Entre un moment de collation, tout juste après le premier succès de l'équipe de France U16 face à la Suède (Nordic Cup 2017), nous avons contacté Cécile Locatelli. La sélectionneure des Bleuettes depuis 2015, qui a évolué six ans (1992 à 1998) sous le maillot tricolore au poste de défenseure, est notamment passée par le FC Lyon, avant de basculer Olympique Lyonnais lorsqu'elle y jouait. La technicienne se confie sur son poste de formatrice de la future génération Bleue et sur l'élite du championnat français, qui prend d'année en année plus d'envergure. On a également pu évoquer l'Euro 2017, qui attend l'équipe de France A aux Pays-Bas (16 juillet - 8 août).

 

Coeurs de Foot - Pour revenir un peu en arrière, nous avons été étonné de voir que l'équipe de France ait terminé dernière (8e) lors de votre compétition en Italie à la Delle Nazioni en mai dernier. Comment l'expliquez-vous de votre côté ? C'est une déception tout de même ce tournoi ?

Cecile Locatelli - Oui c'est une déception, c'est vrai que cette équipe U16 à l'habitude de bien se comporter. Sur ce tournoi là, y'a eu un changement de formule. On est passé à deux poules de quatre équipes, donc ça nous faisait trois matches, plus le match de classement. Avec les deux derniers matches (Allemagne en poule, et Slovénie pour le match de classement), ça a été compliqué pour nous, parce qu'on avait pas eu de jour de repos [entre ces ultimes confrontations]. Sachant que sur notre dernière rencontre face à la Slovénie (défaite 1-0), c'était une équipe composée majoritairement de joueuses U17 et ça a été très difficile de finir le tournoi.

En plus de cela, on a eu un ou deux pépins physiques pendant la compétition et même avant de le débuter, lorsque j'ai fait la sélection. Il y'a eu aussi quelques forfaits de joueuses. Ma foi, c'est le lot d'une sélection U16, qui en terme de régularité sur ce challenge, n'a pas été performante. Après c'est aussi la jeunesse un petit peu qui veut ça. Malgré tout on a aussi manqué d'efficacité, parce que les occasions on les a eues, mais on les a pas mis au fond. C'est ce point là où la sélection pêche. Pour autant, on a pas perdu par de gros scores.

Si on reprend le match de cet après-midi contre la Suède (victoire 1-0), on doit gagner plus largement que ça parce qu'on a vraiment des opportunités, mais qu'on a pas concrétisées, et quand on y arrive pas, on est susceptible d'être contré et d'engendrer des défaites, même courtes. Donc voilà on a pas été efficaces sur ce tournoi en Italie, par rapport à l'efficacité offensive. 

 

Coeurs de Foot - Est-ce difficile de trouver l'équilibre entre plaisir à prendre chez les joueuses et le fait d'inculquer une certaine rigueur à cet âge-là de votre côté ?

C.L. - Tout à fait. L'idée pour nous [le staff] c'est de continuer sur la formation et de proposer un vivier assez large à l'équipe de France U17 [entraînée par Sandrine Soubeyrand], qui a elle, des compétitions [majeures] et d'essayer le plus de joueuses possible à potentiel, pour favoriser bien sûr les associations [entre les profils]. De proposer des joueuses à certains postes, de débroussailler un petit peu le terrain de cette équipe de France U16, notamment avec la Nordic Cup, qui très vite derrière, dès le mois de septembre, enchaîne un stage et les qualifs pour le championnat d'Europe U17. Donc voilà il faut arriver à travailler sur une saison et à présenter un groupe qui est compétitif pour les U17.

C'est à la fois la continuité de mon travail, que je fais en pôle parce que ça permet de voir aussi si la formation que tout le monde fait en pôle et dans les clubs est performante et ça nous permet d'être au niveau international. Ca sert aussi aux jeunes filles de s'évaluer individuellement par rapport aux autres nations. Moi j'aime bien l'équipe U16 pour ça, parce que ça me permet de continuer mon travail de formatrice.

 

"Les matchs internationaux, ça vaut tout l'or du

monde en terme de formation"

 

Coeurs de Foot - Il s'agit de ne pas trop les brusquer j'imagine, parce qu'on sait que les filles réagissent plus émotionnellement que les garçons dans le football ? C'est quelque chose que vous prenez en compte, que vous devez prendre en compte ?

C.L. - Oui oui de ne pas les brusquer, certes, mais elles se rendent vite compte que le niveau international est exigeant. Souvent on a des filles qui ont des déclics par rapport à ça et qui prennent en maturité grâce aux sélections. On a fréquemment des retours de collègues de pôles ou de clubs à ce sujet. Ça fait aussi franchir des étapes [la sélection]. Les matches internationaux, ça vaut tout l'or du monde en terme de formation, donc il faut continuer sur ce principe là et travailler dans la continuité de ce qui se fait toute l'année dans les clubs et les pôles.

 


"Ce n'est pas par rapport à des clubs

que j'identifie la sélection"

 

Coeurs de Foot - On a aussi cette impression que votre équipe est vraiment hétéroclite, vous avez des joueuses qui viennent pour la plupart de clubs différents. Il n'y a pas de noyau dur comme on peut le voir chez l'équipe de France A et qui rend la cohésion parfois compliquée.

C.L. - Oui, non mais parce que tout le monde travaille bien en formation et qu'il y a aussi parfois des filles qui sont en mixité. Dans mon groupe par exemple, j'ai Clara Moreira, j'avais la petite Naomie Feller, malheureusement qui est encore blessée. J'ai des filles qui sortent de mixité et qui signent pas forcément dans des clubs majeurs, mais qui continuent leur formation tranquillement. Ce n'est pas par rapport à des clubs que j'identifie [mon choix pour] la sélection, c'est par rapport à la valeur des filles. Voilà, elles prennent de l'expérience et on essaye de les amener à maturité pour la sélection d'après en tous cas.

 

Coeurs de Foot - Dans une interview, vous aviez dit quand vous avez fait cette transition du FC Lyon à l'OL, que "l'OL nous donne les moyens d'évoluer". Les moyens parfois ça ne suffit pas toujours, ou peut être qu'on n'est pas au courant des finances de certains clubs, quand on voit l'ASSE redescendre en D2, à l'inverse d'Albi par exemple qui lui est resté, non déplaise aux détracteurs, c'est quand même incompréhensible ? Le manque d'intérêt ça a cassé les joueuses de Saint-Etienne on a l'impression.

C.L. - (Réfléchit) Le passage du FC Lyon à l'OL, bien sûr qu'on a eu plus de moyens et notamment en terme de structuration et aussi en terme humain, c'est indéniable. Après derrière c'est aussi les idées des hommes et des femmes à l'intérieur du projet, qui est important. Mais c'est indéniable que lorsqu'on a plus de moyens, on travaille un peu mieux. Y'a surtout le projet qu'on met en oeuvre derrière, qu'il y ait une harmonie entre tout ça. Il faut qu'il y ait une cohérence. Voilà le sens de mon propos.

L'ASSE c'est un club que je connais bien, c'est un club qui fait du très bon travail en terme de formation. Après voilà ils ont quand même une structure qui leur permet de bien évoluer, mais maintenant c'est sûr qu'il faudrait que le projet passe à une deuxième étape, peut-être pour qu'elles puissent évoluer un peu plus sereinement. J'espère qu'elles vont remonter très vite en D1, parce que je pense qu'une équipe comme Saint-Etienne, c'est aussi par rapport aux garçons, un club qui est porteur de pleins de valeurs. Mais je pense quand même que le club a fait beaucoup pour le football féminin, mais il n'a pas su passer la deuxième étape du projet. Maintenant voilà il faut être patient et puis reconstruire petit à petit.

 

Coeurs de Foot - Quand on voit Juvisy qui va se faire racheter selon certains médias comme le Parisien par le Paris FC, on se dit d'un côté que ça devient "enfin" obligatoire la professionnalisation ? C'est une façon de "gommer certaines carences" comme vous aviez dit, de passer au statut professionnel ? Même pour des joueuses que vous entraînez avec l'équipe de France U16 par exemple ?

C.L. - Ce n'est pas que c'est "obligatoire". Pour moi c'est un passage qui va devenir maintenant un petit peu obligé parce qu'en terme de moyens financiers, on sait que si on veut rivaliser avec les meilleurs, il faudra s'y projeter. Le football féminin a pris une direction vers le professionnalisme avec des clubs comme Montpellier, le PSG, comme l'Olympique Lyonnais. Donc on peut être pour, on peut être contre, chacun peut avoir son avis, sauf que le foot féminin grâce à ces formidables locomotives se développe. Il se développe aussi parce qu'il y a des petits clubs qui travaillent et qui sont à la base [de la pyramide]. Je pense que c'est comme tout, il faut un équilibre entre tous ces clubs, mais en tous cas pour le championnat de D1, je pense que maintenant, oui il faut que les clubs pros prennent possession un petit peu des sections féminines et que ça soit bien fait. C'est pas tout de rayer les anciennes sections féminines de la carte.

Je pense que voilà, essayer de travailler comme ça s'est passé avec le FC Lyon et l'Olympique Lyonnais, tout comme Bordeaux et Blanquefort, il faut faire les choses intelligemment, ne pas évincer les anciens staffs, les anciens dirigeants mais plutôt les incorporer, les emmener dans un projet cohérent. Mais je pense que financièrement maintenant si le Football Féminin veut encore évoluer et je vous dis dans la direction qu'il a pris, c'est inéluctable. Enfin je vois pas comment on peut revenir en arrière. Après il faut que les choses soient faites intelligemment, parce qu'il faut que tout le monde s'y retrouve, pour qu'on ait une élite forte et qu'on soit bien représenté aussi sur la scène européenne.

 

Coeurs de Foot - Parce que même pour des joueuses que vous formez en équipe de France U16 comme vous nous l'avez dit, ça ne peut être que prolifique pour elles, ça va les stabiliser dans leur formation, leur donner un cadre ?
C.L. - Oui oui oui, après à l'intérieur des clubs, il faut que les projets pour les jeunes soient aussi cohérents, suivis, adaptés et qu'on leur fasse pas miroiter n'importe quoi. Il faut des équipes d'entraîneurs, d'encadrants, qui sont aussi en contact avec la réalité et qui sont aussi très formateurs, pour que les jeunes puissent prendre le temps de mûrir dans leur catégorie, avant de griller des étapes.

 

Coeurs de Foot - Pour reparler des U16, ce dimanche vous affrontez l'Islande et mardi la Finlande. Est-ce qu'on a déjà une idée sur le jeu de ces deux équipes dans votre staff, ou c'est difficile quand même de se faire son opinion dans cette catégorie d'âge ?

C.L. - Alors c'est toujours [compliqué] (essoufflement). C'est vrai que c'est moins facile que dans les autres catégories, parce qu'on a pas beaucoup d'éléments "d'analyses". Mais y'a certaines sélections, qui ont des catégories U15, donc on arrive à avoir quelques informations. Mais c'est vrai que d'une année à l'autre, quand on a l'habitude d'affronter certaines nations, on connaît les styles de jeu. Et quand on arrive sur la Nordic Cup c'est un peu plus facile, parce que comme la plupart des équipes participent à des tournois UEFA, et qui sont filmés, donc on arrive à récupérer des images, des séquences où on parvient à voir quand même. Comme ce vendredi face à la Suède, on a pu travailler sur des vidéos, on a pu voir les points forts, les points faibles, les coups de pied arrêtés... Je dirais maintenant qu'on avance et que la Fédération sous l'impulsion de Sandrine Soubeyrand qui a pris la responsabilité des sélections nationales des jeunes chez les féminines, franchement on a mis en place depuis quelques temps un gros travail de suivi sur toutes les sélections U16/17/18/19. Ça avance bien (sourire).

 

"Quand on participe à une compétition

c'est pour la gagner"

 

Coeurs de Foot - L'année dernière (2016) au Danemark, vous aviez terminé troisième. J'ai aussi appris que ça faisait trois ans que vous n'aviez pas participé à ce tournoi, la Nordic Cup, si je ne me trompe pas ? Donc là vous comptez avoir plus d'ambition que l'année dernière je suppose, mais ça va être compliqué tout de même ?

C.L. - Oui tout à fait. 
L'année dernière, on a fini à égalité dans la poule avec la Norvège et c'est elle qui est passée à la différence de buts, pour jouer la finale contre l'Allemagne. Nous on a joué, la troisième place contre les Pays-Bas. On avait fait un bon tournoi, une très très bonne saison avec cette équipe U16. Cette année, l'équipe a peut être un peu moins d'individualités, mais en terme de collectif elle répond bien. Après nous quand on participe à une compétition c'est pour la gagner, mais y'a pleins de paramètres qui entrent en jeu. La Nordic Cup, à part les invités qui sont l'Allemagne et les Pays-Bas, il n'y a que des équipes scandinaves, qui ont attaqué [leur saison] il n'y a pas longtemps donc elles sont un peu plus fraîches que nous, parce que nous on est en fin de saison, même si elles ont eu un programme individuel... Mais l'ambition en tous cas, c'est oui de gagner ce tournoi. Surtout de continuer à travailler, pour livrer cette équipe U16 l'année prochaine à Sandrine Soubeyrand dans un bon état de marche et avec le plus de combinaisons possibles, de réponses possibles pour être la plus performante possible en U17.

 

Coeurs de Foot - Vous voulez créer des automatismes et des binômes avec les U16 pour la suite ?
C.L. - Tout à fait. On insiste sur des principes de jeu pour qu'elles arrivent en U17 avec des acquis et qu'elles n'aient plus qu'à rentrer dans le moule de l'équipe, en gros. C'est ça aussi la formation, c'est de leur apprendre une variété de choses pour qu'elles puissent s'adapter à chaque système de jeu. Nous on a la chance avec l'équipe de France U16 de pouvoir manipuler l'équipe un peu plus facilement et largement que quand on est en compétition officielle. Notre rôle aussi c'est de pouvoir les faire débuter toute au moins une fois pour voir comment elles réagissent en tant que titulaire, et en tant que remplaçante également. C'est différent mais en tous cas sur la Nordic Cup, on arrive aussi plus dur en terme de coaching, pour qu'elles puissent comprendre que dès le mois de septembre, ça sera un niveau d'exigence encore plus haut, pour qu'elles puissent être appelées en U17.

 

"[Les Bleues ont] l'expérience pour arriver

à faire un résultat"

 

Coeurs de Foot - Ma dernière question, elle concerne les Bleues. Allez-vous commenter l'Euro cet été ? Comment sentez-vous cette équipe de France A ?

C.L. - (rires) Alors non je ne la commenterais pas parce que je suis dans le staff des A [avec Olivier Echouafni], donc je ne pourrais pas commenter avec Eurosport. 
Je la sens très bien, c'est un groupe qui vit bien. Je sens des filles heureuses de venir en sélection et très demandeuses en tous cas, très réceptives. Tout est mis en place pour faire une belle performance sur cet Euro. Maintenant, je l'ai dit tout à l'heure, il va falloir être efficace dans tout ce qu'on va entreprendre et dans tout ce qui va être offensif, parce que voilà c'est une équipe qui parfois a du mal à être décisive dans les moments clés. C'est sur ça qu'il va falloir travailler, mais en tous cas je pense que sincèrement cette équipe a ses qualités, le mental, l'expérience pour arriver à faire un résultat. En tous cas, moi qui ai eu la chance de commenter plusieurs compétitions internationales, il se trouve que cette équipe fait peur, les gens ne comprennent pas pourquoi elle ne gagne pas, parce que vraiment je pense qu'il y a toutes les qualités pour y arriver. Donc j'espère qu'on va arriver à trouver la bonne formule cette fois pour parvenir à remporter un titre.

 

Coeurs de Foot - Oui parce qu'on a souvent reproché aux Bleues leur manque de mental, aujourd'hui on peut dire qu'il est au beau fixe, c'est plutôt le jeu rapide et peut-être le jeu en une touche de balle qui fait encore défaut ? Ce sont deux points qu'on a pourtant vus à merveille face aux Etats-Unis, avec une victoire 3-0 et le sacre de champion de la She Believes Cup pour la seconde édition du tournoi. C'est vraiment le match qui a ébloui tous les supporters.

C.L. - Oui oui. Non mais je pense que ce sont des filles qui ont largement les capacités, en terme de potentiel individuel et collectif. Le score contre les Etats-Unis, le reflète, elles sont capables de pleins de choses. Maintenant faut arriver dans une compétition officielle, ce qui est plus dur, de réitérer [ce résultat de la She Believes Cup]. Mais je pense que toute la préparation tend à cela, et depuis qu'Olivier Echouafni a pris la tête de l'équipe, elle est montée en puissance. Alors certes il y a eu des matchs, un peu moins intenses où il a fait des essais, mais c'est normal qu'il veuille voir un petit peu ce que tout le monde a dans le ventre. Je crois que voilà on est dans une préparation cohérente et on sait que quand les filles se sont retrouvées elles avaient plaisir de se rassembler entre elles, en équipe de France. Y'a une très bonne ambiance dans le groupe. Y'a peut-être certains déclics, certains matchs comme celui face aux Etats-Unis, qui vont peut être y concourir, en tous cas je l'espère de tout coeur. 

Dounia MESLI