Avant les deux matches au sommet entre Lyon et Paris, c'était l'occasion d'échanger avec Ashley Lawrence. Les grands rendez-vous, elle connaît, elle qui a vécu une Coupe du Monde à domicile au Canada et remporté le bronze aux derniers Jeux Olympiques au Brésil. Reconvertie en latérale elle est devenue l'une des joueuses de couloir les plus redoutées de la planète. Une capacité d'adaptation qui trouve son point de départ dans un travail mental de tous les instants...

 

Coeurs de Foot – Vous avez joué le premier de vos trois matches samedi face à Lyon, qui est considérée actuellement comme la « meilleure équipe du monde » pour les clubs. Comment cela s'est passé pour vous sur le terrain ?

 

Ashley Lawrence – J'ai pensé que c'était une bonne chose d'avoir l'opportunité de jouer un match avec elles avant la finale de la Coupe de France et la finale de la Ligue des Champions. Il n'y a pas beaucoup d'équipes qui ont cette chance, et particulièrement de pouvoir les jouer à une date aussi rapprochée des autres matches. Donc, d'abord et avant tout, c'était la possibilité pour nous de jouer et de voir ce qu'elles avaient à montrer et pour nous comment avoir un impact sur elles et dans le match.

 

Donc c'était aussi important d'avoir cette séance vidéo après coup, hier et aujourd'hui, nous avons regardé ça avec toute l'équipe, repérer les marges de progressions mais aussi nos forces, comment nous pouvons les exploiter et obtenir la victoire. Après, sur le match en lui-même, nous voulions gagner, [perdre] 3-0 ce n'est pas quelque chose que nous voulions, mais nous savons que pour nous, c'était une opportunité pour apprendre et d'aller de l'avant pour se tourner vers ces deux derniers matches que nous avons [devant nous].

 

« Ça n'aurait pas de sens de fournir tout ce travail

et ne pas gagner de titres à la fin de la saison »

 

CDF - En France, les matches Lyon-PSG vont avec une certaine rivalité entre les deux équipes. Comment vous en parlent vos coéquipières et de quelle manière cette historique alimente la préparation des deux prochains matches ?

 

A.L - Il y a très clairement une histoire entre les deux équipes, et je pense que c'est important de le reconnaître, mais c'est aussi à propos de maintenant, le moment présent ce que nous pouvons contrôler et ces dernières années, les deux équipes ont changé aussi bien les joueuses, le staff et avec beaucoup d'ajustements.

 

Maintenant, nous devons nous concentrer sur l'équipe actuelle de Lyon et encore plus sur nous-même, nos forces. On ne peut pas s'inquiéter de manière démesurée de toutes les joueuses qui vont se présenter [face à nous]. Bien sur, nous devons identifier ce que nous sommes capables de neutraliser mais nous devons regarder du côté de ce que nous pouvons apporter sur le terrain et présenter la meilleure équipe possible.

 

Et c'est ça qui a été au cœur des échanges, des conversations parce qu'il y a deux grands titres en jeu, et c'est le sérieux tous les jours, nous ne prenons rien pour acquis. Nous avons fourni beaucoup de travail jusqu'ici, vous nous avez eu tout au long de la saison. Mais c'est pour ça qu'on joue, et ça n'aurait pas de sens de fournir tout ce travail et ne pas gagner de titres à la fin de la saison. Donc nous savons que c'est très important, nous sommes conscientes du passé, mais nous sommes concentrées sur le jour présent et sur ces deux derniers matches.

 

« Ils vont juste porter des maillots du Canada

et que le meilleur gagne »

 

CDF - Aux États-Unis, on a vu beaucoup de fierté autour de la présence d'Alex Morgan et de Carli Lloyd en demi-finale de la Champions League. Quel retour vous avez du Canada avec vous-même mais aussi Kadeisha Buchanan qui sera aussi en finale du côté de Lyon ?

 

A.L - Ils ont été plutôt bons. En ce qui me concerne, c'est positif de voir le développement du football féminin, et voir des joueuses comme Alex Morgan et Carli Lloyd qui jouent en Europe, de grands noms. Cela montre le développement des championnats à travers le monde. C'est excitant, c'est une époque enthousiasmante quand on est une joueuse de football. En ce qui concerne les encouragements et retours que j'ai pu recevoir du Canada, cela a été formidable, très sympa, en particulier l'histoire commune que nous partageons avec Kadeisha.

 

Le fait que nous jouons ensemble depuis que nous avons dix ans, et nous avons quasiment toujours été dans la même équipe pendant toute notre carrière. Donc oui, nous voyons beaucoup de soutien, des amis et la famille parlent à propos du match qui arrive. Ils disent qu'ils ne savent quelle équipe ils vont supporter (rires) Ils vont juste porter des maillots du Canada et que le meilleur gagne. Ce sont beaucoup de choses de ce genre, mais le soutien a été super pour ce qui est du Canada.

 

CDF - Vous avez eu l'occasion de regarder l'une des précédentes finales de la Champions League ?

 

A.L - Oui, j'ai regardé la dernière finale [Lyon-Wolfsburg] en live stream sur internet, je me souviens avoir vu le match. C'était très sympa, déjà de voir. A ce moment-là, je savais déjà que je voulais devenir joueuse professionnelle même si je ne savais pas encore où je jouerais. Mais L'Europe avait toujours été en bonne place dans mon cœur, donc de me retrouver ici et de jouer en finale, je suis très enthousiaste, honorée et reconnaissante. C'est aussi une grande opportunité pour le PSG.

 

« Cette impression d'être mise au défi chaque jour »

 

CDF - Pour parler d'un autre aspect, on voulait évoquer avec vous Ashley, de votre jeu et notamment de votre positionnement sur le terrain. Aujourd'hui vous jouez latérale, alors que récemment vous jouiez au milieu de terrain. Est-ce que vous pouvez nous parler de cette évolution ?

 

A.L - Tout d'abord, j'ai toujours été une joueuse offensive, en attaque ou au milieu de terrain et cela a toujours été une volonté de ma part d'être impliquée. Il y a deux/trois ans, l'équipe du Canada m'a proposé cette idée de jouer arrière latérale et bien sur au départ j'étais un peu décontenancée, effrayée parce que c'est une nouvelle position.

 

Je ne savais pas à quoi m'attendre mais j'ai très bien travaillé avec le sélectionneur, John Herdman, qui m'a fait confiance et a travaillé avec moi, aussi bien sur le plan défensif qu'offensif, et lentement mais sûrement j'ai pu me sentir plus à l'aise. Je pense que jouer au milieu de terrain m'a beaucoup aidé à me construire en tant que footballeuse, dans mon jeu aussi bien mentalement que physiquement.

 

Maintenant que je joue en position en arrière, à gauche, à droite, je pense que cela me permet de jouer le long de la ligne sur la largeur mais je peux aussi rentrer à l'intérieur pour ajouter une autre dimension. Et oui défensivement, cela a été en partie un défi, mais je me suis mise au travail et maintenant je suis plus à l'aise.

 

Ici par exemple, nous jouons principalement en 3-5-2 , c'est une formation à laquelle je ne suis pas habituée, je connais mieux le 4-3-3. Cela n'a pas l'air d'être une modification importante, mais ça l'est. Donc, j'ai cette impression d'être mise au défi chaque jour, et je suis prête à les relever car je sais que c'est ce qu'il faut faire pour pouvoir progresser, faire mes preuves, et me développer en tant que joueuse.

 

CDF - Le 3-5-2, c'est plus de terrain à couvrir sur les côtés, mais en même temps cela vous permet de garder ce côté offensif dont vous parliez ?

 

A.L - Oui le 3-5-2, cela permet de garder le meilleur des deux côtés, cela représente beaucoup de travail mais je l'accueille à bras ouverts parce que j'adore cette formation.

 

CDF - Un autre aspect de votre jeu, c'est votre capacité à jouer des deux pieds. Est-ce que c'est une qualité que vous avez toujours eu ou est-ce que vous avez effectué un travail particulier dans vos jeunes années ?

 

 

A.L - Quand j'étais jeune, je me souviens que dans mon équipe nous avions beaucoup travaillé sur les aspects techniques Je me souviens que nous avions fait un concours de jonglage, j'avais neuf ans à l'époque et j'utilisais systématiquement mon pied droit, et j'étais très bonne, probablement la meilleure.

 

Mais à chaque fois que j'utilisais mon pied gauche, le ballon rebondissait sur le sol. En fait, c'était mon frère qui a l'époque avait souligné l'importance de mon pied gauche et au départ j'avais du mal à en mesurer l'importance. Mais petit à petit, je l'ai entraîné et j'ai acquis plus d'aisance et je peux désormais clairement souligné l'importance de pouvoir utiliser les deux pieds.

 

A ce niveau, cela fait une différence. Pour les défenseures, elles ne savent pas de quel côté vous allez jouer, et pour une attaquante cela ajoute un élément de surprise, donc c'était quelque chose qu'il fallait que je développe avec les années. Mais c'est quelque chose que je veux mettre en avant pour tous les joueurs/joueuses pour avancer et progresser.

 

« Cela peut sembler quelque chose d'insignifiant

mais c'est un changement important pour moi »

 

CDF - En venant ici en France, vous avez connu un double changement. D'abord changer de continent, mais aussi devenir professionnelle. Est-ce que vous pouvez nous parler de votre adaptation, ces derniers mois ici en France à Paris ?

 

A.L - C'est un vrai changement, pour pleins de raisons. Être en France dans un nouveau pays, il y a la langue et je pense aussi les gens, la culture est très différente par rapport à l'Amérique du Nord. Je pense que j'ai été un peu naïve sur l'ampleur de l'adaptation mais c'est très sympa d'être ici et d'apprendre sur une autre culture.

 

CDF - Est-ce que vous pouvez nous donnez un exemple ?

 

A.L - Je pense qu'en Amérique du Nord, nous sommes plus directs dans notre communication. Ici, j'ai pu constater que lorsqu'une personne veut dire quelque chose, elle ne le dit pas forcément. Cela peut sembler quelque chose de banal ou d'insignifiant mais c'est un changement important pour moi parce que je suis habituée à une certaine manière de m'adresser aux gens, à mes coéquipières, mais j'ai appris comment m'adapter et j'apprends à le faire avec des personnes différentes, et ce n'est pas une question de bon ou de mauvais, c'est juste la manière dont sont les choses entre différentes parties du monde. Donc c'est positif de ce point de vue-là.

 

Sur le fait d'être dans un cadre professionnel, c'est différent, c'est quelque chose que vous ne pouvez pas vraiment expliquer, il faut le vivre pour le comprendre, mais c'est super de pouvoir jouer et de pouvoir me concentrer et centrer mes efforts sur mon jeu. Je sais que je suis encore jeune, mais j'ai encore beaucoup de progrès à faire et c'est un très bon départ pour ma carrière professionnelle [d'être] avec le PSG.

 

CDF - Et vous avez du temps à consacrer pour d'autres activités, où c'est tout pour le football ?

 

A.L - Non, je pense qu'au départ c'était surtout chercher à me concentrer sur mon programme, me remettre dans un processus qui m'aide à retrouver dans un état d'esprit qui me permette de bien m’entraîner et de bien jouer. Cela a pris un peu de temps. Mais maintenant, je me suis bien adaptée, je connais mon programme, et je suis capable de faire d'autres choses comme lire, j'adore lire des livres sur les affaires et les investissements. J'adore apprendre des choses à propos de l'esprit, la psychologie, j'ai étudié ça à l'école [notamment à l'université ndlr]. Donc il y a beaucoup de domaines dans lesquels j'aimerais avancer, même en dehors du football.

 

CDF – Il y a quelques années, vous aviez dit que votre « rêve ultime » en football était de devenir footballeuse professionnelle. Est-ce qu'il y a une marche supplémentaire pour prolonger la poursuite de ce rêve ?

 

A.L - Oui. Je ne suis jamais satisfaite. Chaque jour, je voulais devenir footballeuse professionnelle, et je veux devenir meilleure chaque jour aller au devant de ces domaines qui ne sont pas mes points forts et je veux devenir meilleure. Je pense qu'une autre chose qui est importante, c'est de comprendre mon rôle, c'est au-delà du football et je joue un rôle de modèle pour des jeunes filles qui veulent devenir elles-mêmes footballeuses ou quoi que ce soit dont elles peuvent rêver dans leur vie. Et je pense que je peut-être un exemple pour montrer que c'est possible, et je veux utiliser ce tremplin pour les encourager et leur monter qu'elles peuvent le faire.

 

« Des rituels, une routine qui vous permettent

de jouer à votre niveau optimal. »

 

CDF - Pour revenir à vos études que vous avez évoquez plus tôt. On a pu voir que vous aviez été diplômée en Psychologie du Sport et de l'Exercice. D'après ce qu'on a pu lire, cette « Psychologie de l'exercice » c'est notamment le fait de pouvoir « utiliser les principes de la psychologie pour atteindre un équilibre mental optimal et améliorer les performances ». Avec ça, vous devez avoir un temps d'avance sur les autres joueuses ?

 

A.L - Oui, c'est une partie. Avoir l'opportunité d'étudier, c'est formidable d'acquérir ces savoirs et d'avoir des informations sur l'aspect mental parce que pour moi si vous n'êtes pas préparé mentalement, vous ne serez jamais prêt physiquement mais c'est plus important d'appliquer cela dans la vie réelle, dans votre travail, votre carrière.

 

Et donc pour être à même de jouer avec l'équipe nationale du Canada, être dans cet environnement et parvenir à expérimenter quelques uns de ces concepts et théories, cela fait toute la différence. Tout le monde est différent et ce qui peut marcher pour moi, peut ne pas marcher pour quelqu'un d'autre, nous avons tous des personnalités différentes, des émotions différentes et c'est important de discerner ce qui fonctionne pour vous.

 

A l'approche des entraînements et des matches, vous devez avoir des rituels, une routine qui vous permettent de jouer à votre niveau optimal. Cela peut-être de parler avec un membre de sa famille, écouter de la musique, n'importe quoi qui vous permet de vous sentir bien, mais c'est important de définir ce que c'est parce qu'à la fin de la journée vous devez être prêt mentalement.

 

Dans le jeu, vous pouvez frapper, faire des passes, vous entraîner sur tous ces éléments mais dans le match, c'est à ce moment-là qu'il y a la pression. Vous devez répondre au défi et cela commence dans la tête.

 

CDF - Vous avez évoqué la musique, j'ai lu que c'était un des moyens que vous utilisez pour vous motivez avant un match. Est-ce que venir en France vous a permis d'ajouter de nouveaux styles à votre playlist ?

 

A.L - Je ne me suis jamais enfermée dans un seul genre de musique. Je pense que cela dépend vraiment de l'humeur et de comment je me sens. En venant en France, j'ai clairement ajouté de la musique française, je ne connais pas vraiment les noms mais ce sont des chansons qui font partie des meilleurs succès du moment.

 

J'adore la musique française, c'est différent, c'est très sympa et beaucoup de joueuses m'ont fait découvrir et j'en suis très contente. Et oui, je pense que c'est très important d'avoir ça dans sa panoplie. Mais pour moi, j'aime aussi regarder des vidéos de motivation, écouter des podcasts et encore une fois continuellement alimenter mon esprit avec des idées positives et croire que je peux y arriver.

 

Hichem Djemai