Jean-François Niemezcki - Plutôt satisfait. Par rapport au rassemblement d'octobre où on avait été mis un peu en difficulté par la VGA Saint-Maur. Là on est tombé sur une équipe de Fleury qui a joué et ça nous a ouvert pas mal de possibilités de jeu. Et on a fait notamment une très très bonne première mi-temps sur le plan de l'animation offensive. Maintenant on est dans une période de l'année où c'est très difficile pour les filles parce qu'elles commencent à être fatiguées. J'ai eu trois filles qui ont été plus ou moins touchées sur le poste de défenseur. Je partais avec une défense un peu diminuée mais les filles se sont très bien comportées, j'ai fait les changements à la mi-temps et j'ai dû mettre des filles qui jouaient plutôt offensif sur les postes défensifs, ce qui m'a permis de voir ces filles dans d'autre registre, donc ça c'est le côté positif. Déjà, mettre sept buts à une équipe de D1 ce n'est pas rien. Bien sûr il y a un décalage [entre la D1 et la B] mais je les remercie d'avoir joué le jeu. On a été assez bon sur le plan offensif, ça m'a permis de voir et de revoir certaines filles.

C'est vrai que la stratégie qu'à Corinne [Diacre] (avec le turn over en A), moi ça me permet de lui montrer les jeunes qui peuvent s'aguerrir ou à l'inverse reprendre quelques filles qui ont besoin d'un peu de temps de jeu en-dessous et de montrer qu'elles peuvent aussi de pouvoir (re)figurer au-dessus. J'avais une équipe qui était bien équilibrée, où j'ai découvert deux nouvelles joueuses (Daphné Corboz et Kim Cazeau) c'est toujours positif. Et puis devant avec l'armada que j'avais, c'est un peu normal qu'on (puisse mettre) met sept buts. Même sur le banc j'avais une attaque de D1, et une bonne attaque de D1. Trois buts de Valerie Gauvin qui a confirmé que c'était une tueuse devant le but. A elle maintenant, de démontrer qu'elle est capable au plus haut niveau de reproduire ce type de prestation. Et comme je l'ai dit, les filles se sont,quand même montrées, notamment sur l'animation offensive. J'ai découvert Daphne Corboz, qui m'a fait une excellente impression pour sa première sélection et qui mérite sans doute d'être revue à ce niveau-là. Maintenant l'objectif, c'est de donner la cassette et un compte rendu à Corinne [Diacre] pour qu'elle puisse également en tirer ses conclusions. Je pense que, à partir de là, elle a fait une grosse revue d'effectif depuis son arrivée.


 

Coeurs de Foot - On a l'impression quand même qu'en équipe de France B, vos joueuses se posent moins de questions qu'en A ?

J.N. - C'est clair. Mais c'est normal, et beaucoup plus facile pour moi et pour elles, quand elles jouent en B, universitaire ou espoir avec moi, nous n’avons pas la même pression du résultat. J'essaye de les mettre dans les meilleures conditions, avec, en plus, un rapport de force qui est quand même différent que quand tu joues l'Allemagne ou la Suède avec tout le respect que j'ai pour Fleury. Voilà c'est quand même plus facile [pour l'équipe de France B donc pour les filles] pour s'exprimer. Ce que je demande aux filles à minima dans ces matches là c'est de donner le maximum d'elle même et surtout d'oser et d'entreprendre. Parce que justement quand on arrive au plus haut niveau, ce n’est pas toujours facile. On veut toujours faire le mieux possible, ne pas perdre le ballon, hors là ce que je leur demande, c'est d'être audacieuses mais toujours dans l'intérêt du collectif parce que je ne suis pas là pour que les filles se mettent en avant, uniquement sur le plan individuel.

Les différences individuelles de temps en temps, il faut en faire mais toujours avec et à travers le collectif. Je pense que ce sont des valeurs qu'on partage avec Corinne [Diacre]. Donc moi je suis hyper satisfait de l'état d'esprit des filles qui arrivent, qui ne connaissaient pas le groupe et qui s'intègrent très bien et rapidement. Ceci est valable, aussi pour les filles qui redescendent [de la A], y'a pas d'état d'âme, elles essayent de montrer le meilleur d'elle-même, elles se livrent et pour moi c'est très sain. Je dirais que ça peut être générateur d'une émulation saine, qui peut amener à une efficacité et à des choix pour Corinne [Diacre] qui seront beaucoup plus larges.


 

Coeurs de Foot - Comment vous faites pour voir passer autant de joueuses et de devoir recréer l'harmonie entre elles, les automatismes ? Ce qui est difficile à comprendre dans les turns-over, mais ça fonctionne très très bien en équipe de France B.

J.N. - Parce que de mon côté, je ne suis pas attelé à un système de jeu. Par contre j'insiste toujours sur les principes de jeu qu'il faut avoir, pratiquement universels et qu'on retrouve dans le football en général. Et je leur demande d'insister sur ces principes. Après je vais te dire, quand tu as des bonnes joueuses c'est beaucoup plus facile de les faire jouer ensemble. Donc là, j'avais été en difficulté sur la première mi-temps quand on a joué le FF Issy parce que ça n’a pas voulu tourner... Ce qu'il faut donner aux filles, c'est de la confiance. Souvent à ce niveau-là, les doutes nuisent à l’expression optimale de la joueuse, c'est juste un manque de confiance en elles. Moi je suis là pour leur donner confiance. Elles respectent le cadre, elles respectent les règles et à partir de là je leur donne des libertés pour justement s'exprimer.


 

Coeurs de Foot - Est-ce qu'on s'adapte à ses joueuses ou on garde ses mêmes bases stratégiques, quand on est coach de l'équipe de France B ?

J.N. - Moi je suis un coach par définition qui s'adapte. C'est à dire que pour moi, dans mon contexte bien entendu, je vois les individualités et après je me dis "Comment je vais pouvoir faire jouer, dans quel système je vais pouvoir les faire jouer, dans quelle animation, je vais faire jouer ces filles pour qu'elles s'expriment au mieux ?". Des fois ça réussit, des fois ça rate mais c'est plutôt à moi à ce niveau là à m'adapter aux filles pour qu'elles soient en capacité de montrer ce qu'elles ont. Ca serait complètement différent si j'avais des matches à couperet, des matches dans des compétitions où il faut que j'ai des résultats. Là si je me plante, mon équipe n'est pas en danger. Donc c'est à moi de m'adapter mais toujours en respect des principes qui sont immuables au plus haut niveau.


 

Coeurs de Foot - Vous devez vous séparer en plus de vos meilleures joueuses, qui partent donc en A. Je sais que vous avez encore un oeil sur elles d'ailleurs comme Amel Majri ou encore Marion Torrent... Dans quel état d'esprit vous êtes en fait à chaque fois lors de ces rassemblements ?

J.N. - Moi je suis dans un état d'esprit positif face à ce constat. C'est formidable, pour moi, de croiser le groupe de l'équipe de France A et voir ces sourires, ces regards, cette complicité. Parce que, mon rôle, mon objectif, c'est de les amener au-dessus. Elles savent qu'elles n'y répondent pas toutes forcement de suite, mais à elles de montrer qu'elles peuvent le faire, et on leur en donne l’occasion. Elles savent que de toutes façons et si on pense, Corinne [Diacre] dans un premier lieu et moi dans un second, que ces filles-là peuvent à un moment rejaillir et rebondir, elles savent qu'elles pourront bénéficier de cette seconde chance. Mais pour moi contrairement à ce qu'on peut croire, quand je "perds" une fille, c'est quand j'essaye de la faire repasser en A et que malheureusement ça ne le fait pas pour des raisons x ou y. Je pense par exemple à Pauline Crammer, qui a toujours eu un potentiel d'attaquante hors norme et puis elle a fait un autre choix de vie... 


 

Coeurs de Foot - Oui Pauline Crammer, je sais qu'elle nous a offert la victoire à l'Euro U19 en finale contre l'Angleterre avec l'égalisation de Rose Lavaud en 2010.

J.N. - Oui mais bien sûr, mais tout à fait (sourire). Pour moi c'est toujours une satisfaction quand on arrive à tendre la main à une fille pour qu'elle puisse rebondir au plus haut niveau.


 

"Ce sont des sacrifices d'être athlètes de haut niveau"


 

Coeurs de Foot - C'est une joueuse qu'on aimerait bien revoir en équipe de France, déjà avec la B.

J.N. - Pauline a toutes les cartes entre ses mains. C'est une question de motivation, il faut qu'elle retrouve un niveau athlétique qui soit correct. Pour elle avec sa vie de maman maintenant, c'est trois à quatre mois de sacrifices pour redevenir une athlète de haut niveau. Est-ce qu'elle en a envie, est-ce qu'elle en est capable ? Ça c'est autre chose. Maintenant ce sont des choix de vie, je ne juge pas, mais par contre elle a un potentiel d'attaquante dans ses pieds qui est hors-norme. Quelques fois la petite déception que j'ai, c'est que je n'ai pas su lui donner l'étincelle qui a fait qu'elle se sublime pour re-vouloir repasser.
Des joueuses comme Marion Torrent ou encore Ines Jaurena qui arrivent sur le tard, c'est juste fabuleux, ce sont des filles saines donc voilà c'est toujours un plaisir.


 

Coeurs de Foot - Alors on avait déjà évoqué quand on s'est vu à Clairefontaine de vos prochains rendez-vous, mais est-ce que c'est officiel aujourd'hui ?

J.N. - On est sur l'Istria et la Manga, on attend l'officialisation et la confirmation. L'Istria va me mettre en situation parce que là je ne suis plus dans les matches d'opposition. Moi si j'ai un tournoi faut que je le gagne, voilà ! Je me mets dans cette posture-là parce que de toute façon si elles vont au-dessus [en A] c'est ce qu'on va leur demander [de gagner tous leurs matches]. Et je leur met toujours devant les statistiques de l'équipe de France B, où on est à plus de 75% de matches gagnés parce que ça doit être une culture [de la gagne]. Pour moi quelque soit l'équipe de France, ça doit être une culture.


 

Coeurs de Foot - Alors vous m'avez parlé de Daphné Corboz qui a un gros passé avec des clubs comme Manchester City (Angleterre) ou encore Sky Blue (Etats-Unis) et moi j'avais envie d'avoir votre avis sur Kim Cazeau, qui vient d'Albi, qui est un club 100% amateur. C'est leur première joueuse en équipe de France, donc j'aimerai bien avoir votre sentiment sur cette joueuse.

J.N. - Elle a un gros potentiel, elle va vite, ça c'est une qualité au plus haut niveau devant qui est juste énorme. Je pense qu'elle a un super état d'esprit. C'est une fille qui est capable de bosser. Et elle a une marge de progression encore énorme. Moi elle m'a rendue une copie tout à fait honorable. J'aurai aimé qu'elle ose un peu plus sur certaines choses mais c'est normal parce qu'elle vient d'arriver, elle n'a pas de "passé" [en sélection]. Bon, en plus elle n'a eu qu'une mi-temps pour me montrer, ce n'est pas évident. Moi je suis satisfait de son comportement, pas déçu de son niveau parce qu'il fallait la voir [en sélection]. Maintenant y'a la concurrence donc il faut se bouger. Mais elle n'a pas été impressionnée, elle a montré ce qu'elle avait à montrer. Même si par moment, je pense qu'il faut qu'elle gagne en efficacité. Mais je suis très content de ce qu'elle a montré sur ce stage.


 

"On se remet en cause pour progresser"


 

Coeurs de Foot - J'ai échangé à ce sujet avec elle, comme on a pas pu voir le match. Elle m'a dit de son côté qu'elle n'était pas très contente d'elle-même. Elle est très très dure avec elle-même, parce qu'elle n'a joué qu'une mi-temps et en l'ayant vu jouer en club, on voudrait avoir votre avis surtout.
J.N. - Je sais mais c'est aussi une qualité d'être exigeante avec soi-même, et c'est ce que je leur ai dit, il ne faut pas non plus se flageller, on se remet en question, on se remet en cause pour progresser mais il ne faut pas commencer à buter ou à se dire trop de choses négatives. L'objectif c'est de gagner de la confiance. Elle y a été, ça veut dire qu'elle a envie de revenir. Et pour toutes, je leur dis à chaque fois, ça passe aussi par des prestations dans leur club. Si elle est arrivée là, c'est parce que je l'ai vu quand elle était venue jouer contre Lille. Ca m'a été confirmé par les gens qui l'ont vu, donc elle n’est pas là par hasard. Corinne [Diacre] aussi l'a vu sur un match. A elle après de saisir sa chance, si elle est rappelée dans les futurs rassemblements. Mais c'est une fille qui ne m'a pas déçue, ça c'est clair.


 

Coeurs de Foot - Ca fait plaisir tout de même de voir qu'il y a un vrai turn-over en équipe de France A, j'ai l'impression que c'est gagnant. Là, j’entends ici et là des critiques sur les choix de Corinne Diacre qui a fait un turn over assez important et avec des joueuses qui ne sont parfois pas si prête que ça au niveau international par manque d'automatismes notamment - surtout face à l'Allemagne (défaite 4-0) - mais c'est pourtant cela qu'il faut faire ? Il faut prendre des risques.
J.N. - Elle a un objectif Corinne [Diacre] comme la plupart d'entre nous, si on peut l'y aider, c'est gagner la Coupe du Monde 2019. Si à un moment elle prend des filles qu'elle ne fait pas jouer, on va lui reprocher aussi de toujours tourner avec les mêmes. Vous savez le poste de sélectionneur, je commence à voir que ce n’est pas facile. Quelque soit les choix que l’on fasse, bien souvent on est critiqué. Et là elle n’a pas choisi la facilité, elle n’a pas pris des matches faciles, mais elle a donné la chance à des filles de se montrer. Maintenant je pense qu'elle va réussir avec ces choix, qu'elle va commencer à travailler sur son projet de jeu. Moi je suis persuadé que cette revue d'effectif était de toute façon inéluctable si on voulait redonner de l'oxygène et un nouvel état d'esprit à cette équipe. 
Ce qui est bien c'est que les joueuses se battent pour gagner leur place dans l'équipe et ça c'est très sain.

 

Photo : Soccer Network, LLC

Dounia MESLI