Après avoir échangé avec une "nouvelle" Bleue, Ouleye Sarr, nous avons rencontré Eugénie Le Sommer à Clairefontaine. La Lyonnaise aux 141 sélections et 61 buts en équipe de France A, connaît bien la sélectionneure - nommée fin août - Corinne Diacre, ancienne adjointe de Bruno Bini de 2007 à 2013. L'attaquante revient sur certains événements marquants de sa carrière, son poste sur le terrain mais aussi sur ce dernier Euro. Un échec difficile à comprendre pour celle qui gagne tout en club. Entretien. 

 

Comment as-tu vécu la nomination de Corinne Diacre au poste de sélectionneure de l'équipe de France ?

Déjà c'est une surprise, parce qu'on ne s'attendait pas du tout à un changement de sélectionneur. Donc oui j'ai été un peu étonnée de l'annonce. J'ai déjà eu l'occasion de travailler avec Corinne Diacre et j'attends de voir ce que ça va donner.

 

Quels souvenirs tu gardes de ces moments passés avec Corinne Diacre ?

Ca se passait plutôt bien, elle était beaucoup dans la correction. Elle était là surtout pour qu'on s'améliore sur le plan défensif, ça se passait bien et elle animait bien les séances. En dehors (du terrain), c'est quelqu'un de très rigoureuse et sérieuse.

 

Hier, on était à sa conférence, on a écouté un peu ce qu'elle a dit et un journaliste lui a posé une question sur les attaquantes qui ne marquaient pas assez. Elle a dit que "si les attaquantes ne marquaient pas, c'est parce qu'il n'y avait pas d'animation défensive." Est-ce que tu es d'accord avec elle ?

Tout est lié dans le football j'ai envie de dire. Moi je n'ai jamais pris ça comme une attaque personnelle, quand on m'a dit qu'on ne marquait pas assez de buts. Moi je sais ce que je suis capable de faire et je sais aussi que dans une équipe il n'y a pas que les attaquantes qui marquent des buts. Tout le monde a un rôle à jouer pour marquer un but. C'est pas « on dit à l'attaquante de marquer et elle marque.» Derrière il y a tout un travail, notamment défensif, mais aussi de passes et de dernière passe, c'est un tout. Oui dans un sens je suis assez d'accord avec ce qu'elle dit. Quand on a une bonne assise défensive après on peut être plus libérées dans le jeu offensif.

 

Ce sont des choses qui sont reliées. Comme l'a dit Diacre "le football est un sport collectif" donc tout est liés ?

Exactement. Comme quand on prend un but, on va pas dire « c'est de la faute des défenseures », non, c'est toute l'équipe.

 

Aujourd'hui, comme on l'a vu à l'Euro 2017, les équipes qui gagnent ont une ancienne internationale à leur tête. Est-ce que toi tu accordes une importance à voir Corinne Diacre (à la tête de l'équipe de France) ?

Moi je parlerai plutôt de compétences, que forcément d'anciennes joueuses. Après forcément elle connaît le football féminin mieux qu'un homme, parce qu'elle y a joué et elle a entraîné pour l'équipe de France (elle était l'adjointe du sélectionneur Bruno Bini, ndlr). Après je ne sais pas si c'est la recette pour gagner, je l'espère en tout cas (sourire). Je pense qu'il y a d'autres coaches qui ont réussi sans être passés par le football féminin.

 

Toi tu penses que c'est un plus, qu'elle soit passée par l'équipe de France ?

Je pense qu'elle doit apporter d'autres choses et d'autres compétences et...

 

Et une autre vision ?

...oui et aussi une autre vision. Mais c'est sûr que ça peut aider oui.

 

Là pour l'instant ça ne fait que deux jours qu'elle est en place. Toi tu l'avais connue sous l'ère Bruno Bini (2007-2013). Qu'est-ce qui change avec Diacre, par rapport aux anciens coaches ?

Il n'y a pas de révolution (sourire), c'est pas « tout ce qui s'est passé avant on le jette ». Non. Pour l'instant c'est difficile à voir, mais elle a apporté encore un peu plus de rigueur supplémentaire.

 

Sur le plan psychologique elle a apporté quelque chose aussi non ? C'est-à-dire qu'elle connaît un peu plus ce que vous "ressentez" peut-être, sur et en dehors du terrain ?

Oui après c'est dur à dire, on est arrivées qu'hier, donc pour l'instant je n'ai pas assez de recul encore pour m'exprimer sur ce sujet. Après elle a amené une nouvelle dynamique on va dire et beaucoup d'ambition, beaucoup d'envie de réussir, comme l'avait fait avant Echouafni. Voilà c'est un nouveau point de départ et on verra ce que ça va donner (sourire). Peut-être qu'au prochain stage j'aurai plus de choses à vous dire.

 

L'arrivée de Corinne Diacre renvoie aussi à une époque où l'équipe de France avait de meilleurs résultats ?

Oui c'est vrai que nos deux meilleurs résultats, les demi-finales de Coupe du monde 2011 et les demi-finales du Tournoi olympique en 2012, ont eu lieu lorsqu'elle était dans le staff. Après il y a eu aussi deux échecs, notre Euro en 2009 (éliminées en quarts de finale par les Pays-Bas 0-0, 5 tirs au but à 4, ndlr) et l'Euro 2013 ( éliminées en quarts de finale par le Danemark, 1-1, 2 tirs au but à 4). Mais là j'espère qu'on sera plus sur la dynamique de la Coupe du monde 2011 et des JO 2012 du coup (sourire).

 

« Dans le travail, dans l'envie on avait mis tous les ingrédients. »

 

Est-ce que cette nomination de Diacre ne renvoie pas à une certaine nostalgie ? A la Coupe du monde 2011 ?

Non on n'est pas nostalgiques. On a juste envie de regoûter à la victoire. Moi je sais que c'est une compétition qui m'a beaucoup marquée (la Coupe du monde en 2011, ndlr) et où j'ai vécu des super moments. Je pense à la qualification en demi-finales contre l'Angleterre (1-1, 4 tab à 3), ça reste un moment inoubliable. Voilà après on a aussi envie de gagner un titre et d'avoir une médaille, on ne va pas s'arrêter non plus à une demi-finale. C'est un super résultat mais j'espère qu'on ira encore plus loin.

 

Pour revenir un peu sur l'Euro 2017, je sais que tu n'aimes pas vraiment ça mais il y a une statistique qui ressort et qui est que tu n'as marqué qu'un seul but en quatre matches. Comment tu peux expliquer aujourd'hui cette difficulté que vous avez rencontré, à marquer ?

(Elle fait la moue) C'est difficile à expliquer. Honnêtement quand je suis sortie de l'Euro je ne savais pas ce qui n'a pas marché. Moi j'ai eu le sentiment que tout le staff et les joueuses ont travaillé pour ça, franchement on a tout donné, à chaque entraînement on était à fond, on n'est pas sorties de notre hôtel, on était vraiment concentrées (…) on a jamais eu la même composition d'équipe sur chaque match... Dans le travail, dans l'envie on avait mis tous les ingrédients. En tout cas c'est mon sentiment.

 

A Lyon en attaque tu es en binôme avec Ada Hegerberg. On ne retrouve pas forcément un binôme similaire en Bleues. Est-ce que c'est quelque chose qui pénalise un peu l'équipe de France ?

(Elle réfléchit longuement) Bah...oui c'est sûr que offensivement à Lyon on réussit mieux nos actions, il y a beaucoup plus de complicité. Forcément aujourd'hui c'est ce qui manque en équipe de France mais j'ai envie de le retrouver. Donc après j'essaie de faire au mieux, j'essaie de combiner avec les filles qui sont autour de moi. Après en équipe de France c'est aussi une autre philosophie de jeu. On ne joue pas forcément dans nos clubs comme on joue en sélection. Mais ce qui compte c'est de tout donner, de trouver des automatismes. J'espère retrouver en sélection ce que je vis en club.

 

On a l'impression aussi que depuis des années, il y a des "erreurs" et c'est difficile d'en tirer des leçons...

(Elle coupe) Oui on dit toujours qu'après un échec il faut s'en servir pour rebondir. Oui je suis assez d'accord. Je ne sais pas ce qu'on pourra tirer de cet Euro. Mais en tout cas il faut tout donner pour ne pas avoir de regrets. Après je pense qu'on n'a pas assez bien débuté notre compétition pour se mettre en confiance. Il y a des fois où on est en difficulté dans les phases de groupe et derrière on est meilleures. Là ça n'a pas été le cas (…) il n'y a pas de vérité. A Corinne et son staff d'analyser ce qui a été, ce qui n'a pas été. Ils ont pu observer les matches de l'Euro. On verra (sourire).

 

« Chaque année avec la sélection
j'essaie de me dire que ça va être la bonne. »

 

J'y étais et de mon ressenti, les seules 15 minutes où vous avez été au niveau de la She Believes Cup, c'était face à la Suisse (1-1), les quinze dernières minutes. Et c'est toi qui a apporté cette hargne, je m'en souviens très bien. C'est toi qui amène le coup-franc de l'égalisation et de la qualification en quarts, avant la réalisation de Camille Abily.

Je ne sais pas si c'est moi, mais en tout cas je sais que je ne voulais pas en rester là et qu'il fallait tout donner pour revenir dans le match. Il fallait aller de l'avant, il fallait marquer, on n'avait pas le choix. Il n'y avait pas de calcul à faire. Moi j'ai essayé d'amener ce que j'ai et oui j'ai amené le coup-franc (de l'égalisation, ndlr). Après j'aurais aimé amener plus encore.

 

Comme tu l'as dit, Echouafni a changé beaucoup de fois le onze de départ. Donc ça a joué quand même ?

Oui après c'est vrai qu'on manquait encore d'automatismes. Pourtant on avait quand même eu un an pour se préparer, même si des filles avaient été blessées. Finalement un an c'est peut-être peu de temps. Mais après je pense qu'on a aussi notre part de responsabilité, peut-être pas chacune individuellement mais on aurait sans doute pu faire mieux collectivement, au moins sur les trois premiers matches de poules. Mais en fait on avait aussi l'impression qu'à chaque fois il y avait un truc contre nous. Pourtant on a essayé à chaque fois de se relever, de rien lâcher jusqu'au bout. Mais ça n'a pas suffi. Peut-être aussi parce qu'on a laissé trop d'énergie en matches de poule et qu'après c'était plus difficile psychologiquement de revenir comme lors du match contre l'Angleterre (défaite en quarts de finale 0-1).

 

Il y avait aussi la suspension de Wendie Renard contre l'Angleterre, qui a forcément joué ?

Oui forcément, parce que c'est un élément important dans l'équipe, en plus d'être capitaine. C'est pour moi une des meilleures joueuses du monde à son poste. Je ne sais pas ce qui se serait passé si elle avait été là contre l'Angleterre mais elle nous a forcément manqué.

 

En club tu connais des moments très hauts et en sélection des moments très bas. Comment fais-tu pour gérer ces émotions contradictoires ?

Après l'Euro je n'avais qu'une envie c'était de retourner dans mon club, travailler, reprendre du plaisir, jouer des matches. Quand on aime le foot, on a envie de rebondir. Après, chaque année avec la sélection j'essaie de me dire que ça va être la bonne. On verra. En tout cas je n'aurai pas de regrets, j'aurai tout donné, j'y aurai cru jusqu'au bout. Il ne faut pas lâcher. On a connu beaucoup d'échecs mais il faut persévérer et j'espère que ça paiera.

 

Tu penses qu'on est dans le bon timing pour la Coupe du monde 2019 ?

Oui il était encore temps de changer. Comme la coach l'a dit, il reste vingt mois pour se préparer. C'est plus difficile quand il ne reste que six mois, on a du temps. Maintenant il va falloir bien s'en servir, j'espère que ça fonctionnera, qu'il y aura au moins un bon résultat et beaucoup de choses positives qui se seront passées.

 

« Oui j'aimerais bien vivre une expérience à l’étranger. »

 

Les cinq nouvelles joueuses appelées en équipe de France pour jouer l'Espagne et le Chili en amical (Théa Gréboval, Ouleye Sarr, Charlotte Lorgeré et Solène Durand, les championnes d'Europe 2016 chez les U19 Hawa Cissoko et Perle Morroni), ça va un peu chambouler l'effectif ?

C'est vrai qu'il y a beaucoup de nouvelles, ça amène une autre dynamique. Il faut voir les joueuses. Si on ne les voit pas, on ne peut pas les juger. C'est l'occasion de le faire, il nous reste du temps pour voir un maximum de joueuses, celles qui sont performantes en club, pour se donner le choix. Ca permet aussi d'avoir de la concurrence, je pense que c'est positif.

 

On voit Amandine Henry qui a fait le choix de partir à Portland aux Etats-Unis. Est-ce que c'est quelque chose que tu aimerais faire aussi à un moment donné ?

Oui j'aimerais bien vivre une expérience à l'étranger. Après je suis quand même dans le meilleur club d'Europe, j'ai beaucoup de concurrence à mon poste. Moi quand je suis arrivée à Lyon, j'avais 21 ans, il y avait Lotta Schelin, Sandrine Brétigny qui était la meilleure buteuse du club, et j'ai réussi à me faire ma place. Donc je ne suis pas du tout dans un cocon à Lyon, même si je joue beaucoup de matches. Ma place je la gagne et je ne bénéficie d'aucun « cadeau ». C'est parce que je travaille au quotidien, à l'entraînement. Chaque année il y a des nouvelles joueuses, des grandes joueuses et j'arrive quand même à jouer beaucoup de matches. C'est une satisfaction pour moi mais c'est grâce à mon travail et rien d'autre. Après ça fait longtemps que je suis dans ce club, on pourrait croire que je suis « planquée » mais pas du tout. Je travaille et on est récompensées car on gagne la Ligue des championnes. Mais c'est vrai qu'au niveau mondial j'aimerais bien vivre autre chose et vivre une expérience à l'étranger mais c'est plus du point de vue de l'enrichissement personnel. On verra.

 

C'est ce qui manque peut-être à l'équipe de France ? Quand on regarde les Pays-Bas qui ont gagné, ils ont des joueuses qui évoluent un peu partout ?

Oui c'est sûr ! Après je ne me sens pas forcément concernée par ça. C'est important de pouvoir jouer dans son club surtout, et dans un grand club. Moi j'ai eu la chance d'avoir du temps de jeu dans un grand club. Donc le rythme de la compétition je l'ai. C'est peut-être davantage pour des joueuses qui n'ont pas beaucoup joué dans leur club ou qui ne sont pas dans un club qui joue la Ligue des championnes par exemple.

 

Par rapport à vos deux matches qui arrivent (Chili et Espagne), vous avez analysé ces deux équipes ?

On n'est arrivées qu'hier donc on n'a pas encore parlé de nos adversaires. Mais je sais que le staff travaille dessus et qu'ils vont nous présenter ces deux adversaires pour bien préparer ces deux matches.

 

Ca peut paraître un peu surprenant de jouer contre le Chili non ?

Oui c'est vrai. Mais lors de la Coupe du monde on peut aussi jouer contre ce genre d'équipe. C'est un style différent de ce qu'on peut voir en Europe. Les Sud-Américaines ont un style de jeu particulier. Ce sont des filles qui ne calculent pas, qui vont vers l'avant et qui ne lâchent rien. La « grinta » elles l'ont. C'est donc une bonne chose de voir différents profils d'équipes. Et l'Espagne on les connaît quand même un petit peu. On les avait jouées l'année dernière (le 26 novembre 2016, victoire 1-0 avec un but d'Eugénie Le Sommer, ndlr). C'est une bonne équipe. Je pense qu'elles ont été déçues de leur Euro (élimination en quarts de finale par l'Autriche, 0-0, 3 tab à 5, ndlr). Mais c'est une bonne équipe et il faudra s'en méfier (sourire).   

 

 

Hichem Djemai et Dounia Mesli

Dounia MESLI